Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.14.0488.F
M.-J. S.,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,
contre
M. P.,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 11 fevrier 2014par la cour d'appel de Liege.
Le 13 mai 2015, l'avocat general Jean-Franc,ois Leclercq a depose desconclusions au greffe.
Le president de section Albert Fettweis a fait rapport et l'avocat generalJean-Franc,ois Leclercq a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
Articles 1319, 1320, 1322 et 1347 du Code civil
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate qu'aux termes d'un compromis de vente, ladefenderesse a vendu à la demanderesse un immeuble situe à ..., que leprix convenu etait de 55.000 euros payable à la signature de l'acteauthentique, que le compromis « ne fait pas etat du paiement d'unacompte. Les parties reconnaissent cependant qu'un acompte de 23.000 eurosa ete paye le 5 juin 2007 ; 3.000 euros aurai(en)t ete adresses à l'agentimmobilier », que l'acte authentique ne sera pas passe, que, par courrierdu 18 mai 2010, le conseil de la demanderesse a propose à la defenderesse« de resilier amiablement la vente et de rembourser la somme de 23.000euros à sa cliente au motif que la venderesse avait cache le fait que lesconstructions erigees sur le terrain vendu l'avaient ete au mepris desprescriptions urbanistiques », qu'aucune suite ne parait avoir etereservee à cette demande, que, par citation du 9 juin 2011, lademanderesse a demande « resolution de la vente intervenue entreparties » et demandait egalement condamnation de la defenderesse « àlui rembourser la somme de 23.000 euros versee à titre d'acompte outreles interets et la somme de 5.000 euros au titre de dommages etinterets », que cette demande a ete contestee par la defenderesse,laquelle, par voie reconventionnelle, a demande de son cote resolution dela vente mais aux torts et griefs de la demanderesse ainsi que le paiementd'une indemnite equivalente à 10 p.c. du prix de vente, soit la somme de7.800 euros, que le tribunal de premiere instance de Namur, saisi desdemandes, a, selon les termes de l'arret, « constate que la vente a eteresiliee de commun accord et a constate qu'il etait donc impossible deresoudre le contrat de vente. Il a fait droit à la demande deremboursement de la somme de 23.000 euros versee au titre d'acompte par(la demanderesse) », sur appel de la defenderesse, l'arret attaqueconfirme le jugement du premier juge « en ce qu'il a dit la convention devente resiliee de commun accord par les parties », que, s'agissant de lademande de la demanderesse de remboursement de la somme de 23.000 euros,etant le paiement de l'acompte, il la deboute.
L'arret se fonde sur les motifs suivants :
« 1. (La demanderesse) poursuit la resolution de la vente aux torts etgriefs de (la defenderesse) au motif que la parcelle de terrain venduen'est pas conforme aux stipulations contractuelles car la caravane et lechalet qui s'y trouvent ont ete eriges au mepris des prescriptionsurbanistiques.
(La defenderesse) mentionne quant à elle que (la demanderesse) a renonceà l'achat des lors qu'elle n'avait pas obtenu le credit pour payer lesolde du prix de la vente. Elle excipe d'un document aux termes duquel (lademanderesse) indique `je soussignee (la demanderesse), renonce à l'achatdu terrain sis rue ... à ..., propriete de (la defenderesse)' (...).
Comme le premier juge le mentionne pertinemment, l'absence de reception del'acte notarie dans les quatre mois du compromis de vente et de poursuitede sanction voire l'absence de reaction de (la defenderesse) durantplusieurs annees demontre(nt) que le contrat a ete resilie de communaccord et non pas unilateralement par (la demanderesse).
Les demandes paralleles des parties en resolution de la vente ne sont doncpas fondees. Les demandes accessoires en dommages et interets sont doncegalement denuees de fondement.
2. S'agissant de la demande de remboursement de 23.000 euros, verses autitre d'acompte, (la defenderesse) affirme avoir remis cette somme de mainà main à (la demanderesse).
