Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG F.14.0177.F
E. H.,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maitre Jacques Malherbe, avocat au barreau deBruxelles, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard del'Empereur, 3, ou il est fait election de domicile,
contre
ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 19 mars 2014par la cour d'appel de Liege.
Le 31 juillet 2015, le premier avocat general Andre Henkes a depose desconclusions au greffe.
Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport et le premier avocat generalAndre Henkes a ete entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse presente quatre moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions legales violees
- article 32 de la Constitution ;
- articles 4 à 6 de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicite del'administration ;
- articles 871 et 877 du Code judiciaire ;
- principe d'ordre public de la loi fiscale ;
- article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales (droit à un proces equitable et à l'egalite desarmes).
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate, faisant sien la relation des « faits et antecedentsde procedure » [du premier juge], que l'avertissement-extrait de rolementionne comme date d'envoi le 6 janvier 2000 mais ne porte pas de dated'executoire du role, que le contribuable s'interroge sur la dateeffective de l'enrolement et qu'il sollicite que lui soit donnee copie durole ou du recapitulatif du role, la cotisation pouvant, le cas echeant,etre prescrite,
[l'arret] decide « qu'il n'est pas prouve que la date [de l']executoiredu role figurant sur l'extrait serait antidatee et constitutive d'un faux,[la demanderesse] n'apportant aucun element de nature à etayer cettepretention ».
Griefs
Premiere branche
L'article 32 de la Constitution dispose que chacun a le droit de consulterchaque document administratif et de s'en faire remettre copie, sauf dansles cas et conditions fixes par la loi, le decret ou la regle visee àl'article 134.
Ce principe se trouve traduit dans la loi du 11 avril 1994 relative à lapublicite de l'administration, dont l'article 4 reprend le droit dujusticiable de recevoir communication d'un document sous forme de copiepour autant qu'il justifie d'un interet et dont l'article 6 prevoit lerejet de la demande de communication sous forme de copie par l'autoriteadministrative si elle constate que l'interet de la publicite ne l'emportepas sur la protection de l'un des interets enumeres. En l'espece, aucunede ces exclusions ne trouve à s'appliquer.
Il ressort de ces dispositions que le contribuable a le droit d'obtenircopie du role afin d'en verifier la date d'etablissement.
En l'espece, la demande du contribuable visait à verifier la date àlaquelle le role a ete rendu executoire dans un contexte ou,manifestement, l'administration fiscale a enrole l'impot en fin de periodeimposable. Ce n'est pas le role en lui-meme qui est en cause, mais lapreuve de l'exactitude de la date à laquelle l'enrolement de lacotisation litigieuse a ete rendu executoire par le fonctionnaire habiliteà cet effet. La verification demandee par le contribuable pouvait etresatisfaite par la production, par [le defendeur], d'une copie certifieeconforme du role.
A cet egard, obliger le contribuable à mettre en oeuvre la procedurelourde de l'inscription en faux est excessif au regard de la demandeformulee de verification alors que les dispositions de droit communmentionnees ci-avant permettent la verification d'un element essentiel del'imposition.
Des lors, en justifiant sa decision de refuser de controler la date àlaquelle le role a ete rendu executoire par le fonctionnaire competent[par] le fait que la procedure d'inscription en faux n'a pas ete [engagee]par la demanderesse, alors que les dispositions legales relatives au droitd'obtenir copie de son dossier administratif doivent permettre lacommunication de la piece demandee, [l'arret] viole l'article 32 de laConstitution, lu seul ou en relation avec l'article 4 (et l'article 6) dela loi du 11 avril 1994 relative à la publicite de l'administration,ainsi que l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales garantissant le droit à un proces equitablepuisqu'une procedure excessive par rapport à la demande est imposee aucontribuable s'il doit [s'inscrire en faux].
Seconde branche
La loi fiscale est d'ordre public. La cotisation doit etre etablie dans ledelai legal.
En n'ordonnant pas [au defendeur], par application des articles 871 et 877du Code judiciaire, de produire les elements de preuve dont [il] disposeet, partant, de deposer au dossier de la procedure tout document contenantla preuve d'un fait pertinent ou une copie de celui-ci certifiee conforme,la cour d'appel a viole [ces] dispositions [legales].
