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15/02/2016 | BELGIQUE | N°C.14.0448.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 février 2016, C.14.0448.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0448.F

EUROPEAN SOCIETY FOR RADIOTHERAPY AND ONCOLOGY, en abrege ESTRO,association internationale sans but lucratif, dont le siege est etabli àWoluwe-Saint-Lambert, rue Martin V, 40,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

EQUAL-ESTRO, societe de droit franc,ais, dont le siege est etabli àNeuilly-sur-Seine (France), rue Louis Philippe,

20,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0448.F

EUROPEAN SOCIETY FOR RADIOTHERAPY AND ONCOLOGY, en abrege ESTRO,association internationale sans but lucratif, dont le siege est etabli àWoluwe-Saint-Lambert, rue Martin V, 40,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

EQUAL-ESTRO, societe de droit franc,ais, dont le siege est etabli àNeuilly-sur-Seine (France), rue Louis Philippe, 20,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 9 avril 2014par la cour d'appel de Bruxelles.

Par ordonnance du 28 janvier 2016, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.

Le 28 janvier 2016, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et l'avocat general JeanMarie Genicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

* article 149 de la Constitution ;

* article 7 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loiapplicable aux obligations contractuelles, approuvee par l'article 1erde la loi du 14 juillet 1987, et en tant que de besoin, l'article 1erde cette loi d'approbation ;

* articles 6, 1108, 1128, 1131, 1133, 1213, 1214, 1216, 1304 à 1314 et1338 du Code civil ;

* articles 31, 32, 33 et 39 à 44 de la loi du 24 juillet 1987 sur letravail temporaire, le travail interimaire et la mise de travailleursà la disposition d'utilisateurs, dans sa version en vigueur dejanvier à juin 2009, telle que modifiee par les lois des 13 fevrier1998, 24 fevrier 1999 et 12 aout 2000, avant sa modification par leslois des 6 juin 2010 et 27 decembre 2012 ;

* principe general du droit suivant lequel nul ne peut s'enrichir sanscause aux depens d'autrui ;

* principe general du droit `jura novit curia' relatif à l'office dujuge.

Decisions et motifs critiques

L'arret attaque rec,oit l'appel principal de la defenderesse, declarel'appel principal fonde, reforme le jugement du premier juge sauf en cequ'il a dit la demande recevable et declare la demande originaire nonfondee, specialement en tant qu'elle tendait au paiement par ladefenderesse à la demanderesse de la somme de 217.640,35 euroscorrespondant au cout salarial du personnel de la demanderesse mis à ladisposition de la defenderesse pour la periode de janvier à juin 2009.

Cette decision est fondee sur l'ensemble des motifs de l'arret attaquetenus pour etre ici expressement reproduits et plus specialement sur lesmotifs suivants :

« [La defenderesse] et Equal Qair contestent etre redevables de lafacture de 217.640 euros dont le montant a ete accorde par les premiersjuges, au motif qu'elle concerne la mise à disposition de travailleurs aumepris de la loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travailinterimaire et la mise des travailleurs à la disposition d'utilisateurs.

L'article 31, S: 1er, alinea 1er, de cette loi entend par `mise àdisposition de travailleurs', `l'activite exercee [...] par une personnephysique ou morale qui consiste à mettre des travailleurs qu'elle aengages à la disposition de tiers qui utilisent ces travailleurs etexercent sur ceux-ci une part quelconque de l'autorite appartenantnormalement à l'employeur'.

En l'espece, il n'est pas conteste que [la demanderesse] a detacheplusieurs employes pour accomplir divers services au profit de [ladefenderesse].

Contrairement à ce que soutient la demanderesse, au moins une partie del'autorite et du controle sur les membres du personnel qu'elle mettait àla disposition de [la defenderesse] etait exercee directement par cettederniere.

Ce pouvoir d'autorite et de controle exerce par [la defenderesse] resultenotamment des elements suivants :

* M. H., executive director de [la defenderesse] avait un pouvoir dedirection sur le personnel de [la demanderesse] ;

M. H. etait employe par [la defenderesse] en qualite de directeurexecutif.

Il n'a jamais ete au service de [la demanderesse].

Il dirigeait l'organisation pratique du travail des employes mis àdisposition, determinait leur temps de travail et d'essai, autorisaitleurs conges et vacances annuelles et gerait les incapacites de travail.

