Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG P.15.0882.N
G. C.,
prevenu, libere sous conditions,
demandeur,
Me Eric Pringuet, avocat au barreau de Gand.
I. la procedure devant la cour
Le pourvoi est dirige contre un arret rendu le 18 juin 2015 par la courd'appel d'Anvers, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un memoire annexe au present arret,en copie certifiee conforme.
Le conseiller Alain Bloch a fait rapport.
L'avocat general delegue Alain Winants a conclu.
II. la decision de la cour
(...)
Sur le second moyen :
Quant à la premiere branche :
13. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 16, S:S:1er et 5, et 35, S: 2, de la loi du 20 juillet 1990 relative à ladetention preventive, ainsi que la meconnaissance de l'obligation demotivation : l'arret ne donne pas les motifs pour lesquels il impose commecondition le fait d'avoir un domicile fixe ; cette condition n'a aucunlien avec le danger de recidive ou de collusion ; le demandeur demande uncontrole marginal des faits.
14. L'article 35, S: 2, de la loi du 20 juillet 1990 dispose : « Toutesles decisions qui imposent une ou plusieurs conditions à l'inculpe ou auprevenu sont motivees, conformement aux dispositions de l'article 16, S:5, premier et deuxieme alineas. »
15. Il ne resulte pas de cette disposition que chaque condition imposee àl'inculpe ou au prevenu doit etre specifiquement motivee.
Dans la mesure ou il est deduit d'une autre premisse juridique, le moyen,en cette branche, manque en droit.
16. Pour le surplus, le moyen, en cette branche, impose à la Cour unexamen pour lequel elle est sans competence.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Quant à la deuxieme branche :
17. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 8 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, 22 de la Constitution, 16, S:S: 1er et 5, et 35, S:S: 2, 3et 5, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la detention preventive :l'arret meconnait le droit au respect de la vie privee et familiale, en cequ'il impose comme condition « de n'etre ni vouloir entrer directement ouindirectement en contact avec N. P. », à savoir son epouse ; cetterestriction de son droit au respect de la vie familiale, de son domicileet de sa correspondance n'est pas expressement prevue par la loi du 20juillet 1990 et n'est pas precise, accessible et previsible àsuffisance ; le demandeur demande un controle marginal des faits.
18. L'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertes fondamentales dispose : « 1. Toute personne a droit aurespect de sa vie privee et familiale, de son domicile et de sacorrespondance.
2. Il ne peut y avoir ingerence d'une autorite publique dans l'exercice dece droit que pour autant que cette ingerence est prevue par la loi etqu'elle constitue une mesure qui, dans une societe democratique, estnecessaire à la securite nationale, à la surete publique, au bien-etreeconomique du pays, à la defense de l'ordre et à la prevention desinfractions penales, à la protection de la sante ou de la morale, ou àla protection des droits et libertes d'autrui. »
En vertu de l'article 35, S:S: 1er et 5, de la loi du 20 juillet 1990, lesjuridictions d'instructions peuvent, d'office, sur requisition duministere public ou à la demande de l'inculpe, laisser l'interesse enliberte en lui imposant de respecter une ou plusieurs conditions pendantle temps qu'elles determinent et pour un maximum de trois mois.
En vertu de l'article 35, S:S: 2 et 5, de la loi du 20 juillet 1990,toutes les decisions qui imposent une ou plusieurs conditions à l'inculpeou au prevenu sont motivees.
De plus, en vertu de l'article 35, S: 3, de la loi du 20 juillet 1990, lesconditions doivent viser l'une des raisons enoncees à l'article 16, S:1er, alinea 4, et etre adaptees à cette raison, compte tenu descirconstances de la cause. Comme raisons, cette derniere dispositionenonce que le maximum de la peine applicable ne depasse pas quinze ans dereclusion, qu'il existe de serieuses raisons de craindre que l'inculpe,s'il etait laisse en liberte, commette de nouveaux crimes ou delits, sesoustraie à l'action de la justice, tente de faire disparaitre despreuves ou entre en collusion avec des tiers.
19. Les dispositions de la loi du 20 juillet 1990 sont des dispositionslegales precises, accessibles et previsibles qui consentent à l'ingerencedans l'exercice du droit à la vie privee et qui, dans une societedemocratique, sont necessaires à la prevention des infractions penales età la protection des droits et libertes d'autrui.
Dans la mesure ou il est deduit d'une autre premisse juridique, le moyen,en cette branche, manque en droit.
20. Le juge apprecie souverainement en fait quelles conditions sontnecessaires, eu egard aux motifs enonces à l'article 16, S: 1er, alinea4, de la loi du 20 juillet 1990.
