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02/10/2015 | BELGIQUE | N°C.14.0172.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 02 octobre 2015, C.14.0172.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0172.F

REGION WALLONNE, representee par son gouvernement, en la personne duministre-president, dont le cabinet est etabli à Namur (Jambes), rueMazy, 25-27, poursuites et diligences du ministre de la Sante, de l'Actionsociale et de l'Egalite des chances, dont le cabinet est etabli à Namur(Jambes), rue des Brigades d'Irlande, 4,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait elect

ion de domicile,

contre

RESIDENCE CHAMP DE HULEU, societe privee à responsabili...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0172.F

REGION WALLONNE, representee par son gouvernement, en la personne duministre-president, dont le cabinet est etabli à Namur (Jambes), rueMazy, 25-27, poursuites et diligences du ministre de la Sante, de l'Actionsociale et de l'Egalite des chances, dont le cabinet est etabli à Namur(Jambes), rue des Brigades d'Irlande, 4,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

RESIDENCE CHAMP DE HULEU, societe privee à responsabilite limitee dont lesiege social est etabli à Ittre, rue de Huleu, 61-65,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 18 octobre 2013par la cour d'appel de Liege.

Le president de section Albert Fettweis a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente trois moyens dont les deux premiers sont libellesdans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- article 159 de la Constitution ;

- articles 440, alinea 2, 703, 848 et 1057 du Code judiciaire ;

- article 82, alinea 1er, de la loi speciale de reformes institutionnellesdu 8 aout 1980 ;

- article 7 de l'arrete du gouvernement wallon du 15 decembre 2011 fixantla repartition des competences entre les ministres et reglant la signaturedes actes du gouvernement.

Decisions et motifs critiques

Saisie de la requete d'appel introduite au nom de « la Region wallonne,representee par son gouvernement, poursuites et diligences de son ministrede la Sante, de l'Action sociale et de l'Egalite des chances, dont lecabinet est sis (...) », representee par son conseil, Me D. P., avocat àLiege, et dirigee contre le jugement du tribunal de premiere instance deNamur du 29 septembre 2011, en ce qu'« il condamne la Region wallonne àpayer à la (defenderesse) la somme de 29.000 euros à titre definitif, àtitre d'indemnisation pour les frais de defense exposes dans le cadre desrecours administratifs et au Conseil d'Etat que la (defenderesse) a etecontrainte d'exposer », l'arret attaque dit l'appel de la demanderessenon recevable et la condamne aux depens d'appel.

Il fonde cette decision sur les motifs suivants :

« Une personne morale de droit public comme la Region wallonne ne peutdecider d'entamer une procedure judiciaire tel un appel que sur la based'une decision prise par l'organe competent. La charge de la preuve decette regularite, en cas de contestation, lui incombe. A defaut, l'actionest dite irrecevable. En effet, la decision d'agir en justice consiste enun acte administratif susceptible de controle de legalite interne etexterne en application de l'article 159 de la Constitution. Les regleslegales concernant la competence d'un organe de la personne morale dedroit public pour introduire une action en justice sont d'ordre public(voir en ce sens Cass. 2 novembre 1988, Pas., 1988, 248). La presomptionrefragable du mandat ad litem enoncee dans l'article 440 du Codejudiciaire est etrangere à l'obligation qu'a une autorite administrativede justifier la legalite de son acte administratif. La cour [d'appel] adejà eu l'occasion de preciser ces principes notamment dans un arret citepar (la defenderesse) : (voir en ce sens notamment CE nDEG 12.187 du 27janvier 1967 ; CE nDEG 23.802 du 14 decembre 1983 ; CE nDEG 51.155 du

15 janvier 1995). En l'espece, la [demanderesse] ne produit aucune piecesusceptible de demontrer qu'il a ete regulierement decide d'agir enappel ; or cette regularite est contestee ; partant, l'appel estirrecevable ».

Griefs

I. L'article 703 du Code judiciaire dispose : « Les personnes moralesagissent en justice à l'intervention de leurs organes competents »(alinea 1er). « Leur identite est suffisamment relatee dans la citationet dans tout acte de procedure par l'indication de leur denomination, deleur nature juridique et de leur siege social » (alinea 2). L'article1057 du Code judiciaire relatif aux mentions que doit contenir l'acted'appel qui n'a pas ete forme par conclusions ne prevoit pas de mentionspeciale autre quant à l'identite de l'appelant.