Deuxieme moyen
Dispositions legales violees
- principes generaux du droit de bonne administration, specialement droità la securite juridique et à la confiance legitime ;
- article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales ;
- articles 170 et 172 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
Des l'entree en vigueur de la convention franco-belge preventive desdoubles impositions du 10 mars 1964, l'administration fiscale a considereque les travailleurs residant dans la zone frontaliere franc,aise ettravaillant pour une institution, [tel] l'Institut scientifique de servicepublic en Region wallonne, dans la zone frontaliere [belge] etaient soumisau regime des travailleurs frontaliers. Ce n'est qu'à la fin des annees1990 que l'administration fiscale a modifie son point de vue et considereque la Belgique avait le pouvoir d'imposition. Elle a par consequent revuavec effet retroactif la situation des contribuables concernes.
L'arret considere que « les principes generaux de bonne administration nepeuvent etre invoques lorsqu'ils auraient pour effet de faire echec auxdispositions legales », que « le redevable ne peut tenter de seprevaloir d'un accord conclu avec un fonctionnaire, accord lui conferantdes avantages contraires aux dispositions legales », que « le principede l'annualite de l'impot [resultant de] l'article 360 du Code des impotssur les revenus 1992, combine avec le principe de [la] legalite de l'impotet [avec] le caractere d'ordre public dudit impot, a pour effet d'empecher[le juge] d'avoir egard à l'attitude anterieure de l'administration quantà l'application de dispositions legales quand il est question dedeterminer en droit et en fait la regularite d'une imposition etablie pourun exercice determine » et que « raisonner autrement reviendrait àcreer une inegalite entre les contribuables lorsque l'administration, malavertie ou par erreur, [a] mal applique la loi ».
Griefs
L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales dispose quetoute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.
Il ressort de la jurisprudence de la Cour europeenne des droits de l'hommeque le droit au respect des biens garanti par [cette disposition] comprendnotamment l'esperance legitime d'obtenir ou de conserver un bien si un telinteret presente une base suffisante en droit interne. En l'espece,l'esperance legitime repose sur l'application constante durant pres detrente ans d'une lecture des articles 10 et 11.3 [lire : 11.2] de laconvention franco-belge preventive des doubles impositions du 10 mars 1964[conferant] le pouvoir d'imposition, dans le cas d'espece, à la France.
Le droit au respect des biens suppose un juste equilibre entre lesexigences de l'interet general et les imperatifs de la protection desdroits fondamentaux de l'individu ; il doit y avoir un rapport raisonnablede proportionnalite entre les moyens employes et le but poursuivi.L'obligation financiere nee du prelevement d'impots peut leser la garantieconsacree par l'article 1er precite si elle impose à la personne en causeune charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à sa situationfinanciere (C.E.D.H., arret Imbert de Tremiolles c. France, 4 janvier2008, nos 25834/05 et 27815/05). La norme legale sur laquelle est basee laprivation de propriete doit etre suffisamment accessible, precise etprevisible dans son application (C.E.D.H., arret Guiso-Gallisay c. Italy,8 decembre 2005, nDEG 58858/00, points 82-83).
Une regle est previsible lorsqu'elle accorde une mesure de protectioncontre les interferences arbitraires des autorites publiques (C.E.D.H.,arret Centro Europa 7 S.r.l. and Di Stefano c. Italy [GC], 7 juin 2012,nDEG 38433/09, point 143). Une taxation retroactive ne peut etre appliqueeen principe qu'en vue de remedier à des deficiences techniques de la loi,en particulier lorsque la mesure peut etre justifiee par desconsiderations d'interet public (C.E.D.H., arret R. c. Hongrie, 2 juillet2013, nDEG 41838/11, points 37 et 39).
