Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG S.13.0015.F
INSTITUT NATIONAL D'ASSURANCES SOCIALES POUR TRAVAILLEURS INDEPENDANTS,etablissement public dont le siege est etabli à Bruxelles, quai deWillebroek, 35,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36,ou il est fait election de domicile,
contre
A & A, societe anonyme dont le siege social est etabli à Uccle, avenueHamoir, 63,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre les arrets rendus les 13 janvieret 8 juin 2012 par la cour du travail de Bruxelles.
Le 20 octobre 2015, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.
Le president de section Christian Storck a fait rapport et l'avocatgeneral Jean Marie Genicot a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- articles 10, 11 et 159 de la Constitution ;
- article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre 1950 et approuvee parla loi du 13 mai 1955 ;
- article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, signe àParis le 20 mars 1952 et approuve par la loi du 13 mai 1955 ;
- articles 3, 12, specialement S:S: 1er et 2, 15, specialement S: 1er,et 20, specialement S: 3, de l'arrete royal n-o 38 du 27 juillet 1967organisant le statut social des travailleurs independants, ledit article12 tel qu'il etait en vigueur tant avant qu'apres ses modifications parl'arrete royal du 20 juillet 2000, par la loi du 24 decembre 2002 et parla loi du 26 mars 2007 et ledit article 15 tel qu'il etait en vigueur tantavant qu'apres sa modification par la loi du 23 decembre 2009 ;
- articles 2 et 35, specialement S: 1er, de l'arrete royal du 19 decembre1967 portant reglement general en execution de l'arrete royal nDEG 38 du27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs independants.
Decisions et motifs critiques
Les arrets attaques declarent l'appel du demandeur non fonde, confirmentle jugement entrepris sous la seule emendation que les majorations ontcesse d'etre dues à partir de la fin du premier trimestre 2007 etconfirment ainsi que c'est en tant qu'independant à titre accessoire quemonsieur K. devait etre assujetti au statut social des travailleursindependants lorsqu'il etait administrateur de la defenderesse, par tousleurs motifs consideres comme ici integralement reproduits, etparticulierement par les motifs suivants :
« Activite à titre principal ou accessoire : incidence sur le calcul descotisations
Selon le demandeur, puisque monsieur K. exerc,ait une activite salariee enRussie, qui est un pays avec lequel la Belgique n'a pas signe deconvention bilaterale de securite sociale, cette activite - meme si elleetait exercee à temps plein - ne pouvait lui conferer la qualited'independant à titre complementaire ;
[...] Sur la base du texte actuellement en vigueur [de l'article 35,alinea 1er, de l'arrete royal du 19 decembre 1967], la Cour de cassation atout recemment decide que, `sous reserve de l'application de reglementseuropeens ou de conventions internationales reglant l'assujettissement austatut social belge des travailleurs independants pour l'exercice d'uneactivite independante exercee à titre complementaire, seules lesactivites exercees sur le territoire de la Belgique sont prises enconsideration au titre d'activite professionnelle exercee à titreprincipal pour determiner si le travailleur exerce son activiteindependante à titre complementaire' (Cass., 5 decembre 2011,S.10.0174.F) ; Cette decision ne se rallie donc pas à la doctrine qui, àpropos des dispositions actuelles de l'article 35 de l'arrete royal,considerait de maniere assez generalisee que `la definition actuelle de lanotion d'activite salariee exercee habituellement et en ordre principal nese refere plus qu'au nombre d'heures de travail prestees [...], ce qui nepermet plus de dire que le Roi aurait entendu limiter ces dispositions autravail salarie effectue sur le territoire belge ou soumis à un regime depension belge' [...] ;
Sur la base de l'interpretation retenue par la Cour de cassation, monsieurK. ne pourrait donc pas etre considere comme independant à titrecomplementaire ;
