Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.13.0492.F
A. H., detenu par les autorites militaires americaines dans le centreGuantanamo Bay,
demandeur en cassation,
admis au benefice de l'assistance judiciaire par decision du bureaud'assistance judiciaire du 13 aout 2013 (nDEG G.13.0081.F),
represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,
contre
ETAT BELGE, represente par le ministre de la Justice, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, boulevard de Waterloo, 115,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile.
NDEG C.13.0493.F
H. S., detenu par les autorites militaires americaines dans le centreGuantanamo Bay,
demandeur en cassation,
admis au benefice de l'assistance judiciaire par decision du bureaud'assistance judiciaire du 13 aout 2013 (nDEG G.13.0080.F),
represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,
contre
ETAT BELGE, represente par le ministre de la Justice, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, boulevard de Waterloo, 115,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Les pourvois en cassation sont diriges contre l'arret rendu le 15 fevrier2012 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 19 juin 2015, l'avocat general Jean-Franc,ois Leclercq a depose desconclusions au greffe.
Le president de section Albert Fettweis a fait rapport et l'avocat generalJean-Franc,ois Leclercq a ete entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
A. Pourvoi inscrit au role general sous le numero C.13.0492.F :
Le demandeur presente trois moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions legales violees
- articles 1er, 3, 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre 1950et approuvee par la loi du 13 mai 1955 ;
- article 584 du Code judiciaire ;
- article 144 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque dit non fonde l'appel du demandeur dirige contrel'ordonnance par laquelle le tribunal de premiere instance s'est declaresans juridiction pour connaitre de ses demandes par tous ses motifsreputes ainsi integralement reproduits et specialement par les motifs que:
« Le 12 octobre 2009, le parquet federal a demande au ministre de laJustice de transmettre aux autorites americaines une demande d'extraditionet, subsidiairement, dans l'hypothese ou [le demandeur et le demandeurdans la cause C.13.0493.F, ci-apres `les demandeurs'] feraient l'objetd'une procedure en cours aux Etats-Unis d'Amerique ou y purgeraient unepeine, une demande de remise temporaire (de ceux-ci), conformement àl'article 12 de la Convention d'extradition conclue entre la Belgique etles Etats-Unis d'Amerique et ce, afin de permettre [aux demandeurs] decomparaitre devant le tribunal correctionnel [de Bruxelles] pour y etrerejuges.
(...)
Une reunion se tint le 27 janvier 2010 entre le ministre de la Justice etmonsieur D. F., envoye special du president Obama. Il ressort ducompte-rendu ecrit de cette reunion que les autorites americainescomptaient sur la Belgique, qui avait denonce `à juste titre les erreursde l'administration Bush en la matiere', `pour contribuer à mettre fin àcette situation en prenant en charge les interesses, puisque le lien derattachement de ceux-ci avec la Belgique est constitue par les poursuitesintentees à leur encontre' et qu'elles etaient pretes à remettre [lesdemandeurs] entre les mains de la Belgique par le biais d'un `memorandumof understanding', avec le consentement des interesses de se livrervolontairement aux autorites belges (la convention d'extradition preciteepermettant en effet [aux demandeurs], en cas de demande d'extraditionformee par la Belgique, de consentir à etre remis à la Belgique àussivite que possible et sans autre procedure'). D. F. precisa quel'eloignement [des demandeurs] vers la Tunisie `pose des problemesincontournables en matiere de droits de l'homme' et que les autoritesitaliennes ne voulaient pas prendre [les demandeurs] en charge, bienqu'ils aient l'autorisation de sejourner en Italie.
(...)
13. L'article 1er de la Convention dispose que `Les Hautes Partiescontractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridictionles droits et libertes definis au titre 1er de la presente Convention'.
Cette disposition, valable pour tous les droits garantis par laConvention, est une disposition generale et autonome des autres articlesde la Convention. Des lors, on ne peut confondre `la question de savoir siun individu releve de la juridiction d'un Etat contractant et celle desavoir si l'interesse peut etre repute victime d'une violation de droitsgarantis par la Convention'. En effet, `il s'agit là de conditions derecevabilite separees et distinctes devant chacune etre remplie, dansl'ordre precite, pour qu'un individu puisse invoquer les dispositions dela Convention à l'encontre d'un Etat contractant' (...).
En d'autres termes, [les demandeurs] doivent demontrer, prealablement etdistinctement, qu'ils se trouvent sous le pouvoir de juridiction de l'Etatbelge, avant de pouvoir invoquer la violation par cet Etat d'unedisposition de la Convention.
14. Relevent naturellement de la juridiction d'un Etat, les personnes quise trouvent sur son territoire. Tel n'est pas le cas [des demandeurs], desorte que la competence territoriale sensu stricto n'est pas susceptiblede les faire relever de la juridiction de l'Etat belge, à tout le moinspour les dispositions internationales autres que l'article 6 de laConvention (...).
15. La question est des lors de determiner, au vu de la jurisprudence dela Cour europeenne des droits de l'homme, les autres criteres quipermettent de conclure au pouvoir de juridiction de l'Etat belge sur despersonnes qui ne se trouvent pas sur son territoire.