Cependant, pour determiner les conditions de la liberation, il est nonseulement tenu d'observer les prescriptions de ladite loi du 20 juillet1990, mais, en outre, il ne peut infliger de conditions contraires auxdispositions conventionnelles supranationales qui ont un effet direct dansl'ordre juridique interne ou qui sont contraires à la Constitution, auxlois nationales ou aux principes generaux du droit, sans en motiverl'absolue necessite.
21. Les juges d'appel ont accorde la liberation du demandeur, notammentsous la condition suivante : « de n'etre ni vouloir entrer directement ouindirectement en contact avec N. P.... et, en cas de rencontre fortuite,rompre lui-meme spontanement le contact ».
Il ressort du mandat d'arret et de l'ordonnance dont appel auxquelsl'arret se refere pour justifier l'existence d'un danger de recidive et decollusion, des conclusions d'appel du demandeur et de l'arret que :
- l'arret (...) fixe les conditions pour eviter ledit danger de recidiveet de collusion ;
- le mandat d'arret mentionne le fait qu'une somme a ete versee àdiverses reprises par la societe privee à responsabilite limitee VanBavel sur le compte de l'epouse du demandeur, ce qui semble se produireafin de se voir confier des marches et eventuellement camoufler uneconstruction montee de toutes pieces ;
- en connaissance de cause, le demandeur a lui-meme suggere d'assortir saliberation de la condition de ne pouvoir entrer en contact avec despersonnes qui devraient encore etre interrogees ;
- l'arret fixe à trois mois la duree de ces conditions.
22. Par ces motifs qui demontrent la necessite des conditions infligees enraison du danger de recidive et de collusion precite, l'arret imposelegalement la condition enoncee sous le moyen, en cette branche, et ladecision de limiter, dans cette mesure, le droit du demandeur au respectde sa vie privee et familiale de son domicile et de sa correspondance, estlegalement justifiee.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
23. Pour le surplus, le moyen, en cette branche, critique la decision dujuge sur les faits ou impose à la Cour un examen des faits pour lequelelle est sans competence.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Quant à la troisieme branche :
24. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 11 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, 22 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques, 8 du Pacte international relatif aux droits economiques,sociaux et culturels, 27 de la Constitution, 16, S:S: 1er et 5, et 35,S:S: 1er, 2, 3 et 5, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la detentionpreventive, ainsi que des articles 1er et 2 de la loi du 24 mai 1921garantissant la liberte d'association : l'arret ordonne la liberation dudemandeur, sous l'obligation « de n'etre ni vouloir entrer directement ouindirectement en contact avec des personnes liees au SNPS ... et, en casde rencontre fortuite, meme rompre spontanement le contact » et« n'exercer aucune activite dans le cadre du SNPS et des associations ouASBL en lien avec celui-ci » ; ainsi, il porte atteinte au droitconstitutionnel fondamental du demandeur garantissant sa liberte dereunion et d'association ; la possibilite de restreindre ces droits n'estpas prevue dans la loi du 20 juillet 1990, l'article 35 de ladite loin'est, à tout le moins, pas precis, accessible et previsible àsuffisance ; les conditions privent le demandeur de son droit à uneassistance syndicale et entravent l'action du SNPS, associationprofessionnelle dont le demandeur assure la presidence ; le demandeurdemande le controle marginal des faits.
25. Les articles 11, S: 1er de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales, 22, S: 1er, du Pacte internationalrelatif aux droits civils et politiques, 8, S: 1er, a, premiere phrase, duPacte international relatif aux droits economiques, sociaux et culturelset 27 de la Constitution garantissent la liberte de reunion, d'associationet le droit de s'affilier à un syndicat.
Conformement aux articles 11, S: 2, de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertes fondamentales, 22, S: 2, du Pacteinternational relatif aux droits civils et politiques et 8, S: 1er, a,alinea 2, du Pacte international aux droits economiques, sociaux etculturels, la restriction dans l'exercice de ces droits est admise sicelle-ci est prevue par la loi et est necessaire, dans une societedemocratique, notamment à la protection des droits et libertes d'autrui.
En vertu de l'article 35, S:S: 1er et 5, de la loi du 20 juillet 1990, lesjuridictions d'instruction peuvent, d'office, sur requisition du ministerepublic ou à la demande de l'inculpe, laisser l'interesse en liberte enlui imposant de respecter une ou plusieurs conditions, pendant le tempsqu'elles determinent et pour un maximum de trois mois.
En vertu de l'article 35, S:S: 2 et 5, de cette meme loi, toutes lesdecisions qui imposent une ou plusieurs conditions à l'inculpe ou auprevenu sont motivees.