Justification de la difference de traitement en fonction du lieu del'activite salariee
La defenderesse soutient neanmoins que l'interpretation selon laquelle laqualite d'independant à titre complementaire ne peut, sauf conventioninternationale, etre etablie que sur la base d'une activite exercee sur leterritoire belge est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution ;
Elle expose que l'interpretation proposee par [le demandeur] (et qui a apparemment ete suivie par la Cour de cassation) cree une difference detraitement en fonction du lieu d'exercice de l'activite puisque, selonqu'elle est exercee dans un pays avec convention ou dans un pays sansconvention, l'activite salariee à mi-temps sera ou au contraire ne serapas prise en consideration pour la determination du statut d'independantà titre complementaire ;
La [defenderesse] soutient que l'existence d'une convention bilaterale desecurite sociale n'est pas un critere pertinent de sorte que la differencede traitement n'est pas justifiee. La Cour de cassation n'etait pas saisiede cette question dans l'affaire ayant donne lieu à l'arret du 5 decembre2011 ;
[...] Dans ses conclusions, le demandeur releve le caractere objectif ducritere de distinction fonde sur l'existence d'une convention bilateralede securite sociale mais, en l'etat actuel de la procedure, ne fournit pasd'element de justification concernant le but legitime de la regle qui setrouve à l'origine de la distinction et concernant le rapport raisonnablede proportionnalite devant exister entre les moyens employes et le butvise ;
Si on devait considerer que l'objectif de la regle qui, sauf conventioninternationale, conduit à ne tenir compte que de l'activite salarieeexercee en Belgique est de permettre un controle de la realite de cetteactivite, il y aurait lieu de verifier :
- si les possibilites de controle sont necessairement plus importanteslorsque l'activite salariee est exercee dans un pays ayant signe uneconvention bilaterale avec la Belgique,
- si la regle n'a pas d'effets disproportionnes lorsque, comme enl'espece, est produite une attestation de l'employeur qui confirme uneoccupation à temps plein dans le pays d'origine ;
Il y aurait egalement lieu, dans l'hypothese ou l'article 35, a), del'arrete royal tel qu'il est actuellement en vigueur devrait - dansl'interpretation retenue par la Cour de cassation - etre considere commecontraire aux articles 10 et 11 de la Constitution et devrait parconsequent rester inapplique, de determiner la norme sur la base delaquelle la cour [du travail] devrait apprecier le caracterecomplementaire de l'activite ;
Une reouverture des debats est necessaire pour permettre aux parties des'expliquer sur ces questions » (arret du 13 janvier 2012), et
« La cour [du travail] a invite les parties à s'expliquer surl'interpretation [donnee par la Cour de cassation à l'article 35, S: 1er, a), de l'arrete royal du 19 decembre 1967 par son arret du 5 decembre2011] ;
Elle souhaitait plus particulierement savoir si la difference detraitement etablie par la Cour de cassation entre les personnes quiexercent une activite à l'etranger dans un pays lie à la Belgique parune convention bilaterale et ceux qui exercent une activite dans un paysavec lequel la Belgique n'a pas signe une telle convention n'est pas lasource d'une discrimination injustifiee ;
[...] A. Portee de l'article 35, S: 1er, a), de l'arrete royal du 19decembre 1967
Observations preliminaires
La distinction sur laquelle se fonde [le demandeur] ne resulte pas dutexte meme de l'article 35 de l'arrete royal mais de son interpretation ;
C'est donc à juste titre que la defenderesse se refere à la doctrine del'interpretation conforme (doctrine de l'arret Waleffe [...]) et en deduitqu'en cas de doute sur la portee du texte, il faut faire application d'uneinterpretation conciliable avec les exigences des articles 10 et 11 de laConstitution plutot que d'une interpretation qui ne serait pas conforme àces dispositions ; [...]