Ainsi, un changement de position administrative opere avec effetretroactif, alors que la position administrative anterieure a eteconstante et incontestee pendant une trentaine d'annees, porte uneatteinte disproportionnee aux attentes legitimes du contribuable et,partant, porte atteinte au droit à la propriete garanti par l'article 1erdu Premier Protocole additionnel precite ; cette atteinte est d'autantplus grande que le contribuable a subi l'imposition dans son Etat deresidence - à savoir la France - et que le changement de position del'administration fiscale belge conduit à une double imposition dont ilest incertain qu'elle puisse etre un jour corrigee, d'autant que laprocedure amiable conventionnelle prevue par l'article 24.3 de laconvention franco-belge preventive des doubles impositions du 10 mars 1964n'impose pas aux Etats contractants d'aboutir à l'elimination de ladouble imposition. A cet egard, on ne peut considerer qu'une applicationconstante, pendant pres de trente ans, d'un texte legal puisse etreconsideree comme une erreur ou une mauvaise connaissance du texte legalpermettant de justifier une application stricte du principe de [la]legalite de l'impot.
L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales a un effetdirect et [prime] les dispositions [de droit] interne ; la protectionfondamentale des biens doit etre assuree.
Ainsi, en modifiant avec effet retroactif une position administrativeappliquee de maniere constante durant pres de trente ans, [le defendeur] aporte atteinte aux attentes legitimes du contribuable et a, enconsequence, viole son droit à la protection des biens garanti parl'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales.
Troisieme moyen
Dispositions legales violees
- article 22 de la Convention du 10 mars 1964 entre la Belgique et laFrance tendant à eviter les doubles impositions et à etablir des reglesd'assistance administrative et juridique reciproque en matiere d'impotssur les revenus ;
- articles 26, 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit destraites du 16 decembre 1969 ;
- principe general du droit relatif à la primaute sur les dispositions dedroit national des dispositions du droit international conventionnel ayantun effet direct dans l'ordre juridique interne ;
* article 149 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
Pour decider que l'Institut scientifique de service public en Regionwallonne ne se livre pas à une « activite industrielle ou commerciale »au sens de l'article 10 de la Convention franco-belge preventive desdoubles impositions du 10 mars 1964, la cour d'appel s'est livree à uneinterpretation [de ces termes] sur la base de l'article 22 de laconvention, faisant reference au droit interne de l'Etat contractant, ets'est fondee sur un arret de la Cour de justice [des Communauteseuropeennes] suivant lequel « constituent des besoins d'interet generalayant un caractere autre qu'industriel ou commercial, (...) des besoinsqui, d'une part, sont satisfaits d'une maniere autre que par l'offre debiens ou de services sur le marche et que, d'autre part, pour des raisonsliees à l'interet general, l'Etat choisit de satisfaire lui-meme ou àl'egard desquels il entend conserver une influence determinante ».
Griefs
Premiere branche
En interpretant la Convention [franco-belge preventive des doublesimpositions du 10 mars 1964] par reference au droit interne et à unejurisprudence de la Cour de justice relative aux marches publics, la courd'appel a viole l'article 22 de cette convention, qui renvoie à lalegislation interne en matiere d'impots sur les revenus ; le texteconventionnel est clair et doit etre lu strictement.
L'article 22 precite dispose que tout terme non specialement defini dansla presente convention aura, à moins que le contexte n'exige une autreinterpretation, la signification que lui attribue la legislationregissant, dans chaque Etat contractant, les impots faisant l'objet de laconvention. Suivant l'article 2 de la meme convention, les impots visespar la convention sont les impots sur les revenus.
La legislation europeenne sur les marches publics ne fait pas partie de lalegislation nationale relative aux impots sur les revenus. En interpretantla convention par reference à cette legislation, la cour d'appel a viole[ledit] article 22.
Seconde branche
L'article 22 de [la Convention franco-belge preventive des doublesimpositions du 10 mars 1964] permet de s'ecarter de l'interpretation parreference à la legislation nationale en matiere d'impots sur les revenussi le contexte exige une autre interpretation. En l'espece, [à supposer]qu'il faille considerer que la cour d'appel [s'est] implicitement refereeau contexte pour renvoyer à une interpretation fondee sur la legislationdes marches publics - quod non -, [encore faudrait-il] constater que cerenvoi n'est pas motive et que le contexte n'impose pas un renvoi à lalegislation sur les marches publics.