Dans l'arret Bankovic du 12 decembre 2001 dejà cite, la Cour europeenne adit pour droit, à propos de la notion de ` juridiction', `en ce quiconcerne le sens ordinaire des termes pertinents figurant dans l'article1er de la Convention, la Cour considere que, du point de vue du droitinternational public, la competence juridictionnelle d'un Etat estprincipalement territoriale. Si le droit international n'exclut pas unexercice extraterritorial de sa juridiction par un Etat, les elementsordinairement cites pour fonder pareil exercice (nationalite, pavillon,relations diplomatiques et consulaires, effet, protection, personnalitepassive et universalite, notamment), sont en regle generale definis etlimites par les droits territoriaux souverains des autres Etats concernes.Ainsi, par exemple, la possibilite pour un Etat d'exercer sa juridictionsur ses propres ressortissants à l'etranger est subordonnee à lacompetence territoriale de cet Etat et d'autres. De surcroit, un Etat nepeut concretement exercer sa juridiction sur le territoire d'un autre Etatsans le consentement, l'invitation ou l'acquiescement de ce dernier, àmoins que le premier ne soit un Etat occupant, auquel cas on peutconsiderer qu'il exerce sa juridiction sur ce territoire, du moins àcertains egards. Aussi la Cour estime-t-elle que l'article 1er de laConvention doit passer pour refleter cette conception ordinaire etessentiellement territoriale de la juridiction des Etats, les autrestitres de juridiction etant exceptionnels et necessitant chaque fois unejustification speciale, fonction des circonstances de l'espece'.
16. Il est admis que la responsabilite d'un Etat contractant peut etreengagee en dehors de son territoire à raison d'actes accomplis dans unEtat tiers, soit parce qu'ils emanent de ses propres organes ou depersonnes placees sous son autorite et son controle, soit parce qu'ilssont accomplis sur un territoire sur lequel il exerce un controleeffectif. C'est ainsi que dans l'affaire du 26 juin 1992 en cause de Drozdet Janousek c. France et Espagne, citee par [les demandeurs], la Coureuropeenne a examine si des actes judiciaires andorrans accomplis par desmagistrats provenant de France ou d'Espagne etaient susceptibles d'engagerla responsabilite de ces Etats et elle a conclu par la negative apresavoir constate que les juridictions andorranes remplissaient leurs tachesde maniere autonome, leurs jugements et arrets echappant au controle desautorites de France et d'Espagne, sans qu'il soit demontre que cesdernieres aient tente de s'immiscer dans le proces des requerants. On auraegalement egard à l'arret Chypre c. Turquie du 10 mai 2001, relatif aucontrole terrestre effectif de l'Etat turc par suite d'une actionmilitaire, legale ou non, par le biais des forces armees ou d'uneadministration locale subordonnee, à l'arret cite par les [demandeurs],Issa c. Turquie du
16 novembre 2004, admettant que la Convention est susceptible des'appliquer, meme hors de l'espace juridique des Etats membres, pour desoperations militaires temporaires ou encore à l'arret Ilascu et autres c.la Moldavie du
8 juillet 2004 par lequel la Cour affirme la responsabilite de deux Etatspour des faits contraires à la Convention, l'un exerc,ant sur leterritoire de l'autre une influence decisive par son soutien economique,financier et politique et l'autre etant neanmoins tenu de prendre toutesles mesures appropriees qui restent en son pouvoir (...).
Cependant, il n'est pas demontre en l'espece que des organes de l'Etatbelge participeraient activement à la detention des [demandeurs] àGuantanamo, ni que l'Etat belge exercerait un controle effectif en celieu. Les conditions d'application de la jurisprudence precitee ne sontdonc pas reunies en l'espece.
17. Certes, la Cour europeenne des droits de l'homme considere que lesEtats signataires ne peuvent extrader ou expulser un etranger se trouvantsur leur territoire lorsque cette mesure risque de l'exposer à destraitements inhumains et degradants. Ainsi, dans l'affaire Soering c.Royaume Uni du
7 juillet 1989, la Cour europeenne a decide que la procedure d'extraditionmise en oeuvre par la Grande-Bretagne vers l'Etat de Virginie exposeraitmonsieur Soering à un risque reel de traitement depassant le seuil fixepar l'article 3 de la Convention `eu egard à la tres longue periode àpasser dans le « couloir de la mort » dans des conditions aussiextremes, et à la situation personnelle du requerant, en particulier sonage et son etat mental à l'epoque de l'infraction', de sorte que ladecision d'extrader l'interesse violerait l'article 3 susdit si ellerecevait execution (...). Par ailleurs, la Cour europeenne a indique`qu'il n'est pas exclu qu'une decision d'extradition puisseexceptionnellement soulever un probleme sur le terrain de l'article 6 dela Convention au cas ou le fugitif aurait subi ou risquerait de subir undeni de justice flagrant dans l'Etat requerant' (...).
Cependant, la Cour a prealablement releve dans cet arret que l'article 1er de la Convention fixe une limite, `notamment territoriale', au domainede la Convention. `En particulier, l'engagement des Etats contractants seborne à reconnaitre (en anglais « to secure ») aux personnes relevantde leur
« juridiction » les droits et libertes enumeres (par la Convention).En outre, la Convention ne regit pas les actes d'un Etat tiers ni nepretend exiger des parties contractantes qu'elles imposent ses normes àpareil Etat'. C'est donc dans le cadre de cette limite qu'un Etatcontractant `se conduirait d'une maniere incompatible avec les valeurssous-jacentes à la Convention, ce patrimoine commun d'ideal et detraditions politiques, de respect de la liberte et de la preeminence dudroit auquel se refere le Preambule, s'il remettait consciemment unfugitif - pour odieux que puisse etre le crime reproche - à un autre Etatou il existe des motifs serieux de penser qu'un danger de torture menacel'interesse' ou si celui-ci risque de subir dans l'Etat de destinationdes peines ou traitements inhumains ou degradants (...).