Il n'est pas discute que le critere de distinction qui se degage del'interpretation retenue par la Cour de cassation et defendue par [ledemandeur] n'est pas la nationalite mais le lieu d'execution de l'activiteprincipale ;
Il n'en reste pas moins que la distinction fondee sur ce critere doitaussi pouvoir etre justifiee sur la base des articles 10 et 11 de laConstitution ;
Justification de la difference de traitement
Les parties semblent s'accorder sur le fait que l'objectif de ladifference de traitement est d'assurer une couverture sociale suffisanteà tous les travailleurs independants exerc,ant leur activite enBelgique ;
Il y a donc lieu de s'interroger sur l'adequation du refus de prendre enconsideration l'activite salariee exercee dans un pays avec lequel il n'ya pas de convention bilaterale (et sur l'obligation correlative de payerdes cotisations ordinaires meme lorsque l'activite accessoire ne generepas de revenus) avec l'objectif d'assurer une couverture solide auxtravailleurs independants ;
Il ne resulte pas des pieces deposees et des explications donnees par [ledemandeur] que la signature d'une convention de securite sociale estsubordonnee à l'existence dans le pays avec lequel une convention estsignee d'un statut social au moins equivalent à celui des travailleursindependants ;
A l'inverse, il peut exister des pays avec lesquels la Belgique n'a pasconclu de convention et ou existe un regime solide de securite sociale ;
Dans ces conditions, il n'est pas etabli que l'exercice d'une activitesalariee dans un pays sans convention rende plus indispensablel'assujettissement en Belgique de l'activite independante complementaireque lorsque l'activite salariee est exercee dans un pays avec convention ;
Comme le releve la [defenderesse], l'obligation de payer des cotisationsordinaires de securite sociale lorsque l'activite independante completeune activite salariee exercee dans un pays sans convention bilaterale peutdifficilement etre justifiee par l'objectif d'assurer une couverturesociale efficace des lors qu'à defaut de resider en Belgique, letitulaire de cette activite independante ne pourra pas effectivementbeneficier des prestations prevues par le regime belge de securitesociale ;
En regle, en effet, les prestations du statut social des travailleursindependants ne sont pas exportables : elles ne sont pas accordees àl'assure social qui reside en-dehors de l'espace economique europeen ouqui reside dans un pays n'ayant pas conclu de convention bilaterale avecla Belgique ;
A titre indicatif, on peut se referer, en matiere d'allocationsfamiliales, à la disposition qui exclut le droit aux prestations lorsqueles enfants du travailleur independant attributaire sont eleves ousuivent des cours en dehors du royaume (voy. article 27 de l'arrete royaldu 8 avril 1976), aux dispositions qui, en matiere d'assurance soins desante et indemnites, prevoient la territorialite des prestations (voy.article 25 de l'arrete royal du 20 juillet 1971 et article 294 de l'arreteroyal du 3 juillet 1996) ou, en matiere de pensions, aux dispositions quirestreignent l'exportabilite des prestations dues aux ressortissantsetrangers (voy. article 31, 4DEG, de l'arrete royal nDEG 72 et article 144de l'arrete royal du 22 decembre 1967) ;
Il n'est pas etabli que l'existence d'une convention bilaterale permettede mieux controler l'effectivite de l'activite salariee exercee àl'etranger ;
Il apparait tout d'abord qu'une majorite de conventions bilaterales desecurite sociale ne concernent pas le statut social des travailleursindependants et ne concernent que les personnes assujetties ou ayant eteassujetties à la securite sociale des travailleurs salaries dans un payssignataire ;
C'est ainsi que l'article 2 de la Convention generale sur la securitesociale entre le royaume de Belgique et le royaume du Maroc, que [ledemandeur] cite à titre d'exemple dans ses conclusions, ne s'applique pasà la legislation belge de securite sociale des travailleurs independants : elle ne vise que certaines branches de la securite sociale belge destravailleurs salaries (y compris les mineurs et assimiles) ;
Ainsi, en ce qui concerne l'application du regime des travailleursindependants, ni les autorites administratives en charge de ce statut niles autorites diplomatiques ou consulaires ne peuvent obtenir l'assistancedes autorites de l'autre pays dans des conditions plus favorables que sila convention faisait defaut ;
Par ailleurs, [le demandeur] reste en defaut d'etablir de maniere concreteque les conventions bilaterales comprenant le statut social destravailleurs independants dans leur champ d'application organisent demaniere effective le controle des prestations salariees accomplies dansl'autre pays (et non un simple echange d'informations). C'est ainsi que[le demandeur] ne se refere à aucune convention de ce type ;
Il n'est donc pas etabli que les possibilites de controle sontnecessairement plus importantes lorsque 1'activite salariee est exerceedans un pays ayant signe une convention bilaterale avec la Belgique ;
Le refus de prendre en compte les elements invoques comme preuve del'activite salariee exercee dans un pays sans convention est susceptibled'avoir des effets disproportionnes ;
Ce refus revient à considerer que les attestations emanant des autoritesadministratives ou des employeurs des pays sans convention sont toujoursdenuees de valeur probante, ce qui - compte tenu de ce que touteattestation est, en cas de litige, susceptible de faire l'objet d'uncontrole judiciaire - va au-delà ce que requiert l'objectif legitime dedisposer d'elements fiables concernant la realite et l'importance del'activite salariee ;