Selon l'article 440, alinea 2, du meme code, « l'avocat comparait commefonde de pouvoir sans avoir à justifier d'aucune procuration, sauflorsque la loi exige un mandat special ».

Enfin, selon l'article 848 du meme code, « dans le cas ou un acte deprocedure aurait ete accompli au nom d'une personne en l'absence de touterepresentation legale sans qu'elle l'ait ordonne, permis ou ratifie, memetacitement, elle pourra demander au juge de le declarer non avenu. Il ensera de meme des actes d'instruction accomplis et des decisions renduesensuite de l'acte ainsi declare non avenu. Les autres parties litigantespeuvent introduire les memes demandes à moins que la personne au nom delaquelle l'acte a ete accompli ne le ratifie ou ne le confirme en tempsutile ».

Il ressort des dispositions precitees que, sauf lorsque la loi exige unmandat special, l'avocat qui accomplit un acte de procedure, tell'introduction d'un acte d'appel, et declare agir au nom d'une personnemorale dument identifiee par l'indication de sa denomination, de sa naturejuridique et de son siege, est legalement presume avoir rec,u à cette finun mandat regulier de l'organe competent de la personne morale. Cettepresomption peut etre renversee et une partie est en droit d'alleguer quela decision d'accomplir un acte de procedure n'a pas ete approuvee par lesorganes de la personne morale et n'emane pas de cette derniere, mais lacharge de la preuve repose sur la partie qui le conteste.

Certes, selon les alineas 3 et 4 de l'article 703 du Code judiciaire, lapartie contre laquelle est invoque un acte de procedure accompli au nomd'une personne morale, est en droit d'exiger en tout etat de cause quecelle-ci lui indique l'identite des personnes physiques qui sont sesorganes et il pourra etre sursis à statuer tant qu'il n'aura pas etesatisfait à cette demande. Toutefois, cette regle n'a ete prevue par lelegislateur que dans l'interet d'une information legitime de laditepartie, à titre de renseignement, et le defaut de cette indication nepeut suffire à lui seul à etablir que l'acte accompli au nom de lapersonne morale n'aurait pas ete autorise par celle-ci.

II. L'article 82, alinea 1er, de la loi speciale de reformesinstitutionnelles du 8 aout 1980 dispose : « Sans prejudice de l'article48bis, le gouvernement represente la Communaute ou la Region dans lesactes judiciaires et extrajudiciaires. Elle est citee au cabinet dupresident du gouvernement. Les actions de la Communaute ou de la Regionvisees au present article, en demandant ou en defendant, sont exercees aunom du gouvernement, poursuites et diligences du membre designe parcelui-ci ». Selon l'article 7 de l'arrete du gouvernement wallon du 15decembre 2011 fixant la repartition des competences entre les ministres etreglant la signature des actes du gouvernement, « Mme Eliane Tillieux,ministre de la Sante, de l'Action sociale et de l'Egalite des chances, estcompetente : pour (...) la politique de la sante (...) ; l'aide auxpersonnes (...) ».

III. Lorsqu'un avocat interjette appel d'une decision au nom d'une regionrepresentee par son gouvernement, poursuites et diligences du ministrecompetent en la matiere, comme prevu aux dispositions legales precitees,il incombe à l'intimee qui conteste que la decision d'appel a ete prisepar le ministre competent de prouver qu'en realite cette decision n'a pasete prise par ledit ministre.

En l'espece, la requete d'appel de la demanderesse a ete introduite parson avocat et specifie que la demanderesse est representee par songouvernement, poursuites et diligences du ministre de la Sante, del'Action sociale et de l'Egalite des chances. La requete identifiait doncla personne morale appelante et les organes competents par lesquels elleagissait legalement, conformement aux articles 703, alineas 1er et 2,1057, du Code judiciaire, 82, alinea 1er, de la loi speciale du 8 aout1980 et 7 de l'arrete du gouvernement wallon du 15 decembre 2011.