Il faut constater que (la demanderesse) a redige le document susmentionneprecisant renoncer à l'achat litigieux sans aucunement faire reference auremboursement de l'acompte de 23.000 euros, ce qui peut s'analyser commeun commencement de preuve par ecrit quant à la position de (ladefenderesse) selon laquelle elle a effectivement rembourse cette somme. Acet element, il faut ajouter que (la defenderesse) etablit le retraitd'une somme de 20.000 euros sur son compte bancaire le 3 septembre 2007. Acela s'ajoute encore le silence de (la demanderesse) durant plus de troisans et l'attestation d'une dame D. laquelle atteste avoir assiste à laremise de la somme en liquide (...).
Le commencement de preuve par ecrit est donc corrobore par despresomptions suffisamment precises et concordantes que pour conclure aupaiement par (la defenderesse) des 23.000 euros actuellement reclames par(la demanderesse) ».
Griefs
Premiere branche
Toutes « choses » excedant la somme de 375 euros doivent etre constateespar ecrit.
Et il en est ainsi d'un paiement.
Toutefois, par derogation, la preuve peut en etre rec,ue par temoins oupresomptions « lorsqu'il existe un commencement de preuve par ecrit ».
Le commencement de preuve par ecrit est un « acte par ecrit qui est emanede celui contre lequel la demande est formee (...) et qui rendvraisemblable le fait allegue », conformement à l'article 1347 du Codecivil.
Et, si le caractere vraisemblable du fait est de l'appreciation du juge dufond, encore la Cour de cassation est-elle autorisee à verifier si, deses constatations, le juge n'a pas meconnu la notion legale devraisemblance et, par consequent, viole l'article 1347 du Code civil.
L'arret reproduit le texte du document - non date - signe par lademanderesse et qu'il considere comme etant un « commencement de preuvepar ecrit », vise au texte legal cite, rendant vraisemblable leremboursement de l'acompte litigieux - ce qui autorise la preuve partemoins et presomptions dont la cour d'appel considerera qu'elle estacquise.
Toutefois, d'une part, l'arret se fonde, pour considerer que l'ecrit rendvraisemblable le remboursement de l'acompte, non sur le document en tantque tel mais sur ce qu'il ne contient pas : la demanderesse l'a redige« sans aucunement faire reference au remboursement de l'acompte de 23.000euros ». En tant que tel, l'ecrit ne saurait donc rendre vraisemblable leremboursement. Il contient au mieux une « presomption » de remboursement- ce qui est different et ne rencontre pas l'exigence de l'article 1347 duCode civil (si ce texte admet la preuve par presomptions, c'est à lacondition precisement qu'existe en tout cas un commencement de preuve parecrit).
D'autre part, il resulte des constatations de l'arret que la defenderessea considere, au contraire, que cet ecrit faisait montre de l'attitudefautive de la demanderesse. La defenderesse a fait etat de ce documentpour faire echec à la demande de resolution de la vente formee par lademanderesse pour le motif releve (la defenderesse « n'avait pas obtenule credit pour payer le solde du prix ») et soutenir en consequence quela demanderesse avait, d'initiative, renonce à l'achat et ce fautivement.
Et la defenderesse avait en effet soutenu en conclusions :
« On ne peut, sans violer la foi due à la piece 4 du dossier, pretendreque les parties ont convenu d'une resiliation amiable et encore moins quela [defenderesse] aurait fautivement rompu la convention signee le 6 juin2007.
Cette piece 4 constitue un acte unilateral irrevocable de rupture ducontrat. Il ne contient aucune motivation, aucun grief à l'encontre de la(defenderesse). Il s'agit donc d'une rupture sans motif qui estnecessairement fautive dans le chef de (la demanderesse).
Il convient de reformer la decision dont appel et de dire pour droit quela resolution est le fait de (la demanderesse) qui doit en repondre. Ilconvient de faire application de l'article 9 du compromis et de fairedroit à la demande reconventionnelle de la (defenderesse) [c'est-à-direla condamnation de la demanderesse au paiement d'une somme egale à 10p.c. du prix de vente, à titre de penalite] ».
Des lors que la defenderesse tenait cet ecrit pour une rupture fautive ducontrat et, en consequence, demandait condamnation de la demanderesse aupaiement de dommages et interets, il ne peut etre soutenu qu'un tel ecritrende vraisemblable le remboursement immediat et spontane de l'acompte parla defenderesse - lequel serait en totale contradiction avec le griefformule par la defenderesse.