Il apparait du reste, comme le releve la [defenderesse], qu'au vunotamment de l'absence de moyen de controle prevu par les conventionsbilaterales, rien ne permet de considerer que les informations transmisesdans le cadre de la cooperation administrative prevue par ou en vertud'une convention bilaterale sont necessairement plus fiables que lesattestations pouvant etre produites par une personne exerc,ant uneactivite salariee dans un pays sans convention ;
Enfin, il n'y a pas lieu de se referer à la motivation de l'arret de laCour constitutionnelle nDEG 176/2004 du 3 novembre 2004, qui ne concernepas la preuve d'une activite salariee à l'etranger mais la difficulteparticuliere, `suite à l'evolution technologique en matiere detelecommunications', de controler le lieu d'ou s'exerce la gestion d'unesociete belge ;
Tous et chacun des arguments evoques [...] conduisent à considerer que ladifference de traitement ne peut etre justifiee par l'objectif d'assurerune couverture de securite sociale solide et par la difficulteparticuliere de controler l'activite salariee en l'absence de conventionbilaterale de securite sociale ;
Ainsi, il n'y a pas de rapport raisonnable de proportionnalite entre lesmoyens utilises et l'objectif vise ;
L'interpretation selon laquelle seules les activites salariees exerceessur le territoire de la Belgique sont prises en consideration au titred'activite professionnelle exercee à titre principal pour determiner sile travailleur exerce son activite independante à titre complementairemeconnait les articles 10 et 11 de la Constitution ;
Possibilite d'une interpretation conforme
L'article 35, S: 1er, a), de l'arrete royal du 19 decembre 1967 peutrecevoir une autre interpretation ;
Il suffit en realite de s'en tenir à l'interpretation litterale du texte,qui ne fait aucune distinction en fonction du lieu d'exercice del'activite salariee ;
Au regard du texte, il est, en effet, parfaitement possible de considererque l'activite `en qualite de travailleur salarie dans un regime detravail dont le nombre d'heures de travail mensuel est au moins egal à lamoitie du nombre d'heures de travail mensuel prestees par un travailleurqui est occupe à temps plein dans la meme entreprise ou, à defaut, dansla meme branche d'activite' peut etre une activite exercee dans tout paysetranger sous la seule condition que la realite de cette activite soitetablie sur la base d'elements dont le juge peut, en cas de litige,apprecier la valeur probante ;
Cette interpretation est celle que la doctrine majoritaire appelait de sesvoeux à la suite de l'adoption de la version actuelle de l'article 35, S:1er, a), de l'arrete royal du 19 decembre 1967 ;
[...] Une telle interpretation ne cree pas de difference de traitement.Elle n'est donc pas discriminatoire ;
L'article 35, S: 1er, a), de l'arrete royal du 19 decembre 1967 ne doitpas etre ecarte mais doit etre applique dans l'interpretation danslaquelle il n'est pas discriminatoire ;
Il y a lieu d'autoriser la [defenderesse] à rapporter la preuve quemonsieur K. exerc,ait, à cote de son mandat d'administrateur, uneactivite salariee à mi-temps au moins en Russie ;
C'est à tort qu'à titre subsidiaire, [le demandeur] estime que, si lacondition de territorialite doit etre ecartee en vertu de l'article 159 dela Constitution, `il faut appliquer par analogie le regime prevu parl'article 5 de l'arrete royal nDEG 38 (en faveur des journalistes) etainsi n'admettre l'exclusion de l'assujettissement que si l'activiteprincipale confere un statut social au moins equivalent à celui qui est organise par l'arrete royal nDEG 38' ;
Puisque la presente discussion ne concerne qu'une questiond'interpretation de l'article 35, S: 1er, a), il ne peut etre questiond'ecarter cet article et de combler la lacune creee par ce refusd'application par l'application analogique d'une autre disposition ;
Il en est d'autant plus ainsi que la disposition qu'il est proposed'appliquer ne concerne pas la question litigieuse (à savoir le calculdes cotisations) mais la question prealable de l'assujettissement austatut social des travailleurs independants (question qui, en l'espece, aete resolue, dans le sens defendu par [le demandeur], par l'arret du 13janvier 2012) ;
Enfin, la suggestion faite à titre subsidiaire par [le demandeur] neresoudrait pas la question de la discrimination des lors que, commeindique precedemment, rien n'indique que la signature d'une conventionbilaterale de securite sociale est subordonnee à la constatation quel'activite salariee exercee dans le pays en cause ouvre le droit à unregime de securite sociale au moins equivalent à celui organise parl'arrete royal nDEG 38 ;
B. Consequences
La defenderesse produit une attestation de l'employeur de monsieur K.redigee comme suit : [...] ;
La valeur probante de cette attestation ne donne pas lieu à discussion ;
Il y a donc lieu de confirmer que c'est en tant qu'independant à titreaccessoire que monsieur K. devait etre assujetti au statut social destravailleurs independants lorsqu'il etait administrateur de la societe ;
L'appel [du demandeur] est donc non fonde ;
Le jugement, en ce qu'il fixe à 13.501,66 euros le montant en principalqui restait du sur la base d'une activite independante à titreaccessoire, ne donne pas lieu à discussion. En effet, pour les annees2002, 2003 et 2005, il n'y a pas de revenus à prendre en compte ;
Le jugement doit donc etre confirme, sous la seule reserve que, commedejà decide, les majorations ont cesse d'etre dues à partir de la fin dupremier trimestre 2007 » (arret du 8 juin 2012).