De meme, les arrets Cruz Veras et autres c. Suede du 20 mars 1991,Vilvarjah et autres c. Royaume-Uni du 30 octobre 1991, Einhom c. France du16 octobre 2001, Hilal c. Royaume-Uni du 6 mars 2001 ou encore, plusrecemment, M.S.S. c. Belgique et Grece du 21 janvier 2011 concernentl'execution d'une decision d'extradition ou d'expulsion d'une personne setrouvant sur le territoire de l'Etat defendeur vers un Etat tiers (...).
Ainsi que la Cour europeenne l'a souligne, dans l'arret Bankovic precite, `la Cour note toutefois que, dans les cas precites, les Etats defendeursavaient engage leur responsabilite par des actes concernant des personnesqui avaient ete accomplis alors que celles-ci se trouvaient sur leurterritoire et qu'elles relevaient des lors manifestement de leurjuridiction, et que pareils cas ne concernent pas l'exercice actuel par unEtat de sa competence ou juridiction à l'etranger' (S: 68).
La jurisprudence `Soering' a donc pour effet, non pas d'etendre la notionde juridiction, mais celui de definir l'aspect positif de la garantie duepar les Etats en vertu de l'article 3 de la Convention à l'egard despersonnes qui relevent de leur juridiction. Elle laisse intact le principeselon lequel l'existence d'un pouvoir de juridiction est une conditionprealable et distincte de la portee de l'obligation decoulant de l'article3 de la Convention.
18. L'arret de la Cour europeenne en cause Andrejeva c. Lettonie du
18 fevrier 2009, egalement invoque par [les demandeurs], `constate que larequerante denonce un acte pris à son egard par une autorite publiquelettonne - en l'espece, l'Agence ... - et lui refusant une partie dubenefice patrimonial qu'elle entendait tirer d'une loi adoptee par lelegislateur letton. La contestation soulevee par la requerante contre cetacte a ete examinee par les trois degres de juridictions lettonnes, quiont rendu des decisions contraignantes à son sujet.
Aux yeux de la Cour, cela suffit largement pour conclure que, dans lecadre du present litige, la requerante relevait de la juridiction del'Etat defendeur et que l'exception du gouvernement doit etre rejetee'.
Ces considerations confirment, si besoin est, que dans le cadre du procespenal actuellement pendant devant le tribunal correctionnel de Bruxelles,l'Etat belge exerce un pouvoir de juridiction sur [les demandeurs] et quedes lors, dans ce cadre, les droits de la defense de (ceux-ci) doiventetre respectes (...).
Par contre, il ne s'en deduit pas qu'en dehors de ce litige, ce lienjuridictionnel suffirait pour que l'Etat belge soit tenu d'une obligationde demander l'extradition [des demandeurs] sur la base des articles 3 et 5de la Convention et du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques.
Ainsi qu'il vient d'etre dit, [les demandeurs] peuvent assurement demanderle respect de l'article 6 de la Convention, combine avec l'article 14 duPacte international relatif aux droits civils et politiques, devant letribunal correctionnel de Bruxelles ».
Griefs
L'article 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales dispose que « les Hautes Parties contractantesreconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits etlibertes definis au titre 1er de la presente Convention ».
Les articles 3, 5 et 6 de la Convention prohibent la torture et les peinesou traitements inhumains ou degradants, garantissent le droit à laliberte et à la surete ainsi que le droit à un proces equitable.
Ainsi que le releve l'arret attaque, la constatation d'une violation de laConvention est subordonnee à deux conditions de recevabilite separees etdistinctes.
Dans le cas d'un recours exerce par des ressortissants de la Republiquefederale de Yougoslavie en leur nom propre et au nom de personnes decedeesdans un bombardement des forces de l'O.T.A.N., les Etats defendeursarticulaient que l'O.T.A.N. avait une personnalite juridique distinctetandis que les requerants soutenaient que l'obligation positive resultantde l'article 1er allait jusqu'à astreindre les Etats à assurer lerespect des droits consacres par la Convention à proportion du controleexerce dans une situation extraterritoriale donnee. La Cour europeenne desdroits de l'homme a decide que « l'interpretation donnee par lesrequerants de la notion de juridiction revient à confondre la question desavoir si un individu `releve de la juridiction' d'un Etat contractant etcelle de savoir si l'interesse peut etre repute victime d'une violation dedroits garantis par la Convention. Or, il s'agit là de conditions derecevabilite separees et distinctes devant chacune etre remplie, dansl'ordre precite, pour qu'un individu puisse invoquer les dispositions dela Convention à l'encontre d'un Etat contractant » (CEDH, Bankovic etautres c. Belgique et seize autres Etats, 12 decembre 2001, S: 75).
Ces deux conditions « separees et distinctes » impliquent que, pourpretendre à la violation d'un droit ou d'une liberte que prevoit le titre1er de la Convention, il doit etre prealablement constate que l'individureleve de la juridiction d'un Etat contractant.