Il s'ensuit qu'en deboutant la demanderesse de sa demande de remboursementde l'acompte, au motif que la preuve de ce remboursement est acquise, eten se fondant sur l'ecrit litigieux pour admettre la preuve parpresomptions de ce remboursement, l'arret meconnait la notion devraisemblance visee à l'article 1347 du Code civil et, en consequence,viole celui-ci.
Seconde branche
La defenderesse a soutenu dans ses conclusions :
« Si la (defenderesse) a reconnu avoir rec,u 23.000 euros dont 3.000euros ont servi à desinteresser l'agent immobilier, son aveu estindivisible et ne peut etre dissocie de l'allegation concomitante qu'ellea restitue 20.000 euros à (la demanderesse).
Subsidiairement, la (defenderesse) demontre à suffisance avoir restituela somme de 20.000 euros à (la demanderesse) en produisant un retrait de20.000 euros le 3 septembre 2007 en meme temps que (la demanderesse) luiremettait sa renonciation à acquerir le terrain litigieux.
Ces pieces constituent les ecrits probants. A tout le moinsconstituent-elles des commencements de preuve par ecrit autorisant la(defenderesse) à faire la preuve par toute voie de droit notamment parpresomptions ».
Il se deduit de ce passage des conclusions de la defenderesse que celle-cin'a pas soutenu avoir rembourse la totalite de l'acompte litigieux à lademanderesse, soit la somme de 23.000 euros, mais, seulement, une partiede cet acompte, soit la somme de 20.000 euros.
Il s'ensuit, d'une part, qu'en considerant que l'ecrit dont question plushaut rend vraisemblable le remboursement de la totalite de l'acompte,l'arret meconnait à nouveau, et pour cette raison supplementaire, lanotion de vraisemblance visee à l'article 1347 du Code civil (violationde cette disposition), d'autre part, en relevant que la defenderesse« affirme avoir remis cette somme [23.000 euros] de main à main à (lademanderesse) » meconnait la foi due au passage reproduit des conclusionsde la defenderesse (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Codecivil).
III. La decision de la Cour
Quant à la premiere branche :
L'article 1347, alinea 2, du Code civil considere comme commencement depreuve par ecrit tout acte par ecrit qui est emane de celui contre lequella demande est formee, ou de celui qu'il represente, et qui rendvraisemblable le fait allegue.
Si le juge apprecie en fait si l'acte qui lui est soumis rendvraisemblable le fait allegue et constitue, des lors, un commencement depreuve par ecrit, il est au pouvoir de la Cour de verifier si le juge n'apas meconnu la notion legale de vraisemblance.
Pour qu'un fait soit vraisemblable, il ne suffit pas qu'il paraissepossible, il faut qu'il presente une apparence de veracite.
L'arret constate que la defenderesse produit un document aux termes duquella demanderesse indique « je soussignee [...] renonce à l'achat duterrain sis rue ... à ..., propriete de [la defenderesse] » et releveque la demanderesse a ainsi precise renoncer à l'achat litigieux « sansaucunement faire reference au remboursement de l'acompte de 23.000euros ».
Il considere, sur la base de ces enonciations, que ce document « peuts'analyser comme un commencement de preuve par ecrit quant à la positionde [la defenderesse] selon laquelle elle a effectivement rembourse cettesomme ».
En deduisant la vraisemblance du remboursement par la defenderesse del'acompte de 23.000 euros de l'absence de mention de ce remboursement dansl'ecrit precite, l'arret meconnait la notion de vraisemblance au sens del'article 1347, alinea 2, du Code civil et viole, des lors, cettedisposition.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
Sur les autres griefs :
Il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche qui ne saurait entrainerune cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il rec,oit l'appel et qu'ilconfirme le jugement du premier juge en ce qu'il dit la convention devente resiliee de commun accord par les parties ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillers DidierBatsele, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du dix-huit septembre deux mille quinze parle president de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat generalJean-Franc,ois Leclercq, avec l'assistance du greffier PatriciaDe Wadripont.
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| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
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| M. Delange | D. Batsele | A. Fettweis |
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18 SEPTEMBRE 2015 C.14.0488.F/5