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23/10/2015 | BELGIQUE | N°C.14.0477.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 octobre 2015, C.14.0477.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0477.F

J. E.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

Charbonnages du Bois du Luc, societe anonyme en liquidation, dont le siegesocial est etabli à Colfontaine (Wasmes), rue des Allies, 115,

defenderesse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le

15

novembre 2013 par le tribunal de premiere instance de Mons, statuant endegre d'appel.

Le conseiller Marie-Claire Er...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0477.F

J. E.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

Charbonnages du Bois du Luc, societe anonyme en liquidation, dont le siegesocial est etabli à Colfontaine (Wasmes), rue des Allies, 115,

defenderesse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le

15 novembre 2013 par le tribunal de premiere instance de Mons, statuant endegre d'appel.

Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

* articles 20, 21, 973, ce dernier dans sa version anterieure à la loidu 15 mai 2007, et 1068 du Code judiciaire ;

* article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre 1950 et approuveepar la loi du 13 aout 1955 ;

* principe general du droit selon lequel l'annulation d'un actejudiciaire, notamment d'un jugement, entraine l'annulation des actesqui en sont la consequence.

Decisions et motifs critiques

Le tribunal etait saisi de l'action intentee par le demandeur contre ladefenderesse en paiement de dommages et interets suite aux « degatsminiers » affectant deux immeubles dont le demandeur est proprietaire àT., degats « dont la cause doit etre recherchee dans l'exploitation desmines de [la defenderesse] », sur l'appel interjete par le demandeur desjugements rendus les 31 octobre 2006, 11 janvier 2007 et 2 mai 2011 par lejuge de paix du canton de Soignies-Le Roeulx.

Le juge de paix, saisi de l'action en premiere instance, a rendu plusieursjugements interlocutoires. Il a designe l'ingenieur J. W. en qualited'expert, lequel a depose un rapport le 4 avril 1996 et un rapportcomplementaire le 21 aout 1998.

Le juge de paix a, ensuite, par jugement du 31 octobre 2006, apres avoirenonce une regle de principe sur le fondement de laquelle devaient etreestimes les dommages et interets dus au demandeur, ordonne une visite deslieux, laquelle s'est tenue le 8 janvier 2007.

Par jugement du 11 janvier 2007, il a designe deux nouveaux experts, G. M., geometre, et M. P., ingenieur des mines, dont il a defini lesmissions.

Le juge de paix avait releve, dans le jugement designant ces experts, quedes « investigations complementaires » etaient « necessaires ».

L'expert M. a depose son rapport le 19 mars 2007.

L'expert P. a depose son rapport le 29 octobre 2007.

Par jugement du 2 mai 2011, le juge de paix a partiellement fait droit àla demande du demandeur et a condamne la defenderesse à lui payer lasomme de 10.980 euros, augmentee des interets à dater du 5 mars 2007 etd'une partie des depens.

Sur l'appel du demandeur, le jugement attaque annule les jugementsentrepris des 31 octobre 2006 et 11 janvier 2007 et la visite des lieuxqui s'est tenue le 8 janvier 2007. Il confirme la condamnation prononceepar le jugement entrepris du 2 mai 2011, la fixant à la somme de 12.980euros en principal.

Devant les juges d'appel, le demandeur a demande l'annulation desjugements entrepris des 31 octobre 2006 et 11 janvier 2007, ce dernierjugement ayant ordonne des « investigations complementaires » et designeles experts M. et P., sur le fondement de l'article 831 du Codejudiciaire, au motif que le juge de paix qui a rendu ces jugements etetait present à la visite des lieux ordonnee par le premier de ceux-cietait precedemment intervenu en la cause comme conseil de la defenderesseet invoquait un « conflit d'interet » et une « clause de recusation »,ajoutant qu'à tout le moins, il y a lieu « de mettre à neant ladesignation des experts M. P. et G. M. ».

