Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.14.0491.F
F. F.,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,
contre
HAUTE SENNE LOGEMENT, societe cooperative à responsabilite limitee dontle siege social est etabli à Soignies, rue des Tanneurs, 10,
defenderesse en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 13 juin2014 par le tribunal de premiere instance du Hainaut, statuant en degred'appel.
Le 30 avril 2015, l'avocat general Jean-Franc,ois Leclercq a depose desconclusions au greffe.
Le president de section Albert Fettweis a fait rapport et l'avocat generalJean-Franc,ois Leclercq a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
Articles 19, alinea 1er, et 1068, alinea 1er, du Code judiciaire
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate, notamment par reference à l'expose des faits contenu dans le jugement rendu le 4 janvier 2013 par le tribunalautrement compose, que la defenderesse a donne en location à lademanderesse un logement social à ... ; que la demande de la defenderessetendait principalement au paiement d'arrieres, à la resolution ducontrat et à l'expulsion de la demanderesse ; que « par un jugement deproduction de documents du 1er decembre 2009, le premier juge [juge de paix de ...] a donne l'occasion à (la defenderesse) de justifierprecisement ses pretentions apres avoir procede à l'examen des comptesannee par annee » ; que, par le jugement dont appel du 30 aout 2010, lepremier juge a deboute la defenderesse de sa demande « au motifprincipal que (la defenderesse) n'avait repondu ni aux interrogations de(la demanderesse) ni aux interpellations de la juridiction », lejugement attaque condamne la demanderesse à payer à la defenderesse lasomme de 1.987,30 euros à titre de charges impayees et condamne la demanderesse aux depens des deux instances.
Le jugement attaque fonde cette decision, en substance, sur les motifs suivants :
(1) Quant aux charges relatives aux annees 2003 à 2007, « (la defenderesse) fait reference au courrier de (la demanderesse) du 13 juin2007 et à la reconnaissance de dette signee le 21 juin 2007 (...) ; ilen resulte que (la demanderesse) a accepte le decompte des charges pources annees 2003 à 2007 ; elle n'apporte aucun element duquel il pourraitresulter que son accord a ete pris en meconnaissance de cause ; des lors,elle a accepte le decompte des charges des annees 2003 à 2007 et ne peutrevenir sur son engagement de payer en sus de son loyer une sommemensuelle de 103,53 euros ».
(2) Quant aux charges des annees 2008, 2009 et 2010, la demanderesse n'apporte aucun element de contestation precis.
(3) Quant à l'entretien des chauffe-eau, « cet entretien n'a plus eulieu depuis l'annee 2008 et pour la periode anterieure, (la demanderesse)a accepte le decompte de charges ».
(4) « En consequence, c'est à tort que le premier juge a considere quele decompte des charges etait imprecis, les pieces 2 à 8, 15, 21, 22 et30 de (la defenderesse) justifiant de celui-ci outre la reconnaissance de(la demanderesse) pour les annees 2003 à 2007 ».
Griefs
Aux termes de l'article 1068, alinea 1er, du Code judiciaire, tout appeld'un jugement definitif ou avant dire droit saisit du fond du litige lejuge d'appel. Toutefois, l'appel d'un jugement rendu en prosecution decause d'un jugement avant dire droit ne defere pas au juge d'appel lesdecisions definitives que contient ce precedent jugement si celui-cin'est pas frappe d'appel. En effet, aux termes de l'article 19, alinea1er, du Code judiciaire, « le jugement est definitif dans la mesure ouil epuise sa juridiction sur une question litigieuse, sauf les recoursprevus par la loi ». Le juge d'appel qui se saisit de questionslitigieuses definitivement tranchees par un jugement avant dire droit nonfrappe d'appel, commet un exces de pouvoir.
En l'espece, par son premier jugement du 1er decembre 2009, dont la defenderesse n'a pas releve appel et que le jugement attaque semble avoirperdu de vue, le juge de paix du canton de ... avait, « avant dire droitau
fond », ordonne à la defenderesse de produire au dossier de laprocedure les factures emises par le fournisseur de gaz relatives à laconsommation de l'immeuble litigieux pour les annees 2003 à 2008, lesfactures emises par le fournisseur d'eau relatives à la consommation de l'immeuble litigieux pour les annees 2003 à 2007 et les facturesd'entretien de l'installation du chauffage central, du chauffe-eau et del'extincteur de l'immeuble litigieux pour les annees 2006 à 2008. Al'appui de cette decision, le premier juge avait constate que, pour s'opposer à la production de diverses pieces justificatives reclamee parla demanderesse, la defenderesse avait fait valoir que la demanderesse « n'est plus en droit de contester l'incontestable en raison de lareconnaissance de dette qu'elle a signee le 21 juin 2007 ».