Il reglait egalement les documents d'engagement de nouveaux membresdetaches du personnel de [la demanderesse].

Ce `management' n'etait pas uniquement administratif, mais impliquaitegalement des prises de decisions à l'egard du personnel.

Ce pouvoir d'autorite ressort notamment de divers courriels adresses parle personnel à M. H. et inversement.

Il ne ressort d'aucune piece produite que ces decisions auraient etecommuniquees à [la demanderesse].

La circonstance que M. T., executive director de [la demanderesse], auraitdonne certaines directives aux employes detaches chez [la defenderesse] ouque la demanderesse aurait garde certains attributs de l'autoritepatronale ne fait pas obstacle à ce que M. H. ait exerce sur le personneldetache une part quelconque de l'autorite appartenant normalement àl'employeur.

Les pieces produites par [la demanderesse] à l'appui de sa thesen'etablissent d'ailleurs pas que M. T. aurait donne des instructions à M.H.- leurs fonctions etant les memes - ou à des membres du personnel de[la demanderesse] detaches chez [la defenderesse].

* les prestations de la gestionnaire des ressources humaines, Mme C.,etaient refacturees par [la defenderesse] à [la demanderesse] ;

Mme C., engagee par [la demanderesse], a ete detachee au service de [ladefenderesse].

La remuneration et les charges liees à l'occupation de Mme C. pour lecompte de [la defenderesse] etaient facturees à celle-ci par [lademanderesse] à 100 p.c. et [la defenderesse] refacturait à [lademanderesse] les quelques prestations occasionnelles encore accompliespar Mme C. au profit de son propre employeur [la demanderesse], ce quiindique qu'elle consacrait la majeure partie de son temps à [ladefenderesse] et travaillait sous l'autorite de celle-ci.

Cette refacturation est un element determinant du transfert d'autorite.

Les montants refactures à [la demanderesse] ont ete dument payes parcelle-ci.

* les travailleurs executaient leurs prestations dans les locaux louespar [la defenderesse] ;

[La demanderesse] ne conteste pas que les employes qu'elle mettait àdisposition de [la defenderesse] travaillaient dans les locaux de cettederniere.

Pendant tout ce temps, ils n'executaient aucune prestation pour [lademanderesse].

L'ensemble des prestations etait execute au benefice de [la defenderesse]et sous son controle exclusif.

Il ne ressort d'aucun element du dossier qu'un representant de [lademanderesse] etait present dans les locaux de [la defenderesse].

Les prestations accomplies etaient facturees par [la defenderesse] à [lademanderesse].

Contrairement à ce que soutient [la demanderesse], ces factures, quimentionnent en detail les prestations accomplies, ne sont pas relativesuniquement à des taches administratives.

* une seule adresse electronique configuree etait utilisee par lepersonnel mis à disposition ;

L'utilisation de l'adresse electronique unique configuree selon le schemaprenom.nom@equal-estro.org permettait à [la defenderesse] de verifierl'execution des prestations de chaque employe.

Il ressort à suffisance de droit des elements exposes ci-dessus que lamise à la disposition de [la defenderesse] du personnel initialementengage par [la demanderesse] repond bien à la definition de la mise à ladisposition de travailleurs au profit d'un utilisateur, visee par la loidu 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail interimaire et lamise de travailleurs à disposition d'utilisateurs.

L'article 31, S: 1er, de la loi precitee interdit expressement une tellemise à disposition, sous peine de sanctions penales precisees àl'article 39 de cette loi.

En application du S: 2 de l'article 31 de la loi precitee, `le contratpar lequel un travailleur a ete engage pour etre mis à la dispositiond'un utilisateur en violation de la disposition du S: 1er est nul, àpartir du debut de l'execution du travail chez lui', en raison desdispositions imperatives que cette loi edicte.

Par ailleurs, l'article 33 de ladite loi dispose que `toute stipulationcontraire aux dispositions de la presente loi et ses arretes d'executionest nulle pour autant qu'elle vise à restreindre les droits destravailleurs ou à aggraver leurs obligations'.

La loi du 24 juillet 1987 est une loi de police.

L'existence de sanctions penales traduit la volonte du legislateur dedepasser la defense des interets particuliers et de reglementer dansl'interet de la generalite des citoyens ou de certaines categories d'entreeux.

En matiere de contrat de travail en particulier, les dispositions legalesqui organisent la protection des travailleurs et qui ont un caractereimperatif sont des lois de police et de surete ; elles obligent lesemployeurs pour les travailleurs qu'ils occupent habituellement enBelgique.