L'arret attaque donne trois soutenements à sa decision aux termes delaquelle la cour d'appel doit se declarer sans juridiction pour connaitredes demandes : le demandeur n'etablit pas qu'il releve de la juridictionde l'Etat belge pour l'application de l'article 3 et pour l'application del'article 5, il ne demontre pas que « des organes de l'Etat belgeparticiperaient activement à (sa) detention (...) à Guantanamo, ni quel'Etat belge exercerait un controle effectif en ce lieu » et il n'existepas de lien juridictionnel entre le demandeur et l'Etat belge en dehors ducadre du proces penal pendant devant le tribunal correctionnel deBruxelles.
Premiere branche
Si la Convention europeenne subordonne la constatation d'une violation desdroits et libertes qu'elle prevoit aux conditions separees et distinctesque l'individu releve de la juridiction d'un Etat contractant, d'une part,et que l'interesse puisse etre repute victime d'une violation des droitsgarantis par la Convention, de l'autre, la constatation d'une telleviolation n'est pas subordonnee à un examen separe d'un lien dejuridiction avec l'Etat contractant au regard de chacun des droits et dechacune des libertes reconnus par la Convention.
La disposition autonome que porte l'article 1er de la Convention est unecondition de recevabilite de l'allegation d'une violation des droits etlibertes prevus par cette Convention. L'arret attaque constate que [lesdemandeurs] « peuvent assurement demander le respect de l'article 6 dela Convention ». Il decide ainsi que le demandeur releve de lajuridiction de l'Etat belge. Il s'en deduit qu'en vertu de l'article 1erde la Convention, le demandeur est recevable à invoquer la violation del'un des droits ou de l'une des libertes que porte cette Convention. Endecidant qu'il y a lieu d'examiner separement pour chaque droit et chaqueliberte prevus par la Convention si l'interesse releve de la juridictionde l'Etat Partie, l'arret attaque viole l'article 1er de la Convention. Ilviole egalement les articles 3 et 5 de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertes fondamentales, l'article 584 du Codejudiciaire et l'article 144 de la Constitution en ce que la cour d'appelse declare sans juridiction pour statuer sur la violation de ces deuxpremieres dispositions.
Deuxieme branche
L'arret attaque decide qu'« il est admis que la responsabilite d'un Etatcontractant peut etre engagee en dehors de son territoire à raisond'actes accomplis dans un Etat tiers, soit parce qu'ils emanent de sespropres organes ou des personnes placees sous son autorite et soncontrole, soit parce qu'ils sont accomplis sur un territoire sur lequel ilexerce un controle effectif ».
Il decide neanmoins que le demandeur ne releve pas de la juridiction del'Etat belge en ce qu'il invoque la violation des articles 3 et 5 de laConvention europeenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales au motif qu'« il n'est pas demontre (...) que les organesde l'Etat belge participeraient activement à (sa) detention (...) àGuantanamo, ni que l'Etat belge exercerait un controle effectif en celieu ».
Ainsi que le releve l'arret attaque, il n'est pas requis que,cumulativement, l'acte emane d'un organe de l'Etat (ou de personnesplacees sous son autorite et son controle) et que cet Etat exerce uncontrole effectif sur le lieu ne relevant pas de son territoire.
La Cour europeenne decide en effet que la responsabilite d'un Etat peutentrer en jeu en raison d'actes emanant de ses organes et deployant leurseffets en dehors du territoire de cet Etat sans qu'il soit requis que cetEtat exerce un controle effectif en dehors de son territoire. Par sonarret Drozd et Janousek c. France et Espagne du 26 juin 1992, apres avoiradmis que la Convention europeenne des droits de l'homme ne trouvait pasà s'appliquer sur le territoire d'Andorre - nonobstant sa ratificationpar la France et l'Espagne - , elle a decide que « ce constat nedispense pas la Cour de rechercher si les requerants [qui invoquaient laviolation du droit à un proces equitable devant une juridictionandorrane] ont releve de la `juridiction' de la France ou de l'Espagne, ausens de l'article 1er, (...) de la Convention, à cause de leurcondamnation par un tribunal andorran.
(...)
Le terme `juridiction' ne se limite pas au territoire national des HautesParties contractantes ; leur responsabilite peut entrer en jeu en raisond'actes emanant de leur organe et deployant leurs effets en dehors duditterritoire (...). Il s'agit en l'occurrence de determiner si les actesincrimines par messieurs Drozd et Janousek sont imputables à la France,à l'Espagne ou aux deux, bien que non accomplis sur le sol de cesEtats » (S:S: 90 et 91).
La Cour europeenne decide par ailleurs que « le fait que la situationfactuelle ou juridique (...) est en partie imputable à un Etat tiersn'est pas à lui seul decisif quand il s'agit de determiner la`juridiction' de l'Etat defendeur » (arret Andrejeva c. Lettonie, 18fevrier 2009, S: 56).
La Cour considere aussi qu'un Etat contractant peut etre tenu pourresponsable des actes ou des omissions qui lui sont imputables et quidonnent lieu à une allegation de violation des droits et libertes enoncespar la Convention (arret Stephens v. Malta, 21 avril 2009, S: 48 ; arretIlascu et autres c. Moldavie et Russie, 8 juillet 2004, S: 311).