Griefs
Premiere branche
Aux termes de l'article 3, S: 1er, de l'arrete royal nDEG 38 du 27 juillet1967 organisant le statut social des travailleurs independants, toutepersonne physique qui exerce en Belgique une activite professionnelle enraison de laquelle elle n'est pas engagee dans les liens d'un contrat delouage de travail ou d'un statut est soumise à la securite sociale desindependants.
En vertu de l'article 2 de l'arrete royal du 19 decembre 1967 portantreglement general en execution de l'arrete royal nDEG 38 du 27 juillet1967 organisant le statut social des travailleurs independants, l'exerciced'un mandat d'administrateur dans une societe est presume constituerl'exercice d'une activite entrainant l'assujettissement au statut socialdes travailleurs independants.
Par ailleurs, un independant assujetti au statut social des travailleursindependants n'est pas tenu au paiement de cotisations ou n'est tenu qu'aupaiement de cotisations reduites s'il exerce son activite d'independant àtitre complementaire, soit si, en dehors de l'activite donnant lieu àl'assujettissement à l'arrete royal nDEG 38, il exerce habituellement eten ordre principal une autre activite professionnelle (article 12, S: 2,de l'arrete royal nDEG 38).
L'article 35, S: 1er, a), de l'arrete royal du 19 decembre 1967 definitpour sa part les conditions dans lesquelles un assujetti doit etreconsidere comme exerc,ant son activite à titre complementaire :
« Pour l'application de l'article 12, S: 2, de l'arrete royal nDEG 38,l'assujetti est considere comme exerc,ant habituellement et en ordreprincipal, à cote de l'activite professionnelle en qualite de travailleurindependant, une autre activite professionnelle au cours de l'annee pourlaquelle les cotisations sont dues :
a) lorsqu'il est occupe en qualite de travailleur salarie dans un regimede travail dont le nombre d'heures de travail mensuel est au moins egal àla moitie du nombre d'heures de travail mensuel prestees par untravailleur qui est occupe à temps plein dans la meme entreprise ou, àdefaut, dans la meme branche d'activite.
Pour la determination de la profession exercee en ordre principal, il esttenu compte des periodes d'inactivite qui sont assimilees à des periodesd'activite dans le regime de pension des travailleurs salaries ».
Sous reserve de l'application de reglements europeens ou de conventionsinternationales reglant l'assujettissement au statut social belge destravailleurs independants pour l'exercice d'une activite independanteexercee à titre complementaire, seules les activites exercees sur leterritoire de la Belgique sont prises en consideration au titre d'activiteprofessionnelle exercee à titre principal pour determiner si letravailleur exerce son activite independante à titre complementaire.
Les arrets attaques constatent que monsieur K. est de nationalite russe,reside à M. et que, alors qu'il etait administrateur de la defenderesse,il exerc,ait une activite de professeur en Russie. Aucun reglementeuropeen ni aucune convention internationale reglant l'assujettissement austatut social belge des travailleurs independants pour l'exercice d'uneactivite independante exercee à titre complementaire ne concerne laRussie. Les arrets attaques ne constatent partant pas l'existence de telsreglements ou de telles conventions d'application à l'egard de la Russieet le premier arret attaque constate au contraire l'inexistence d'uneconvention bilaterale de securite sociale entre la Belgique et la Russie.
