Cour de cassation de Belgique
Arret
* NDEG C.15.0250.F
VAN DAU, societe anonyme dont le siege social est etabli àFrasnes-lez-Anvaing (Anvaing), place de la Bascule, 1,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,
* contre
1. R. O. et
2. A. N., defendeurs en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 15septembre 2014 par le tribunal de premiere instance du Hainaut, statuanten degre d'appel.
Par ordonnance du 8 janvier 2016, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, la demanderesse presente un moyen.
III. La decision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la troisieme branche :
L'abus de droit consiste à exercer un droit d'une maniere qui excedemanifestement les limites de l'exercice de ce droit par une personneprudente et diligente.
L'article 14, alinea 1er, de la loi du 30 avril 1951 sur les bauxcommerciaux dispose, en sa premiere phrase, que le preneur desireuxd'exercer le droit au renouvellement doit, à peine de decheance, lenotifier au bailleur par exploit d'huissier de justice ou par lettrerecommandee dix-huit mois au plus, quinze mois au moins, avantl'expiration du bail en cours.
Si l'exercice du droit au renouvellement est soumis au respect de cesexigences, cette disposition n'impose pas au preneur d'accomplir d'autresformalites pour porter sa demande de renouvellement à la connaissance dubailleur.
Le jugement attaque constate que la demanderesse, locataire principal d'unimmeuble commercial à usage de cafe, « devait solliciter lerenouvellement de son bail [...] entre le 1er avril et le 30 juin 2011 »,qu'elle a effectivement « introduit sa demande de renouvellement àl'egard des nouveaux proprietaires, [les defendeurs], par deux courriersrecommandes distincts dates du 11 avril 2011 et envoyes le 12 avril2011 », que ceux-ci « lui ont ete retournes par la poste avec lesmentions àbsent' et `non reclame' le 29 avril 2011, soit deux mois avantl'expiration du delai dans lequel le renouvellement devait etredemande », et que « [la demanderesse] a repris contact avec [lesdefendeurs] pour àcter [le] renouvellement » par une lettre du 29 aout2011, « soit apres l'expiration du delai dans lequel les bailleursauraient pu s'opposer au renouvellement du bail ».
Apres avoir enonce qu' « il n'est pas conteste que [la demanderesse] arespecte la prescription de l'article 14 de la loi du 30 avril 1951 » surles baux commerciaux, le jugement attaque, qui considere que « c'est[...] de maniere abusive que [la demanderesse] a strategiquement laisses'ecouler le delai dans lequel les bailleurs pouvaient reserver suite àsa demande de renouvellement du bail apres qu'elle eut ete rapidementinformee par la poste que son pli recommande n'avait pas ete porte à laconnaissance de ceux-ci (pour des raisons non entierement elucidees à cejour [...]) et alors que les parties etaient en relations d'affaires etavaient des contacts `quasi hebdomadaires' à tout le moins par le biaisde leur(s) prepose(s) », meconnait le principe general du droit vise aumoyen.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.
Et il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs, qui ne sauraiententrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaque, sauf en tant qu'il rec,oit l'appel ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugementpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant le tribunal de premiere instancedu Brabant wallon, siegeant en degre d'appel.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du premier fevrier deux mille seize par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generaldelegue Michel Palumbo, avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.
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| F. Gobert | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|-----------+------------+----------------|
| M. Lemal | M. Delange | Chr. Storck |
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Requete
1er feuillet
REQUETE EN CASSATION
_______________________
Pour : la S.A. VAN DAU, inscrite à la B.C.E. sous le nDEG 0443.472.122,dont le
siege social est etabli à 7910 Frasnes-lez-Anvaing, place de la Bascule(A), 1,
demanderesse,
assistee et representee par Me Jacqueline Oosterbosch, avocate à la Cour
de cassation, dont le cabinet est etabli à 4020 Liege, rue deChaudfontaine,
11, ou il est fait election de domicile,
Contre : 1DEG. M. R.O.
2DEG. Mme A. N.,
domicilies tous deux à 7500 Tournai, rue des Carrieres, 243,
defendeurs.