En l'espece, le refus de solliciter l'extradition emane d'un organe del'Etat belge et est donc imputable à ce dernier bien qu'il deploie seseffets en dehors du territoire de la Belgique. Il constitue un acte denature à engager la responsabilite internationale de l'Etat belge, desorte qu'il s'analyse en l'exercice par la Belgique de son pouvoir dejuridiction sur le demandeur.
Cet acte est des lors susceptible d'engager la responsabilite de l'Etatbelge au regard des obligations decoulant des articles 3 et 5 de laConvention, quand bien meme il consiste en un refus d'agir de la part dela Belgique et non en une participation active.
Il s'ensuit qu'en decidant que le demandeur ne releve pas de lajuridiction de l'Etat belge au motif qu'il n'est pas demontre que lesorganes de cet Etat participeraient activement à sa detention ni quel'Etat belge exercerait un controle effectif à Guantanamo, l'arretattaque viole l'article 1er de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales en y inscrivant une exigence qui n'yfigure pas, des lors que la responsabilite d'un Etat Partie peut etreengagee en raison d'actes ou d'omissions emanant de leurs organes etdeployant leurs effets en dehors de leur territoire.
Troisieme branche
L'arret decide que l'Etat belge exerce un pouvoir de juridiction sur ledemandeur dans le cadre du proces pendant devant le tribunal correctionnelde Bruxelles mais qu'il ne s'en deduit pas qu'« en dehors du cadre de celitige », les obligations que portent les articles 3 et 5 de laConvention europeenne de sauvegarde des droits de l'homme peseraient surl'Etat belge.
Ainsi que le constate l'arret attaque, le parquet federal a demande auministre de la Justice de transmettre aux autorites americaines unedemande d'extradition du demandeur « afin de (lui) permettre (...) decomparaitre devant le tribunal correctionnel de [Bruxelles] pour y etrerejug(e) ».
Le refus du ministre de demander cette extradition s'inscrit donc « dansle cadre du proces penal actuellement pendant ».
Independamment de la question abordee dans la deuxieme branche du moyen,des lors que la demande d'extradition sollicitee par le parquet federal apour but de permettre au demandeur de comparaitre devant le tribunalcorrectionnel à la suite de l'opposition qu'il a formee contre sacondamnation par defaut, la cour d'appel n'a pu, sans violer l'article 1erde la Convention europeenne de sauvegarde des droits de l'homme, deciderque la demande dont elle est saisie par le demandeur ne s'inscrit pas dansle pouvoir de juridiction de l'Etat belge, que ce soit dans le cadre durespect de l'article 6 de la Convention ou dans celui des articles 3 et 5de cette Convention.
Il s'ensuit que l'arret attaque viole tant l'article 1er que les articles3 et 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales.
Deuxieme moyen
Dispositions legales violees
- articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre 1950 et approuveepar la loi du 13 mai 1955 ;
- article 584 du Code judiciaire ;
- article 144 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque dit non fonde l'appel du demandeur dirige contrel'ordonnance par laquelle le tribunal de premiere instance s'est declaresans juridiction pour connaitre de ses demandes par tous ses motifsreputes ici integralement reproduits et specialement par les motifs que :
« 19. Ainsi qu'il vient d'etre dit, [les demandeurs] peuvent assurementdemander le respect de l'article 6 de la Convention, combine avecl'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques, devant le tribunal correctionnel de Bruxelles, ce quiimplique, notamment, que [les demandeurs] ne pourraient etre juges enetant prives (...) du droit de prendre connaissance de toute piece ouobservation presentee au juge en vue d'influencer sa decision et de ladiscuter, (...) du droit de comparaitre en personne et d'etre entendus parle tribunal des lors qu'il sera amene à etudier dans son ensemble laquestion de leur culpabilite ou de leur innocence, (...) du temps et desfacilites necessaires à la preparation de leur defense (...).
Ces droits paraissent, prima facie, empecher la poursuite du procesactuellement pendant devant le tribunal correctionnel de Bruxelles.Cependant, des lors qu'aucun obstacle ne s'oppose au report de la causejusqu'à ce que leur respect effectif puisse etre garanti, des remisessuccessives ayant ete accordees jusqu'à present, ils n'obligent pasl'Etat belge à demander l'extradition [des demandeurs] aux Etats-Unisd'Amerique.
Certes, [les demandeurs] puisent egalement dans l'article 6 de laConvention le droit d'etre juges dans un delai raisonnable. Cependant,cette garantie n'oblige pas, non plus, l'Etat belge à demander leurextradition.
En effet, c'est au tribunal correctionnel saisi de leur opposition qu'ilreviendra de decider si [les demandeurs] ont ete juges dans un delairaisonnable puisque, selon la jurisprudence de la Cour europeenne, lecalcul de ce delai commence à partir de la date à laquelle l'accusationa ete formulee par l'autorite competente et court jusqu'à la decisiondefinitive au fond mettant fin à la procedure et qu'il faut tenir comptede la complexite de l'affaire, du comportement [des demandeurs], de celuides autorites judiciaires et des enjeux du litige.
C'est egalement au tribunal correctionnel qu'il appartiendra de deciderdes consequences du depassement eventuel du delai raisonnable, selon qu'ilconstatera qu'il a eu une influence sur l'administration de la preuve ousur l'exercice des droits de la defense ou selon qu'il estimera devoirfaire application de l'article 21ter du titre preliminaire du Code deprocedure penale, le respect du principe general du droit à un procesequitable s'appreciant au regard de l'ensemble de la procedure (...).
