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02/11/2015 | BELGIQUE | N°C.10.0410.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 02 novembre 2015, C.10.0410.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.10.0410.F

ETAT BELGE, represente par le ministre des Affaires etrangeres, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue des Petits Carmes, 15,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il est faitelection de domicile,

contre

L. L.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Watermael-Boitsfort, bouleva

rd du Souverain, 36,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en ca...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.10.0410.F

ETAT BELGE, represente par le ministre des Affaires etrangeres, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue des Petits Carmes, 15,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il est faitelection de domicile,

contre

L. L.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 14 decembre2006 par la cour d'appel de Bruxelles.

Par ordonnance du 14 septembre 2015, le premier president a renvoye lacause devant la troisieme chambre.

Le 11 septembre 2015, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le president de section Christian Storck a fait rapport et l'avocatgeneral Jean Marie Genicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivantes :

Dispositions legales violees

- articles 1er, 1DEG, 3, 4, 1DEG et 3DEG, du Protocole du 28 mars 1976conclu entre le royaume de Belgique et la republique du Zaire portantreglement de l'indemnisation des biens zairianises ayant appartenu à despersonnes physiques belges et echange de lettres y relatif, approuves parla loi du 16 juillet 1976, entres en vigueur le 12 janvier 1977, et, entant que de besoin, articles 1er, 2, 3 et 4 de ladite loi du 16 juillet1976 ;

- articles 2251 et 2257 du Code civil ;

- articles 1er de la loi du 6 fevrier 1970 sur la prescription descreances à charge ou au profit de l'Etat et des provinces et, en tant quede besoin, 100, alinea 1er, 1DEG et 2DEG, des lois sur la comptabilite del'Etat, coordonnees par l'arrete royal du 17 juillet 1991 (avant sonabrogation par l'article 128, 11DEG, de la loi du 22 mai 2003 portantorganisation du budget et de la comptabilite de l'Etat federal entrant envigueur le 1er janvier 2010 mais, en vertu de l'article 133, remplacelui-meme par l'article 3 de la loi-programme du 22 decembre 2008 modifiantl'entree en vigueur au 1er janvier 2012) ;

- article 4 de l'arrete royal du 27 juillet 1976 fixant les conditions deforme et de delai d'introduction des demandes d'indemnisation du chef desmesures de zairianisation.

Decisions et motifs critiques

L'arret rejette l'exception de prescription soulevee par [le demandeur] par les motifs suivants :

« La creance litigieuse cree un rapport de droit prive entre l'Etat belgeet [le defendeur] et releve de l'ordre juridique interne belge ;

Des lors, il y a lieu de se referer à la loi du 6 fevrier 1970 relativeà la prescription des creances à charge ou au profit de l'Etat et desprovinces, qui etait applicable au moment des faits, ainsi qu'auxarticles 2219 et suivants du Code civil ;

Selon l'article 2227 du Code civil, `l'Etat, les etablissements publics etles communes sont soumis aux memes prescriptions que les particuliers et peuvent egalement les opposer', ce que confirment les travauxpreparatoires de la loi du 6 fevrier 1970 lorsqu'ils precisent que, sauflorsque les solutions retenues s'en ecartent, le droit commun `reprendson empire là ou un texte formel ne l'exclut point' (Expose des motifs,Pasin., 1970, 153). La loi precitee du 6 fevrier 1970 y derogeait ainsi,par des dispositions expresses, telles celles qui fixent des delais deprescription, ou encore celle qui dispose que la citation en justice estune cause de suspension de la prescription et non une cause d'interruption ;

a) La prise de cours du delai de prescription

L'article 2251 du Code civil dispose que `la prescription court contre toutes personnes, à moins qu'elles ne soient dans quelque exceptionetablie par une loi', et l'article 2257 que `la prescription ne courtpoint à l'egard d'une creance qui depend d'une condition, jusqu'à ceque la condition arrive' ;

Il en resulte qu'en droit civil, la prescription ne court point et que le delai de prescription ne prend pas effet :