A Messieurs les Premier President et Presidents, Mesdames et Messieurs lesConseillers composant la Cour de cassation,
2eme feuillet
Messieurs, Mesdames,
La demanderesse a l'honneur de deferer à votre censure le jugementprononce le 15 septembre 2014 par la septieme chambre du tribunal depremiere instance du Hainaut - division de Tournai (R.G. nDEG 13/1530/A).
Les faits et antecedents de la cause, tels qu'ils ressortent des piecesauxquelles votre Cour peut avoir egard, peuvent etre ainsi brievementresumes.
Le 30 septembre 2003, la demanderesse conclut un contrat de bail avec MmeA. B. en vertu duquel elle prend en location un immeuble commercial àusage de cafe situe à Ere.
Le 17 juin 2009, la demanderesse donne ce bien en location au defendeur età sa fille, Mme S. O.. Ce bail prend cours le 1er juillet 2009 pour seterminer de plein droit le 30 septembre 2012, soit à la meme date que lebail conclu initialement entre la demanderesse et Mme B..
Au cours du mois de septembre 2009, le defendeur et son epouse, ladefenderesse, acquierent l'immeuble objet du contrat de bail de Mme C.,heritiere de Mme B..
Par deux courriers recommandes distincts dates du 11 avril 2011 et envoyesle lendemain, la demanderesse sollicite le renouvellement du bailcommercial à l'egard des nouveaux proprietaires, les defendeurs.
Ces derniers, qui allegueront ne jamais avoir rec,u les recommandes nil'avis de passage, ne reservent aucune suite à la demande derenouvellement dans le delai legal.
Les sous-locataires, le defendeur et sa fille, Mme S.. n'introduisent pasde demande de renouvellement dans le delai legal aupres de leur bailleur,la demanderesse.
3eme feuillet
Le 17 avril 2012, les defendeurs citent la demanderesse devant le juge depaix du second canton de Tournai afin qu'il soit dit que le droit aurenouvellement du bail principal par la demanderesse a ete exerce demaniere abusive, que les parties soient remises "dans l'etat anterieurduquel elles se trouvaient avant que les (defendeurs) se soient trouvesforclos de leur droit de reagir à la demande de renouvellement du bailprincipal (et qu'il leur soit permis) (...) de faire connaitre leursintentions à la (demanderesse) conformement à l'article 14 de la loi surles baux commerciaux".
Par un jugement du 19 juillet 2013, le magistrat cantonal declare cettedemande recevable mais non fondee. Il condamne les defendeurs aux depens.
I. II. Le 6 novembre 2013, les defendeurs interjettent appel de cettedecision.
III. IV. Le jugement analyse dit cet appel fonde, reforme le jugemententrepris, dit pour droit que le droit au renouvellement du bailprincipal a ete exerce de maniere abusive par la demanderesse et queles defendeurs "pourront faire connaitre leur intention à la(demanderesse) quant à sa demande de renouvellement du bailcommercial qui les lie, conformement à l'article 14 de la loi sur lesbaux commerciaux, endeans le mois de la signification du presentjugement".
A l'encontre de cette decision, la demanderesse a l'honneur de proposer lemoyen de cassation suivant.
5eme feuillet
MOYEN UNIQUE DE CASSATION
Dispositions violees
- les articles 1134, alinea 2, 1147, 1148, 1315, 1350, 1352, 1719, 1728 et1743 du Code civil,
- l'article 870 du Code judiciaire,
- les articles 12 et 14 de la loi du 30 avril 1951 sur les bauxcommerciaux,
- le principe general du droit de l'abus de droit,
- l'article 149 de la Constitution
Decision critiquee
Le jugement attaque decide que le droit au renouvellement du bailprincipal a ete exerce de maniere abusive par la demanderesse et que lesdefendeurs "pourront faire connaitre leur intention à la (demanderesse)quant à sa demande de renouvellement du bail commercial qui les lie,conformement à l'article 14 de la loi sur les baux commerciaux, endeansle mois de la signification du present jugement" pour tous ses motifsreputes ici integralement reproduits et, specialement, que :
"les (defendeurs) font grief au premier juge de ne pas avoir retenu lathese de l'abus de droit et de l'execution de bonne foi des conventions(article 1134 du Code civil).
