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23/10/2015 | BELGIQUE | N°C.14.0322.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 octobre 2015, C.14.0322.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0322.F

1. J.-P. A. et consorts,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

1. ROYAUME DES PAYS-BAS, represente par le ministre des Finances, dont lecabinet est etabli à La Haye (Pays-Bas), Korte Voorhout, 7,

represente par Maitre Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise 480

, ou il est faitelection de domicile,

2. DE NEDERLANDSCHE BANK, societe de droit neerlandais dont l...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0322.F

1. J.-P. A. et consorts,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

1. ROYAUME DES PAYS-BAS, represente par le ministre des Finances, dont lecabinet est etabli à La Haye (Pays-Bas), Korte Voorhout, 7,

represente par Maitre Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise 480, ou il est faitelection de domicile,

2. DE NEDERLANDSCHE BANK, societe de droit neerlandais dont le siege estetabli à Amsterdam (Pays-Bas), Westeinde, 1,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile,

defendeurs en cassation,

en presence de

AGEAS, societe anonyme dont le siege social est etabli à Bruxelles, ruedu Marquis, 1,

partie appelee en declaration d'arret commun,

representee par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 17 janvier 2013par la cour d'appel de Bruxelles.

Le 5 octobre 2015, l'avocat general Thierry Werquin a depose desconclusions au greffe.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat general ThierryWerquin a ete entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

Les demandeurs presentent deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

Articles 813, 1042 et 1056 du Code judiciaire

Decisions et motifs critiques

L'arret dit irrecevables les appels introduits par les demandeurs sub 167,364, 470, 636, 652, 809, 810, 861, 867, 915, 919, 937, 966 et 1057 par lesmotifs suivants :

« B. Sur l'appel introduit par les [demandeurs sub 167, 364, 470, 636,652, 809, 810, 861, 867, 915, 919, 937, 966 et 1057]

7. Les [demandeurs precites] ont interjete appel du jugement entrepris (ouils etaient à la cause) par conclusions deposees au greffe le 16 fevrier2012 ;

[Les defendeurs] contestent la recevabilite de l'appel ;

8. L'article 1056, 4DEG, du Code judiciaire dispose que l'appel peut etreforme par voie de conclusions à l'egard de toute partie presente ourepresentee à la cause ;

Cette disposition a un champ d'application limite. Si une partie nonintimee peut former appel par conclusions, c'est à la condition qu'ellesoit presente à la cause en instance d'appel (J. van Compernolle, Examende jurisprudence (1971-1985). Droit judiciaire prive, les voies derecours, R.C.J.B., 1987, 157 ; A. Fettweis, Manuel de procedure civile,nDEG 767 ; Mons, 16 mars 1994, J.L.M.B., 1994, 666). Il est donc excluqu'un appel principal qui ne constitue pas un simple complement à unappel regulierement forme par requete ou par acte d'huissier soit formepar voie de conclusions à l'initiative d'un nouvel appelant. On n'imagined'ailleurs pas comment une partie qui n'est pas à la cause puisse deposervalablement des conclusions ;

L'appel [de ces demandeurs] n'est donc pas recevable ».

Griefs

1. Selon l'article 1056, 4DEG, du Code judiciaire, l'appel peut etre formepar conclusions à l'egard de toute partie presente ou representee à lacause.

2. Selon l'article 813, alinea 1er, du Code judiciaire, rendu applicableen degre d'appel par l'article 1042 du meme code, l'interventionvolontaire est formee par requete, qui contient, à peine de nullite, lesmoyens et conclusions.

Toutefois, cette disposition n'exclut pas que, lorsqu'une partie a deposedevant la cour d'appel des conclusions contenant ses moyens, sur lesquelsles parties se sont expliquees, elle devient alors partie à la cause etpeut des lors former appel principal par conclusions, conformement àl'article 1056, 4DEG, precite, à l'egard de toute partie presente ourepresentee à la cause.

3. Il ressort des motifs de l'arret reproduits en tete du moyen ainsi quedes pieces de la procedure auxquelles la Cour peut avoir egard que :

- les [demandeurs sub 167, 364, 470, 636, 652, 809, 810, 861, 867, 915,919, 937, 966 et 1057] etaient parties à la procedure devant le premierjuge ;

- par conclusions deposees au greffe de la cour d'appel le 16 fevrier2012, ils ont interjete appel du jugement rendu par le premier juge ;

- ces conclusions contenaient leurs moyens sur lesquels les autres partiesse sont expliquees.

4. Il resulte de ces constatations que les [demandeurs precites] etaientdevenus parties à la procedure d'appel et pouvaient des lors valablementinterjeter appel principal du jugement entrepris par voie de conclusionsà l'encontre d'autres parties à la cause.

L'arret, qui decide le contraire, viole l'ensemble des dispositions viseesen tete du moyen, specialement l'article 1056, 4DEG, du Code judiciaire.

Second moyen

Dispositions legales violees

- article 38, S: 1er, b), du Statut de la Cour internationale de Justiceannexe à la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945, approuve par la loidu 14 decembre 1945 approuvant la Charte des Nations Unies et le Statut dela Cour internationale de Justice, signes à San Francisco le 26 juin1945, et, en tant que de besoin, sa loi d'approbation ;

- articles 15, 24 et 27 de la Convention europeenne sur l'immunite desEtats, faite à Bale le 16 mai 1972, approuvee par la loi du 19 juillet1975, et, en tant que de besoin, sa loi d'approbation ;

* regle coutumiere internationale de l'immunite de juridiction des Etatsetrangers ;

* article 87 du Traite du 25 mars 1957 instituant la Communauteeuropeenne, approuve par la loi du 2 decembre 1957, modifie par leTraite de Maastricht du 7 fevrier 1992, approuve par la loi du 26novembre 1992, et consolide par le Traite d'Amsterdam du 2 octobre1997, approuve par la loi du 10 aout 1998, avant son remplacement parle Traite de Lisbonne du

13 decembre 2007, et, en tant que de besoin, ses lois d'approbation ;

* article 149 de la Constitution.

