Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG P.15.1038.F
B. F.,
prevenu et partie civile,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maitres Marc Neve, avocat au barreau de Liege, ChantalMoreau, avocat au barreau de Bruxelles, et Thierry Moreau, avocat aubarreau du Brabant wallon, dont le cabinet est etabli à Rixensart, BeauSite, 1ere avenue, 56, ou il est fait election domicile,
contre
1. D. D., P.,
2. G.A., E., P., G.,
3. H. F., J., A., G.,
4. C.A.,
5. F. A., M., H.,
prevenus et parties civiles,
6. ETAT BELGE, represente par le ministre de la Justice, dont les bureauxsont etablis à Bruxelles, boulevard de Waterloo, 115,
partie intervenue volontairement,
defendeurs en cassation.
I. la procedure devant la cour
Le pourvoi est dirige contre un arret rendu le 23 juin 2015 par la courd'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque trois moyens dans un memoire annexe au present arret,en copie certifiee conforme.
Le president de section Frederic Close a fait rapport.
L'avocat general Raymond Loop a conclu.
II. la decision de la cour
A. Sur le pourvoi du demandeur, prevenu :
1. En tant que le pourvoi est dirige contre la decision rendue surl'action publique exercee à sa charge :
Les formalites substantielles ou prescrites à peine de nullite ont eteobservees et la decision est conforme à la loi.
2. En tant que le pourvoi est dirige contre les decisions rendues sur lesactions civiles exercees contre le demandeur par D.D., A.G. et F. H. :
Le demandeur ne fait valoir aucun moyen.
B. Sur le pourvoi du demandeur, partie civile :
1. En tant qu'il est dirige contre la decision rendue sur l'action civileexercee contre D. D., A. C. et A. F., sur la base de la prevention Dde traitement degradant :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 3 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, 417bis à417quinquies du Code penal, 119 et 120 de la loi de principes du 12janvier 2005 concernant l'administration des etablissements penitentiairesainsi que le statut juridique des detenus. Prenant appui sur la regle nesouffrant aucune exception, selon laquelle les mesures de coercitiondirecte exercees à l'egard d'un detenu doivent etre les moinsprejudiciables, le moyen reproche à l'arret de considerer que ledemandeur n'a pas ete soumis à un traitement degradant au motif qu'il y aconsenti.
L'article 3 de la Convention prohibe en termes absolus la torture et lespeines ou traitements inhumains ou degradants, quels que soient lescirconstances et le comportement de la victime. L'article 417quinquies,alinea 1er, du Code penal punit quiconque soumet une personne à untraitement degradant, lequel se definit, en vertu de l'article 417bis,3DEG, comme celui qui cause, aux yeux d'autrui ou à ceux de la victime,une humiliation ou un avilissement graves.
Un traitement ne cesse pas d'etre degradant du seul fait que la personnequi le subit y consentirait.
Il ne peut s'en deduire que, lorsque l'administration a legitimementimpose des menottes et des entraves à un detenu à titre de mesure decoercition au sens de l'article 119 de la loi de principes, laprolongation anormale du port de ces liens en raison du refus caracterisede son porteur de se les faire enlever constitue necessairement un teltraitement.
Par une appreciation en fait qu'il n'appartient pas à la Cour decensurer, l'arret considere que le placement des entraves repondait à unenecessite lors de l'arrivee du demandeur à la prison et que, par desmenaces de mort repetees à l'adresse du personnel penitentiaire et par lerisque majeur de passage à l'acte qu'il representait, le demandeur s'estoppose à l'enlevement des entraves que la direction de la prisonenvisageait de lui faire retirer apres une ou deux heures.
Par ces considerations, la cour d'appel a pu legalement ecarterl'existence d'un traitement degradant.
Dans cette mesure, le moyen ne peut etre accueilli.
Pour le surplus, le moyen reproche à l'arret une contradiction interne.Il est, selon lui, contradictoire de considerer que le recours à la forceetait necessaire pour entraver le demandeur pendant une ou deux heures, etde constater ensuite que ces quelques heures sont devenues quelques joursen raison seulement du refus systematique oppose par le demandeur àl'enlevement des menottes.
Revenant à considerer que l'arret devait reprocher aux defendeurs de nepas avoir egalement utilise la force pour desentraver le demandeur, lemoyen critique l'appreciation en fait de la cour d'appel et est, partant,irrecevable.
Sur l'ensemble du deuxieme moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 3de la Convention. En sa premiere branche, il reproche à l'arret de ne pasrepondre aux conclusions du demandeur soutenant, d'une part, que lesautorites federales n'ont pas mene l'enquete effective, approfondie etrapide que les indices de mauvais traitements appelaient pour qu'il leursoit mis fin et, d'autre part, que le port des menottes et entraves ne sejustifiait pas en permanence puisque le demandeur etait detenu au cachot.En sa seconde branche, le moyen critique l'absence de reponse auxconclusions du demandeur selon lesquelles, surtout lorsqu'il est aucachot, un detenu est dans une situation de faiblesse tant juridique quematerielle, pour recueillir des preuves d'un mauvais traitement et lesfaire valoir.
L'arret oppose à ces conclusions que
* des le 7 decembre 2007, soit avant la plainte formulee le 10 decembre2007, le demandeur a rec,u la visite d'une adjointe du directeur de laprison, de son avocat et d'un membre de la commission de surveillancede la prison, qui lui a rendu une seconde visite le 13 decembre 2007 ;
* le 11 decembre 2007, le juge d'instruction a entendu le demandeur danssa cellule pour confirmation de la plainte ;
* le 12 decembre 2007, le medecin legiste requis comme expert l'aexamine ;
* malgre les interventions repetees des membres du personnel et desvisiteurs, le demandeur a toujours refuse obstinement que les entraveslui soient retirees, ne cessant de proferer des menaces à de nombreuxinterlocuteurs, jusqu'à ce qu'il soit transfere dans une autre prisonle 16 decembre 2007.