(Ils) exposent que (la demanderesse) connaissait leur intention des'opposer au renouvellement du bail et qu'elle retire un avantagedisproportionne à l'exercice de son droit, ce que cette premiereconteste.
En droit
L'article 14 de la loi du 30 avril 1951 stipule que «le preneur desireuxd'exercer le droit au renouvellement doit, à peine de decheance, lenotifier au bailleur par exploit d'huissier de justice ou par lettrerecommandee dix-huit mois au plus, quinze mois au moins, avantl'expiration du bail en cours. La notification doit indiquer, à peine denullite, les conditions auxquelles le preneur lui-meme est dispose àconclure le nouveau bail et contenir la mention qu'à defaut de
6eme feuillet
notification par le bailleur, suivant les memes voies et dans les troismois, de son refus motive de renouvellement, de la stipulation deconditions differentes ou d'offres d'un tiers, le bailleur sera presumeconsentir au renouvellement du bail aux conditions proposees».
Il convient de relever, à ce stade, que l'article 14 de la loi du 30avril 1951 a ete edicte en vue de proteger le bailleur et qu'il est, enl'occurrence, invoque à l'encontre de celui-ci.
Quant à l'abus de droit, il convient de rappeler qu'il existe chaque foisque l'avantage que retire une partie de l'exercice d'un droit, meme fondesur la loi et revendique par la voie d'une procedure reguliere, estdisproportionne par rapport à la charge correlative de l'autre partie.
La theorie de l'abus de droit et l'obligation de respect de la bonne foi,notamment en matiere contractuelle, sont les reponses du droit auxexigences d'equite et de justice de notre societe moderne.
De meme, l'evolution du droit tend à l'instauration d'une obligationgenerale d'honnetete et de transparence, specialement en affairescommerciales (voir les lois sur les pratiques du commerce qui doivent etrehonnetes et loyales).
Enfin, les relations entre les societes commerciales et les proprietairesne peuvent etre le lieu d'un champ de bataille juridique, ou l'on attendla faute strategique de l'autre pour le mettre en difficultes.
En fait
En l'espece, il n'est pas conteste que la (demanderesse) ait respecte leprescrit de l'article 14 de la loi du 30 avril 1951.
Il echet neanmoins de constater que la (demanderesse) a adresse lescourriers recommandes contenant la demande de renouvellement du bail, pourune duree de 9 ans aux memes conditions, le 12 avril 2011, courriers quilui ont ete retournes par La Poste avec les mentions «absent» et «nonreclame» le 29 avril 2011, soit deux mois avant l'expiration du delaidans lequel le renouvellement devait etre demande.
Ce n'est que par courrier date du 29 aout 2011, soit apres l'expiration dudelai dans lequel les bailleurs auraient pu s'opposer au renouvellement dubail, que la (demanderesse) a repris contact avec ceux-ci pour «acter»ledit renouvellement.
Il convient egalement d'avoir egard au contexte particulier entourant lesrelations des parties à cette epoque :
7eme feuillet
La (demanderesse) et la famille O. (pere, mere et fille) sont en relationsd'affaires depuis plusieurs annees et sont lies par plusieurs conventionsrelatives à deux etablissements de type «Horeca».
Il ressort des conclusions prises par la (demanderesse) devant le premierjuge dans le cadre d'un autre litige que son prepose avait des contacts«quasi hebdomadaires» avec (le defendeur) et sa fille, à l'occasion delivraisons (...).
A dater du 23 decembre 2009, (le defendeur) cumule les qualites deproprietaire de l'immeuble faisait l'objet du bail litigieux (avec [ladefenderesse]) et de sous-locataire (avec sa fille Madame S.O.).
Le bail de sous-location (conclu, lui, pour une duree de 3 ans) luiimposait, ainsi qu'à Madame S.O., des obligations de brasserie etsingulierement un approvisionnement exclusif avec quotas aupres de (lademanderesse), sans que l'on aperc,oive les avantages qu'il aurait puretirer ni du bail de sous-location ni du bail principal depuis qu'ilavait accede à la propriete de l'immeuble (loyers identiques, obligationd'entretien et de reparation mise à charge du sous-locataire, etc.).