Suivant l'article 31.2 de la Convention de Vienne sur le droit destraites, le contexte comprend, outre le texte, preambule et annexes inclus: a) tout accord ayant rapport au traite et qui est intervenu entre toutesles parties à l'occasion de la conclusion du traite ; b) tout instrumentetabli par une ou plusieurs parties à l'occasion de la conclusion dutraite et accepte par les autres parties en tant qu'instrument ayantrapport au traite. En l'espece, le contexte au sens de la convention nepermet pas une telle reference à la legislation sur les marches publics.On ne peut imaginer que les parties contractantes à une conventionfiscale conclue en 1964 aient pu considerer que le contexte renverrait àune legislation sur les marches publics.
Quand bien meme faudrait-il considerer que la notion d'activiteindustrielle ou commerciale, [sans] definition specifique [dans] lalegislation interne en matiere d'impots sur les revenus, [implique] de sereferer à une autre legislation nationale utilisant le concept,[serait-il] tout à fait discutable de retenir, en l'espece, lalegislation en matiere de marches publics. La notion d'entite soumise àla legislation sur les marches publics y est en effet determinee demaniere extensive puisque l'objectif de la legislation est de soumettre leplus grand nombre d'entites publiques à ces regles dans un butprotectionnel. Or, [...] un tel but n'est poursuivi ni par la legislationfiscale nationale ni par la convention franco-belge preventive des doublesimpositions. Au contraire, l'article 10 doit etre interprete strictement,d'autant qu'il traduit une exception [ à la] regle generale.
Il est contradictoire d'interpreter une convention fiscale de 1964 [enfonction d']une reglementation europeenne ulterieure et de refuser, parailleurs, à d'autres stades du raisonnement, de se referer auxcommentaires [du modele de convention fiscale concernant le revenu et lafortune de l'Organisation de cooperation et de developpement economiques(O.C.D.E.)] parce qu'ils sont posterieurs à ladite convention. Lacoherence impose de retenir soit une interpretation statique soit uneinterpretation evolutive, mais la combinaison des deux methodes aux finsde retenir une interpretation defavorable au contribuable (et donc encontradiction avec l'adage in dubio contra fiscum - en cas de doute contrele fisc -) ne peut etre retenue.
En outre, le caractere « industriel ou commercial » dans cettelegislation europeenne sur les marches publics est defini par rapport auxbesoins d'interet general vises par cette legislation specifique(C.J.C.E., arret BFI Holding, 10 novembre 1998, C-360/96, point 32),notion qui est absente du texte de l'article 10 de la conventionfranco-belge preventive des doubles impositions du 10 mars 1964.
On n'aperc,oit pas pourquoi cette reference à la legislation sur lesmarches publics devrait s'imposer de preference à une reference àd'autres legislations europeennes, telle, notamment, la legislation enmatiere de concurrence ou d'aides d'Etat. Ainsi, dans l'arret AmbulanzGlo:ckner, des organisations sanitaires fournissant des services sur lemarche du transport d'urgence et du transport de malades ont eteconsiderees comme des entreprises puisque « de telles activites n'ont pastoujours ete et ne sont pas necessairement exercees par de tellesorganisations ou par des autorites publiques » (C.J.C.E., 25 octobre2001, C-475/99, point 20).
La legislation europeenne comprend egalement une legislation fiscale, enmatiere de taxe sur la valeur ajoutee, dont il ressort que les organismespublics doivent etre assujettis à la taxe lorsqu'il exercent desactivites ayant un caractere economique, notion qui est definie au departd'un critere objectif, ou « l'activite est consideree en elle-meme,independamment de ses buts ou de ses resultats » et s'entend comme «englobant toutes les activites de producteur, de commerc,ant ou deprestataire de services, et notamment les operations comportantl'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en tirerdes recettes ayant un caractere de permanence. Une activite est ainsi, defac,on generale, qualifiee d'economique lorsqu'elle presente un caracterepermanent et est effectuee contre une remuneration perc,ue par l'auteur del'operation » (C.J.C.E., arret Go:tz, 13 decembre 2007, C-408/06, points17-18; arret Commission c. Pays-Bas, 26 mars 1987, C-235/85, point 8 ;arret University of Huddersfield, 21 fevrier 2006, C-223/03, point 47).