En ayant ainsi constate les suites que l'administration penitentiaire etla justice avaient reservees d'urgence aux evenements litigieux et à laplainte subsequente du demandeur, notamment en ce qui concerne lerassemblement des preuves, la cour d'appel, qui a pris en compte lamaterialite des faits, a repondu auxdites conclusions sans etre tenue desuivre le demandeur dans le detail de son argumentation.
Par ailleurs, les juges d'appel ont considere que le demandeur s'estcontinuellement oppose à l'enlevement des menottes malgre les offresrepetees de les lui enlever.
Ainsi, l'arret motive regulierement et justifie legalement sa decision.
Le moyen ne peut etre accueilli.
2. En tant que le pourvoi est dirige contre les decisions rendues sur lesactions civiles exercees par le demandeur contre D. D.et A. F., sur labase de la prevention E de coups ou blessures volontaires :
Sur le troisieme moyen :
Quant à la premiere branche :
L'arret acquitte D. D. de coups ou blessures volontaires au motif qu'iln'a pas participe à la decision de placer des entraves au demandeur, sansrepondre aux conclusions de celui-ci soutenant que le « balayage » qui aprovoque sa chute constitue un coup au sens de l'article 392 du Codepenal.
Dans cette mesure, le moyen est fonde.
Quant à la deuxieme branche :
Le moyen soutient qu'il est contradictoire de considerer, d'une part, queles lesions constatees par le medecin legiste s'expliquent par la pressionprolongee des menottes particulierement serrees, placees sur l'ordre dudefendeur A.F., directeur de la prison, et donc qu'il a volontairementplacees, et d'autre part, de decider qu'il n'est pas etabli que cedefendeur a volontairement cause ces blessures.
Toutefois, l'arret ne fonde pas sa decision sur la circonstance que leslesions constatees sur le demandeur sont ou non la consequence du port desmenottes impose par le defendeur. C'est, en effet, à partir del'hypothese d'automutilation proposee par le medecin legiste que la courd'appel a exclu que lesdites lesions resultent de la decision prise par A.F. de placer ces entraves.
Lues dans ce contexte, les affirmations critiquees ne sont pascontradictoires.
Le moyen manque en fait.
Quant à la troisieme branche :
Le moyen reproche à l'arret de ne pas declarer etablis les faits de coupsou blessures volontaires reproches au directeur de la prison, apres avoircependant constate que celui-ci a pris la decision de placer le demandeurdans une cellule nue et de l'entraver, puis qu'une à deux heures plustard, il a decide de ne pas retirer les entraves mais simplement de lesdesserrer, mais qu'elles ne l'ont ete qu'en cours de soiree.
Comme indique ci-dessus, en reponse à la deuxieme branche de ce moyen, lacour d'appel a cependant decide qu'il n'etait pas etabli que les blessuresdu demandeur aient ete causees par l'utilisation des entraves.
Procedant d'une lecture inexacte de l'arret, le moyen manque en fait.
Quant à la quatrieme branche :
Le moyen fait valoir que la cour d'appel a considere non etablis les coupsou blessures volontaires reproches au directeur de la prison, apres avoirconstate que, selon le medecin legiste, la severite des lesions cutaneesobservees sur le demandeur peut suggerer qu'au moins initialement leslesions ont ete constituees sous l'effet de la pression prolongee exerceepar des menottes particulierement serrees.
Apres avoir rappele cette consideration du rapport d'expertise, l'arretretient cependant l'hypothese formulee par l'expert etablissant un lienentre les blessures qu'il a constatees et des « manoeuvres » commisesdirectement par le demandeur.
Le moyen reproche en outre à l'arret de ne pas disqualifier les faits encoups ou blessures involontaires. Toutefois, la cour d'appel n'a pasconsidere que les lesions subies par le demandeur resultent de la decisionprise par le defendeur d'entraver le demandeur, de sorte qu'elle n'etaitpas de tenue de rechercher si ces coups ou blessures pouvaient avoir etecauses involontairement.
Reposant sur une lecture inexacte de la decision attaquee, le moyen manqueen fait.
3. En tant que le pourvoi est dirige contre la decision rendue surl'action civile exercee par le demandeur contre A. G. et F. H., contreles decisions qui, rendues sur l'action publique exercee à charge descinq premiers defendeurs, condamne le demandeur aux frais, et contrela condamnation du demandeur à payer une indemnite de procedure àl'Etat belge, intervenu volontairement pour eux :
Le demandeur n'invoque aucun moyen.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arret attaque en tant qu'il statue sur la decision rendue surl'action civile exercee contre le defendeur D. D. sur la base de laprevention E de coups ou blessures volontaires ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Condamne le demandeur aux onze douziemes des frais de son pourvoi etreserve le surplus pour qu'il soit statue sur celui-ci par le juge derenvoi.
Renvoie la cause, ainsi limitee, à la cour d'appel de Mons.
Lesdits frais taxes à la somme de trois cent dix euros quarante-deuxcentimes dus.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient Frederic Close, president de section, Benoit Dejemeppe, MartineRegout, Pierre Cornelis et Mireille Delange, conseillers, et prononce enaudience publique du vingt-sept janvier deux mille seize par FredericClose, president de section, en presence de Raymond Loop, avocat general,avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.
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| F. Gobert | M. Delange | P. Cornelis |
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| M. Regout | B. Dejemeppe | F. Close |
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27 JANVIER 2016 P.15.1038.F/9