Certes, il s'agit de sanctions a posteriori, et non de mesures destineesà prevenir le depassement eventuel du delai raisonnable. Cependant, il neresulte pas de la Convention et de la jurisprudence de la Cour europeenneque les Etats seraient tenus d'offrir aux justiciables des mesuresdestinees à prevenir le depassement du delai raisonnable. Aucunedisposition de la Convention n'empeche que `le legislateur national ou lejuge national determine la consequence qui doit resulter du depassement dudelai raisonnable, sous reserve que cette consequence soit adaptee enfonction des circonstances de la cause' et que l'instance nationale quiconstate le depassement du delai raisonnable propose une reparation endroit adequate (...).
20. Il suit de ce qui precede que la demande principale [des demandeurs]ne releve pas du pouvoir de juridiction des cours et tribunaux, enl'absence d'un droit subjectif dans leur chef qui contraindrait l'Etatbelge à demandeur leur extradition ».
Griefs
Le demandeur faisait valoir en conclusions que :
« (Le defendeur) reconnait qu'il existe un lien juridictionnel avec [lesdemandeurs] au titre de l'article 6 de la Convention europeenne des droitsde l'homme. La decision du ministre prive de tout effet utile cettedisposition directement applicable de droit international alors que le`but de la Convention europeenne des droits de l'homme consiste àproteger des droits de defense non pas theoriques ou illusoires, maisconcrets et effectifs, eu egard au role eminent que le droit à un procesequitable joue dans une societe democratique et à son caractereessentiel'. [Les demandeurs] rappellent que la Convention europeenne desdroits de l'homme implique non seulement des obligations negatives maisegalement positives, notamment au regard de l'article 6 de la Convention,c'est-à-dire l'obligation `de prendre les mesures appropriees pourassurer le respect effectif de ces droits et libertes'. La responsabilited'un Etat Partie peut etre engagee tant pour ses actions que pour sesomissions d'agir, pour les obstacles de droit mais egalement les obstaclesde fait qu'il pose à la jouissance d'un droit fondamental ».
Il articulait egalement que « le tribunal correctionnel n'a pas lacompetence pour enjoindre au ministre de la Justice de faire cesserl'atteinte aux droits fondamentaux [des demandeurs]. L'intervention de lacour [d'appel] est necessaire pour mettre un terme aux violationsmanifestes des droits les plus fondamentaux [des demandeurs] ».
Ainsi que le releve l'arret attaque aux termes de la motivation reprise aumoyen, l'article 584 du Code judiciaire, combine à l'article 144 de laConstitution, donne aux cours et tribunaux statuant en refere lacompetence de faire cesser toute atteinte à un droit subjectif.
L'arret releve egalement que « [les demandeurs] puisent (...) dansl'article 6 de la Convention le droit d'etre juges dans un delairaisonnable ».
Saisie de la demande introduite en refere tendant à faire cesserl'atteinte au droit d'etre juge dans un delai raisonnable, la cour d'appelne pouvait, sans violer les articles 6 et 13 de la Convention europeennedes droits de l'homme, l'article 584 du Code judiciaire et l'article 144de la Constitution, se declarer sans juridiction pour examiner un eventueldepassement du delai raisonnable et ordonner les mesures requises afin d'yremedier.
La Cour europeenne des droits de l'homme decide que l'atteinte portee audroit d'etre juge dans un delai raisonnable peut etre constatee etsanctionnee dans le cours de la procedure sans attendre la decisiondefinitive du juge du fond (voy., not., Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre1993, serie A,
nDEG 275, S: 36 ; Strategies et communications etDumoulin c. Belgique, 15 juillet 2002, J.L.M.B., 2002, p. 1406).
Dans ce cadre, elle decide qu'un recours permettant de faire accelerer laprocedure afin d'empecher la survenance d'une duree excessive constitue lasolution la plus efficace. Un tel recours presente, decide-t-elle, unavantage incontestable par rapport à un recours uniquement indemnitairecar il evite egalement d'avoir à constater des violations successivespour la meme procedure et ne se limite pas à agir uniquement a posterioricomme le fait un recours indemnitaire (Scordino c. Italie, 29 mars 2006,S: 183 ; Su:rmeli c. Allemagne, 8 juin 2006, S: 100).
En decidant qu'elle est sans juridiction pour connaitre de la demande dudemandeur au motif que « c'est egalement au tribunal correctionnel qu'ilappartiendra de decider des consequences du depassement eventuel du delairaisonnable », la cour d'appel viole l'article 144 de la Constitution quiconsacre le ressort exclusif des tribunaux pour les contestations qui ontpour objet des droits civils, l'article 584 du Code judiciaire en vertuduquel le president du tribunal de premiere instance statue au provisoiredans les cas dont il reconnait l'urgence, en toutes matieres, sauf cellesque la loi soustrait au pouvoir judiciaire et les articles 6 et 13 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales en se deniant le droit de sanctionner preventivementl'atteinte au droit d'etre juge dans un delai raisonnable.