Si la violation de l'interdiction de la mise à la disposition destravailleurs au profit d'un utilisateur n'entraine pas ipso facto lanullite absolue de la stipulation qui l'edicte, les lois de police nerelevant pas necessairement de l'ordre public, encore faut-il constaterqu'une telle stipulation a pour consequence de restreindre les droits destravailleurs detaches ou d'aggraver leurs obligations, ceux-ci etantsoumis pour partie à l'autorite de la societe d'envoi et de la societeutilisatrice.

A tort, [la demanderesse] invoque qu'en conformite avec la dispositioncontenue à l'article 32, S: 1er, a, de la meme loi, elle n'a fait quemettre certains de ses travailleurs à la disposition de [la defenderesse]dans le cadre d'une collaboration entre entreprises d'une meme entiteeconomique et financiere, des lors que [la demanderesse] n'etablit pas queles conditions qui sont rattachees à cette mise à disposition etaientremplies, en particulier le caractere exceptionnel de celle-ci,l'information prealable du controle des lois sociales et l'existence d'uncontrat ecrit fixant les conditions et la duree limitee de la mise àdisposition.

[La demanderesse] ne pouvant reclamer le paiement des factures desremunerations de travailleurs qu'elle a mis illegalement à la dispositionde [la defenderesse], sa demande de paiement de la facture de 217.640,35euros representant les salaires de ces travailleurs pour la periodecomprise entre janvier et juin 2009 est denuee de fondement.

Le jugement du premier juge doit etre reforme sur ce point.

En vain, [la demanderesse] invoque subsidiairement le comportement fautifde [la defenderesse] pour avoir organise elle-meme le systeme de mise àdisposition irreguliere de travailleurs à son profit, à l'interventionde M. T., des lors que celui-ci a ete employe par [la demanderesse] et nonpar [la defenderesse] dans les liens d'un contrat de travail en qualited'executive director.

[La demanderesse] est donc mal fondee à reclamer, sur cette base, undommage equivalent au cout des charges salariales faisant l'objet de lafacture du 2 novembre 2009 d'un montant de 217.640,35 euros.

L'action de in rem verso invoquee à titre plus subsidiaire par [lademanderesse] pour obtenir le paiement du montant des charges salarialesdu personnel detache ne peut davantage etre accueillie des lors qu'elle sefonde sur une cause illicite, à savoir la mise à disposition illegale deses travailleurs ; faire droit à cette demande reduirait à neantl'efficacite de la sanction prevue par la loi et serait manifestementcontraire aux objectifs de protection des categories de travailleursvisees par le legislateur ».

Griefs

Premiere branche

1. Dans ses secondes conclusions additionnelles et de synthese d'appel, lademanderesse faisait valoir ce qui suit : « s'il y a eu transfertd'autorite - quod non -, celui-ci n'a tout au plus ete que partiel. Or, untel transfert partiel ne meconnait pas la legislation applicable enmatiere de pret de personnel qui autorise la societe beneficiaire àdonner des directives - fort larges (...) - quant au travail àeffectuer. En effet, l'article 31, S: 1er, alinea 2, de la loi du 24juillet 1987 stipule que `ne constitue toutefois pas l'exercice d'uneautorite au sens du present article, le respect par le tiers desobligations qui lui reviennent en matiere de bien-etre au travail ainsique des instructions donnees par le tiers, en vertu du contrat qui le lieà l'employeur, quant aux temps de travail et aux temps de repos et quantà l'execution du travail convenu' ».

2. Par aucun de ses motifs, l'arret attaque ne repond à ce moyen parlequel la demanderesse faisait valoir que le transfert de l'autoritepatronale de la demanderesse à la defenderesse n'etait que partiel et,des lors, conforme à l'article 31, S: 1er, alinea 2, de la loi du 24juillet 1987 tel qu'il etait en vigueur à l'epoque des faits.

3. L'arret attaque n'est, des lors, pas regulierement motive et viole,partant, l'article 149 de la Constitution.

Deuxieme branche

1. En vertu des articles 6, 1108, 1128, 1131 et 1133 du Code civil, lecontrat doit pour etre valable etre dote d'un objet et d'une causelicites.