Neanmoins, les arrets attaques estiment que l'activite professionnelleexercee à titre principal, definie par l'article 35, S: 1er, a), del'arrete royal precite du 19 decembre 1967, et prise en consideration pourdeterminer si le travailleur exerce son activite independante à titrecomplementaire, peut etre une activite exercee dans tout pays etranger.
Ils admettent partant que la defenderesse fasse la preuve que l'assujettiexerc,ait, à cote de son mandat d'administrateur, une activite salarieeà mi-temps au moins en Russie. Estimant que cette preuve esteffectivement apportee, les arrets attaques confirment que c'est enqualite d'independant à titre complementaire que monsieur K. devait etreassujetti au statut social des travailleurs independants lorsqu'il etaitadministrateur de la defenderesse.
Partant, les arrets attaques, qui decident que l'administrateur de ladefenderesse doit etre considere comme un travailleur exerc,ant sonactivite independante à titre complementaire, au motif qu'il exerc,aithabituellement et en ordre principal, dans le meme temps, une activiteprofessionnelle salariee en Russie, et non en Belgique, et alors que laRussie n'est concernee ni par un reglement europeen ni par une conventioninternationale reglant l'assujettissement au statut social belge destravailleurs independants pour l'exercice d'une activite independanteexercee à titre complementaire, violent les articles 3, 12, specialementS:S: 1er et 2, 15, specialement S: 1er, 20, specialement S: 3, del'arrete royal n-o 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social destravailleurs independants, 2 et 35, specialement S: 1er, de l'arreteroyal du 19 decembre 1967 portant reglement general en execution del'arrete royal nDEG 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social destravailleurs independants.
Seconde branche
Aux termes de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales, la jouissance des droits etlibertes reconnus dans ladite convention doit etre assuree, sansdistinction aucune, fondee notamment sur l'origine nationale ou sociale.Cette disposition s'applique aux droits reconnus par le Premier Protocoleadditionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, et notamment son article 1er, qui dispose quetoute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens, sansprejudice du droit que possedent les Etats de mettre en vigueur les loisqu'ils jugent necessaires pour reglementer l'usage des biens conformementà l'interet general ou pour assurer le paiement des impots ou d'autrescontributions ou des amendes.
Il suit de la combinaison de ces dispositions que le respect des biensdoit etre assure sans discrimination. Une difference de traitement estdiscriminatoire si elle affecte des situations analogues ou comparables etsi elle est denuee de justification objective et raisonnable. Les Etatscontractants jouissent à cet egard d'une certaine marge d'appreciationpour determiner si et dans quelle mesure des differences entre dessituations à d'autres egards analogues justifient ces distinctions.
Les regles constitutionnelles de l'egalite et de la non-discrimination,consacrees par les articles 10 et 11 de la Constitution, n'excluent pasqu'une difference de traitement soit etablie entre des categories depersonnes qui se trouvent dans des situations comparables, pour autantqu'elle repose sur un critere objectif et qu'elle soit raisonnablementjustifiee.
Le second arret attaque decide que l'interpretation de l'article 35 del'arrete royal precite du 19 decembre 1967 selon laquelle, sous reserve del'application de reglements europeens ou de conventions internationalesreglant l'assujettissement au statut social belge des travailleursindependants pour l'exercice d'une activite independante exercee à titrecomplementaire, seules les activites exercees en Belgique sont prises enconsideration au titre d'activite professionnelle exercee à titreprincipal pour determiner si le travailleur exerce son activiteindependante à titre complementaire viole les articles 10 et 11 de laConstitution.
La difference de traitement qui existerait entre les assujettis au statutsocial des travailleurs independants qui exercent, à cote de leuractivite professionnelle en qualite de travailleur independant, une autreactivite professionnelle en Belgique, dans un pays soumis à l'applicationde reglements europeens ou de conventions internationales reglantl'assujettissement au statut social belge des travailleurs independantspour l'exercice d'une activite independante exercee à titrecomplementaire, et les memes assujettis exerc,ant cette activite dans unautre pays, est pourtant parfaitement justifiee.
En effet, le critere de distinction entre ces categories de personnes, quiconsiste en l'existence ou non d'une convention internationale ou d'unreglement europeen applicable au pays ou s'exerce une activiteprofessionnelle à titre principal, est objectif. La distinction poursuitpar ailleurs un but legitime et est proportionnee.