Le premier juge avait ecarte ce moyen aux motifs suivants : « Le 6 juin2007, apparemment, la (defenderesse) se plaignait aupres de la(demanderesse) d'un arriere de loyers. Le 13 juin 2007, la (demanderesse)s'en expliquait aupres de la (defenderesse) et proposait un plan deremboursement. Le 21 juin 2007, la (defenderesse) indiquait à la (demanderesse) qu'elle etait d'accord sur le plan propose et precisait quele montant etait de 724,71 euros. Il n'est nullement etabli que la(demanderesse), du fait de la proposition de remboursement de l'arriereechu, aurait renonce à recevoir les justificatifs des charges qui luietaient reclamees » (ledit jugement, 2e et 3e feuillets).
Dans ce jugement du 1er decembre 2009, le premier juge avait ainsi tranche une contestation entre les parties : en ordonnant à ladefenderesse de produire les factures relatives à la fourniture du gazet de l'eau et à l'entretien du chauffage central, du chauffe-eau et del'extincteur, pour les annees 2003 à 2008, le premier juge avait necessairement decide que la reconnaissance de dette signee par lademanderesse le 21 juin 2007 ne l'empechait pas de contester les montantsdes charges reclamees par la defenderesse avant cette date. Par cettedecision, le premier juge avait epuise sa saisine sur cette questionlitigieuse. Il n'aurait donc pu, en prosecution de cause, prendre une decision contraire à la decision precitee.
Des lors que la defenderesse n'avait interjete appel que du jugement renduen prosecution de cause le 30 aout 2010, le tribunal de premiere instancesaisi de ce seul appel ne pouvait revenir sur la decision que le premier juge avait prise en son jugement du 1er decembre 2009, selon laquelle lareconnaissance de dette signee par la demanderesse le 21 juin 2007 nel'empechait pas de contester les charges qui lui sont reclamees avantcette date.
En decidant au contraire que cette reconnaissance de dette equivaut à l'acceptation du decompte des charges pour les annees 2003 à 2007, ensorte que la defenderesse ne doit pas justifier les montants reclamespour cette periode, le jugement attaque statue à nouveau sur unecontestation tranchee par le jugement du premier juge du 1er decembre2009 dont il n'a pas ete interjete appel. Il viole des lors lesdispositions du Code judiciaire visees en tete du moyen.
III. La decision de la Cour
Si l'article 1068, alinea 1er, du Code judiciaire dispose que tout appeld'un jugement definitif ou avant dire droit saisit du fond du litige lejuge d'appel, l'appel d'un jugement rendu par le premier juge à la suited'un jugement anterieur, ne defere pas au juge d'appel les decisionsdefinitives prises par ce dernier jugement si celui-ci n'est pas frapped'appel.
Le juge d'appel, qui statue à nouveau sur une question litigieuse ausujet de laquelle le premier juge a rendu une decision definitive au sensde l'article 19, alinea 1er, du Code judiciaire, dans un jugement nonfrappe d'appel, commet un exces de pouvoir.
Dans son jugement rendu le 1er decembre 2009 dans la meme cause et entreles memes parties, le premier juge a considere que, si la demanderesseavait indique le 21 juin 2007 à la defenderesse son accord de verser unesomme de 724,71 euros suivant le plan propose, « il n'est nullementetabli que [la demanderesse], du fait de la proposition [d'apurement] del'arriere echu, aurait renonce à recevoir [de la defenderesse] lesjustificatifs des charges qui lui etaient reclamees » et a ensuiteordonne à la defenderesse de produire certaines pieces justificatives descharges pour les annees 2003 à 2007.
Il ressort des pieces de la procedure que ce jugement n'a fait l'objetd'aucun appel.
Le jugement attaque, qui considere que, par la « reconnaissance dedette » signee le 21 juin 2007, la demanderesse a accepte le decompte descharges pour les annees 2003 à 2007 et ne peut plus en contester lesmontants, viole les dispositions legales visees au moyen.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaque, sauf en tant que, par confirmation du jugementdont appel, il rec,oit la demande ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugementpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant le tribunal de premiere instancedu Brabant wallon, siegeant en degre d'appel.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillers DidierBatsele, Martine Regout, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononceen audience publique du dix-huit juin deux mille quinze par le presidentde section Albert Fettweis, en presence de l'avocat general Jean-Franc,oisLeclercq, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
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| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
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18 JUIN 2015 C.14.0491.F/1