Si toutefois, la Cour devait considerer comme pertinente la reference àla legislation sur les marches publics, il conviendrait d'avoir egalementegard à la jurisprudence de la Cour de justice considerant commeoperateurs economiques pouvant soumissionner à des marches publics «non seulement toute personne physique ou morale, mais aussi, de maniereexplicite, (...) toute entite publique (et) groupements constitues par detelles entites qui offrent des services sur le marche. Or, la notiond'`entite publique' peut comprendre egalement des organismes qui nepoursuivent pas à titre principal une finalite lucrative, n'ont pas unestructure d'entreprise et n'assurent pas une presence continue sur lemarche ». De telles entites sont donc bien des operateurs economiques. Sil'on devait s'en tenir à la jurisprudence europeenne retenue par la courd'appel, il conviendrait d'en poursuivre la lecture, et de noter que la[Cour de justice] considere qu'il importe notamment de verifier sil'organisme en question exerce ses activites en situation de concurrence,l'existence d'une telle concurrence pouvant [...] constituer un indice[...] qu'un besoin d'interet general revet un caractere industriel oucommercial (C.J.C.E., arret BFI Holding, 10 novembre 1998, C-360/96,points 48 et 49).
Ainsi, en interpretant la notion d'activite industrielle ou commercialepar reference à la legislation europeenne en matiere de marches publics,la cour d'appel a meconnu le texte clair de l'article 22 de la conventionfranco-belge preventive des doubles impositions du 10 mars 1964.
En se basant sur la jurisprudence europeenne suivant laquelle des besoinsd'interet general n'ont pas de caractere industriel ou commercial s'ilssont satisfaits d'une maniere autre que par l'offre de biens ou deservices sur le marche et que, pour des raisons liees à l'interetgeneral, l'Etat choisit de satisfaire lui-meme ou à l'egard desquels ilentend conserver une influence determinante, pour conclure que l'Institutscientifique de service public en Region wallonne n'a pas d'activitesindustrielles ou commerciales, alors que l'Institut est directement enconcurrence avec le secteur prive pour une part de plus en plus importanteen volume d'activites et de recettes et qu'il ne jouit pas d'un monopole,en ce sens que la Region wallonne doit respecter les regles des marchespublics, la cour d'appel a fait une application erronee de la definitionqu'elle a retenue. En effet, l'article 3.2 des statuts de l'Institutscientifique de service public en Region wallonne precise que celui-ci «realise des prestations pour le secteur prive ou public, constituees detout essai, recherche, etude et analyse » ; dans ce cadre, l'Institutscientifique de service public en Region wallonne se trouve en concurrencedirecte avec des entreprises privees telles que AIB Vinc,otte, S.G.S.,[etc.]. Ainsi, l'Institut scientifique de service public en Regionwallonne offre des biens et des services sur le marche, se trouve dans uneposition concurrentielle, tant vis-à-vis des operateurs prives que deceux du secteur public.
Au contraire, retenir une interpretation du texte conventionnel fiscal enrelation avec sa raison d'etre, à savoir reserver le pouvoir d'impositionà l'Etat payeur de remunerations pour les prestations relatives à lapuissance publique rencontrerait les intentions des parties contractantes.A cet egard, les commentaires [du modele de convention fiscale del'Organisation de cooperation et de developpement economiques] de 1963rappellent que cette disposition a pour but de se conformer aux regles dela courtoisie internationale et du respect mutuel entre souverainetes ; laregle de courtoisie internationale est limitee aux actes relevant de lapuissance publique. Ce texte est une exception aux regles generales poseespar le traite fiscal et doit donc etre applique strictement.