Le 7 fevrier 2011, la (demanderesse) citait (le defendeur) et Madame S.O.devant le premier juge pour non-respect des obligations decoulant de cebail de sous-location (non-respect du minimum quantitatif) (...).
Lorsque la (demanderesse) demande le renouvellement du bail principal parcourrier recommande du 12 avril 2011, les relations entre parties sontmanifestement conflictuelles et leurs interets diametralement opposes.
Enfin, (le defendeur) et Madame S. O. n'ont pas demande le renouvellementdu bail de sous-location, qui venait à echeance en meme temps que le bailprincipal.
C'est de maniere tout à fait credible et logique que (les defendeurs)exposent avoir eu l'intention de mettre un terme, des que possible, aubail principal, ce que confirme le notaire HACHE dans ses attestations(...).
C'est, à l'inverse, de maniere fort peu credible que la (demanderesse)avance qu'elle ignorait les intentions des bailleurs lorsqu'elle a demandele renouvellement du bail principal, pour une duree de 9 ans aux memesconditions, dans le contexte predecrit.
C'est des lors de maniere abusive que la (demanderesse) a strategiquementlaisse s'ecouler le delai dans lequel les bailleurs pouvaient reserversuite à sa demande de renouvellement du bail apres qu'elle ait eterapidement informee par La Poste que son pli recommande
8eme feuillet
n'avait pas ete porte à la connaissance de ceux-ci (pour des raisons nonentierement elucidees à ce jour, cfr. la reclamation formee par [lesdefendeurs] à La Poste [...]) et alors que les parties etaient enrelation d'affaires et avaient des contacts «quasi hebdomadaires» àtout le moins par le biais de leur(s) prepose(s).
L'avantage retire par la (demanderesse) - le renouvellement du bail pourune periode de 9 ans aux memes conditions - est disproportionne parrapport à la charge imposee (au defendeur) qui ne peut disposer du biendont il est entre-temps devenu proprietaire et qui, pour exploiter lecommerce qui s'y trouve, doit endosser l'habit de sous-locataire de sonpropre locataire et respecter des obligations de brasserie, le tout sanscontreparties averees (la [demanderesse] n'en cite aucune dans ses ecritsde procedure).
La sanction de l'abus de droit n'est pas la decheance totale de ce droitmais la reduction de celui-ci à son usage normal ou la reparation dudommage que son abus a cause.
En l'espece, la sanction la plus adequate du comportement de la(demanderesse) est, comme cela est postule, de permettre (aux defendeurs)de faire connaitre leur intention à la (demanderesse) quant à sa demandede renouvellement du bail principal qui les lie, conformement à l'article14 de la loi sur les baux commerciaux, endeans le mois de la significationdu jugement à intervenir".
Griefs
Premiere branche
L'article 14, alinea 1er, de la loi du 30 avril 1951 sur les bauxcommerciaux dispose que "le preneur desireux d'exercer le droit aurenouvellement doit, à peine de decheance, le notifier au bailleur parexploit d'huissier de justice ou par lettre recommandee dix-huit mois auplus, quinze au moins, avant l'expiration du bail en cours. Lanotification doit indiquer, à peine de nullite, les conditions auxquellesle preneur lui-meme est dispose à conclure le nouveau bail et contenir lamention qu'à defaut de notification par le bailleur, suivant les memesvoies et dans les trois mois, de son refus motive de renouvellement, de lastipulation de conditions differentes ou d'offres d'un tiers, le
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bailleur sera presume consentir au renouvellement du bail aux conditionsproposees". Ni cette disposition, ni aucune autre n'exigent qu'une foisaccomplies les formalites requises par l'article 14 precite, le preneurfasse d'autres diligences pour porter son desir de renouveler le bail àla connaissance du bailleur.
Il se deduit de l'article 14 de la loi du 30 avril 1951 que le bailleurqui ne donne pas suite à une demande de renouvellement formulee dans lesdelai et forme prescrits est, sauf force majeure qu'il lui incombed'etablir, irrefragablement presume accepter le renouvellement auxconditions stipulees.
