Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG P.15.0194.F
L. P.
prevenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maitre Anne Rayet, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
1. LE BORD DE L'EAU, societe de droit franc,ais, dont le siege est etablià Lormont (France), rue des Gravieres, 118,
2. W. B.
parties civiles,
defendeurs en cassation.
I. la procedure devant la cour
Le pourvoi est dirige contre un arret rendu le 13 janvier 2015 par la courd'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque quatre moyens dans un memoire annexe au presentarret, en copie certifiee conforme.
Le president de section Frederic Close a fait rapport.
L'avocat general Raymond Loop a conclu.
II. la decision de la cour
A. En tant que le pourvoi est dirige contre la decision rendue surl'action publique :
Sur le premier moyen :
Quant à la premiere branche :
Saisi de poursuites pour contrefac,on fondees sur les articles 80 et 81 dela loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins,le juge du fond apprecie en fait si la diffusion de l'oeuvre protegeerevet le caractere de publicite requis par l'article 1er de la loi.
Aux conclusions soutenant que, diffusee sur Facebook à des finsexclusivement personnelles, l'oeuvre litteraire n'etait accessible qu'àun cercle ferme de personnes determinees et acceptees comme amies, l'arretrepond que le demandeur l'a reproduite en en mettant le texte en ligne,par le biais d'un message sur son « mur » mais qui comportait un lienpermettant d'acceder à l'integralite du texte. Il ajoute, d'une part,qu'ainsi le livre pouvait etre diffuse potentiellement à un nombremultiple d'internautes et, d'autre part, qu'il existait un acces direct ausite Internet de la maison d'edition du demandeur. Il en deduit que cedernier devait savoir que son message informatique atteindrait une pluslarge communaute d'internautes que ses quelques amis.
Par ces constatations, les juges d'appel ont pu legalement considerer quela communication de l'oeuvre n'etait pas limitee à un cercle restreintd'intimes.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Quant à la deuxieme banche :
Le moyen reproche à l'arret de meconnaitre la notion de communicationpublique en considerant comme telle la communication d'un lien hypertexte.
L'etablissement d'un lien permettant de telecharger une oeuvre protegeablepar le droit d'auteur est une communication publique qui ne peutintervenir sans l'accord du titulaire des droits, sauf si cette oeuvre estlibrement accessible sur un autre site.
Soutenant le contraire, le moyen manque en droit.
Quant à la troisieme branche :
Le moyen est pris de la violation de l'article 149 de la Constitution.
Le demandeur a conclu qu'il avait agi sans intention mechante à l'egarddes defendeurs, mais dans le seul but de faire part à ses amis de sonressenti face aux attaques dont il faisait l'objet dans le livre etd'obtenir leur compassion, soutien et reconfort.
L'arret considere que les propos accompagnant la mise en ligne del'ouvrage ne laissent pas le moindre doute quant à la volonte dudemandeur de nuire à l'auteur dont il voulait se venger.
Ainsi, sans etre tenus de rencontrer les arguments du demandeur qui neconstituaient pas un moyen distinct, les juges d'appel ont reponduauxdites conclusions en leur opposant leur appreciation contraire.
Le moyen manque en fait.
Sur le deuxieme moyen :
Le moyen reproche à l'arret d'ecarter la legitime defense invoquee par ledemandeur.
La legitime defense suppose que l'infraction susceptible d'etre justifieea ete commise avec l'intention de porter atteinte à la personne d'autrui.Elle doit repondre à un critere d'immediatete qui ne saurait etrerencontre pour justifier le delit de contrefac,on.
Dans la mesure ou il soutient le contraire, le moyen manque en droit.
Aux conclusions soutenant que le demandeur a ete contraint de se defendrecontre une forme d'agression situee sur le plan de sa securite psychique,l'arret oppose l'appreciation contraire des juges d'appel en considerantque sa defense ne se situait pas sur ce plan et qu'il avait d'autres choixpour regler ses comptes.
Pour le surplus, en ayant considere que les attaques qui, selon ledemandeur, l'avaient atteint dans son identite physique, sexuelle etfamiliale, ne constituaient pas non plus une forme d'agression sur le plande sa securite physique, les juges d'appel n'ont pas donne des conclusionsdu demandeur une interpretation inconciliable avec leurs termes.
A cet egard, le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le troisieme moyen :
Par les motifs visant la persistance de l'attitude revancharde dudemandeur par le biais des reseaux sociaux ainsi que par ceux qui,mentionnes ci-dessus, rejettent l'exception deduite de la legitimedefense, l'arret repond aux conclusions du demandeur sollicitantl'admission de circonstances attenuantes et ne meconnait pas cette notionlegale. Les juges d'appel n'etaient pas tenus de rencontrer les elementsdifferents ou contraires qui etaient allegues mais devenus sans pertinenceen raison de leur decision.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Le controle d'office
Les formalites substantielles ou prescrites à peine de nullite ont eteobservees et la decision est conforme à la loi.
B. En tant que le pourvoi est dirige contre la decision rendue surl'action civile :
Sur le quatrieme moyen :
Le juge apprecie en fait l'existence et l'importance d'un dommage tantmateriel que moral.
L'arret considere que le dommage moral resultant de la contrefac,on del'oeuvre resulte respectivement pour les defendeurs de l'atteinte porteeà l'image de l'editeur et celle de l'auteur. Quant au dommage materiel,il le deduit de la possibilite offerte aux internautes de se procureurgratuitement en ligne la copie integrale du livre.
Tout en considerant que les prejudices materiels ne pourraient s'appreciersur la base de ventes manquees durant les quarante-huit heures que dura lacommunication illegale de l'oeuvre protegee, l'arret recourt, en ce quiles concerne, à une evaluation ex aequo et bono.
Faute de pouvoir evaluer autrement les indemnites qu'ils ont allouees auxdefendeurs pour leurs dommages moraux et materiels, les juges d'appel ontconsidere que les sommes reclamees ne sont pas surevaluees, autrement ditexcessives.
En rejetant la demande des defendeurs visant à calculer leur prejudicemateriel en se fondant sur un nombre d'exemplaires du livre vendus, alorsque ce chiffre etait conteste par le demandeur, et par les considerationsprecitees, les juges d'appel ont repondu, sans contradiction, auxconclusions du demandeur, sans etre tenus de rencontrer l'argument selonlequel une personne animee de haine ne peut faire valoir un prejudicemoral.
Ainsi, ils ont regulierement motive et legalement justifie leur decision.
Le moyen ne peut etre accueilli.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxes à la somme de cent quatre euros un centime dus.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient Frederic Close, president de section, Benoit Dejemeppe, PierreCornelis, Gustave Steffens et Franc,oise Roggen, conseillers, et prononceen audience publique du vingt-quatre juin deux mille quinze par FredericClose, president de section, en presence de Raymond Loop, avocat general,avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.
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| T. Fenaux | F. Roggen | G. Steffens |
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| P. Cornelis | B. Dejemeppe | F. Close |
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24 JUIN 2015 P.15.0194.F/7