Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG S.14.0092.F
M. B.,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 106, ouil est fait election de domicile,
contre
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE D'IXELLES, dont les bureaux sont etablis àIxelles, chaussee de Boondael, 92,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 8 juillet 2014par la cour du travail de Bruxelles.
Le 27 mai 2015, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat general JeanMarie Genicot a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
Articles 2, 3, 6 à 13, 18, 19, specialement S: 2, 21, specialement S: 5,22, specialement S: 2, et 30 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droità l'integration sociale
Decisions et motifs critiques
L'arret declare l'appel du demandeur non fonde et confirme entierement lejugement du premier juge qui avait declare les demandes du demandeur nonfondees en ce qui concerne la suspension du benefice du revenud'integration sociale à partir du 1er juin 2011, par les motifs que :
« La suspension du benefice du revenu d'integration à partir du 1er juin2011 pour n'avoir pas signe un engagement de remboursement personnel del'indu
A. These des parties
(Le demandeur) critique cette decision en relevant, à juste titre, quel'absence d'engagement personnel de rembourser l'indu constitue unecondition d'octroi du revenu d'integration qui n'est pas prevue par laloi. Le (defendeur) ne maintient d'ailleurs pas ce motif de la decision.
En revanche, tout comme pour la decision du 6 mars 2012, le (defendeur)invoque le defaut de collaboration (du demandeur). Le (defendeur) exposequ'il avait dejà ete rendu mefiant par la decouverte d'un travail salarieexerce par la compagne (du demandeur), travail salarie qui n'avait pas etedeclare par ce dernier. En vue de clarifier la situation, le (defendeur) ademande (au demandeur) de produire les extraits de son compte bancairerelatifs à l'annee 2011 et lui a octroye une somme de 40 euros destineeà couvrir les frais de copie des extraits. (Le demandeur) ne produira queles extraits relatifs au mois d'octobre 2011.
(Le defendeur) estime qu'il est mis dans l'impossibilite de verifier lasituation (du demandeur) et son etat de besoin eventuel. Outre son devoirgeneral de collaborer avec les services sociaux prevu à l'article 19, S:2, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'integration sociale,le demandeur d'aide doit apporter la preuve qu'il se trouve dans lesconditions pour beneficier de cette aide. En la cause, (le demandeur)n'apporte pas cette preuve pour la periode litigieuse.
(Le demandeur) ne conteste pas la realite des faits repris ci-dessus maisil releve que le (defendeur) a fini par lui octroyer le revenud'integration à partir du 20 juillet 2012, apres avoir obtenu lesdocuments bancaires qui n'ont rien revele en ce qui concerne sesressources, si ce n'est l'activite de sa compagne qui etait dejà connue.Des lors, rien ne s'oppose à l'octroi du revenu d'integration des le 1erjuin 2011 sous deduction des revenus de sa compagne.
B. Position de la cour [du travail]
Comme le releve le (defendeur), il appartient au demandeur d'aide engeneral, du revenu d'integration en particulier, d'apporter la preuvequ'il se trouve dans les conditions pour obtenir cette aide, notammentqu'il ne dispose pas de ressources suffisantes comme le prevoit l'article3, 4DEG, de la loi du 26 mai 2002.
Compte tenu de la faiblesse sociale des demandeurs d'aide, le legislateura prevu que le centre public d'action sociale participe à la charge decette preuve par une enquete sociale, à laquelle le demandeur [d'aide]est lui-meme tenu de collaborer en vertu de l'article 19, S: 2, de la memeloi.
Si l'absence de collaboration ne permet pas d'etablir cette preuve,notamment en ce qui concerne les ressources, le centre public d'actionsociale peut refuser l'octroi de l'aide sollicitee.
Tel est le cas (du demandeur) qui, apres avoir neglige d'avertir ou dumoins d'avertir clairement le (defendeur) des revenus professionnels de sacompagne, ne fournit pas les extraits de compte demandes, malgre le faitqu'il a rec,u une somme destinee expressement à couvrir les frais decopie des extraits bancaires. Le fait que (le demandeur) souffrait àcette epoque de `troubles psychiques hyper anxieux et depressifs' n'estpas de nature à lui retirer tout jugement.
En la cause, la seule question qui se pose consiste à savoir si lacollaboration tardive (du demandeur), qui n'a revele aucune ressourceparticuliere en dehors des revenus dejà connus de sa compagne, permetd'octroyer le revenu d'integration retroactivement.
La reponse à cette question est negative en la cause. Le (defendeur) peutrefuser d'octroyer le droit à l'integration sociale pour la periodedurant laquelle il ne dispose pas des elements necessaires à l'examen dela demande en raison du defaut de cooperation de l'interesse (Cass., 3ech., 30 novembre 2009, nDEG S.09.0019.N). En decider autrement mettrait ledemandeur d'aide en situation de recuperer un droit à l'integrationsociale pour le passe, à un moment ou, compte tenu du delai ecoule, lecentre public d'action sociale pourrait n'etre plus à meme de verifierles informations fournies ».