Aux termes de l'article 1350 du Code civil, "la presomption legale estcelle qui est attachee par une loi speciale à certains actes ou àcertains faits; tels sont : (...) les actes que la loi declare nuls, commepresumes faits en fraude de ses dispositions, d'apres leur seule qualite;(...) les cas dans lesquels la loi declare la propriete ou la liberationresulter de certaines circonstances determinees; (...) l'autorite que laloi attribue à la chose jugee; (...) la force que la loi attache àl'aveu de la partie ou à son serment".
L'article 1352 du meme code dispose quant à lui que "la presomptionlegale dispense de toute preuve celui au profit duquel elle existe. Nullepreuve n'est admise contre la presomption de la loi, lorsque, sur lefondement de cette presomption, elle annule certains actes ou deniel'action en justice, à moins qu'elle n'ait reserve la preuve contraire,et sauf ce qui sera dit sur le serment et l'aveu judiciaires"
Le jugement attaque qui, bien qu'il constate "qu'en l'espece, il n'est pasconteste que la (demanderesse) ait respecte le prescrit de l'article 14 dela loi du 30 avril 1951"et qu'il ne constate pas l'existence d'une forcemajeure ayant empeche les defendeurs de notifier leur refus
de renouvellement dans les forme et delai prescrits, decide, implicitementmais certainement, que le bail n'est pas d'ores et dejà renouvele etpermet aux defendeurs de notifier, en dehors du delai prescrit parl'article 14 de la loi precitee, leurs intentions quant à la demande derenouvellement, viole tant l'article 14 de la loi du 30 avril 1951 que lesarticles 1350 et 1352 du Code civil.
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Deuxieme branche
La force majeure qui decharge une partie de ses obligationscontractuelles, visee aux articles 1147 et 1148 du Code civil, ne peutdecouler que d'un evenement independant de sa volonte qu'elle n'a puprevoir ou prevenir. Il incombe à cette partie de l'etablir conformementaux articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire.
Si, en considerant que les courriers contenant la demande derenouvellement du bail "ont ete retournes (à la demanderesse) par laPoste avec les mentions «absent» et «non reclame»" et que lademanderesse a "ete rapidement informee par la Poste que son plirecommande n'avait pas ete porte à la connaissance [des defendeurs] (pourdes raisons non entierement elucidees à ce jour, cfr la reclamationformee par le defendeur et la defenderesse à la Poste [...])", lejugement attaque a decide que les defendeurs pouvaient se prevaloir d'uneforce majeure, il viole la notion legale de force majeure et les articles1147 et 1148 du Code civil ainsi que l'article 1315 du meme code etl'article 870 du Code judiciaire relatifs à la charge de la preuve.
Troisieme branche
Il incombe à la partie à un contrat qui se prevaut d'un abus par l'autrepartie d'un droit tire de la convention d'en apporter la preuve.
Il n'y a abus de droit que lorsque son titulaire l'exerce sans interetraisonnable et suffisant, d'une maniere qui excede manifestement leslimites de l'exercice normal de ses droits par une personne prudente etdiligente. Il s'ensuit qu'un abus de droit contractuel, et une violationde l'execution de bonne foi des conventions, ne peut se deduire que ducomportement que n'aurait pas adopte toute personne raisonnablementprudente et diligente placee dans les memes circonstances.
En l'espece, la demanderesse a exerce son droit au renouvellement du bailen adressant aux bailleurs une demande à cet effet dans les forme etdelai requis par l'article 14 de la loi du 30 avril 1951.
12eme feuillet
Ni cette disposition ni aucune autre, et specialement pas l'article 1134,alinea 2, du Code civil, n'imposent au preneur d'accomplir d'autresformalites ou diligences que celles prescrites par l'article 14 precitepour faire connaitre sa demande de renouvellement du bail; en vertu dumeme article 14, à defaut pour le bailleur d'avoir notifie son refus derenouvellement ou la stipulation de conditions contraires dans le delaiprescrit par la loi, sauf force majeure qu'il lui incombe d'etablir lebail est renouvele aux conditions indiquees dans la demande par le seuleffet de la loi.