En declarant cet appel non recevable pour les motifs critiques, l'arretattaque viole toutes les dispositions legales citees en tete du moyen.

Deuxieme moyen

Dispositions legales violees

- articles 1382 et 1383 du Code civil ;

- article 1022 du Code judiciaire, modifie par la loi du 21 avril 2007 ;

- articles 2 et 3 de l'arrete royal du 26 octobre 2007 fixant le tarif desindemnites de procedure visees à l'article 1022 du Code judiciaire etfixant la date d'entree en vigueur des articles 1er à 13 de la loi du 21avril 2007 relative à la repetibilite des frais et honoraires d'avocat ;

- articles 10 et 11 de la Constitution.

Decisions et motifs critiques

Apres avoir constate les faits suivants, notamment par reference àl'expose des circonstances de la cause et de l'objet du litige contenudans le jugement du premier juge du 29 septembre 2011 : (1) ladefenderesse exploite une maison de repos pour personnes agees situee enRegion wallonne ; la demanderesse a pris à son encontre diversesdecisions ministerielles de reduction de sa capacite d'accueil ; (2)contre ces decisions ministerielles, la defenderesse a forme diversrecours : a) deux recours en reformation aupres du gouvernement wallon quiont donne lieu à des arretes de rejet, lesquels ont ete annules par deuxarrets du Conseil d'Etat du 2 decembre 2009 ; b) deux recours enannulation qui ont ete declares irrecevables par deux autres arrets duConseil d'Etat de la meme date ; c) un dernier recours en reformationauquel le gouvernement wallon a fait droit par arrete du 1er avril 2010 ;(3) la defenderesse a cite la demanderesse devant le tribunal de premiereinstance de Namur en paiement de dommages et interets pour des pertes depension d'hebergement resultant desdites decisions ministerielles et enremboursement des frais de defense engages dans les procedures devant leConseil d'Etat et devant le gouvernement wallon ; par le jugement du 29septembre 2011, le tribunal de premiere instance a decide que lademanderesse avait commis des fautes à l'origine d'un prejudice pour ladefenderesse, a fixe les limites de la periode indemnisable et lesprincipes de determination du prejudice, a ordonne la reouverture desdebats quant au calcul, et a d'ores et dejà statue sur les frais dedefense et condamne la demanderesse à payer à la defenderesse la sommede 29.000 euros en principal ; (4) la demanderesse a releve appel de cejugement « en ce qu'il condamne la (demanderesse) à payer à la(defenderesse) la somme de 29.000 euros à titre definitif, à titred'indemnisation des frais de defense exposes dans le cadre des recoursadministratifs et au Conseil d'Etat que la (defenderesse) a ete contrainted'exposer » ; la defenderesse a forme un appel incident contre cette memedecision, et apres avoir decide qu'« il est definitivement tranche par lepremier juge (des lors que l'appel de la [demanderesse] est irrecevable)et d'ailleurs non conteste qu'il y a eu une faute dans le chef de la(demanderesse) dans les decisions administratives prises à l'encontre de(la defenderesse), faute qui a entraine un dommage dans le chef de (ladefenderesse) (...) ; (que) n'est pas plus discutable l'existence d'unerelation causale entre la faute imputee à la (demanderesse) et lanecessite pour (la defenderesse) d'introduire les recours administratifstant devant le Conseil d'Etat que devant le gouvernement wallon », l'arret attaque, sur l'appel incident de la defenderesse, confirme lejugement du premier juge du 29 septembre 2011 en tant qu'il avait condamnela demanderesse à payer à la defenderesse la somme de 29.000 euros « àtitre definitif, à titre d'indemnisation pour les frais de defenseexposes dans le cadre des recours administratifs et au Conseil d'Etat quela (defenderesse) a ete contrainte d'exposer », « sous la reserve quel'indemnisation de la (defenderesse) pour les frais de defense (...) doits'elever à la somme de 35.585 euros (et non 29.000 euros) » et condamnela demanderesse aux depens d'appel.