La creation de la categorie des travailleurs independants à titrecomplementaire se justifie en effet par la volonte de ne pas assujettir dela meme maniere au statut social des travailleurs independants ceux quiexercent uniquement ou à titre principal cette activite et ceux qui nel'exercent qu'à titre complementaire et qui sont de ce fait dejàassujettis à un autre systeme de securite sociale, en vertu duquel, d'unepart, ils supportent des charges sociales, d'autre part, ils beneficientdes prestations de securite sociale.
La reduction des cotisations de securite sociale pour travailleursindependants exerc,ant cette activite à titre complementaire se justifiepartant par le fait que des cotisations sociales sont dejà supportees parle meme travailleur dans le cadre d'un autre regime de securite sociale etqu'il beneficie dejà de prestations de securite sociale. La reduction descotisations de securite sociale pour les travailleurs independants àtitre complementaire releve du principe de la solidarite socialenationale.
Seules les activites exercees sur le territoire de la Belgique, et ainsidejà soumises à un autre regime de securite sociale, peuvent des lorsetre prises en consideration au titre d'activite professionnelle exerceeà titre principal pour determiner si le travailleur exerce son activiteindependante à titre complementaire. Par derogation à ce principe,peuvent egalement etre ainsi prises en consideration les activitesexercees en ordre principal dans un pays tiers, lorsque celui-ci a concluavec la Belgique une convention internationale de securite sociale ou estegalement soumis à l'application de reglements europeens, des lors qu'estalors assuree la reciprocite des garanties de securite sociale. Leprincipe de la solidarite sociale demeure ainsi preserve.
Les conventions bilaterales ou multilaterales de securite sociale, ainsique la legislation europeenne, ont par ailleurs pour objet de coordonnerles legislations de securite sociale des Etats signataires afin degarantir les droits sociaux des personnes en mobilite transnationale. Unecouverture sociale effective et suffisante est ainsi garantie,reciproquement, à l'ensemble des travailleurs.
Cette garantie permet notamment la determination d'une seule legislationapplicable, afin d'eviter tant la double affiliation que l'absenced'affiliation à la securite sociale d'un Etat.
Lors de la negociation d'une convention internationale de securitesociale, l'exigence d'une couverture sociale reelle et suffisante danschaque Etat partenaire peut etre verifiee et, apres un tel engagement, lespossibilites de controle de l'effectivite de l'exercice de l'activitepeuvent etre realisees par le biais de regles communes de controle et deprocedures de cooperation.
A contrario, en l'absence de toute convention bilaterale ou multilateralede securite sociale, la situation juridique d'un travailleur echappenecessairement à la connaissance et donc au controle de l'Etat belge. Cedernier ignore en effet tant les systemes de securite sociale qui y sont applicables que les regimes de travail auxquels y sont soumis lestravailleurs. Aucun controle par l'Etat belge de la situation juridiqued'un travailleur, de l'exercice effectif d'une activite professionnelle oudu benefice reel d'un regime de securite sociale n'y est davantageenvisageable.
En consequence, il est parfaitement justifie de ne pas soumettre au statutsocial des travailleurs independants complementaires les travailleurs quipretendraient exercer une activite principale dans un autre pays que laBelgique ou qu'un pays soumis à l'application de reglements europeens ouà des conventions internationales reglant l'assujettissement au statutsocial belge des travailleurs independants pour l'exercice d'une activiteindependante exercee à titre complementaire, des lors que, dans cettehypothese, il ne peut y avoir de certitude que ledit travailleur participeeffectivement à un autre statut social et beneficie de ses garanties, età defaut alors de toute solidarite sociale nationale et de reciprocite.
Les arrets attaques, particulierement le second, n'ont des lors pulegalement decider que l'article 35, S: 1er, a), de l'arrete royal du 19decembre 1967, interprete comme impliquant que, sous reserve del'application de reglements europeens ou de conventions internationalesreglant l'assujettissement au statut social belge des travailleursindependants pour l'exercice d'une activite independante exercee à titrecomplementaire, seules les activites exercees en Belgique sont prises enconsideration au titre d'activite professionnelle exercee à titreprincipal pour determiner si le travailleur exerce son activiteindependante à titre complementaire, viole les articles 10 et 11 de laConstitution.