Toutefois, il ressort des memes dispositions ainsi que des articles 1304à 1314 et 1338 du Code civil que lorsque l'illiceite de l'objet ou de lacause du contrat resulte de la meconnaissance d'une disposition imperativeedictee en vue de la protection d'interets prives, et en particulier d'unepartie reputee faible par le legislateur, la nullite relative qui enresulte ne peut etre invoquee que par la partie dans l'interet de laquellecette disposition a ete edictee.

2. Selon l'article 31, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 24 juillet 1987(dans sa version visee en tete du moyen), est interdite l'activiteexercee, en dehors des regles fixees aux chapitres Ier et II de cette loi,par une personne physique ou morale qui consiste à mettre destravailleurs qu'elle a engages, à la disposition de tiers qui utilisentces travailleurs et exercent sur ceux-ci une part quelconque de l'autoriteappartenant normalement à l'employeur.

Selon l'article 31, S: 2, de cette meme loi, le contrat par lequel untravailleur a ete engage pour etre mis à la disposition d'un utilisateuren violation de la disposition du S: 1er est nul, à partir du debut del'execution du travail chez celui-ci.

Une derogation à ces principes n'est prevue par l'article 32, S: 1er, decette meme loi qu'aux conditions qu'il enumere.

Selon l'article 33 de cette meme loi, toute stipulation contraire auxdispositions de la presente loi et de ses arretes d'execution est nullepour autant qu'elle vise à restreindre les droits des travailleurs ou àaggraver leurs obligations.

3. Il resulte des dispositions precitees de la loi du 24 juillet 1987 que,dans la mesure ou la convention par laquelle un preteur met son personnelà la disposition d'un utilisateur en violation des articles 31 et 32 dela loi est frappee de nullite conformement à l'article 33 de cette loi,cette nullite n'est qu'une nullite relative edictee dans l'interet destravailleurs et dont seuls ceux-ci peuvent se prevaloir à l'encontre dupreteur, à l'exclusion de l'utilisateur, et ce meme si cette convention apour effet de restreindre les droits des travailleurs concernes oud'aggraver leurs obligations.

Ni la circonstance que ces dispositions faisaient à l'epoque l'objet desanctions penales comminees par les articles 39 à 44 de la loi du 24juillet 1987 (dans sa version visee en tete du moyen) ni le fait qu'ellespuissent etre qualifiees de loi de police au sens de l'article 7 de laConvention de Rome, n'ont pour effet d'attribuer à cette nullite lecaractere d'une nullite absolue dont tout tiers interesse pourrait seprevaloir.

4. L'arret attaque constate que le personnel de la demanderesse a ete misà la disposition de la defenderesse en violation de l'interdiction prevueà l'article 31 de la loi du 24 juillet 1987 sans respecter les conditionsprevues à l'article 32 de cette meme loi.

Pour les motifs reproduits en tete du moyen, l'arret attaque autorise deslors la defenderesse, en sa qualite d'entreprise utilisatrice, à seprevaloir de la nullite de la convention conclue avec la demanderesse, ensa qualite de preteur, en vertu de laquelle le personnel de lademanderesse a ete mis à la disposition de la defenderesse, en qualited'utilisateur.

5. Ce faisant, l'arret attaque :

1DEG en attribuant à la nullite resultant de la violation des articles 31et 32 de la loi du 24 juillet 1987 le caractere d'une nullite absolue ouà tout le moins d'une nullite relative dont l'utilisateur peut seprevaloir, viole ces dispositions ainsi que l'article 33 de la meme loi ;

2DEG en considerant que la nature de la nullite resultant de cesdispositions est influencee par l'existence des sanctions penales prevuesaux articles 39 à 44 de cette loi, viole l'ensemble des dispositions decette loi visees en tete du moyen ;

3DEG en considerant que la nature de la nullite resultant de cesdispositions est influencee par le caractere de loi de police de cettedisposition, viole l'article 7 de la Convention de Rome et, en tant que debesoin, sa loi d'approbation ;

4DEG en autorisant un tiers - en l'occurrence, la defenderesse - à seprevaloir d'une nullite relative qui n'a pas ete edictee dans son interet,viole l'ensemble des dispositions du Code civil visees en tete du moyen àl'exception des articles 1213 à 1216.

Troisieme branche

1. Pour l'application du principe general du droit suivant lequel nul nepeut s'enrichir sans cause aux depens d'autrui, un transfert de patrimoineest sans cause lorsqu'il n'existe aucun motif juridique justifiantl'appauvrissement d'une partie et l'enrichissement de l'autre.