Troisieme moyen
Dispositions legales violees
- articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1999 relative à la motivationformelle des actes administratifs ;
- article 584 du Code judiciaire ;
- article 144 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque dit non fonde l'appel du demandeur dirige contrel'ordonnance par laquelle le tribunal de premiere instance s'est declaresans juridiction pour connaitre de ses demandes par tous ses motifsreputes ici integralement reproduits et specialement par les motifs que :
«21. [Les demandeurs] demandent, à titre subsidiaire, d'ordonner àl'Etat belge d'adopter une decision autrement motivee tenant compte desmotifs de l'arret à intervenir, dans les trois jours de la significationde l'arret, sous peine d'une astreinte de 250 euros par jour de retard, etcondamnant l'Etat belge aux depens des deux instances.
Certes, dans sa decision de refus, le ministre invoque, pour justifierl'inutilite de demander l'extradition [des demandeurs], l'article 12, S:2, de la Convention d'extradition entre le royaume de Belgique et les Etats-Unis d'Amerique, precitee `qui permet aux Etats-Unis d'ajourner laremise des interesses lorsqu'ils doivent encore satisfaire à la justiceamericaine et jusqu'à ce qu'ils aient satisfait à celle-ci', alors qu'ilressort du dossier administratif, et notamment du compte rendu dejà citede la reunion du 27 janvier 2010 entre le ministre de la Justice etl'envoye special du president Obama, que les Etats-Unis d'Ameriquen'entendent nullement, pour le cas ou une demande d'extradition leurserait adressee, ajourner la remise [des demandeurs] mais, bien aucontraire, qu'ils souhaitent que l'Etat belge demande leur extradition ouqu'il marque son accord sur une procedure simplifiee.
Cependant, pour les motifs qui precedent et parce qu'ils ne disposent pasdu droit de demander eux-memes leur extradition ni d'un droit subjectifqui leur permettrait de contraindre le ministre à prendre une nouvelledecision en reponse à la demande formee par le parquet federal, cettedemande ne releve pas du pouvoir de juridiction de la cour d'appel ».
Griefs
Le demandeur avait articule dans ses conclusions d'appel qu'il invoquait,à titre subsidiaire, un droit distinct de ceux qu'il puise dans laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales : l'obligation d'une motivation formelle adequate des actesadministratifs que portent les articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.
La cour d'appel constate qu'en vertu de l'article 12, S: 2, de laConvention d'extradition entre le royaume de Belgique et les Etats-Unisd'Amerique, ces derniers peuvent « ajourner la remise des interesseslorsqu'ils doivent encore satisfaire à la justice americaine et jusqu'àce qu'ils aient satisfait à celle-ci ». [Cette] cour constate egalementque le ministre invoque dans la motivation de sa decision de refus d'unedemande d'extradition cet article de la Convention d'extradition « pourjustifier l'inutilite de demander l'extradition [des demandeurs] » alorsque, releve encore la cour, « il ressort du dossier administratif, etnotamment du compte rendu dejà cite de la reunion du 27 janvier 2010entre le ministre de la Justice et l'envoye special du president Obama,que les Etats-Unis d'Amerique n'entendent nullement, pour le cas ou unedemande d'extradition leur serait adressee, ajourner la remise [desdemandeurs] mais, bien au contraire, qu'ils souhaitent que l'Etat belgedemande leur extradition ou qu'il marque son accord sur une proceduresimplifiee ».
La cour d'appel decide neanmoins que la demande du demandeur tendant aurespect de l'obligation d'une motivation formelle adequate des actesadministratifs ne releve pas de son pouvoir de juridiction aux motifs quele demandeur ne dispose pas du droit de demander son extradition ni d'undroit subjectif qui lui permettrait de contraindre le ministre de prendreune nouvelle decision.
La question si le demandeur dispose d'un droit subjectif tendant àobtenir son extradition (ce que le demandeur ne soutenait pas enconclusions devant la cour d'appel) est etrangere à la motivation de ladecision de refus.
Le demandeur puise dans les articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991le droit subjectif à une motivation adequate de la decision de refus, desorte qu'en se declarant sans juridiction pour connaitre de cette demandesubsidiaire, la cour d'appel viole les articles 2 et 3 de la loi du 29juillet 1991 mais egalement l'article 144 de la Constitution et l'article584 du Code judiciaire en vertu duquel le president du tribunal depremiere instance statue au provisoire dans les cas dont il reconnaitl'urgence, en toutes matieres, sauf celles que la loi soustrait au pouvoirjudiciaire.
B. Pourvoi inscrit au role general sous le numero C.13.0493.F
Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, le demandeur presente trois moyens.
III. La decision de la Cour
A. Jonction des causes
Les pourvois inscrits sous les numeros de role general C.13.0492.F etC.13.0493.F sont diriges contre le meme arret. Il y a lieu de les joindre.
B. Sur le pourvoi inscrit au role general sous le numero C.13.0492.F
Sur le premier moyen :
Quant à la premiere et à la troisieme branche :
L'article 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales dispose que les Hautes Parties contractantesreconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits etlibertes definis au titre 1er de cette convention.
Dans les arrets Bankovic et autres c. Belgique et autres du 12 decembre2001 et Andrejeva c. Lettonie du 18 fevrier 2009, la Cour europeenne desdroits de l'homme considere que la question de savoir si un individu« releve de la juridiction » d'un Etat contractant et celle de savoir« s'il peut etre repute `victime' d'une violation par cet Etat d'un droitgaranti par la Convention » constituent deux conditions de recevabiliteseparees et distinctes.