En decidant ainsi, les arrets attaques violent l'ensemble des dispositionslegales visees au moyen.
III. La decision de la Cour
Sur la fin de non-recevoir opposee au pourvoi par la defenderesse en tantqu'il est dirige contre l'arret attaque du 13 janvier 2012 et deduite dudefaut d'interet :
Le pourvoi, qui n'eleve aucun moyen contre la decision de l'arret attaquedu 13 janvier 2012 que les majorations ont cesse d'etre dues à partir dela fin du premier trimestre 2007, qui seule est de nature à causer griefau demandeur, est denue d'interet.
La fin de non-recevoir est fondee.
Sur le surplus du pourvoi :
Sur le moyen :
Quant à la premiere branche :
En vertu de l'article 35, S: 1er, a), de l'arrete royal du 19 decembre1967 portant reglement general en execution de l'arrete royal n-o 38 du 27juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs independants,l'assujetti est considere comme exerc,ant habituellement et en ordreprincipal, à cote de l'activite professionnelle en qualite de travailleurindependant, une autre activite professionnelle au cours de l'annee pourlaquelle les cotisations sont dues lorsqu'il est occupe en qualite detravailleur salarie dans un regime de travail dont le nombre d'heures detravail mensuel est au moins egal à la moitie du nombre d'heures detravail mensuel prestees par un travailleur qui est occupe à temps pleindans la meme entreprise ou, à defaut, dans la meme branche d'activite,et, pour la determination de la profession exercee en ordre principal, ilest tenu compte des periodes d'inactivite qui sont assimilees à desperiodes d'activite dans le regime de pension des travailleurs salaries.
Sous reserve de l'application de reglements europeens ou de conventionsinternationales reglant l'assujettissement au statut social belge destravailleurs independants pour l'exercice d'une activite independanteexercee à titre complementaire, seules les activites exercees sur leterritoire de la Belgique sont prises en consideration au titre d'activiteprofessionnelle exercee à titre principal pour determiner si letravailleur exerce son activite independante à titre complementaire.
En considerant « que l'activite `en qualite de travailleur salarie dansun regime de travail dont le nombre d'heures de travail est au moins egalà la moitie du nombre d'heures de travail mensuel prestees par untravailleur qui est occupe à temps plein dans la meme entreprise ou, àdefaut, dans la meme branche d'activite' peut etre une activite exerceedans tout pays etranger », l'arret attaque du 8 juin 2012 viole l'article35, S: 1er, a), precite.
Quant à la seconde branche :
Les regles constitutionnelles de l'egalite des Belges devant la loi et dela non-discrimination dans la jouissance des droits et libertes qui leursont reconnus n'interdisent pas l'instauration de traitements differentsselon des categories determinees de personnes pour autant que le criterede distinction soit objectivement et raisonnablement justifie. L'existencede cette justification doit etre appreciee à la lumiere du but et deseffets de la mesure prise. Le principe de l'egalite est viole lorsque lesmoyens utilises et le but vise ne sont pas raisonnablement proportionnes.
Le regime de cotisations propre aux travailleurs independants exerc,anthabituellement et en ordre principal, à cote de l'activiteprofessionnelle en qualite de travailleur independant, une autre activiteprofessionnelle a pour but de dispenser de cotisations certainstravailleurs independants qui participent d'ailleurs au financement de lasecurite sociale belge.
Eu egard à ce but, la distinction faite à l'article 35, S: 1er, a), del'arrete royal du 19 decembre 1967 entre les activites exercees sur leterritoire de la Belgique et celles qui sont exercees à l'etranger est,sous reserve de l'application des reglements europeens ou des conventionsinternationales vises en reponse à la premiere branche du moyen,raisonnablement justifiee.
En decidant autrement pour ecarter l'application dudit article 35, S: 1er,a), tel qu'il doit etre interprete, l'arret attaque du 8 juin 2012 violeles articles 10 et 11 de la Constitution.
Le moyen, en chacune de ses branches, est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque du 8 juin 2012 ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause devant la cour du travail de Liege.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Koen Mestdagh, Mireille Delange et Antoine Lievens, etprononce en audience publique du quatorze decembre deux mille quinze parle president de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalJean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
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| L. Body | A. Lievens | M. Delange |
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| K. Mestdagh | D. Batsele | Chr. Storck |
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14 DECEMBRE 2015 S.13.0015.F/1