Decisions et motifs critiques

L'arret dit les appels introduits par les [demandeurs autres que ceuxconcernes par le premier moyen] recevables mais non fondes et les endeboute par tous ses motifs tenus pour etre ici expressement reproduits,et specialement par les motifs suivants :

« 2. Sur l'immunite de juridiction

A. Quant à l'Etat neerlandais

a) Griefs à l'encontre de l'Etat neerlandais

(i) Violation de l'accord de recapitalisation intervenu le 28 septembre2008

9. Les actionnaires considerent que l'Etat neerlandais a souscrit, le

28 septembre 2008, un engagement ferme, irrevocable et non conditionnel derecapitaliser Fortis Bank Nederland jusqu'à concurrence de quatremilliards d'euros en echange de 49 p.c. du capital. Cet engagement devaitpermettre, outre l'injection de liquidites dans la tresorerie, d'augmenterles ratios de solvabilite de cette banque et ainsi rassurer lescontreparties sur les marches, afin qu'elles maintiennent ou retablissentles lignes de credit interbancaires ;

Ils font grief à l'Etat neerlandais d'avoir refuse d'executer cetengagement, à l'oppose des Etats belge et luxembourgeois qui l'onthonore ;

N'etant ni partie à ni beneficiaire de l'engagement verbal qu'auraitsouscrit l'Etat neerlandais, le fondement de l'action des actionnaires nepeut etre trouve que dans une faute quasi-delictuelle qui serait en liencausal avec le prejudice que les actionnaires pretendent avoir subi, àsavoir la diminution de valeur du titre Fortis ;

(ii) Non-respect des statuts de Fortis

10. Les actionnaires soutiennent que c'est en pleine connaissance de causeque l'Etat neerlandais a procede au rachat des actions des entitesneerlandaises de Fortis, alors qu'une telle operation necessitait, seloneux, l'accord des actionnaires du groupe en execution du Fortis GovernanceStatement ;

L'Etat neerlandais serait, des lors, tiers complice de l'exces de pouvoirscommis par le conseil d'administration de Fortis ;

Le fondement de la theorie de la tierce complicite doit egalement etretrouve dans l'article 1382 du Code civil ;

(iii) Violation du principe de bonne foi

11. Les actionnaires affirment que, pendant toute la periode au cours delaquelle s'est decidee la restructuration du groupe Fortis, tant l'Etatneerlandais que la [defenderesse] ont adopte une attitude non conforme auprincipe de bonne foi ;

Ils leur font grief de ne pas avoir donne suite à l'augmentation decapital, d'avoir refuse de mettre les moyens financiers à la dispositionde Fortis, d'avoir ecarte la Deutsche Bank de la data room d'ABN-AMRO quietait mise en vente conformement aux accords conclus, de menacer de mettreles entites bancaires neerlandaises sous tutelle et de forcer la vente desactivites d'assurances qui ne souffraient, selon eux, d'aucun probleme.Ils en deduisent que l'Etat neerlandais et la [defenderesse] ont engageleur responsabilite ;

(iv) Abus de la faiblesse de Fortis

12. Enfin, les actionnaires estiment que l'Etat neerlandais et la[defenderesse] ont abuse de la faiblesse de Fortis (acte penalementreprehensible en vertu de l'article 38 de la loi du 2 aout 2002), des lorsqu'ils ont rachete les actions des filiales neerlandaises à desconditions manifestement hors de proportion avec la valeur reelle de cesinstruments financiers ;

Cette faute penale, qui est egalement une faute civile, engage laresponsabilite de l'Etat neerlandais et de la [defenderesse] en raison desa complicite ;

13. En resume, la demande des actionnaires consiste en l'octroi dedommages et interets reparant le prejudice qu'ils auraient subi en raisonde fautes quasi-delictuelles commises par l'Etat neerlandais à l'occasiondu rachat par lui des actions des entites neerlandaises du groupe Fortis ;

b) Nature et etendue de l'intervention de l'Etat neerlandais

14. L'intervention de l'Etat neerlandais entre le 28 septembre et le

3 octobre 2008 ne se limite pas à un simple rachat d'actions ;

Eu egard au caractere systemique du groupe Fortis, et plusparticulierement de son pole bancaire, et à l'absence de repreneurs oud'investisseurs prives, le sauvetage de cette entreprise ne pouvait sefaire que par les pouvoirs publics. C'est ainsi que, depuis le debut de lacrise de 2008, dans tous les Etats, et encore aujourd'hui, les banquesprivees sont soutenues par les banques centrales et les Etats, dontl'intervention se realise sous diverses formes, comme, par exemple,l'octroi de prets, le rachat d'instruments financiers, l'effacement detout ou partie de la dette, l'emission de garanties, l'entree dans lecapital ou la nationalisation. Toutes ces interventions n'ont qu'un seulbut, celui d'eviter les dommages collateraux pour l'economie nationale ouinternationale [resultant] d'une defaillance de ces grandes banques. Ellesnecessitent egalement l'intervention des autorites de controle (enl'espece la Commission bancaire, financiere et des assurances,actuellement Autorite des services et marches financiers) et, au niveaueuropeen, l'agrement de la Commission europeenne en ce qui concernel'application du droit de la concurrence ; celle-ci a par ailleurs mis aupoint des mecanismes de cooperation entre les autorites concernees par lapresence dans plusieurs pays d'institutions financieres systemiques ;