Le jugement attaque annule les deux jugements entrepris et la visite deslieux effectuee le 8 janvier 2007, par les motifs enonces aux pages 6, 7et 8 du jugement, tenus ici pour integralement reproduits, et notammentpar les motifs que :

« En aucun cas, l'impartialite subjective du juge de paix n'est en cause,mais il convient d'examiner si les doutes [du demandeur] sontobjectivement justifies par une analyse concrete des circonstances del'espece ;

[...] Un moyen fonde sur une cause de recusation [...] peut etre propose[...] si la participation du juge à la decision attaquee viole une reglequi, repondant aux exigences objectives de l'organisation judiciaire, estessentielle à l'administration de la justice ; tel est le cas en l'especeou l'avocat a activement et effectivement assure la defense d'une partieen la cause dont il fut ensuite appele à connaitre en qualite de juge,meme si cet avocat n'a fait que remplacer l'avocat titulaire du dossier àcette seule occasion (outre la signature d'une lettre pour ordre) et en aconnu en qualite de juge effectif des annees plus tard, en l'occurrencehuit ans ».

Mais il refuse d'annuler les rapports des experts P. et M., cependantdesignes par le second jugement entrepris, par les motifs suivants :

« En matiere repressive, la nullite de l'acte du juge s'etend àl'ensemble des actes d'instruction accomplis en execution du jugementcritique ;

Tel n'est pas necessairement le cas en matiere civile, ou le litige resteessentiellement l'apanage des parties ;

La nullite du jugement rendu le 31 octobre 2006 entraine necessairement lanullite de la visite des lieux effectuee par le meme magistrat le 8janvier 2007 ;

La nullite du jugement rendu le 11 janvier 2007 ensuite de cette visitedes lieux n'entraine cependant pas la nullite des deux rapportsd'expertise deposes en execution de ce jugement par les experts M. et P. ;

En effet, les nouvelles expertises n'ont pas ete ordonnees d'office maisà la demande d'au moins une des parties, les deux parties ayantfinalement donne leur accord sur celles-ci. Les operations ont eteeffectuees hors la presence du juge et sans controle effectif de celui-ci.Ce magistrat n'a exerce aucune influence sur le deroulement de l'expertiseet n'en a pas connu ensuite, ayant ete nomme à d'autres fonctions. Seulesles parties, leur conseil technique et leur avocat sont intervenus aupresdes experts qui ont travaille dans le respect du principe ducontradictoire. Les parties se sont ainsi approprie les operationsd'expertise (non leurs conclusions) qu'elles pouvaient interrompre à toutmoment. Il s'agit en outre de constatations objectives et d'un avistechnique qui ne lie pas le juge appele à en connaitre ensuite. Le seulfait que les experts aient ete nommes par un jugement nul n'est donc pasune raison suffisante pour annuler les expertises elles-memes, mises enmouvement par les parties et executees par des experts dont il n'est passoutenu qu'ils aient manque à leur propre devoir d'impartialite ;

Il n'y a pas lieu de les annuler ou de les ecarter des debats ».

Et les juges d'appel statuent au vu des rapports des experts P. et M. (sefondant expressement, par les motifs circonstancies des pages 14 à 17,sur le rapport du premier cite).

Griefs

Premiere branche

La nullite prononcee d'un acte de procedure entraine la nullite des actesqui en sont la consequence.

Et il en est ainsi des decisions judiciaires.

Il s'ensuit que la nullite, prononcee sur recours, du jugement qui designeun expert entraine la nullite du rapport de l'expert designe.

En consequence, en refusant d'annuler, par les motifs critiques, lesrapports des experts G. M. et M. P., designes par le jugement entreprisdu 11 janvier 2007, qu'il annule cependant, le jugement attaque nejustifie pas legalement sa decision (violation des articles 20, 21 et 1068du Code judiciaire et du principe general du droit vise).