- lorsque, par l'effet de la loi, le creancier est empeche d'interromprela prescription, etant precise que l'on `n'enfreint pas la regle de l'article 2251 du Code civil en assimilant aux exceptions prevues par untexte de loi formel les cas ou la loi elle-meme empeche celui contrelequel on prescrit d'interrompre la prescription' et que l'erreur dedroit, meme invincible, ne constitue pas un tel empechement (en ce sens,Cass., 2 janvier 1969, Pas., 1969, 1, 386, et les conclusions de l'avocatgeneral Colard, et 20 mars 1995, Pas., 1995, I, 335) ;

- lorsque la creance n 'est pas exigible ;

Ces dispositions, auxquelles la loi du 6 fevrier 1970 ne deroge pas, consacrent un principe general applicable aux prescriptions en droit civilselon lequel une creance qui ne peut etre exigee en paiement ne seprescrit pas. Tel est le cas d'une creance qui est assortie d'un terme oud'une condition suspensive mais egalement de celle qui n'est pasdeterminee (R.P.D.B., vDEG Prescription, nDEG 654 ; De Page, t. VII,Bruxelles, Bruylant, 1943, nDEG 1148) ;

Les travaux preparatoires de la loi du 6 fevrier 1970 n'indiquent pas quele legislateur aurait entendu deroger aux articles 2251 et 2257 du Code civil. Certes, comme le rappelle l'Etat belge, le legislateur de 1970 aobserve que `le Conseil d'Etat fait remarquer que l'article 1er fixecomme point de depart de la prescription le premier janvier de l'anneebudgetaire au cours de laquelle la creance est « nee », alors que lanotion de « naissance » d'une creance ne figure pas dans la loi de 1846et peut en outre donner lieu à des incertitudes', et le gouvernement adecide que `prendre en consideration cette remarque obligerait àremettre en discussion le texte des articles 5, 17 et 18 de la loi du 28juin 1963 [et] qu'il ne pouvait en etre question' (Pasin., op. cit.) ;

Les articles 5, 17 et 18 de la loi du 28 juin 1963 modifiant et completant les lois sur la comptabilite de l'Etat prevoient, d'une part,que les credits des depenses inscrites au budget de l'Etat portent `surles sommes qui seront dues par l'Etat du chef d'obligations nees à sacharge au cours de l'annee budgetaire', d 'autre part, qu'à la fin del'exercice, les credits qui n 'ont pas ete utilises `sont reportes àl'annee budgetaire suivante et peuvent etre utilises des le commencementde cette annee 1DEG pour ordonnancer toute depense resultantd'obligations nees à charge de l'Etat pendant l'annee budgetairerevolue, s'il s'agit de credits non dissocies' ;

Le legislateur de 1970 voulut donc eviter de remettre en discussion ces dispositions qui prennent en consideration la naissance de l'obligationpour inscrire des credits dans le budget ;

Cependant, le critere de l'annee de la naissance de l'obligation n'est pas absolu ; l'article 6 de la loi du 28 juin 1963 autorise l'utilisationd'un credit du budget pour des creances nees anterieurement, notammentpar l'effet d'une loi, tel le protocole litigieux, et qui deviennentexigibles sous cette annee budgetaire ;

Par ailleurs, l'inscription d'un credit au budget de l'Etat est une autorisation donnee par le Parlement au ministre competent pour repondreà des engagements dont seule la nature est precisee par le Parlement ;elle ne se prononce pas sur chaque creance individuelle et, partant, surson exigibilite (R.P.D.B., vDEG Finances publiques, nDEG 3325) ;

Il s'ensuit que le souhait du gouvernement, initiateur du projet de la loidu 6 fevrier 1970, d'eviter la remise en cause de la loi du 28 juin 1963ne peut etre interprete comme la volonte de permettre aux creances àcharge de l'Etat belge de se prescrire alors qu'elles ne seraient pasexigibles ;