Tant l'intervention de l'Etat neerlandais que celle de l'Etat belge (quin'est pas en cause dans la presente espece) s'inscrivent dans le cadred'une politique de soutien aux banques, fragilisees par la crise mondiale.C'est ainsi que, outre le rachat pur et simple des actions des entitesneerlandaises du groupe Fortis, l'Etat neerlandais a fourni un financementde 34 plus

16 milliards d'euros pour permettre le remboursement des dettes à courtet long terme de Fortis Bank Nederland (Holding) envers Fortis Banque,portant ainsi le montant total de sa participation dans l'operation derestructuration à 66,8 milliards d'euros ;

c) Sur la Convention europeenne sur l'immunite des Etats, signee à Balele 16 mai 1972

[...] (ii) Sur l'article 24

17. L'article 15 de la Convention de Bale dispose qu'un Etat contractantbeneficie de l'immunite de juridiction devant les tribunaux d'un autreEtat contractant si la procedure ne releve pas des articles 1er à 14, cequi est le cas en l'espece ;

Toutefois, l'article 24 introduit une exception si les Etats ont fait unedeclaration que leurs tribunaux peuvent connaitre de procedures engageescontre un autre Etat contractant, ce qui est le cas en l'espece pour lesEtats belge et neerlandais. Cette declaration ne peut cependant porteratteinte à l'immunite de juridiction dont jouissent les Etats etrangerspour les actes accomplis dans l'exercice de la puissance publique (actaiure imperii) ;

Il convient des lors de verifier quelle fut la nature de l'intervention del'Etat neerlandais ;

18. La Convention de Bale ne definit pas ce qu'il y a lieu d'entendre paractes iure imperii. Dans son introduction, elle justifie comme suit lanecessite pour les Etats de conclure à cet egard une conventioninternationale :

`L'immunite des Etats est une notion de droit international qui s'estdeveloppee à partir du principe « par in parem non habet imperium » envertu duquel un Etat n'est pas soumis à la juridiction d'un autre Etat.

[...] Actuellement deux theories sont en presence : celle de l'immuniteabsolue, ultime consequence du principe enonce, et celle de l'immuniterelative, qui tend à prevaloir en raison des necessites de la viemoderne. Selon cette theorie, l'Etat beneficie de l'immunite pour lesactes iure imperii mais non pour les actes iure gestionis, c'est-à-direlorsqu'il participe comme une personne privee à des rapports de droitprive. Cette divergence d'opinions provoque des difficultes dans lesrelations internationales.

[...] La question s'est posee si la convention n'aurait pas pu se limiterà l'immunite de juridiction en determinant uniquement les cas danslesquels un Etat n'aurait pu invoquer son immunite. A l'appui de cettethese, on a fait valoir [...] qu'une telle convention constituerait dejàun progres important par rapport à la situation actuelle [...].

Il n'a toutefois pas paru indique de s'engager dans cette voie. En effet,pour les Etats qui connaissent la distinction entre les actes iuregestionis et les actes iure imperii, l'elaboration d'un catalogue danslequel l'Etat n'aurait pu invoquer l'immunite n'aurait pas apported'avantages par rapport à la situation actuelle' ;

Dans ces conditions, il faut s'en referer aux sourcesextraconventionnelles du droit international que sont la coutumeinternationale, les principes generaux du droit, la jurisprudence et ladoctrine la plus qualifiee ;

19. Dans son arret du 11 juin 1903 (Pas., 1903, I, 294), la Cour decassation a dit pour droit, à l'epoque, que `la competence derive non duconsentement du justiciable mais de la nature de l'acte et de la qualiteen laquelle l'Etat y est intervenu'. Pour apprecier la qualite en laquellel'Etat y est intervenu, il n'est pas inutile de rappeler que, dans le cassoumis à la Cour de cassation, l'Etat neerlandais etait à la cause enqualite d'industriel ou de commerc,ant, effectuant à prix d'argent letransport des voyageurs et des marchandises. Il traitait, d'egal à egal,avec un autre entrepreneur de transports et `ne met[tai]t pas en oeuvre lapuissance publique mais fai[sai]t ce que des particuliers peuvent faireet, partant, n'agi[ssai]t que comme personne civile ou privee'. Le premieravocat general Terlinden precisait par ailleurs que l'Etat s'etaitcomporte comme un commerc,ant et qu'il importait de verifier si, `parl'acte qui sert de base à l'action, le gouvernement defendeur [avait]exerce son imperium, sa publica auctoritas, ou [etait] entre dans ledomaine des interets particuliers, non pour soumettre ces interets à sonaction regulatrice, mais pour y meler sa personne' ;

Les arrets de la cour d'appel de Bruxelles, cites par les actionnairessont fondes sur les memes distinctions ;

Quant aux autres Etats, ils divergent dans la determination des criterespermettant de qualifier une activite de iure gestionis, notamment en cequi concerne la prise en compte additionnelle du but de l'acte (S. ElSawah, Les immunites des Etats et des organisations internationales,Larcier, 2012, pp. 146 et sv.). En ce qui concerne les operationsfinancieres, cet auteur conclut que les solutions sont tributaires desfaits de chaque espece et des interets en presence et qu'il est difficilede soutenir qu'elles constituent une exception coutumiere à l'immunite dejuridiction de l'Etat etranger (ibidem, p. 151) ;