Griefs
En vertu de l'article 2 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit àl'integration sociale, toute personne a droit à l'integration sociale.
En vertu de l'article 12 de la meme loi, toute personne à partir devingt-cinq ans a droit à l'integration sociale lorsqu'elle remplit lesconditions prevues aux articles 3 et 4. Le meme droit est egalementreconnu à toute personne majeure agee de moins de vingt-cinq ans en vertude l'article 6 de ladite loi, ou encore à la personne mineure d'ageassimilee à une personne majeure en vertu de l'article 7 de ladite loi.
L'article 19, S: 1er, de la meme loi prevoit que le defendeur procede àune enquete sociale en vue de l'octroi de l'integration sociale sous laforme d'un revenu d'integration ou d'un emploi, enquete pour laquelle il arecours à des travailleurs sociaux.
Aux termes de l'article 19, S: 2, de ladite loi, l'interesse est tenu defournir tout renseignement et autorisation utile à l'examen de lademande.
A l'issue de l'enquete sociale organisee pour verifier si les conditionsprevues aux articles 3 et 4 sont remplies, la decision accordant oumajorant un revenu d'integration, intervenue à la suite d'une demandeintroduite par l'interesse, sort ses effets à la date de reception decette demande, comme prevu à l'article 21, S: 5, de la loi visee aumoyen.
Par ailleurs, en vertu de l'article 22, S: 2, de ladite loi, lorsque ledefendeur revise une decision, celle-ci produit ses effets à la date àlaquelle le motif qui a donne lieu à la revision est apparu.
Il resulte de ce qui precede que, si les conditions prevues aux articles 3et 4 sont remplies, le droit au revenu d'integration sociale existe àpartir de la date de la demande ou, en cas de revision, à partir de ladate à laquelle le motif de revision est apparu et ce, independamment deserreurs, de l'ignorance, de la negligence ou de la faute de celui qui enfait la demande. La loi ne prevoit pas de delai pour la fourniture desrenseignements utiles à l'examen de la demande.
Lorsque le demandeur du droit à l'integration sociale remplit lesconditions d'octroi prevues par l'article 3 de la loi du 26 mai 2002, ledroit au benefice de l'integration sociale ne depend pas de la date àlaquelle il a produit la preuve de la reunion de ces conditions.
Si l'article 30 de ladite loi prevoit les sanctions applicables sil'interesse omet de declarer des ressources dont il connait l'existence ous'il fait des declarations inexactes ou incompletes, ces sanctions nes'appliquent que pour autant que les declarations inexactes ou incompletesaient une incidence sur le montant du revenu d'integration.
L'arret releve que le demandeur a collabore tardivement à la verificationqu'il ne disposait pas de ressources suffisantes, comme le prevoitl'article 3, 4DEG, de la loi du 26 mai 2002, mais que cette collaborationn'a revele aucune ressource particuliere en dehors des revenus dejàconnus de sa compagne.
L'arret estime neanmoins que le defendeur pouvait refuser d'octroyer ledroit à l'integration sociale pour la periode litigieuse durant laquelleil ne disposait pas des elements necessaires à l'examen de la demande enraison du defaut de cooperation [du demandeur].
Ce faisant, l'arret, qui constate pourtant que la situation du demandeurpour la periode litigieuse correspondait finalement à celle dejà connuedu defendeur et qu'aucune ressource particuliere n'avait ete revelee endehors des revenus dejà connus de la compagne du demandeur, et refuseneanmoins de reconnaitre le droit au revenu d'integration sociale pour laperiode litigieuse au motif qu'il ne serait pas possible d'octroyer lerevenu d'integration retroactivement, viole :
- les articles 2, 3 et 6 à 13 de la loi 26 mai 2002, en vertu desquelstoute personne a droit à l'integration sociale si les conditions d'octroiprecisees aux articles 3 et 4 de ladite loi sont remplies, ainsi que cesdeux dernieres dispositions, dans la mesure ou l'arret constate que ledemandeur remplissait les conditions exigees par ces dispositions ou, entout cas, ne denie pas que ces conditions etaient remplies ;
- les articles 18 et 19 de la meme loi, en ce qu'ils organisent laprocedure d'octroi du benefice de l'integration sociale, et specialementl'article 19, S: 2, en ce qu'il prevoit que l'interesse est tenu defournir tout renseignement et autorisation utile à l'examen de lademande, des lors que l'arret constate que les renseignements finalementobtenus du demandeur n'ont revele aucune ressource particuliere en dehorsdes revenus dejà connus de sa compagne, et qu'aucune de ces dispositionsn'impose de delai pour la fourniture des renseignements utiles à l'examende la demande ;
- les articles 21, specialement S: 5, et 22, specialement S: 2, de la loi,en ce que l'article 21, S: 5, dispose que la decision accordant oumajorant un revenu d'integration intervenue à la suite d'une demandeintroduite par l'interesse sort ses effets à la date de la reception decette demande et que l'article 22, S: 2, de la meme loi dispose que ladecision de revision produit ses effets à la date à laquelle le motifqui a donne lieu à la revision est apparu, ceci impliquant la possibilitede faire retroagir une decision en la matiere ;
- l'article 30 de la loi, qui prevoit les sanctions applicables en casd'omission de declarer des ressources dont le demandeur [d'integrationsociale] connait l'existence ou s'il fait des declarations inexactes ouincompletes ayant une incidence sur le montant du revenu d'integration,des lors que l'arret constate que la collaboration certes tardive dudemandeur n'a toutefois revele aucune ressource particuliere en dehors desrevenus dejà connus de sa compagne et qu'en consequence la collaborationtardive du demandeur n'avait pas d'incidence sur le montant du revenud'integration, de sorte que les sanctions de l'article 30 ne trouvaientpas à s'appliquer.