Sous l'empire de la loi du 15 mai 1846 - qui ne connaissait qu'un seul delai de cinq ans pour liquider, ordonnancer et payer une creance -, la prescription ne prenait pas cours lorsque, par le fait del'administration, elle ne pouvait devenir exigible (article 35). Lelegislateur de 1970 n 'a pas repris cette regle, ce qui implique que,depuis la loi de 1970, `le fait' ou les fautes de l'Etat belge neconstituent plus un empechement legal à la prise de cours de la prescription ;

L'article 1er, [alinea 1er], a) et b), de la loi du 6 fevrier 1970suppose necessairement que la creance soit exigible et qu'ainsi, ellesoit determinee quant à son montant. En effet, il enonce que :

`Sont prescrites et definitivement eteintes au profit de l'Etat, sans prejudice des decheances prononcees par d'autres dispositions legales, reglementaires ou conventionnelles sur la matiere :

a) les creances qui, devant etre produites selon les modalites fixees parla loi ou le reglement, ne l'ont pas ete dans le delai de cinq ans àpartir du premier janvier de l'annee budgetaire au cours de laquelleelles sont nees ;

b) les creances qui, ayant ete produites dans le delai vise [sub a)], n'ont pas ete ordonnancees par les ministres dans le delai de cinq ans àpartir du premier janvier de l'annee pendant laquelle elles ont eteproduites' ;

Il s'ensuit que :

- un premier delai de prescription quinquennal prend cours à dater de lanaissance de la creance et est atteint lorsque celle-ci n'est pas produitependant les cinq ans qui suivent sa naissance ;

- si elle a ete produite dans ce delai, un deuxieme delai de prescriptionquinquennal prend effet à dater de cette production et est atteint si lacreance n'est pas ordonnancee entre-temps ;

En l'espece, l'arrete royal du 27 juillet 1976, pris en execution de laloi d'approbation du 16 juillet 1976, a oblige [le defendeur] et lesautres zairianises à adresser leur demande d'indemnisation avant le 1erjanvier 1977, sous peine de forclusion, en y joignant `toutes piecesjustificatives telles que certificats de nationalite, statuts despersonnes morales, extraits de registres des associes, lettresd'attribution, proces-verbaux de reprise-remise, bilans, factures, plans,photographies, copies certifiees conformes par l'assureur des policesd'assurance en cours et du droit du demandeur et de la realite de la mesure de zairianisation prise à son egard' (article 4) ;

Des conditions specifiques à la production des creances litigieuses furent ainsi fixees, avec la particularite que les zairianises quidevaient attendre la determination de la valeur de leurs biens nepouvaient indiquer le montant de l'indemnite due mais seulement uneevaluation unilaterale. Une autre particularite fut de les soumettreimmediatement au deuxieme delai de cinq ans prevu par le littera b), desle 1erjanvier 1977, puisqu'ils durent produire leur creance pour le 31decembre 1976, c'est-à-dire avant l'entree en vigueur du protocole ;

En se conformant aux formalites de l'arrete royal precite, [le defendeur]a `produit' la creance litigieuse au sens du littera a) de l'article 1er, [alinea 1er], precite ;

L'article 4 du protocole decrete que l'indemnite doit correspondre à la valeur du bien telle qu'elle est fixee conformement à l'article 3, quidistingue trois modes de determination :

1) soit la valeur des biens a ete fixee contradictoirement et sans contestation par l'ancien et le nouveau proprietaire au moment de la zairianisation ;

2) soit elle resulte d'un acte de vente ou d'un acte de cession de participations, realise au cours de l'annee 1973, avant la zairianisation; bien que cet acte n'ait pu etre suivi d'execution, à cause de lazairianisation, cette valeur est retenue si ni l'ancien ni le nouveauproprietaire n'est en mesure de prouver qu'elle a substantiellementaugmente ou diminue entre le moment de leur acte et celui de lazairianisation ;

3) soit, à defaut d'une valeur resultant de l'application de l'une ou l'autre de ces deux dispositions, la valeur du bien doit etre fixee pardes representants des deux parties `par reference aux transactionscommerciales qui ont ete operees pour des biens comparables ou, à defautd'une telle reference, par comparaison avec des valeurs connues pour desbiens similaires' ;