L'arret fonde cette decision sur les motifs suivants :

« L'indemnisation forfaitaire prevue à l'arrete royal du 26 octobre 2007en execution de la loi du 21 avril 2007 n'est pas applicable auxprocedures administratives et au contentieux porte devant le Conseild'Etat. L'indemnisation [...] du dommage que constituent les fraisd'avocat doit en realite s'envisager sur pied des articles 1382 etsuivants du Code civil et donc une reparation integrale du prejudice subi.L'arret de la Cour constitutionnelle du 16 juillet 2009 (nDEG 118/2009)n'enerve pas ce constat. A cet egard, la (defenderesse) produitl'integralite des notes de frais et honoraires de son conseil. Ces notessont exhaustives et detaillees et revelent les nombreux devoirs accomplisdans le cadre des differents recours diligentes ».

Griefs

I. L'article 1022 du Code judiciaire dispose : « L'indemnite de procedureest une intervention forfaitaire dans les frais et honoraires d'avocat dela partie ayant obtenu gain de cause » (alinea 1er). « (...) le Roietablit (...) les montants de base, minima et maxima de l'indemnite deprocedure, en fonction notamment de la nature de l'affaire et del'importance du litige » (alinea 2). « Aucune partie ne peut etre tenueau paiement d'une indemnite pour l'intervention de l'avocat d'une autrepartie au-delà du montant de l'indemnite de procedure » (alinea 6).L'arrete royal du 26 octobre 2007 fixe le tarif des indemnites visees àl'article 1022 du Code judiciaire, notamment en ses articles 2 et 3.

II. Avant l'entree en vigueur de la loi du 20 janvier 2014 portant reformede la competence, de la procedure et de l'organisation du Conseil d'Etat,le Conseil d'Etat jugeait qu'en depit de l'article 2 du Code judiciaire(selon lequel les regles de ce code « s'appliquent à toutes lesprocedures, sauf lorsque celles-ci sont regies par des dispositionslegales non expressement abrogees ou par des principes de droit dontl'application n'est pas compatible avec celle des dispositions duditcode »), l'article 1022 de ce code n'etait pas applicable à la proceduredevant le Conseil d'Etat car la question des depens y etait reglee par desdispositions legales specifiques qui excluaient l'application dedispositions du Code judiciaire ayant un objet similaire.

Toutefois, par arret nDEG 118/2009 du 16 juillet 2009, la Courconstitutionnelle a statue sur la question prejudicielle suivante poseepar le tribunal de premiere instance de Namur : « Interprete en ce sensque l'article 1022 du Code judiciaire ne s'applique pas aux proceduresdevant le Conseil d'Etat et ne donne pas droit, de plein droit, à aumoins l'indemnite moyenne de procedure prevue par cette disposition (...),cet article viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce sensque la partie qui obtient gain de cause dans le cadre d'une procedurejudiciaire peut etre automatiquement indemnisee pour les frais exposesdans le cadre de cette procedure alors que la partie qui obtient gain decause au Conseil d'Etat ne peut obtenir cette indemnite dans le cadre dela procedure ou le litige a ete tranche mais : a) doit introduire unenouvelle procedure devant les juridictions judiciaires et, de plus,etablir que les conditions cumulatives des articles 1382 et suivants duCode civil sont effectivement reunies afin d'obtenir cette indemnite ; b)serait susceptible, en ce cas, d'obtenir sur la base des regles de laresponsabilite civile remboursement de l'integralite des frais de conseilexposes et non une indemnite forfaitaire comme dans le cas d'une procedurejudiciaire ? ».

La Cour constitutionnelle a repondu à cette question que l'article 1022du Code judiciaire ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitutionaux motifs suivants :

« B.10. Le Conseil d'Etat a pu (...) juger que, malgre la regle inscriteà l'article 2 du Code judiciaire, l'article 1022 du meme Code ne luietait pas applicable. Il a pu considerer, à cet egard, que, devant lui,la question des depens fait l'objet des dispositions legales citees enB.3.2., ce qui exclut qu'il applique les dispositions du Code judiciaireayant un objet similaire.