Le jugement attaque, qui considere que "ce n'est que par courrier du 29aout 2011, soit apres l'expiration du delai dans lequel les bailleursauraient pu s'opposer au renouvellement du bail, que (la demanderesse) arepris contact avec eux pour «acter» ledit renouvellement" et que "dansle contexte particulier entourant les relations des parties", "c'est demaniere abusive que la (demanderesse) a strategiquement laisse s'ecoulerle delai dans lequel les bailleurs pouvaient reserver suite à sa demandede renouvellement du bail apres qu'elle ait ete rapidement informee par LaPoste que son pli recommande n'avait pas ete porte à la connaissance deceux-ci (pour des raisons non entierement elucidees à ce jour [...]) etalors que les parties etaient en relation d'affaires et avaient descontacts «quasi hebdomadaires» à tout le moins par le biais de leur(s)prepose(s)", decharge les defendeurs de la preuve de la force majeure quileur incombe (violation des articles 1315 du Code civil et 870 du Codejudiciaire) et deduit une violation de l'obligation generale de bonne foidans l'execution des conventions et, partant, un abus de droit de faitsqui ne peuvent legalement le fonder (violation de toutes les dispositionsvisees au moyen, à l'exception de l'article 149 de la Constitution).
Quatrieme branche
Dans ses conclusions additionnelles d'appel, la demanderesse faisaitvaloir que les defendeurs reconnaissaient qu'ils etaient informes par leurnotaire sur les conditions d'un renouvellement de bail; qu'ils "(la)connaissaient parfaitement (...); (qu')il leur etait tout à fait loisiblede se rapprocher d'elle pour connaitre ses intentions, avant ou pendant laperiode utile pour la demande de renouvellement; qu'ils n'en ont rienfait", pour en deduire que les defendeurs etaient mal venus de luireprocher une quelconque mauvaise foi, qu'il leur appartenait d'etreattentifs et prudents, ce qu'ils n'ont pas ete; qu'ils ont commis degraves negligence tentant, à tort, de lui imputer (concl. app., pp. 5, 6et 9).
13eme feuillet
Par aucune consideration le jugement attaque ne rencontre ce moyen, ensorte qu'il n'est pas regulierement motive (violation de l'article 149 dela Constitution).
Cinquieme branche
En vertu des articles 1743 du Code civil et 12 de la loi du 30 avril 1951sur les baux commerciaux, les obligations resultant d'un bail commercials'imposent à l'acquereur du bien.
L'article 12 de la loi du 30 avril 1951 prevoit expressement que "lorsmeme que le bail reserverait la faculte d'expulsion, l'acquereur à titregratuit ou onereux ne peut expulser le preneur que dans les cas prevus àl'article 16, 1DEG, 2DEG, 3DEG et 4DEG", c'est-à-dire dans des hypothesesou le bailleur a manifeste, dans les conditions prevues à l'article 14,son refus de renouveler le bail pour un des motifs vises à l'article 12.
A defaut de refus de renouvellement, suite à la demande regulierementfaite, le bail est renouvele. La contrepartie de la privation dejouissance du bailleur est le loyer paye tandis que la contrepartie pourle preneur du paiement du loyer est la jouissance du bien (article 1719 et1728 du Code civil).
Le jugement attaque, qui ne constate nullement une disproportion entre lesobligations nees du bail mais compare le desavantage que subit le premierdefendeur du fait que le refus du renouvellement n'a pas ete effectue dansles conditions et delais prescrits, à savoir qu'il ne peut exploiter lecommerce dans les lieux sauf à "endosser l'habit de sous-locataire de sonpropre locataire et respecter les obligations de brasserie, le tout sanscontrepartie averee", ne justifie pas legalement la decision que le droitau renouvellement a ete exerce de maniere abusive par la demanderesse(violation des articles 1134, alinea 2, 1719, 1728 et 1743, du Code civil,12 et 14 de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux et duprincipe general du droit de l'abus de droit).
14eme feuillet
Developpements
L'article 14, alinea 1er, de la loi du 30 avril 1951 sur les bauxcommerciaux, enonce les conditions de formes et de delais que doitrespecter le preneur afin de solliciter regulierement le renouvellement deson bail.
Ainsi que le releve M. Godhaird, "le bailleur qui ne repond pas estlegalement presume accepter le renouvellement aux conditions exposees dansla demande formulee par le locataire (art. 14, al. 1). Cette presomptionest irrefragable au point que le conge donne en vue d'occuperpersonnellement le bien, signifie avant l'introduction de la demande derenouvellement, est sans effet" (M. Godhaird, "Le bail commercial",Bruxelles, Larcier, 2012, p. 288).