Il est egalement interessant de remarquer que l'article 2.2 de laConvention des Nations Unies sur l'immunite de juridiction des Etats etleurs biens du 2 decembre 2004 dispose que, `pour determiner si un contratou une transaction est une « transaction commerciale » au sens del'alinea c) du paragraphe 1er, il convient de tenir compte en premier lieude la nature du contrat ou de la transaction, mais qu'il faudrait aussiprendre en consideration son but si les parties au contrat ou à latransaction en sont ainsi convenues, ou si, dans la pratique de l'Etat dufor, ce but est pertinent pour determiner la nature non commerciale ducontrat ou de la transaction' ;

Il s'en deduit qu'en droit international public, la seule nature del'acte, pris isolement de son contexte, ne peut constituer le seul criterepreponderant pour operer une distinction entre les actes de iure imperiiet ceux de iure gestionis ;

20. En l'espece, il convient de rappeler que, dans leurs domaines decompetence, les Etats sont garants de la stabilite financiere du pays,laquelle est indispensable pour assurer la perennite de l'activiteeconomique et sociale ; à ce titre, il est de leur responsabilited'intervenir d'autorite en cas de crise systemique ; une telleintervention ressortit à l'exercice de la puissance publique ;

Or, il ressort des pieces soumises à la cour [d'appel] et des debatsque :

- il n'est pas conteste qu'une faillite du groupe Fortis aurait eu, tanten Belgique qu'aux Pays-Bas, des consequences catastrophiques pourl'economie de ces deux pays ;

- aucun investisseur prive ne disposait des capacites financieressuffisantes pour venir raisonnablement en aide au groupe Fortis, sous laforme soit de reprise d'actifs, soit d'augmentation de capital, soit depret ou encore d'emission de garantie, raison pour laquelle les Etats ontete contraints de se substituer au marche et d'intervenir en urgence,apres avoir ete prevenus par leurs banques centrales et autorites decontrole ; il ne peut donc etre soutenu que des particuliers auraient pufaire ce que les Etats ont fait ;

- aux dires memes des actionnaires, les negociations ont ete menees d'Etatà Etat, sans l'intervention du conseil d'administration, qui aurait etemis devant le fait accompli, ayant à choisir entre la solution adopteepar les Etats ou la faillite ;

- l'acquisition des actions des entites du groupe Fortis a ete dictee parl'urgence et la complexite de sa structure binationale, ce qui a faitdire, à bon droit, au premier juge qu'elle s'apparentait à unenationalisation dans l'interet du pays ; il ne resulte d'aucun element dudossier que l'Etat neerlandais entendait prendre le controle de cesentites pour les gerer lui-meme dans un but de lucre et entrer ainsi,d'egal à egal, dans ce domaine d'activite economique comme aurait pu lefaire tout operateur financier ordinaire ; au contraire, dans soncommunique du 3 octobre 2008, le ministre des Finances neerlandais nemanquait pas de preciser que cette operation tendait à stabiliser lesysteme financier de son pays, à securiser les deposants et tous lesinteresses, et à maintenir la bonne marche des fonctions financieresvitales de l'economie neerlandaise ; il precisait qu'elle etait temporaireet que les entites seraient privatisees apres le retour au calme, ce quis'est d'ailleurs produit ;

- l'acquisition des actions des entites neerlandaises de Fortis neconstituait qu'un des volets du plan de sauvetage, puisque, en vue deretablir la confiance des marches, l'Etat neerlandais s'est egalementengage, outre la prise en charge des dettes de Fortis Bank Nederland(Holding) jusqu'à concurrence de 34 milliards d'euros, à refinancer ladette à long terme de cette societe par le biais d'une emissiond'obligations d'Etat, ce qui ressortit, par sa nature, de l'exercice de lapuissance publique ;

- ce paquet de mesures octroyees entre le 29 septembre et le 5 octobre2008 par la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas à Fortis Banque etFortis Banque Luxembourg a ete approuve par la Commission europeenne autitre d'aide d'Etat en vertu des regles du traite CE relatives aux aidesd'Etat, comme suite à la crise sur les marches financiers ; la Commissiona precise que, `compte tenu de la taille de Fortis Banque, sa part dumarche de la banque de detail et la crise ambiante sur les marchesfinanciers, une defaillance de la banque aurait entraine un risquesystemique dans le secteur financier. Les mesures sont limitees au minimumnecessaire et ont retabli la viabilite à long terme de la banque. Afin delimiter les distorsions de concurrence, Fortis Banque a, en particulier,vendu ses operations aux Pays-Bas, qui representaient 40 p.c. de sataille, et a ete par la suite achetee par BNP Paribas. L'aide est des lorscompatible avec les regles de l'Union europeenne sur les aides d'Etat(article 8, S: 3, b), du traite CE), telles qu'elles sont explicitees dansla communication de la Commission sur l'application desdites regles auxbanques en temps de crise', ce qui demontre, a contrario, que l'Etatneerlandais n'a pas agi comme un investisseur prive, à defaut de quoi laCommission n'aurait pas qualifie l'operation d'aide d'Etat ; au demeurant,une aide d'Etat constitue une mesure generale de politique economique,raison pour laquelle la Commission europeenne a, dans le cadre de la criseeconomique et financiere qui sevit depuis 2008, adopte un cadrecommunautaire temporaire pour les aides d'Etat destinees à favoriserl'acces au financement dans le contexte de la crise economique etfinanciere ;

Il s'en deduit que les actes reproches à l'Etat neerlandais s'inscriventdans l'exercice de sa puissance publique ou ont ete accomplis dansl'interet du service public. Ils ne ressortissent pas au ius gestionis.C'est donc à bon droit que l'Etat neerlandais a souleve l'immunite dejuridiction. Il ne peut en effet etre admis que l'Etat belge, parl'intermediaire de ses cours et tribunaux, puisse s'immiscer dans lesprerogatives de l'Etat neerlandais, qui lui sont conferees en vued'assurer la stabilite de son systeme financier et de proteger soneconomie, et, le cas echeant, puisse ainsi etre amene à le censurer dansses activites regaliennes ;