B.11. En revanche, lorsque la demande est portee devant une juridiction del'ordre judiciaire et qu'elle est fondee sur l'article 1382 du Code civil,cette juridiction doit tenir compte de ce que le legislateur a exprime savolonte de deroger en cette matiere au principe de la reparationintegrale, qu'il a opte pour une indemnisation forfaitaire et qu'il ainscrit cette regle à l'article 1022, alinea 6, du Code judiciaire :(...) Le juge a quo (c'est-à-dire le tribunal) ne pourrait ecarterl'application de cette disposition sans creer une difference de traitementinjustifiee entre une partie qui obtient gain de cause contre une autoriteadministrative selon qu'elle a opte pour un recours en annulation devantle Conseil d'Etat ou pour une action devant une juridiction de l'ordrejudiciaire.

B.12. Il decoule de ce qui precede que la difference de traitementdenoncee par la question prejudicielle n'est pas incompatible avec lesarticles 10 et 11 de la Constitution. En effet, elle concerne unesituation au sujet de laquelle il ne peut etre reproche au legislateur dene pas l'avoir reglee en meme temps qu'il adoptait la loi du 21 avril2007, des lors que, par l'application combinee, devant le juge judiciaire,des articles 1382 du Code civil et 1022 du Code judiciaire, cettedifference de traitement a des effets qui ne peuvent etre consideres commedisproportionnes ».

III. Des lors, avant l'entree en vigueur de la loi precitee du 20 janvier2014, lorsqu'il est saisi d'une demande d'indemnisation des frais ethonoraires d'avocat relatifs à un recours en annulation de decisionsadministratives qui a ete declare fonde par le Conseil d'Etat et qu'ildecide que ce recours a ete rendu necessaire par une faute del'administration, le juge judiciaire ne peut accorder l'indemnisation desfrais et honoraires d'avocat relatifs à ce recours sur pied de l'article1382 du Code civil sans tenir compte de la volonte du legislateur dederoger, par l'article 1022 du Code judiciaire, en matiere d'indemnisationdu dommage resultant de la necessite de recourir à un avocat pourintroduire des procedures, au principe de la reparation integrale dudommage.

En decider autrement creerait une difference de traitement entre lesjusticiables qui serait contraire au principe constitutionnel d'egaliteconsacre par les articles 10 et 11 de la Constitution : les justiciablesqui obtiendraient d'un juge de l'ordre judiciaire de ne pas appliquer unedecision administrative sur pied de l'article 159 de la Constitution nerecevraient le remboursement de leurs frais et honoraires d'avocat qu'àconcurrence des montants prevus à l'arrete royal du 26 octobre 2007fixant le tarif des indemnites de procedure visees à l'article 1022 duCode judiciaire, tandis que les justiciables qui, apres avoir obtenul'annulation d'une decision administrative par le Conseil d'Etat,saisiraient le juge civil d'une demande en reparation de leur prejudiceresultant de la necessite d'avoir eu recours à un avocat pour introduireleur recours devant le Conseil d'Etat, recevraient le remboursementintegral de ces frais et honoraires.

Des lors, en decidant d'allouer à la defenderesse une indemnite de 35.585euros pour les frais de defense engages dans le cadre des recoursadministratifs et au Conseil d'Etat que la defenderesse a du former àl'encontre des decisions administratives fautives de la demanderesse aumotif que cette indemnisation « doit s'envisager sur pied des articles1382 et suivants du Code civil » sans avoir egard à « l'indemnisationforfaitaire prevue à l'arrete royal du 26 octobre 2007 », l'arretattaque viole les articles 1382 du Code civil lus en combinaison avecl'article 1022, specialement alinea 6, du Code judiciaire, les articles 2et 3 de l'arrete vise en tete du moyen et les articles 10 et 11 de laConstitution.

Avant de statuer sur le moyen, il y a lieu eventuellement de soumettre àla Cour constitutionnelle la question prejudicielle enoncee au dispositifdu present pourvoi.

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

En vertu de l'article 703 du Code judiciaire, les personnes moralesagissent en justice à l'intervention de leurs organes competents. Leuridentite est suffisamment relatee dans la citation et dans tout acte deprocedure par l'indication de leur denomination, de leur nature juridiqueet de leur siege social.

Aux termes de l'article 440, alinea 2, du meme code, l'avocat comparaitcomme fonde de pouvoirs sans avoir à justifier d'aucune procuration, sauflorsque la loi exige un mandat special.