Quatrieme moyen
Dispositions legales violees
- articles 10.1, 10.2, 11.2, c), et 22 de la Convention du 10 mars 1964entre la Belgique et la France tendant à eviter les doubles impositionset à etablir des regles d'assistance administrative et juridiquereciproque en matiere d'impots sur les revenus, modifiee, en ce quiconcerne l'article 11.2, c), par un avenant du 8 fevrier 1999 ;
- articles 26, 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit destraites du 16 decembre 1969 ;
- principe general du droit relatif à la primaute sur les dispositions dedroit national des dispositions du droit international conventionnel ayantun effet direct dans l'ordre juridique interne ;
- articles 10, 11, 149 et 172 de la Constitution (uniquement pour laseconde branche).
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate, en substance, que la demanderesse, residente fiscale[franc,aise], est employee de l'Institut scientifique de service public enRegion wallonne dont elle perc,oit des remunerations ; que, par lescotisations litigieuses, l'administration a impose ces remunerations àl'impot des non-residents belge pour les exercices d'imposition 1997 à2002 ; que la demanderesse soutient que cette imposition viole laConvention franco-belge preventive des doubles impositions, en particulierl'article 10 de cette convention, qui ne permet pas à la Belgiqued'imposer un resident fiscal franc,ais sur de telles remunerations,l'arret reforme la decision du premier juge et rejette le recours de lademanderesse contre les cotisations litigieuses.
[Il] fonde cette decision sur les motifs suivants :
« Le premier juge s'est mepris dans son raisonnement en ce qu'il a donneà l'article 10.1 [de la convention] une portee restrictive en limitant laportee du texte aux subdivisions politiques de l'Etat sur la base d'unargument de texte tire des termes `personnes morales de droit public decet Etat' et a tente d'interpreter l'article 10.1 à l'aide de [l'article10.2 de la meme convention] ;
Il a notamment base son raisonnement sur les commentaires administratifs[du modele de convention fiscale de l'Organisation de cooperation et dedeveloppement economiques] de 1963 et de 1977, alors que le texte de laconvention franco-belge differe de ce modele, l'article 10 de [l'une]etant substantiellement different de l'article 19 [de l'autre], ce qui estsouligne dans les commentaires de [cet] article 19 (modele O.C.D.E. 2008,p. 276) ».
Griefs
Premiere branche
L'article 10 de la Convention franco-belge preventive des doublesimpositions [du 10 mars 1964] determine le pouvoir d'imposition de laBelgique [sur] les remunerations qu'un resident fiscal [franc,ais] rec,oitde certains organismes belges de droit public ou assimiles.
L'article 10.1 confere à la Belgique le pouvoir d'imposer lesremunerations allouees à un resident fiscal [franc,ais] par (l'Etatbelge) ou par une personne morale de droit public de cet Etat ne selivrant pas à une activite industrielle ou commerciale.
L'article 10.2 permet aux Etats parties à la convention d'etendre cepouvoir d'imposition par accord de reciprocite aux remunerations dupersonnel d'organismes ou d'etablissements publics ou d'etablissementsjuridiquement autonomes constitues ou controles par l'un des Etatscontractants ou par les provinces et collectivites locales de cet Etat,meme si ces organismes ou etablissements se livrent à une activiteindustrielle ou commerciale.
L'article 10.1 attribue à la Belgique le pouvoir d'imposer lesremunerations allouees par l'Etat belge ou par une personne morale dedroit public de cet Etat. Ces deux expressions ne visent pas l'Institutscientifique de service public en Region wallonne, qui est un « organismejuridiquement autonome, constitue ou controle par l'un des Etatscontractants », vise par l'article 10.2 de la convention.
Aucun accord de reciprocite n'est intervenu entre la France et la Belgiqueen vue d'etendre aux organismes vises à l'article 10.2, la disposition del'article 10.1.
L'arret, qui constate que les remunerations litigieuses ont ete alloueespar un tel organisme, [ne justifie donc pas legalement sa decision] que laBelgique a le pouvoir d'imposer ces remunerations sur la base de l'article10.1 de la convention (violation de cette disposition telle qu'approuveepar la loi du 14 avril 1965 et violation de celle-ci et, pour autant quede besoin, des autres dispositions et principes vises en tete du moyen).
Seconde branche
L'application de l'article 10.1 de la Convention franco-belge preventivedes doubles impositions du 10 mars 1964 est exclue dans le cas ou lapersonne morale de droit public exerce une activite industrielle oucommerciale.