III. La decision de la Cour
Aux termes de l'article 2 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit àl'integration sociale, toute personne a droit à l'integration sociale.
En vertu de l'article 3, 4DEG, de la meme loi, pour pouvoir beneficier dudroit à l'integration sociale, la personne doit, entre autres conditions,ne pas disposer de ressources suffisantes.
Suivant l'article 16, S: 1er, alinea 1er, les ressources dont dispose ledemandeur du droit à l'integration sociale sont prises en considerationet celles des personnes avec lesquelles ce demandeur cohabite peuventl'etre.
L'article 19 dispose, en son paragraphe 1er, que le centre public d'actionsociale procede à une enquete sociale en vue de l'octroi de l'integrationsociale sous la forme d'un revenu d'integration ou d'un emploi et, en sonparagraphe 2, que l'interesse est tenu de fournir tout renseignement etautorisation utile à l'examen de la demande.
Il ressort des dispositions precitees que, si l'article 19, S: 2, n'imposepas le delai dans lequel l'interesse doit fournir les renseignements, etsi l'execution de cette obligation ne constitue pas une condition dont ledefaut priverait l'interesse du droit à l'integration sociale, ce defautpeut empecher de verifier que les conditions du droit sont reunies.
En pareil cas, le centre public d'action sociale peut refuser le droit àl'integration sociale pour la periode pour laquelle il ne dispose pas deselements necessaires à l'examen de la demande.
L'arret constate que le demandeur beneficiait du revenu d'integration etqu'il a neglige d'informer clairement le centre public d'action socialedefendeur des remunerations perc,ues par sa compagne ; que, invite àproduire les extraits de son compte bancaire pour l'annee 2011, il a remisd'abord les extraits d'un seul mois et que le defendeur a alors suspendule paiement du revenu d'integration à partir du 1er juin 2011 ; que ledemandeur a ensuite remis l'ensemble des documents bancaires, qui n'ontrevele aucune ressource particuliere en dehors des revenus dejà connus desa compagne, et que le defendeur a admis à nouveau le demandeur aubenefice du revenu d'integration à partir du 20 juillet 2012.
L'arret considere qu'il appartient au demandeur du revenu d'integration deprouver qu'il se trouve dans les conditions pour l'obtenir, que le centrepublic d'action sociale participe à la charge de cette preuve parl'enquete sociale et que, en la cause, la collaboration tardive dudemandeur à l'enquete ne permet pas de lui octroyer retroactivement lerevenu d'integration, le demandeur ne pouvant etre mis « en situation derecuperer un droit à l'integration sociale pour le passe, à un momentou, compte tenu du delai ecoule, le centre public d'action socialepourrait n'etre plus à meme de verifier les informations fournies ».
Par ces enonciations, d'ou il ressort que selon lui les conditions dudroit à l'integration sociale ne peuvent plus etre verifiees pour laperiode litigieuse, l'arret, qui ne fait pas application de l'article 30de la loi du 26 mai 2002, relatif aux sanctions administratives pouromission de declaration ou declaration inexacte ou incomplete, ni neconstate que les conditions du droit à l'integration sociale etaientreunies pendant cette periode, justifie legalement sa decision de rejeterles recours du demandeur contre les decisions du defendeur de ne pas luioctroyer le revenu d'integration du 1er juin 2011 au 19 juillet 2012.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Vu l'article 1017, alinea 2, du Code judiciaire, condamne le defendeur auxdepens.
Les depens taxes à la somme de cent vingt-cinq euros quarante-sixcentimes en debet envers la partie demanderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillersMartine Regout, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel,et prononce en audience publique du vingt-deux juin deux mille quinze parle president de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat generalJean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
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| L. Body | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Delange | M. Regout | A. Fettweis |
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22 JUIN 2015 S.14.0092.F/10