Il suit de ces dispositions que, hormis le cas ou la loi exige un mandatspecial, l'avocat qui accomplit un acte de procedure devant unejuridiction de l'ordre judiciaire et se limite à declarer agir au nomd'une personne morale dument identifiee par sa denomination, sa naturejuridique et son siege social, est legalement presume avoir rec,u à cettefin un mandat regulier de l'organe competent de cette personne morale.

Cette presomption n'est pas irrefragable. Une partie peut alleguer que ladecision d'accomplir un acte de procedure n'a pas ete approuvee par lesorganes de la personne morale et n'emane pas de cette derniere mais lacharge de la preuve incombe à cette partie.

Il ressort des pieces de la procedure que la requete d'appel deposee aunom de la demanderesse l'a ete par un avocat.

L'arret, qui, apres avoir releve que la defenderesse conteste larecevabilite de l'appel de la demanderesse à defaut pour celle-cid'etablir la regularite de la decision d'interjeter appel, declare cetappel irrecevable au motif que « [la demanderesse] ne produit aucunepiece susceptible de demontrer qu'il a ete regulierement decide d'agir enappel », viole les dispositions legales precitees.

Dans cette mesure, le moyen est fonde.

Sur le deuxieme moyen :

S'agissant des procedures introduites devant le Conseil d'Etat avant le1er mars 2014, date de l'entree en vigueur de l'article 30/1, S: 1er, deslois sur le Conseil d'Etat, coordonnees le 12 janvier 1973, y insere parla loi du 20 janvier 2014 portant reforme de la competence, de laprocedure et de l'organisation du Conseil d'Etat, la partie ayant obtenugain de cause devant le Conseil d'Etat ne peut reclamer l'indemnisation deses frais de defense engages devant cette juridiction qu'en saisissant unejuridiction de l'ordre judiciaire sur la base de l'article 1382 du Codecivil.

L'article 1022 du Code judiciaire n'est pas applicable comme tel auxditesprocedures, les depens de celles-ci etant regis par l'article 30, S:S: 5à 9, des lois sur le Conseil d'Etat avant l'abrogation de ces paragraphespar la loi du 20 janvier 2014.

Par l'arret nDEG118/2009 du 16 juillet 2009, la Cour constitutionnelle aconsidere que, lorsque pareille demande en indemnisation de frais dedefense est portee devant une juridiction de l'ordre judiciaire et qu'elleest fondee sur l'article 1382 du Code civil, cette juridiction doit tenircompte de ce que le legislateur a exprime sa volonte de deroger en cettematiere au principe de la reparation integrale, qu'il a opte pour uneindemnisation forfaitaire et qu'il a inscrit cette regle à l'article1022, alinea 6, du Code judiciaire ; que le juge

a quo ne pourrait ecarter l'application de cette disposition sans creerune difference de traitement injustifiee entre une partie qui obtient gainde cause contre une autorite administrative selon qu'elle a opte pour unrecours en annulation devant le Conseil d'Etat ou pour une action devantune juridiction de l'ordre judiciaire.

L'arret, qui considere que « l'indemnisation [...] du dommage queconstituent les frais d'avocat [pour les recours administratifs tantdevant le Conseil d'Etat que devant le gouvernement wallon] doit enrealite s'envisager sur pied des articles 1382 et suivants du Code civilet donc une reparation integrale du prejudice subi » et qui evalue cedommage par rapport à « l'integralite des notes de frais ethonoraires » du conseil de la defenderesse, viole les dispositionslegales visees au moyen.

Le moyen est fonde.

Sur les autres griefs :

Il n'y a pas lieu d'examiner le troisieme moyen, qui ne saurait entrainerune cassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque en tant qu'il declare l'appel de la demanderesseirrecevable, qu'il fixe l'indemnisation de la defenderesse pour les fraisde defense engages dans le cadre des recours administratifs et au Conseild'Etat à la somme de 35.585 euros majoree d'interets et qu'il statue surles depens d'appel ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillers DidierBatsele, Martine Regout, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du deux octobre deux mille quinze par lepresident de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat generalThierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+-----------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|-----------------+------------+----------------|
| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
+-----------------------------------------------+

2 OCTOBRE 2015 C.14.0172.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0172.F
Date de la décision : 02/10/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 31/10/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-10-02;c.14.0172.f ?
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