[Le defendeur] relevait de la troisieme categorie : la valeur de ses biens dut etre fixee par les representants des deux parties ;

Il s'ensuit que, alors qu'aurait du prendre cours, des le 1er janvier 1977, le delai quinquennal de prescription prevu par le littera b) pour l'ordonnancement de sa creance, [le defendeur] etait dans l'impossibilite legale d'en demander l'execution, que ce soit aupres de l'administrationbelge ou du pouvoir judiciaire, aussi longtemps qu'il demeurait dansl'attente de la determination de son indemnite ;

De son cote, avant d'en etre elle-meme informee, l'administration belge ne pouvait ni marquer son accord sur le montant et l'exigibilite de lacreance litigieuse ni l'ordonnancer, c'est-à-dire decider de la payer(sur ces notions, voir R.P.D.B., vDEG Finances publiques, n-os 3856-4052et 4056) ;

Force est donc de constater que la procedure de determination de la creance litigieuse, telle qu'elle fut fixee par le protocole, constituaitpour [le defendeur] un empechement legal interruptif du cours de laprescription ;

Des lors, par l'effet tant des articles 2251 et 2257 du Code civil que de l'article 1er de la loi du 6 fevrier 1970, tel qu'il est interprete parla cour [d'appel], la prescription n'a pu, en l'espece, prendre cours quele premier janvier de l'annee au cours de laquelle cette creance etaitsusceptible d'etre ordonnancee ;

b) Le calcul du delai de la prescription

La prescription litigieuse resulte de l'article 1er de la loi du 6fevrier 1970 ;

La prescription de trente ans prevue par l'article 4 de la loi du 6fevrier 1970 n'est pas d'application. En effet, cette disposition, quiprevoit que, `sans prejudice de l'application d'autres prescriptions oudecheances etablies par le droit special qui les regit, les avoirsdetenus par l'Etat pour le compte de tiers lui sont acquis lorsqu'ils'est ecoule un delai de trente ans depuis la derniere operation àlaquelle ils ont donne lieu avec les tiers ou sans qu'une demande reconnue fondee tendant à leur restitution ou attribution ou au paiementde leurs fruits ait ete valablement introduite', est etrangere à lademande, qui n'a pas pour objet d'obtenir la restitution d'avoirs perc,uspar l'Etat belge aupres de l'Etat zairois et qui reviendraient [audefendeur], mais sur l'execution par l'Etat belge d'un engagement depayer qui lui est propre ;

Par ailleurs, [le defendeur] ne peut invoquer le benefice de la prescription de dix ans prevue par l'article 1er, c), de la loi du 6fevrier 1970. En effet, elle ne s'applique que pour les depenses qui nedoivent etre ni produites ni ordonnancees, c'est-à-dire pour lesdepenses fixes. La cour [d'appel] a dejà constate que la creance [dudefendeur] devait etre produite ;

Le delai de prescription etait donc de cinq ans. L'Etat belge, qui invoque l'exception de prescription, n'apporte pas la preuve de la dateexacte à laquelle les autorites zairoises ont finalement marque leuraccord sur le montant de 312.176 zaires, qui n'etait pas encore acquis le10 octobre 1984 (voir lettre de l'Etat belge de cette date qui ledemontre). A defaut d'elements contraires, la cour [d'appel] considereque l'agrement doit etre repute definitivement acquis par la lettre desautorites zairoises du 26 fevrier 1987, de sorte que le droit et l'actionn'etaient pas prescrits lors de la citation ».

Griefs

L'article 2251 du Code civil contient le principe general que « la prescription court contre toutes personnes, à moins qu'elles ne soientdans quelque exception etablie par la loi ».

L'article 2257 du Code civil enonce, ce qui constitue, à premiere vue, une de ces exceptions, que « la prescription ne court point, à l'egardd'une creance qui depend d'une condition, [jusqu'à ce que la conditionarrive ; à l'egard d'une action en garantie], jusqu'à ce que l'evictionait lieu », et, « à l'egard d'une creance à jour fixe, jusqu'à ceque ce jour soit arrive ».