21. L'appel n'est pas fonde sur ce point ;

B. Quant à la [defenderesse]

22. D'une maniere generale, les actionnaires considerent que la[defenderesse] est complice de l'Etat neerlandais dans sa volonte dedemanteler le groupe Fortis et de s'accaparer, à vil prix, le poleneerlandais. Ils lui reprochent plus particulierement d'avoir refused'accorder un pret à Fortis, d'avoir ecarte la Deutsche Bank de toutereprise en `l'ejectant de la data room' et d'avoir participe auxmanoeuvres de l'Etat neerlandais àttentatoires à la bonne foi' ;

Ces griefs sont identiques à ceux qui ont dejà ete formules àl'encontre de l'Etat neerlandais lui-meme ;

23. La [defenderesse] est une societe fondee par l'Etat neerlandais qui enest l'unique actionnaire. Son activite et son fonctionnement sont etablispar la loi (Bankwet du 26 mars 1998). Elle est notamment chargee ducontrole des institutions financieres. Elle combine le role de banquenationale et d'autorite de controle des institutions financieresneerlandaises ;

Elle est, des lors, consideree comme une `entite' visee à l'article 27 dela Convention de Bale et, à ce titre, beneficie de l'immunite dejuridiction pour les actes accomplis par elle dans l'exercice de lapuissance publique, ce qui n'est pas conteste par les actionnaires ;

24. Par identite de motifs avec ce qui a ete decide pour l'Etat neerlandais, c'est à bon droit que la [defenderesse] souleve egalementl'immunite de juridiction ;

Que la [defenderesse] ait ou non excede ses prerogatives est sansincidence pour apprecier si sa conduite releve ou non de l'acte iureimperii. En effet, des lors que les actionnaires agissent sur la based'une pretention qui a sa source dans un acte de puissance publique (cequi a ete demontre plus haut), la circonstance que l'action s'analyseraiten un recours en responsabilite de nature civile est depourvue de toutepertinence. Le caractere illegal d'un acte ne saurait justifier uneinterpretation differente (C.J.C.E.,

15 fevrier 2007, Lechouritou, C-292/05, nDEGs 40 à 43) ;

En ce qui concerne la [defenderesse], il en est plus particulierementainsi en ce qui concerne le refus d'accorder un pret aux entites bancairesneerlandaises et de menacer de les mettre sous tutelle ou encore d'exercerun droit de regard sur les conditions eventuelles de reprise de la banqueneerlandaise ABN-AMRO ;

25. L'appel sur ce point n'est pas fonde ».

Griefs

1. Selon l'article 15 de la Convention de Bale, un Etat contractantbeneficie de l'immunite de juridiction devant les tribunaux d'un autreEtat contractant si la procedure ne releve pas des articles 1er à 14 ; letribunal ne peut connaitre d'une telle procedure meme lorsque l'Etat necomparait pas.

Toutefois, selon l'article 24, S: 1er, de la Convention de Bale,nonobstant les dispositions de l'article 15, tout Etat peut, au moment dela signature ou du depot de son instrument de ratification, d'acceptationou d'adhesion ou à tout autre moment ulterieur, par notification adresseeau secretaire general du Conseil de l'Europe, declarer qu'en dehors descas relevant des articles 1er à 13, ses tribunaux pourront connaitre deprocedures engagees contre un autre Etat contractant dans la mesure ou ilspeuvent en connaitre contre les Etats qui ne sont pas parties à laconvention. Cette declaration ne porte pas atteinte à l'immunite dejuridiction dont jouissent les Etats etrangers pour les actes accomplisdans l'exercice de la puissance publique (acta iure imperii).

L'arret constate que tant l'Etat belge que l'Etat neerlandais ont fait unetelle declaration.

2. Selon l'article 27 de la Convention de Bale :

« S: 1er. Aux fins de la presente convention, l'expression `Etatcontractant' n'inclut pas une entite d'un Etat contractant distincte decelui-ci et ayant la capacite d'ester en justice, meme lorsqu'elle estchargee des fonctions publiques.

S: 2. Toute entite visee au paragraphe 1er peut etre attraite devant lestribunaux d'un autre Etat contractant comme une personne privee ;toutefois, ces tribunaux ne peuvent pas connaitre des actes accomplis parelle dans l'exercice de la puissance publique (acta iure imperii).

S: 3. Une telle entite peut en tout cas etre attraite devant cestribunaux lorsque ceux-ci, dans des circonstances analogues, auraient puconnaitre de la procedure si elle avait ete engagee contre un Etatcontractant ».

3. Il ressort tant de ces dispositions que de la regle coutumiereinternationale relative à l'immunite de juridiction des Etats etrangers,dont le caractere de source du droit est reconnu par l'article 38, S: 1er,b), du Statut de la Cour internationale de Justice, qu'un Etat etranger ouune entite distincte de celui-ci ne beneficie de l'immunite de juridictiondevant les tribunaux belges que pour les actes accomplis dans l'exercicede la puissance publique (actes iure imperii).

Au regard de ces regles de droit, la question si un acte a ete accomplidans l'exercice de la puissance publique s'apprecie exclusivement auregard de la nature de cet acte, à l'exclusion de tout autre critere. Enparticulier, il importe peu que l'acte ait ete accompli dans un butd'interet general, qu'aucune personne privee n'aurait en l'espece eu lescapacites financieres d'accomplir cet acte, que l'acte ait ete negocied'Etat à Etat, qu'il ne presentait qu'un caractere temporaire ou qu'il neconstitue qu'un volet d'un plan de sauvetage impliquant dans d'autresvolets l'exercice de prerogatives de puissance publique, pour autant, àchaque fois, que l'acte concerne ait pu, par nature, etre egalementaccompli par une personne privee.