A cet egard, la circonstance que le transfert de patrimoine trouve sonorigine dans une cause illicite, à savoir la mise à disposition detravailleurs effectuee en violation des articles 31, 32 et 33 de la loi du24 juillet 1987 (dans sa version visee en tete du moyen), n'empeche pas deconsiderer que ce transfert de patrimoine est sans cause pourl'application du principe general du droit precite.

Par ailleurs, ni l'objectif ni la sanction prevus par lesditesdispositions n'excluent l'application du principe general du droit suivantlequel nul ne peut s'enrichir sans cause aux depens d'autrui.

2. L'arret attaque constate qu'à titre subsidiaire, la demanderesseinvoquait l'action de in rem verso, c'est-à-dire le principe general dudroit suivant lequel nul ne peut s'enrichir sans cause aux depensd'autrui, en vue d'obtenir le remboursement des remunerations versees aupersonnel detache par la demanderesse aupres de la defenderesse.

Par les motifs reproduits en tete du moyen, l'arret decide qu'une telleaction ne peut etre accueillie aux motifs qu'elle se fonde sur une causeillicite, à savoir la mise à disposition illegale des travailleurs de lademanderesse, que faire droit à cette demande reduirait à neantl'efficacite de la sanction prevue par la loi et serait manifestementcontraire aux objectifs de protection des categories de travailleursvisees par le legislateur.

3. Ce faisant, l'arret attaque :

1DEG refuse illegalement d'appliquer le principe general du droit suivantlequel nul ne peut s'enrichir sans cause aux depens d'autrui, et viole deslors celui-ci ;

2DEG attribue illegalement aux articles 31, 32 et 33 de la loi du 24juillet 1987 l'effet d'exclure l'application de ce principe general dudroit, et viole partant ces dispositions.

Quatrieme branche

1. Selon l'article 31, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 24 juillet 1987(dans sa version visee en tete du moyen), est interdite l'activiteexercee, en dehors des regles fixees aux chapitres Ier et II de cette loi,par une personne physique ou morale qui consiste à mettre destravailleurs qu'elle a engages, à la disposition de tiers qui utilisentces travailleurs et exercent sur ceux-ci une part quelconque de l'autoriteappartenant normalement à l'employeur.

Selon l'article 31, S: 3, alinea 1er, de la meme loi, lorsqu'unutilisateur fait executer des travaux par des travailleurs mis à sadisposition en violation de la disposition du S: 1er, cet utilisateur etces travailleurs sont consideres comme engages dans les liens d'un contratde travail à duree indeterminee des le debut de l'execution des travaux.

Selon l'article 31, S: 4, de la meme loi, l'utilisateur et la personnequi met des travailleurs à la disposition de l'utilisateur en violationde la disposition du S: 1er sont solidairement responsables du paiementdes cotisations sociales, remunerations, indemnites et avantages quidecoulent du contrat vise au S: 3.

2. En vertu de l'article 1213 du Code civil, l'obligation contracteesolidairement envers le creancier se divise de plein droit entre lesdebiteurs, qui n'en sont tenus entre eux que chacun pour sa part etportion.

En vertu de l'article 1214, alinea 1er, du Code civil, le codebiteur d'unedette solidaire, qui l'a payee en entier, ne peut repeter contre lesautres que les parts et portions de chacun d'eux.

En vertu de l'article 1216 du Code civil, si l'affaire pour laquelle ladette a ete contractee solidairement ne concernait que l'un des coobligessolidaires, celui-ci serait tenu de toute la dette vis-à-vis des autrescodebiteurs, qui ne seraient consideres par rapport à lui que comme sescautions.

Il resulte de ces dispositions que le debiteur qui a acquitte une dettesolidaire envers un creancier dispose d'un recours contributoire enversses co-debiteurs jusqu'à concurrence de leurs parts et portions,lesquelles sont fonction de l'interet que ceux-ci avaient à la dette.

3. En vertu du principe general du droit jura novit curia relatif àl'office du juge, le juge est tenu de trancher le litige conformement auxregles juridiques qui lui sont applicables. Il a l'obligation, moyennantle respect des droits de la defense, de soulever d'office les fondementsjuridiques dont l'application s'impose par les faits specialement invoquespar les parties à l'appui de leurs demandes. Il y a lieu d'y assimilerles faits que le juge a lui-meme mis en avant à partir des elements quilui ont ete regulierement soumis par les parties.