Outre les exceptions contenues dans l'article 2257 du Code civil, la section 2 du chapitre IV du titre XX du livre III du Code civil contientdes suspensions en faveur des mineurs, des epoux et des heritiersbeneficiaires, c'est-à-dire afferentes à la condition de la personnecontre qui la prescription court.

Bien qu'à l'origine conc,u comme excluant toute cause de suspension ne resultant pas expressement de la loi, l'article 2251 du Code civil estinterprete comme etant l'emanation d'un principe general du droit,permettant la prise en compte d'autres causes de suspension que cellesqui sont enumerees à la section 2 ou resultant de la loi, pour autantqu'il y ait impossibilite d'agir par suite d'une cause legale.

L'empechement d'agir doit rendre impossible le recours à un acte interruptif de prescription, y compris l'action tendant à lareconnaissance du droit dans son principe.

Le recours aux adages Contra non valentem agere non currit praescriptioet Actiones non natae non praescribitur pour proteger les titulaires dedroits conditionnels ou à terme sur l'immeuble possede par un tiersn'est ainsi pas fonde lorsque les creanciers peuvent obtenir une reconnaissance volontaire ou judiciaire de leurs droits, interruptive dela prescription ; des l'instant ou la personne menacee par laprescription peut accomplir un acte conservatoire de son droit quiinterrompe la prescription, il n'y a point lieu de faire appel, en safaveur, auxdits adages, dont l'application liberale n'est pas conforme àl'article 2251 du Code civil.

Lorsqu'il ne s'agit que d'une impossibilite d'agir resultant d'une circonstance de fait, il ne peut en aucun cas etre question de suspensionde la prescription : ainsi, l'absence du debiteur, l'ignorance de sondroit ou encore l'impossibilite de l'evaluer n'entrainent point lasuspension de la prescription.

La demande du defendeur etant dirigee contre l'Etat belge, la loi du 6 fevrier 1970 est d'application et, en l'espece, plus particulierement, sonarticle 1er, [alinea 1er], b) :

« Sont prescrites et definitivement eteintes au profit de l'Etat, sans prejudice des decheances prononcees par d'autres dispositions legales, reglementaires ou conventionnelles sur la matiere :

a) [...]

b) les creances qui, ayant ete produites dans le delai vise au littera a),n'ont pas ete ordonnancees par les ministres dans le delai de cinq ans àpartir du premier janvier de l'annee pendant laquelle elles ont eteproduites ».

Comme le constate l'arret, les conditions de l'arrete royal du 27 juillet1976 obligeant les zairianises à adresser leur demande d'indemnisationsur la base des articles 1er, 1DEG, 3, 4, 1DEG et 3DEG, du protocoleapprouve par les articles 1er, 2, 3 et 4 de la loi du 16 juillet 1976avant le 1er janvier 1977 sous peine de forclusion en y joignant lespieces justificatives ont eu pour consequence de soumettre leszairianises, dont le defendeur, immediatement au second delai de cinq ansprevu par le littera b) de l'article 1er, [alinea 1er], de la loi du 6 fevrier 1970 et ce, des le 1er janvier 1977, puisqu'ils durent produireleur creance pour le 31 decembre 1976, c'est-à-dire avant l'entree envigueur du protocole.

Or, la soumission de la creance du defendeur au second delai implique lanaissance de son droit : sa creance contre l'Etat belge existe et sa base juridique n'est plus en discussion : en effet, la base juridique descreances des zairianises est le protocole. La creance du defendeur est,partant, valable et, de surcroit, certaine et non plus assujettie à unterme ou une condition quelconque.

Seul son montant devait encore etre determine en fonction d'une evaluation par les autorites concernees.

Une incertitude quant au montant de sa creance n'empeche, neanmoins, pasle creancier d'assigner l'Etat belge sur pied d'une creance existante etdont la base juridique etait etablie et ne constitue pas une impossibilite legale d'agir au sens de l'article 2251 du Code civil, pasplus qu'une evaluation du montant de sa creance ne constitue unecondition ou un terme dont dependait son existence au sens de l'article2257 du Code civil.