Il est egalement indifferent que l'acte puisse etre qualifie d'aided'Etat. En effet, les aides d'Etat sont definies par l'article 87, S: 1er,du Traite CE comme les aides accordees par les Etats ou au moyen deressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou quimenacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises oucertaines productions. Le fait qu'un acte soit qualifie d'aide d'Etat nesuffit donc pas à etablir, en soi, qu'il n'aurait pas pu, par nature,etre egalement accompli par une personne privee.

4. L'arret constate qu'« en resume, la demande des actionnaires consisteen l'octroi de dommages et interets reparant le prejudice qu'ils auraientsubi en raison de fautes quasi-delictuelles commises par l'Etatneerlandais à l'occasion du rachat par lui des actions des entitesneerlandaises du groupe Fortis » et que, « d'une maniere generale, lesactionnaires considerent que la [defenderesse] est complice de l'Etatneerlandais dans sa volonte de demanteler le groupe Fortis et des'accaparer, à vil prix, le pole neerlandais ».

L'arret decide « qu'en droit international public, la seule nature del'acte, pris isolement de son contexte, ne peut [...] constituer le seulcritere preponderant pour operer une distinction entre les actes de iureimperii et ceux de iure gestionis ».

Par les motifs reproduits en tete du moyen et specialement repris au point20, il decide ensuite que « les actes reproches à l'Etat neerlandaiss'inscrivent dans l'exercice de la puissance publique ou ont ete accomplisdans l'interet du service public ». Il justifie cette decision enretenant en substance les criteres suivants : a) le but de l'interventionde l'Etat neerlandais, etranger à tout but de lucre (à savoir eviter desconsequences catastrophiques pour l'economie des deux pays, stabiliser lesysteme financier de son pays, securiser les deposants et tous lesinteresses et maintenir en bonne marche des fonctions financieres vitalesde l'economie neerlandaise), l'acquisition des actions des entites dugroupe Fortis s'apparentant à une nationalisation dans l'interet du payset constituant une mesure generale de politique economique ; b) le faitqu'aucun investisseur prive n'aurait dispose des capacites financieressuffisantes pour venir raisonnablement en aide au groupe Fortis ; c) lefait que les negociations ont ete menees d'Etat à Etat ; d) le fait quel'acquisition des actions des entites du groupe Fortis etait temporaire,etant entendu que les entites seraient privatisees apres le retour aucalme ; e) le fait que cette acquisition ne constituait qu'un des voletsdu plan de sauvetage à cote du refinancement de la dette à long terme deFortis Bank Nederland (Holding) par le biais d'une emission d'obligationsd'Etat ; f) l'approbation de ces mesures par la Commission europeenne àtitre d'aides d'Etat.

L'arret decide enfin que, « par identite de motifs avec ce qui a etedecide pour l'Etat neerlandais, c'est à bon droit que la [defenderesse]souleve egalement l'immunite de juridiction ».

5. Par les motifs precites, l'arret reconnait donc à l'Etat neerlandaiset à [la defenderesse] une immunite de juridiction alors qu'il constatepar ailleurs que les actes qui leur etaient reproches consistaient ensubstance dans des fautes quasi-delictuelles commises à l'occasion durachat des actions des entites neerlandaises du groupe Fortis.

Un tel rachat d'actions constitue un acte qui, par nature, n'impliquel'exercice d'aucune prerogative de puissance publique, aurait egalement puetre accompli par un particulier et doit des lors etre qualifie d'acteiure gestionis plutot que iure imperii.

Ainsi, l'arret reconnait à l'Etat neerlandais et à [la defenderesse] une immunite de juridiction en ayant egard, non à la nature des actes quileur etaient reproches, mais à d'autres criteres denues de pertinence,tels que le but dans lequel ces actes ont ete accomplis ou leurapprobation à titre d'aide d'Etat.

Il viole, ce faisant, l'ensemble des regles visees en tete du moyen, àl'exclusion de l'article 149 de la Constitution, et specialement lesarticles 24 et 27 de la Convention de Bale ainsi que la regle coutumiereinternationale relative à l'immunite de juridiction des Etats etrangers.

6. A tout le moins, à defaut d'indiquer dans ses motifs si les actesreproches à l'Etat neerlandais et à la [defenderesse] relevaient ounon, par leur nature, de l'exercice de la puissance publique, l'arret metla Cour dans l'impossibilite de controler la legalite de sa decision,n'est, partant, pas regulierement motive et viole, des lors, l'article 149de la Constitution.

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

Suivant l'article 1056, 4DEG, du Code judiciaire, l'appel est forme parconclusions à l'egard de toute partie presente ou representee à lacause.

Seules les parties presentes ou representees à la cause en degre d'appelpeuvent former appel selon ce mode.

Si, en vertu de l'article 812, alinea 1er, du meme code, l'interventionpeut avoir lieu devant toutes les juridictions, en regle, une partie nepeut etre rec,ue comme intervenante, volontaire ou forcee, devant le jugedu second degre, si elle a ete presente, appelee ou representee enpremiere instance.

Des lors, de ce qu'une partie, qui etait presente, appelee ou representeeen premiere instance mais n'a forme aucun appel et n'a ete ni intimee niappelee à la cause en degre d'appel, a depose des conclusions en degred'appel, il ne se deduit pas necessairement que cette partie devientpartie à la cause en degre d'appel.