Dans un arret du 26 mai 2005, votre Cour a rappele le caractereirrefragable de cette presomption, en censurant un jugement du tribunal decommerce de Verviers qui, apres avoir constate que le preneur avaitformule sa demande de renouvellement conformement à l'article 14, avaitdecide que des elements posterieurs pouvaient etre pris en considerationpour etablir que le bailleur - qui affirmait ne pas avoir rec,u la demandede renouvellement - ne marquait pas son accord sur cette demande, letribunal concluant que "les circonstances de l'espece indiquent unrenversement de la presomption d'accord (du bailleur)" (Cass., 26 mai2005, Pas., nDEG 299).
Dans un arret du 24 octobre 1968, votre Cour avait eu à connaitre d'unpourvoi dirige contre un jugement prononce par le tribunal de premiereinstance de Bruxelles qui avait deboute le proprietaire d'un immeuble desa demande d'expulsion des occupants, titulaires d'un bail commercialqu'ils pensaient valablement renouvele, aux motifs que le bailleur qui n'aoppose dans les formes et delais legaux aucun refus au renouvellementregulierement demande est presume, en vertu de l'article 14 de la loi du30 avril 1951, avoir consenti au renouvellement du bail aux conditionsproposees.
La bailleresse, demanderesse en cassation, soutenait que l'article 14"suppose que le preneur fasse toutes les diligences raisonnables eu egardaux circonstances pour que sa demande, contenant une proposition destineeà etre rencontree par le bailleur pour aboutir, par echange deconsentement, à la conclusion d'un nouveau bail, parvienne à laconnaissance de ce dernier; que n'accomplit pas toutes les diligencesraisonnables le preneur qui, recevant en retour, sans en avoir
15eme feuillet
jamais perdu la propriete, la lettre qu'il avait confiee à La Poste,acquiert la connaissance tandis qu'il se trouve toujours dans le delaifixe par la loi pour la notification de la demande de renouvellement, quesa lettre n'est pas parvenue au bailleur, et conserve neanmoins uneattitude purement passive; que le juge, dans les circonstances qu'ilreleve, n'a des lors pu lire le bail renouvele pour, ensuite, l'opposer àla demanderesse, sans violer l'article 14 contenu dans la loi sur les bauxcommerciaux et les dispositions du Code civil visees au moyen".
Votre Cour a dit pour droit "que le preneur exerce regulierement son droitau renouvellement du bail en notifiant au bailleur, par lettre recommandeeà La Poste, son desir de renouvellement dans le delai prevu par l'article14 contenu dans la loi du 30 avril 1951; que ni cette disposition legaleni aucune autre n'exige que, lorsque le pli recommande a ete, dans lescirconstances invoquees par le jugement et reprises par le moyen, renvoyeau preneur dans le delai pendant lequel une demande de renouvellementpouvait etre faite, le preneur fasse d'autres diligences pour porter sondesir de renouveler le bail à la connaissance du bailleur" (Cass., 24octobre 1968, Pas., 1969, I, 213).
La presomption legale irrefragable, visee par les articles 1350 et 1352 duCode civil, est celle contre laquelle la loi ne permet pas d'apporter lapreuve contraire.
Il s'en deduit que lorsque les conditions prescrites par l'article 14 dela loi du 30 avril 1951 ont ete respectees et qu'il n'y a eu aucun refusdu bailleur notifie dans les forme et delai prescrits par la memedisposition sans qu'une force majeure le justifie, le bail est renouveleaux conditions formulees dans la demande.
La premiere branche du moyen soutient que le jugement attaque, quiconstate que la demanderesse a accompli les formalites prescrites parl'article 14 de la loi du 30 avril 1951 de la loi sur les baux commerciauxconformement à cette disposition et ne constate pas l'existence d'uneforce majeure ayant empeche les bailleurs de formuler ce refus dans lesformes et delais prescrits mais qui decide neanmoins, implicitement maiscertainement, que le bail n'est pas renouvele et que les defendeurspeuvent faire connaitre leur intention quant à la demande derenouvellement du bail endeans le mois de la signification du jugement,viole, partant, tant l'article 14 de la loi du 30 avril 1951 que lesarticles 1350 et 1352 du Code civil.