Premiere branche

L'arret deduit des articles 2251 et 2257 du Code civil qu' « en droit civil, la prescription ne court point et que le delai de prescription neprend pas effet [...] lorsque la creance n'est pas exigible » et decideque « ces dispositions, auxquelles la loi du 6 fevrier 1970 ne derogepas, consacrent un principe general du droit applicable aux prescriptionsen droit civil selon lequel une creance qui ne peut etre exigee enpaiement ne se prescrit pas » et que « tel est le cas d'une creance quiest assortie d'un terme ou d'une condition suspensive mais egalement decelle qui n'est pas determinee ».

L'arret decide, en outre, que « la procedure de determination de la creance litigieuse, telle qu'elle fut fixee par le protocole, constituaitpour [les zairianises] un empechement legal interruptif du cours de laprescription » en constatant que les zairianises « etai[en]t dansl'impossibilite legale d'en demander l'execution, que ce soit aupres del'administration belge ou du pouvoir judiciaire, aussi longtemps qu'il[s] demeurai[en]t dans l'attente de la determination de [leur]indemnite ».

L'arret entretient, en decidant ainsi, une confusion entre la possibilite d'interrompre la prescription d'une creance dont, pourtant, il constatequ'elle existe dejà en son principe et l'impossibilite d'evaluer cettecreance.

En l'espece, l'ordonnancement implique, en effet, l'existence d'une creance contre l'Etat.

L'impossibilite d'evaluer une creance n'empeche pas le creancier d'interrompre la prescription et ne constitue, partant, aucunement une impossibilite legale d'agir contre la prescription ni une cause legale de suspension de la prescription resultant de la loi.

En decidant qu'une creance, pourtant nee et, des lors, existante, ne se prescrit pas aussi longtemps qu'elle n 'est pas determinee quant à sonmontant, que les zairianises « etai[en]t dans l'impossibilite legaled'en demander l'execution, que ce soit aupres de l'administration belgeou du pouvoir judiciaire, aussi longtemps qu'il[s] demeurai[en]t dansl'attente de la determination de [leur] indemnite », et que, « de soncote, avant d'en etre elle- meme informee, l'administration belge nepouvait ni marquer son accord sur le montant et l'exigibilite de lacreance litigieuse ni l'ordonnancer, c'est-à-dire decider de lapayer », pour conclure que « la procedure de determination de la creance litigieuse, telle qu'elle fut fixee par le protocole, constituaitpour [les zairianises] un empechement legal interruptif du cours de laprescription », l'arret viole, partant, les articles 2251 et 2257 duCode civil ainsi que l'article 1er de la loi du 6 fevrier 1970, lesarticles 1er, 1DEG, 3, 4, 1DEG et 3DEG, du protocole, les articles 1er,2, 3 et 4 de la loi d'approbation du 16 juillet 1976 et l'article 4 del'arrete royal du 27 juillet 1976.

Seconde branche

L'impossibilite d'agir contre la prescription au sens de l'article 2251 du Code civil ne peut etre evaluee que dans le chef de celui contre qui laprescription court et non dans le chef du debiteur.

En l'espece, [le demandeur], en sa qualite de debiteur, est totalement etranger au pretendu empechement pour le defendeur de porter l'affaire devant les tribunaux dans la mesure ou l'existence d'un empechement legalne peut etre apprecie que dans le chef du creancier contre qui laprescription court et non pas dans celui du debiteur beneficiaire d'uneeventuelle prescription, à savoir l'Etat belge.

En decidant que, « de son cote, avant d'en etre elle-meme informee, l'administration belge ne pouvait ni marquer son accord sur le montant et l'exigibilite de la creance litigieuse ni l'ordonnancer, c'est-à-diredecider de la payer », l'arret apprecie l'existence d'un empechementlegal dans le chef, non du creancier, mais du debiteur, et viole,partant, les articles 2251 et 2257 du Code civil.