Il ressort des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard que lesdemandeurs sub 167, 364, 470, 636, 652, 809, 810, 861, 867, 915, 919, 937,966 et 1057, qui etaient à la cause en premiere instance, n'ont pasdepose de requete d'appel et n'ont ete ni intimes ni appeles à la causeen degre d'appel et que, devant la cour d'appel, ils ont depose desconclusions aux termes desquelles ils sollicitaient uniquement de declarerrecevable et fonde leur appel du jugement du premier juge en ce quecelui-ci avait fait droit à l'immunite de juridiction soulevee par ledefendeur.

L'arret, qui considere que, « si une partie non intimee peut former appelpar conclusions, c'est à la condition qu'elle soit presente à la causeen instance d'appel [et qu'] il est donc exclu qu'un appel principal quine constitue pas un simple complement à un appel regulierement forme parrequete ou par acte d'huissier soit forme par voie de conclusions àl'initiative d'un nouvel appelant », justifie legalement sa decision dedire l'appel de ces demandeurs irrecevable.

Le moyen ne peut etre accueilli.

Sur le second moyen :

Aux termes de l'article 15 de la Convention europeenne sur l'immunite desEtats, faite à Bale le 16 mai 1972, un Etat contractant beneficie del'immunite de juridiction devant les tribunaux d'un autre Etat contractantsi la procedure ne releve pas des articles 1er à 14 et le tribunal nepeut connaitre d'une telle procedure meme lorsque l'Etat ne comparait pas.

L'article 24, S: 1er, de cette convention dispose que, nonobstant lesdispositions de l'article 15, tout Etat peut, au moment de la signature oudu depot de son instrument de ratification, d'acceptation ou d'adhesion,ou à tout autre moment ulterieur, par notification adressee au secretairegeneral du Conseil de l'Europe, declarer qu'en dehors des cas relevant desarticles 1er à 13, ses tribunaux pourront connaitre de proceduresengagees contre un autre Etat contractant dans la mesure ou ils peuvent enconnaitre contre des Etats qui ne sont pas parties à la Convention et quecette declaration ne porte pas atteinte à l'immunite de juridiction dontjouissent les Etats etrangers pour les actes accomplis dans l'exercice dela puissance publique (acta iure imperii).

En vertu de l'article 27 de la meme convention, l'entite d'un Etatcontractant distincte de celui-ci et ayant la capacite d'ester en justice,meme lorsqu'elle est chargee d'exercer des fonctions publiques, peut etreattraite devant les tribunaux d'un autre Etat contractant comme unepersonne privee ; toutefois, ces tribunaux ne peuvent pas connaitre desactes accomplis par elle dans l'exercice de la puissance publique (actaiure imperii).

Pour determiner si les actes accomplis par un Etat ou une entite d'un Etatl'ont ete dans l'exercice de la puissance publique, il convient d'avoiregard à la nature de cet acte et à la qualite en laquelle cet Etat oucette entite est intervenu en tenant compte du contexte dans lequel l'actea ete accompli.

L'arret considere que :

- « l'intervention de l'Etat neerlandais entre le 28 septembre et le

3 octobre 2008 ne se limite pas à un simple rachat d'actions » ;

- « eu egard au caractere systemique du groupe Fortis, et plusparticulierement de son pole bancaire, et à l'absence de repreneurs oud'investisseurs prives, le sauvetage de cette entreprise ne pouvait sefaire que par les pouvoirs publics. C'est ainsi que, depuis le debut de lacrise de 2008, dans tous les Etats, et encore aujourd'hui, les banquesprivees sont soutenues par les banques centrales et les Etats dontl'intervention se realise sous diverses formes, comme, par exemple,l'octroi de prets, le rachat d'instruments financiers, l'effacement detout ou partie de la dette, l'emission de garanties, l'entree dans lecapital ou la nationalisation. Toutes ces interventions n'ont qu'un seulbut, celui d'eviter les dommages collateraux pour l'economie nationale ouinternationale [resultant] d'une defaillance de ces grandes banques. Ellesnecessitent egalement l'intervention des autorites de controle (enl'espece la Commission bancaire, financiere et des assurances,actuellement Autorite des services et marches financiers) et, au niveaueuropeen, l'agrement de la Commission europeenne en ce qui concernel'application du droit de la concurrence ; celle-ci a par ailleurs mis aupoint des mecanismes de cooperation entre les autorites concernees par lapresence dans plusieurs pays d'institutions financieres systemiques » ;

- « tant l'intervention de l'Etat neerlandais que celle de l'Etat belge(qui n'est pas en cause dans la presente espece) s'inscrivent dans lecadre d'une politique de soutien aux banques, fragilisees par la crisemondiale. C'est ainsi que, outre le rachat pur et simple des actions desentites neerlandaises du groupe Fortis, l'Etat neerlandais a fourni unfinancement de 34 plus

16 milliards d'euros pour permettre le remboursement des dettes à courtet long terme de Fortis Bank Nederland (Holding) envers Fortis Banque,portant ainsi le montant total de sa participation dans l'operation derestructuration à

66,8 milliards d'euros ».

Apres avoir considere que l'article 11 de la Convention de Bale ne permetpas de fonder le pouvoir de juridiction des cours et tribunaux belges etque « l'article 15 de [cette convention] dispose qu'un Etat contractantbeneficie de l'immunite de juridiction devant les tribunaux d'un autreEtat contractant si la procedure ne releve pas des articles 1er à 14, cequi est le cas en l'espece », l'arret enonce que, si les Etats belge etneerlandais ont fait la declaration prevue à l'article 24 de cetteconvention, « cette declaration ne peut cependant porter atteinte àl'immunite de juridiction dont jouissent les Etats etrangers pour lesactes accomplis dans l'exercice de la puissance publique (acta iureimperii) » et qu'il « convient des lors de verifier quelle fut la naturede l'intervention de l'Etat neerlandais ».