La notion d'activite industrielle ou commerciale au sens de l'article 10.1de la convention franco-belge precitee n'est pas definie. Cette notionn'existe pas en tant que telle dans la legislation [sur les] impots surles revenus. La notion d'activite industrielle ou commerciale ne doit pasetre confondue avec la notion de but de lucre ou encore avec la notiond'acte de commerce au sens de [la] loi commerciale [belge]. II s'agitd'une notion autonome, qui requiert d'examiner le mode de gestion del'entite consideree.
[L'arret] constate que « l'action de l'Institut scientifique de servicepublic en Region wallonne se developp(e) en appui technique à la Regionwallonne (...) et se deroul(e) sous le controle du gouvernement de laRegion wallonne qui en etablit le budget annuel, autorise les depassementsde credit, controle les comptes soumis au controle de la Cour des comptes», pour en deduire que [l'Institut] n'a pas d'activites industrielles oucommerciales.
Or, ainsi qu'en attestent ses statuts, l'Institut scientifique de servicepublic en Region wallonne exerce bel et bien des activites d'analyse etd'expertise au profit d'operateurs prives et publics et se trouve presentsur le marche en concurrence avec d'autres entreprises ; l'Institutscientifique de service public en Region wallonne a donc bien desactivites industrielles ou commerciales au sens de la convention. A cetitre, l'Institut scientifique de service public en Region wallonne nepourrait beneficier de subsides publics, qui seraient consideres comme desaides d'Etat prohibees par les traites europeens.
L'article 10.1 de la Convention franco-belge preventive des doublesimpositions du 10 mars 1964 exclut de son champ d'application les entitespubliques ayant une activite industrielle ou commerciale. Ce texte n'exigepas que l'entite ait une activite exclusivement de type industriel oucommercial ; son application est exclue des lors que l'entite consideree ades activites de nature industrielle ou commerciale et cela, quelle qu'ensoit l'importance par rapport au chiffre d'affaires global de laditeentite.
Partant, [l'arret], par les motifs precites, ne justifie pas legalement sadecision que les remunerations litigieuses ont ete allouees par unorganisme public n'exerc,ant pas une activite commerciale et que laBelgique a des lors le pouvoir de les imposer en vertu de l'article 10.1de la convention franco-belge (violation de cette disposition tellequ'approuvee par la loi du 14 avril 1965 et violation de celle-ci et, pourautant que de besoin, des autres dispositions visees en tete du moyen).
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant aux deux branches reunies :
D'une part, l'arret constate, par reference à l'expose des faits dupremier juge, qu'outre la date de son envoi, le 6 janvier 2000,l'avertissement-extrait de role relatif à l'exercice d'imposition 1997« porte la date du23 decembre 1999 pour l'executoire ».
D'autre part, il ne ressort ni de l'arret ni des autres pieces de laprocedure que, s'interrogeant sur la date effective de l'enrolement, lademanderesse ait demande la production d'une copie du role ou durecapitulatif du role.
Le moyen, qui, en ces branches, repose tout entier sur des premissesinexactes, manque en fait.
Sur le deuxieme moyen :
Le moyen, qui ne critique pas l'arret mais fait grief au defendeur d'avoirviole l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales enmodifiant retroactivement la position de son administration, estirrecevable.
Sur le quatrieme moyen :
Quant à la premiere branche :
Aux termes de l'article 10.1 de la Convention du 10 mars 1964 entre laBelgique et la France tendant à eviter les doubles impositions et àetablir des regles d'assistance administrative et juridique reciproque enmatiere d'impots sur les revenus, les remunerations allouees sous forme detraitements, salaires, appointements, soldes et pensions par l'un desEtats contractants ou par une personne morale de droit public de cet Etatne se livrant pas à une activite industrielle ou commerciale, sontimposables exclusivement dans ledit Etat.
En vertu de l'article 10.2 de la meme convention, cette disposition pourraetre etendue par accord de reciprocite aux remunerations du personneld'organismes ou etablissements publics ou d'etablissements juridiquementautonomes constitues ou controles par l'un des Etats contractants ou parles provinces et collectivites locales de cet Etat, meme si ces organismesou etablissements se livrent à une activite industrielle ou commerciale.