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

La prescription d'une action ne court pas contre celui qui est dansl'impossibilite d'exercer cette action par suite d'un empechementresultant de la loi.

L'arret constate que le defendeur, depossede de biens dont il etaitproprietaire au Zaire, a perc,u du demandeur une indemnite convertie enfrancs au taux de 45,25 francs pour un zaire et que sa demande tend à uncomplement d'indemnite resultant de ce que la conversion doit s'operer,non sur la base de ce taux, mais sur celle du taux en vigueur au moment del'evaluation de ces biens.

L'arret decide, sans etre critique, que le defendeur s'est conforme àl'obligation, que lui imposait l'arrete royal du 27 juillet 1976 fixantles conditions de forme et de delai d'introduction des demandesd'indemnisation du chef des mesures de zairianisation, de produire sacreance avant le 1er janvier 1977, au sens de l'article 1er, alinea 1er,a), de la loi du 6 fevrier 1970 relative à la prescription des creancesà charge ou au profit de l'Etat et des provinces, de sorte qu'il reste àverifier si cette creance n'est pas prescrite en vertu de l'article 1er,alinea 1er, b), de cette loi, qui dispose que sont prescrites etdefinitivement eteintes au profit de l'Etat, sans prejudice des decheancesprononcees par d'autres dispositions legales, reglementaires ouconventionnelles, les creances qui, ayant ete produites dans le delai viseau littera a), n'ont pas ete ordonnancees dans le delai de cinq ans àpartir du premier janvier de l'annee pendant laquelle elles ont eteproduites.

L'arret considere, d'une part, que, en vertu de l'article 4 du Protocoledu 28 mars 1976 conclu entre le royaume de Belgique et la republique duZaire et portant reglement de l'indemnisation des biens zairianises ayantappartenu à des personnes physiques belges, l'indemnite « doitcorrespondre à la valeur du bien telle qu'elle est fixee à l'article3 », que celui-ci « distingue trois modes de determination del'indemnite » et que le defendeur « releve de la troisieme categorie »,pour laquelle la valeur du bien doit etre fixee par des representantsdesignes de commun accord par les deux parties au protocole par referenceà des points de comparaison.

Il releve, d'autre part, que, par un echange de lettres du 28 mars 1976,joint au protocole du meme jour et approuve comme lui par la loi du 16juillet 1976, « les parties signataires convinrent encore que lacontre-valeur en francs belges des biens zairianises sera[it] fixee unefois pour toutes au moment de l'evaluation de ce bien ».

Compte tenu de la nature de la creance faisant l'objet de l'action,l'arret decide legalement que le defendeur « etait dans l'impossibilitelegale d'en demander l'execution, que ce soit aupres de l'administrationbelge ou du pouvoir judiciaire, aussi longtemps qu'il demeurait dansl'attente de la determination de son indemnite », de sorte que le delaiquinquennal de prescription prevu par le littera b) de l'article 1er,alinea 1er, de la loi du 6 fevrier 1970 pour l'ordonnancement de lacreance n'a pas pris cours le 1er janvier 1977.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la seconde branche :

Les motifs vainement critiques par la premiere branche du moyen suffisentà fonder la decision de l'arret que critique celui-ci.

Dirige contre des considerations surabondantes de l'arret, le moyen, qui,en cette branche, ne saurait entrainer la cassation, est denue d'interet,partant, irrecevable.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux depens.

Les depens taxes à la somme de cinq cent vingt euros quatre centimesenvers la partie demanderesse et à la somme de cent septante et un eurosvingt-quatre centimes envers la partie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du deux novembre deux mille quinze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalJean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

+--------------------------------------+
| L. Body | S. Geubel | M. Lemal |
|------------+-----------+-------------|
| M. Delange | M. Regout | Chr. Storck |
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2 NOVEMBRE 2015 C.10.0410.F /13


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.10.0410.F
Date de la décision : 02/11/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 26/11/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-11-02;c.10.0410.f ?
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