Il considere que :

- « dans leurs domaines de competence, les Etats sont garants de lastabilite financiere du pays, laquelle est indispensable pour assurer laperennite de l'activite economique et sociale ; à ce titre, il est deleur responsabilite d'intervenir d'autorite en cas de crise systemique ;une telle intervention ressortit à l'exercice de la puissancepublique » ;

- « aucun investisseur prive ne disposait des capacites financieressuffisantes pour venir raisonnablement en aide au groupe Fortis, sous laforme soit de reprise d'actifs, soit d'augmentation de capital, soit depret ou encore d'emission de garantie, raison pour laquelle les Etats ontete contraints de se substituer au marche et d'intervenir en urgence,apres avoir ete prevenus par leurs banques centrales et autorites decontrole ; il ne peut donc etre soutenu que des particuliers auraient pufaire ce que les Etats ont fait » ;

- « l'acquisition des actions des entites du groupe Fortis a ete dicteepar l'urgence et la complexite de sa structure binationale, ce qui a faitdire, à bon droit, au premier juge qu'elle s'apparentait à unenationalisation dans l'interet du pays ; il ne resulte d'aucun element dudossier que l'Etat neerlandais entendait prendre le controle de cesentites pour les gerer lui-meme dans un but de lucre et entrer ainsi,d'egal à egal, dans ce domaine d'activite economique comme aurait pu lefaire tout operateur financier ordinaire ; au contraire, dans soncommunique du 3 octobre 2008, le ministre des Finances neerlandais nemanquait pas de preciser que cette operation tendait à stabiliser lesysteme financier de son pays, à securiser les deposants et tous lesinteresses, et à maintenir la bonne marche des fonctions financieresvitales de l'economie neerlandaise ; il precisait qu'elle etait temporaireet que les entites seraient privatisees apres le retour au calme, ce quis'est d'ailleurs produit » ;

- « l'acquisition des actions des entites neerlandaises de Fortis neconstituait qu'un des volets du plan de sauvetage, puisque, en vue deretablir la confiance des marches, l'Etat neerlandais s'est egalementengage, outre la prise en charge des dettes de Fortis Bank Nederland(Holding) jusqu'à concurrence de 34 milliards d'euros, à refinancer ladette à long terme de cette societe par le biais d'une emissiond'obligations d'Etat, ce qui ressortit, par sa nature, à l'exercice de lapuissance publique » ;

- « ce paquet de mesures octroyees entre le 29 septembre et le 5 octobre2008 par la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas à Fortis Banque etFortis Banque Luxembourg a ete approuve par la Commission europeenne autitre d'aide d'Etat en vertu des regles du traite CE relatives aux aidesd'Etat, comme suite à la crise sur les marches financiers ; la Commissiona precise que, `compte tenu de la taille de Fortis Banque, sa part dumarche de la banque de detail et la crise ambiante sur les marchesfinanciers, une defaillance de la banque aurait entraine un risquesystemique dans le secteur financier. Les mesures sont limitees au minimumnecessaire et ont retabli la viabilite à long terme de la banque. Afin delimiter les distorsions de concurrence, Fortis Banque a, en particulier,vendu ses operations aux Pays-Bas, qui representaient 40 p.c. de sataille, et a ete par la suite achetee par BNP Paribas. L'aide est des lorscompatible avec les regles de l'Union europeenne sur les aides d'Etat(article 87, S: 3, b), du traite CE), telles qu'[elles sont] expliciteesdans la communication de la Commission sur l'application desdites reglesaux banques en temps de crise', ce qui demontre, a contrario, que l'Etatneerlandais n'a pas agi comme un investisseur prive, à defaut de quoi laCommission n'aurait pas qualifie l'operation d'aide d'Etat ; au demeurant,une aide d'Etat constitue une mesure generale de politique economique,raison pour laquelle la Commission europeenne a, dans le cadre de la criseeconomique et financiere qui sevit depuis 2008, adopte un cadrecommunautaire temporaire pour les aides d'Etat destinees à favoriserl'acces au financement dans le contexte de la crise economique etfinanciere ».

Par ces enonciations, qui permettent à la Cour d'exercer son controle delegalite, l'arret justifie legalement sa decision que « c'est donc à bondroit que l'Etat neerlandais a souleve l'immunite de juridiction ».

Par ailleurs, l'arret, qui considere, sans etre critique, que ladefenderesse est une « `entite' [...] visee à l'article 27 de laConvention de Bale et [qu'] à ce titre, elle beneficie de l'immunite dejuridiction pour les actes accomplis par elle dans l'exercice de lapuissance publique », decide legalement que, « par identite de motifsavec ce qui a ete decide pour l'Etat neerlandais, c'est à bon droit quela [defenderesse] souleve egalement l'immunite de juridiction ».

Le moyen ne peut etre accueilli.

Sur la demande en declaration d'arret commun :

Le rejet du pourvoi prive d'interet la demande en declaration d'arretcommun.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi et la demande en declaration d'arret commun ;

Condamne les demandeurs aux depens.

Les depens taxes à la somme de sept cent quarante-sept eurosquarante-trois centimes envers les parties demanderesses et à la somme dequatre cent trente-trois euros soixante et un centimes envers la partieappelee en declaration d'arret commun.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Martine Regout, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du vingt-trois octobre deux mille quinze parle president de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalThierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|-----------------+----------------+-------------|
| M. Regout | D. Batsele | Chr. Storck |
+------------------------------------------------+

23 OCTOBRE 2015 C.14.0322.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0322.F
Date de la décision : 23/10/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-10-23;c.14.0322.f ?
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