Il s'ensuit que, lorsqu'une personne reproche à un Etat contractant laviolation d'un droit garanti par la Convention, elle doit etablirprealablement qu'elle releve de la juridiction de cet Etat pour les faitsau sujet desquels elle denonce cette violation.
L'arret attaque releve que le demandeur allegue qu'il subit destraitements inhumains et degradants à Guantanamo, ou il demeure detenusans avoir ete juge et sans faire l'objet d'aucune charge precise.
L'arret considere que, sauf pour ce qui concerne le proces penalactuellement pendant à son encontre devant le tribunal correctionnel deBruxelles, le demandeur ne releve pas de la juridiction du defendeur auxmotifs, d'une part, qu'il ne se trouve pas « sur le territoire [dudefendeur] » et, d'autre part, qu'il n'est pas demontre en l'espece quedes organes [du defendeur] participeraient activement à la detention [dudemandeur] à Guantanamo, ni que [le defendeur] exercerait un controleeffectif en ce lieu ».
Ainsi l'arret justifie legalement sa decision que le demandeur ne relevepas de la juridiction du defendeur pour ce qui concerne la violationalleguee des articles 3 et 5 de la Convention en raison de sa detention àGuantanamo, meme s'il releve de la juridiction du defendeur pour le procespenal pendant devant un tribunal belge et peut demander dans le cadre dece proces le respect de l'article 6 de la Convention.
Quant à la deuxieme branche :
L'arret enonce que « la responsabilite d'un Etat contractant peut etreengagee en dehors de son territoire à raison d'actes accomplis dans unEtat tiers, soit parce qu'ils emanent de ses propres organes ou depersonnes placees sous son autorite et son controle, soit parce qu'ilssont accomplis sur un territoire sur lequel il exerce un controleeffectif ».
L'arret, qui considere ensuite, sur la base d'une appreciation en fait deselements de la cause, qu'« il n'est pas demontre en l'espece que desorganes [du defendeur] participeraient activement à la detention [dudemandeur] à Guantanamo, ni que [le defendeur] exercerait un controleeffectif en ce lieu », justifie legalement sa decision que le demandeurne releve pas de la juridiction du defendeur en ce qu'il invoque laviolation des articles 3 et 5 de la Convention quant à sa detention àGuantanamo.
Le moyen, en aucune de ses branches, ne peut etre accueilli.
Sur le deuxieme moyen :
Apres avoir considere que le demandeur peut « assurement demander lerespect de l'article 6 de la Convention [...] devant le tribunalcorrectionnel de Bruxelles », que « [le demandeur puise] egalement dansl'article 6 de la Convention le droit d'etre juge dans un delairaisonnable », que « c'est au tribunal correctionnel saisi de [son]opposition qu'il reviendra de decider si [le demandeur a ete juge] dans undelai raisonnable » et « des consequences du depassement eventuel [de cedelai] » mais « qu'il ne resulte pas de la Convention et de lajurisprudence de la Cour europeenne que les Etats seraient tenus d'offriraux justiciables des mesures destinees à prevenir le depassement du delairaisonnable », l'arret decide que la garantie du delai raisonnablen'oblige pas le defendeur à demander l'extradition du demandeur.
Le moyen, qui repose sur l'affirmation que la cour d'appel s'est declareesans juridiction pour examiner un eventuel depassement du delairaisonnable et ordonner les mesures requises afin d'y remedier, proceded'une interpretation inexacte de l'arret, partant, manque en fait
Sur le troisieme moyen :
Les articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1999 relative à la motivationformelle des actes administratifs ne donnent pas à la cour d'appel lepouvoir d'imposer à une autorite administrative de modifier la motivationde sa decision pour se conformer aux motifs d'un arret rendu par cettecour.
L'arret, qui declare la cour d'appel sans juridiction pour ordonner auministre de la Justice de modifier la motivation de sa decision refusantl'extradition du demandeur afin de « [tenir] compte des motifs del'arret à intervenir », est legalement justifie.
Le moyen ne peut etre accueilli.
C. Sur le pourvoi inscrit au role general sous le numero C.13.0493.F
Sur l'ensemble des moyens :
Pour les motifs enonces en reponse aux trois moyens identiques invoques àl'appui du pourvoi C.13.0492.F, le premier moyen, en aucune de sesbranches, ne peut etre accueilli, le deuxieme moyen manque en fait et letroisieme moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Joint les pourvois inscrits au role general de la Cour sous les numerosC.13.0492.F et C.13.0493.F ;
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux depens de son pourvoi.
Les depens taxes, dans la cause C.13.0492.F, à la somme de cent neufeuros cinq centimes en debet envers la partie demanderesse et à la sommede sept cent soixante euros trente-quatre centimes envers la partiedefenderesse, et, dans la cause C.13.0493.F, à la somme de cent neufeuros cinq centimes en debet envers la partie demanderesse et à la sommede sept cent soixante euros trente-quatre centimes envers la partiedefenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillers DidierBatsele, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du dix-huit septembre deux mille quinze parle president de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat generalJean-Franc,ois Leclercq, avec l'assistance du greffier PatriciaDe Wadripont.
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| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
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| M. Delange | D. Batsele | A. Fettweis |
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18 SEPTEMBRE 2015 C.13.0492.F-
C.13.0493.F/1