De plus, en vertu de l'article 35, S: 3, de la loi du 20 juillet 1990, lesconditions doivent viser l'une des raisons enoncees à l'article 16, S:1er, alinea 4, et etre adaptees à cette raison, compte tenu descirconstances de la cause. Comme raisons, cette derniere dispositionenonce que le maximum de la peine applicable ne depasse pas quinze ans dereclusion, qu'il existe de serieuses raisons de craindre que l'inculpe,s'il etait laisse en liberte, commette de nouveaux crimes ou delits, sesoustraie à l'action de la justice, tente de faire disparaitre despreuves ou entre en collusion avec des tiers.
26. Les dispositions de la loi du 20 juillet 1990 sont des dispositionslegales precises, accessibles et previsibles qui autorisent l'ingerencedans l'exercice de la liberte de reunion, d'association et le droit des'affilier à un syndicat et qui sont necessaires, dans une societedemocratique, notamment à la protection des droits et libertes d'autrui.
Dans la mesure ou il est deduit d'une autre premisse juridique, le moyen,en cette branche, manque en droit.
27. Le juge apprecie souverainement en fait quelles sont les conditionsnecessaires, eu egard aux motifs enonces à l'article 16, S: 1er, alinea4, de la loi du 20 juillet 1990.
Cependant, pour determiner les conditions de la liberation, il est nonseulement tenu d'observer les prescriptions de ladite loi du 20 juillet1990, mais, en outre, il ne peut infliger de conditions contraires auxdispositions conventionnelles supranationales qui ont un effet direct dansl'ordre juridique interne ou qui sont contraires à la Constitution, auxlois nationales ou aux principes generaux du droit, sans en motiverl'absolue necessite.
28. Les juges d'appel ont accorde la liberation du demandeur, notammentsous la condition suivante : « - de n'etre ni vouloir entrer directementou indirectement en contact avec N. P., avec des personnes liees au SNPS,avec des personnes directement ou indirectement impliquees aupres del'entreprise Golden Tulip, avec M. V., et, en cas de rencontre fortuite,rompre lui-meme spontanement le contact » ;
- « n'exercer aucune activite dans le cadre du SNPS et des associationsou ASBL en lien avec celui-ci ».
Il ressort de l'arret, du mandat d'arret et de l'ordonnance dont appelauxquels l'arret se refere notamment que :
- l'arret (...) fixe les conditions pour eviter ledit danger de recidiveet de collusion ;
- le demandeur est le president du Syndicat national du Personnel dePolice et de Securite (SNPS) ;
- l'association sans but lucratif SNPS est l'actionnaire majoritaire dessocietes anonymes Formatio et Assurnat ;
- la societe anonyme Formatio detient le patrimoine immobilier del'association sans but lucratif SNPS et les membres du SNPS peuvent sefaire assurer aupres de la societe anonyme Assurnat ;
- CMS, une entreprise unipersonnelle de l'epouse du demandeur, auraituniquement perc,u des revenus des activites en lien avec le SNPS ;
- l'entreprise CMS a facture des commissions et gadgets à la societeanonyme Formatio ou à l'entreprise Golden Tulip, qui ont ete repercutesau SNPS. CMS n'a ete payee qu'apres que le SNPS a paye les intermediaires.Les membres des conseils d'administration n'en auraient pas ete informes ;
- le demandeur a uniquement regle des affaires financieres au sein del'association sans but lucratif SNPS et des societes anonymes Formatio etAssurnat ;
- l'arret fixe à trois mois la duree de ces conditions.
29. Par ces motifs qui demontrent la necessite des conditions infligees enraison du danger de recidive et de collusion precite, l'arret imposelegalement la condition enoncee sous le moyen, en cette branche, et ladecision de limiter, dans cette mesure, le droit du demandeur de sereunir, de s'associer et de s'affilier à un syndicat, est legalementjustifiee.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
30. Pour le surplus, le moyen, en cette branche, critique la decision dujuge sur les faits ou impose à la Cour un examen des faits pour lequelelle est sans competence.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Le controle d'office
31. Les formalites substantielles ou prescrites à peine de nullite ontete observees et la decision est conforme à la loi.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient Luc Van hoogenbemt, president de section, Filip Van Volsem,Alain Bloch, Peter Hoet et Antoine Lievens, conseillers, et prononce enaudience publique du trente juin deux mille quinze par le president desection Luc Van hoogenbemt, en presence de l'avocat general delegue AlainWinants, avec l'assistance du greffier delegue Veronique Kosynsky.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Franc,oise Roggen ettranscrite avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.
Le greffier, Le conseiller,
30 JUIN 2015 P.15.0882.N/1