4. Par les motifs reproduits en tete du moyen, l'arret attaque constateque « (la demanderesse) ne conteste pas que les employes qu'elle mettaità la disposition (de la defenderesse) travaillaient dans les locaux decette derniere. Pendant tout ce temps, ils n'executaient aucune prestationpour (la demanderesse). L'ensemble des prestations etait execute aubenefice (de la defenderesse) et sous son controle exclusif ».

Il decide par ailleurs que les travailleurs de la demanderesse ont ete misà la disposition de la defenderesse en violation des articles 31 et 32 dela loi du 24 juillet 1987 et que la demande de la demanderesse tend àobtenir de la defenderesse le remboursement du cout salarial du personnelainsi mis à disposition.

L'arret attaque declare cependant cette demande non fondee.

5. Ce faisant, l'arret attaque :

1DEG declare illegalement non fondee la demande de la demanderesse alorsque celle-ci etait fondee à exercer à l'encontre de la defenderesse unrecours contributoire base sur les articles 1213 et 1214 du Code civil,ayant acquitte au profit des travailleurs mis à disposition de ladefenderesse les remunerations dont elle etait solidairement tenue enverseux en vertu de l'article 31, specialement S: 4, de la loi du 24 juillet1987, et ce à concurrence de la totalite des montants payes conformementà l'article 1216 du Code civil des lors qu'il ressortait desconstatations de l'arret attaque que les prestations de ces travailleursavaient beneficie exclusivement à la defenderesse (violation des articles1213, 1214 et 1216 du Code civil ainsi que de l'article 31 de la loi du 24juillet 1987) ;

2DEG s'abstient illegalement de verifier d'office l'existence d'un recourscontributoire de la demanderesse envers la defenderesse dont l'applications'imposait compte tenu des faits specialement invoques par la demanderesseà l'appui de ses pretentions (violation du principe general du droit juranovit curia relatif à l'office du juge) ;

3DEG à tout le moins, à defaut de rechercher et d'indiquer dans sesmotifs l'existence et l'etendue de ce recours contributoire, met la Courdans l'impossibilite de verifier la legalite de sa decision, et n'est, deslors, pas regulierement motive (violation de l'article 149 de laConstitution).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

L'arret considere que « M. H., `executive director' de [la defenderesse],avait un pouvoir de direction sur le personnel de [la demanderesse] » deslors qu' « il dirigeait l'organisation pratique du travail des employesmis à disposition, [qu']il determinait leur temps de travail et d'essai,autorisait leurs conges et vacances annuelles et gerait les incapacites detravail [et qu']il reglait egalement les documents d'engagement denouveaux membres detaches du personnel [de la demanderesse] » et que« ce `management' n'etait pas uniquement administratif mais impliquaitegalement des prises de decisions à l'egard du personnel ».

L'arret deduit de ces enonciations que « la circonstance que M. T.,`executive director' [de la demanderesse], aurait donne certainesdirectives aux employes detaches chez [la defenderesse] ou que [celle-ci]aurait garde certains attributs de l'autorite patronale ne fait pasobstacle à ce que M. H. ait exerce sur le personnel detache `une partquelconque de l'autorite appartenant normalement à l'employeur' » selonles termes de l'article 31, S: 1er, de la loi du 24 juillet 1987 sur letravail temporaire, le travail interimaire et la mise de travailleurs àla disposition d'utilisateurs, applicable au litige. Il releve en outreque « les pieces produites par [la demanderesse] à l'appui de sa thesen'etablissent d'ailleurs pas que M. T. aurait donne des instructions à M.H.- leurs fonctions etant les memes - ou à des membres du personnel de[la demanderesse] detaches chez [la defenderesse] ».

Par ces considerations, l'arret repond, en les contredisant, auxconclusions de la demanderesse qui soutenait que le transfert d'autoriten'etait que partiel et ne constituait pas l'exercice d'une autorite ausens de l'article 31 precite.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la deuxieme branche :

L'arret considere qu' « à tort, [la demanderesse] invoque qu'enconformite avec la disposition contenue à l'article 32, S: 1er, a), de laloi [du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail interimaireet la mise de travailleurs à la disposition d'utilisateurs], elle n'afait que mettre certains de ses travailleurs à la disposition de [ladefenderesse] dans le cadre d'une collaboration entre entreprises d'unememe entite economique et financiere, des lors que [la demanderesse]n'etablit pas que les conditions qui sont rattachees à cette mise àdisposition etaient remplies ».