Les circonstances relevees dans les motifs critiques etant a) que lesexpertises ordonnees par le jugement annule ne l'ont pas ete d'office« mais à la demande d'au moins une des parties, les deux parties ayantfinalement donne leur accord sur celles-ci » ; b) que les operationsd'expertise « ont ete effectuees hors la presence du juge et sanscontrole effectif de celui-ci » ; c) que le juge « n'a exerce aucuneinfluence sur le deroulement de l'expertise et n'en a pas connuensuite », les parties et leurs conseils seuls etant intervenus ; d) quele respect du principe du contradictoire a ete assure par les experts ; e)que les parties se seraient « approprie les operations d'expertise (nonleurs conclusions) » ; f) que les parties « pouvaient interrompre àtout moment » ces operations ; g) qu'il ne s'agit (le tribunal vise lesrapports des experts) que « de constatations objectives et d'un avistechnique qui ne lient pas le juge » ; h) que les expertises litigieusesont ete mises en mouvement par les parties ; i) qu'il n'est pas soutenuque les experts aient manque à leur devoir d'impartialite ne sont pas denature à ecarter la nullite des rapports qui est la consequencenecessaire de la nullite du jugement qui a designe les experts.

Seconde branche

Toute partie a droit à ce que sa cause soit jugee equitablement.

Il en est ainsi, notamment, lorsque le jugement designe expert et quel'expertise est mise en mouvement.

La partie, en effet, ne saurait se soustraire, meme par un recours contrele jugement, à cette mise en mouvement des lors que, par application del'article 1496 du Code judiciaire, le jugement est executoire parprovision.

Et, aux termes de l'article 973 du Code judiciaire (dans sa redactionanterieure au texte actuel), « [l]es experts procedent à leur missionsous le controle du juge. Celui-ci peut, à tout moment, d'office ou surdemande, assister aux operations ». Ce texte est notamment de nature àprocurer à chacune des parties le respect et la protection de ses droitsen cours d'expertise et l'assurance que les experts se conformeront auxexigences du proces equitable.

Il s'ensuit que ce but ne saurait etre atteint lorsque le juge, qui adesigne les experts et est à meme d'assurer le controle vise à l'article973 du Code judiciaire, ne presente pas toute apparence d'impartialite :le droit au proces equitable des parties ou de l'une d'elles est meconnu.

Il en est ainsi meme si les operations d'expertise « ont ete effectueeshors la presence du juge et sans controle effectif de celui-ci » et quele juge « n'a exerce aucune influence sur le deroulement del'expertise ».

Il s'ensuit qu'en refusant d'annuler les expertises litigieuses, apresavoir cependant annule le jugement designant les experts par les motifsreproduits, lesquels sont de nature à mettre en cause l'impartialite dujuge, le jugement ne justifie pas legalement sa decision (violation desarticles 973 du Code judiciaire et 6 de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertes fondamentales).

Les autres circonstances relevees dans les motifs critiques, resumees dansl'enonce du moyen en sa premiere branche, ne sont pas de nature àremedier à l'absence de controle impartial par le juge - serait-ilpotentiel - du deroulement des operations d'expertise que le legislateur aentendu assurer.

En tout etat de cause, la seule circonstance que les experts aient etedesignes par un juge, dont l'impartialite a ete mise en question,meconnait le droit du demandeur à un proces equitable (violation desmemes dispositions legales).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

Suivant l'article 20 du Code judiciaire, les voies de nullite n'ont paslieu contre les jugements et ceux-ci ne peuvent etre aneantis que sur lesrecours prevus par la loi.

L'appel constitue une voie de recours prevue par la loi.

Lorsque le juge d'appel annule le jugement entrepris, son aneantissemententraine celui des mesures d'instruction qu'il a ordonnees.

Apres avoir decide que « les jugements [du premier juge] des

31 octobre 2006 et 11 janvier 2007 sont nuls » et que « la nullite dujugement rendu le 31 octobre 2006 entraine necessairement la nullite de lavisite des lieux », le jugement attaque, qui considere que « la nullitedu jugement rendu le 11 janvier 2007 ensuite de cette visite des lieuxn'entraine cependant pas la nullite des deux rapports d'expertise deposesen execution de ce jugement », viole la disposition legale precitee.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaque ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugementcasse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant le tribunal de premiere instance du Brabantwallon, siegeant en degre d'appel.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Martine Regout, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du vingt-trois octobre deux mille quinze parle president de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalThierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|-----------------+----------------+-------------|
| M. Regout | D. Batsele | Chr. Storck |
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23 OCTOBRE 2015 C.14.0477.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0477.F
Date de la décision : 23/10/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-10-23;c.14.0477.f ?
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