Il s'ensuit que les Etats contractants peuvent decider, de commun accord,d'appliquer la regle de l'article 10.1 à des personnes morales de droitpublic qui se livrent à une activite industrielle ou commerciale et qu'enl'absence d'accord, l'article 10.1 est applicable aux organismes ouetablissements enumeres à l'article 10.2 qui ne se livrent pas à uneactivite industrielle ou commerciale.
Le moyen qui, en cette branche, repose tout entier sur le soutenement que,par le seul fait qu'il entre dans une des categories d'organismes oud'etablissements visees à l'article 10.2 de la convention precitee, unorganisme juridiquement autonome constitue ou controle par l'un des Etatscontractants ne peut repondre à la notion de personne morale de droitpublic de cet Etat au sens de l'article 10.1, manque en droit.
Quant à la seconde branche :
Dans la mesure ou il ne precise pas en quoi l'arret aurait viole lesarticles 10, 11, 149 et 172 de la Constitution, le moyen, en cettebranche, est irrecevable.
Pour le surplus, l'article 10.1 de la Convention du 10 mars 1964 attribueà l'Etat belge le pouvoir exclusif d'imposer les remunerations alloueesà un resident fiscal franc,ais par une personne morale de droit publicbelge à la condition que celle-ci ne se livre pas à une activiteindustrielle ou commerciale.
Il ne suit pas de cette disposition que, pour relever de son champd'application, la personne morale de droit public ne puisse faire aucuneoperation de nature industrielle ou commerciale.
L'arret constate, d'une part, que « l'action de [l'Institut scientifiquede service public en Region wallonne] se developp[e] en appui technique àla Region wallonne (strategies, assistance à des laboratoires pour lamise en oeuvre de methodes de reference, observatoire de technologiesenvironnementales, recherches technologiques,...) et se deroul[e] sous lecontrole du gouvernement de la Region wallonne qui en etablit le budgetannuel, autorise les depassements de credit, controle les comptes soumisau controle de la Cour des comptes », d'autre part, que « lesprestations [que l'Institut effectue] pour le secteur prive sont largementminoritaires ».
Sur la base de ces constatations non critiquees, d'ou il ressort qu'auxyeux de la cour d'appel, l'Institut scientifique de service public enRegion wallonne n'a pu faire qu'accessoirement des operations de natureindustrielle ou commerciale, l'arret justifie legalement sa decision quel'Institut avait, pour les exercices d'imposition litigieux, la qualite depersonne morale de droit public ne se livrant pas à une activiteindustrielle ou commerciale.
Dans la mesure ou il est recevable, le moyen, en cette branche, ne peutetre accueilli.
Sur le troisieme moyen :
Quant aux deux branches reunies :
D'une part, les motifs, vainement critiques par le quatrieme moyen,fondent la decision de l'arret que les remunerations payees à lademanderesse par l'Institut scientifique de service public en Regionwallonne sont dans le champ d'application de l'article 10.1 de laConvention du 10 mars 1964.
Partant, dans la mesure ou, sans critiquer l'appreciation du caractereaccessoire des operations de nature industrielle ou commerciale quel'Institut aurait effectuees, il fait grief à l'arret de donner auxadjectifs qualificatifs
« industrielle ou commerciale » de cette disposition un sens que lesregles d'interpretation de l'article 22 de cette conventionn'autoriseraient pas, le moyen, qui, en ses deux branches, ne sauraitentrainer la cassation, est denue d'interet.
D'autre part, le moyen, en aucune de ses branches, ne precise en quoil'arret aurait viole l'article 149 de la Constitution.
Le moyen, en chacune de ses branches, est irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de cent vingt-deux euros quarante-cinqcentimes envers la partie demanderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillers DidierBatsele, Martine Regout, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du quatre septembre deux mille quinze par lepresident de section Albert Fettweis, en presence du premier avocatgeneral Andre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
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4 SEPTEMBRE 2015 F.14.0177.F/22