16eme feuillet
La deuxieme branche du moyen est prise dans l'hypothese ou le jugementdevrait etre lu comme retenant l'existence d'un evenement de force majeureayant empeche les defendeurs de refuser le renouvellement du bail dans lesconditions de forme et de delai prevues à l'article 14 de la loi du 30avril 1951; dans la mesure ou le jugement constate que les raisons pourlesquelles les courriers recommandes de la demanderesse lui sont revenusavec les mentions "absent" et "non reclame" ne sont pas "entierementelucidees", aucune force majeure ne pouvait etre deduite de cettecirconstance.
La troisieme branche du moyen fait valoir qu'un abus de droit ne peut, enmatiere contractuelle, etre deduit que d'un comportement que n'aurait pasadopte toute personne raisonnablement prudente et diligente, placee dansles memes circonstances.
En l'espece, la demanderesse n'a use que d'un seul droit, celui que luiconfere l'article 14 de la loi du 30 avril 1951, à savoir demander lerenouvellement du bail en respectant les formes et delais prescrits.
Des lors qu'il est certain, comme expose à la premiere branche du moyen,que ni l'article 14 precite ni aucune autre disposition n'imposent aupreneur d'autres diligences qui ne lui imposent de veiller aux interets dubailleur qui sont, à l'expiration du bail initial, à l'oppose des siens,aucune faute consistant en la violation de l'obligation de bonne foi nepouvait etre retenue dans le chef de la demanderesse et, partant, aucunabus de droit.
Le renouvellement du bail n'est que la consequence de l'absence de refusdes bailleurs dans les conditions prevues par la loi. Il appartenait aujuge du fond d'examiner si c'etait en raison d'une force majeure que lescourriers recommandes de la demanderesse n'avaient pas ete reclames ou sic'etait pas suite de la negligence des defendeurs (ceux-ci, bien quedument avertis du delai dans lequel la demande de renouvellement devaitetre introduite, n'ont pas cherche à s'informer) mais ils ne pouvaientdecharger le defendeur de la preuve de cette force majeure en imputant unefaute à l'obligation de bonne foi à la demanderesse qui, elle, n'avaitpas à faire plus de diligences que celles dejà effectuees.
18eme et dernier feuillet
La quatrieme branche du moyen fait grief au jugement attaque d'avoirlaisse sans reponse le moyen de la demanderesse tandis que les defendeursreconnaissaient etre informes du delai dans lequel le bail devait etrerenouvele et auraient pu s'informer aupres d'elle pour connaitre sesintentions, qu'ils ne l'ont pas fait et ont commis des negligences qu'ilstentent, à tort, de lui imputer (violation de l'article 149 de laConstitution).
La cinquieme branche du moyen critique plus specialement le jugementattaque en tant qu'il a deduit l'abus de droit du caractere"disproportionne" entre l'avantage que la demanderesse retirerait durenouvellement du bail et les desagrements que subissent les defendeurs,nouveaux proprietaires du bien, des lors que, c'est la nature meme ducontrat, ils n'auraient pas la jouissance du bien et ne pourraient quel'exploiter sauf à endosser la qualite de sous-locataires (lademanderesse souligne qu'ils ne sont nullement tenus à l'exploitation dubien ni à un quelconque contrat de brasserie des lors que, comme leconstate le jugement attaque, le defendeurs et sa niece - qui etaitsous-locataire - n'ont pas formule de demande de renouvellement du bail).
PAR CES CONSIDERATIONS,
l'avocate à la Cour de cassation soussignee, pour la demanderesse,conclut qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser le jugementattaque; ordonner que mention de votre arret soit faite en marge de ladecision annulee; renvoyer la cause et les parties devant un autretribunal de premiere instance siegeant en degre d'appel; statuer ce que dedroit quant aux depens.
Jacqueline Oosterbosch
Liege, le 10 juin 2015
la quatrieme branche du moyen fait d'ailleurs grief au jugement attaque den'avoir pas rencontre ce moyen souleve par la demanderesse.
1 FEVRIER 2016 C.15.0250.F/2
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