Contrairement à ce que suppose le moyen, en cette branche, l'arret nefonde pas sa decision de rejeter la demande de paiement de la demanderessesur une violation de la disposition precitee mais sur ce que lesconditions pour beneficier du regime derogatoire ne sont pas reunies.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, manque en fait.

Pour le surplus, suivant l'article 6 du Code civil, on ne peut deroger,par des conventions particulieres, aux lois qui interessent l'ordre publicet les bonnes moeurs et, en vertu de l'article 1131 de ce code,l'obligation sur cause illicite ne peut avoir aucun effet.

L'article 31, S: 1er, alinea 1er, de la loi precitee du 24 juillet 1987dispose qu'est interdite l'activite exercee, en dehors des regles fixeesaux chapitres I et II, par une personne physique ou morale qui consiste àmettre des travailleurs qu'elle a engages, à la disposition de tiers quiutilisent ces travailleurs et exercent sur ceux-ci une part quelconque del'autorite appartenant normalement à l'employeur.

Il suit de cette disposition, qui est d'ordre public, que la conventionpar laquelle l'employeur met des travailleurs à la disposition de tiers,en violation de cette interdiction, est frappee de nullite absolue.

Le moyen, qui, en cette branche, est à cet egard tout entier fonde sur lesoutenement contraire, manque en droit.

Quant à la troisieme branche :

En vertu de l'article 1131 du Code civil, l'obligation sur cause illicitene peut avoir aucun effet.

Le principe general du droit de l'enrichissement sans cause requiert lacondition d'absence de cause de l'appauvrissement et de l'enrichissement.

Il resulte de la combinaison de ces dispositions que, des lors que laconvention sur cause illicite ne peut recevoir effet, l'enrichissement decelui qui a beneficie de son execution est sans cause. Le juge peuttoutefois rejeter la demande de l'appauvri lorsqu'il considere en fait quecela compromettrait le role preventif de la sanction prevue pour laconvention sur cause illicite ou que l'ordre social exige que l'appauvrisoit plus severement sanctionne.

Sur la base des considerations que « [la demanderesse] ne [peut] reclamerle paiement des factures de remunerations de travailleurs qu'elle a misillegalement à la disposition de [la defenderesse] », que cette « miseà disposition illegale de ses travailleurs » repose sur une « causeillicite » et que « faire droit à [la] demande [fondee à titresubsidiaire sur l'enrichissement sans cause] reduirait à neantl'efficacite de la sanction prevue par la loi et serait manifestementcontraire aux objectifs de protection des categories de travailleursvisees par le legislateur », l'arret a pu legalement decider que cettedemande n'est pas fondee.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la quatrieme branche :

Si l'arret constate que « le litige est relatif au non-paiement decertaines factures emises par [la demanderesse] et couvrant des frais desalaires que celle-ci declare avoir supportes au profit de [ladefenderesse] [...] pour la periode de janvier à juin 2009 » etconsidere que la demanderesse ne peut « reclamer paiement des factures deremunerations de travailleurs qu'elle a mis illegalement à la dispositionde [la defenderesse] » au sens de l'article 31, S: 1er, de la loi du 24juillet 1987, applicable au litige, il ne resulte ni de ces enonciationsni d'aucune autre que les montants reclames par la demanderessecorrespondent aux remunerations dont elle est solidairement tenue en vertude l'article 31, S: 4, de la loi en ce qu'elles decouleraient du contratde travail à duree indeterminee considere comme ne, en cas de mise àdisposition illicite, entre la defenderesse en sa qualite d'utilisateur etles travailleurs mis à disposition.

Il n'est pas au pouvoir de la Cour de rechercher cet element de fait surlequel le moyen, en cette branche, repose tout entier.

Le moyen, en cette branche, est irrecevable.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de six cent soixante et un euros nonante etun centimes envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillers DidierBatsele, Martine Regout, Mireille Delange et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du quinze fevrier deux mille seize par lepresident de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat general JeanMarie Genicot, avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.

+------------------------------------------+
| F. Gobert | M.-Cl. Ernotte | M. Delange |
|-----------+----------------+-------------|
| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
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15 FEVRIER 2016 C.14.0448.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0448.F
Date de la décision : 15/02/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-02-15;c.14.0448.f ?
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