Cour de cassation de Belgique
Arret
* NDEG S.13.0095.N
* SCHILDERMANS PLUIMVEESLACHTERIJ EN VLEESVERWERKING, s.a.,
* * contre
* * D. J.,
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre un arret rendu le 27 mars2013 par la cour du travail d'Anvers, section de Hasselt.
Le president de section Beatrijs Deconinck a fait rapport.
L'avocat general Henri Vanderlinden a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requete, annexee au present arret en copie certifiee conforme,le demandeur presente trois moyens.
Premier moyen
Dispositions legales violees
- articles 35, 39, S: 1er , et 82, S: 2 et S: 3, de la loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail.
Decision et motifs critiques
Dans la decision attaquee, la cour du travail a declare l'appel dudefendeur recevable et en partie fonde. La cour du travail a annulele jugement rendu le 1er mars 2012 par le tribunal du travail, saufen tant qu'il condamnait la demanderesse à payer au defendeur unmontant de 7.390 euros, majores des interets, à titre dedommages-interets.
Statuant à nouveau, la cour du travail condamne la demanderesse aupaiement d'une indemnite de conge de 104.757,88 euros, majoresd'interets. La cour du travail a condamne egalement la demanderesseau paiement des frais de la procedure des deux instances.
La cour du travail a pris ces decisions sur la base de l'ensemble desconstations et motifs sur lesquels elles s'appuient, qui doivent icietre consideres comme repris integralement, et en particulier sur lesconsiderations suivantes :
"Le delai pour le licenciement
Le delai de trois jours ouvrables prend cours le lendemain du dies aquo, c'est-à-dire le lendemain du jour ou les faits ont ete connus.
Le troisieme jour ouvrable qui suit le dies a quo, c'est-à-dire ledies ad quem, peut encore servir à resilier le contrat de travailsans preavis.
Il appartient à la partie qui invoque le motif grave de prouverqu'elle a respecte le delai pour le licenciement. [...]
Cela signifie que si les faits qui ont donne lieu au licenciement pourmotif grave sont invoques par la partie donnant conge plus de troisjours ouvrables apres la date ou ils ont eu lieu, la partie donnantconge doit prouver quelles circonstances ont eu pour consequence queces faits ne sont venus à sa connaissance qu'au plus tot trois joursouvrables avant le licenciement [...].
La [cour du travail] applique ces regles aux faits du present litige.
Les faits du lundi 14 mars 2011
Le fait que [la demanderesse] reproche [au defendeur] est l'ordredonne à Tanja Boutsen d'arreter le travail auquel elle etait occupee('le taillage d'helices') pour aller ensuite aider un autredepartement (le departement 'Colruyt').
Etant donne que plus de trois jours se sont ecoules entre le jour desevenements et le jour du licenciement, il appartient à [lademanderesse] de prouver quelles circonstances ont eu pour effet quece fait n'est venu à sa connaissance qu'au plus tot trois joursouvrables avant le licenciement.
[La demanderesse] concede que, le mardi 15 mars 2011, elle connaissaitla version des evenements [du defendeur], mais qu'elle n'a su que levendredi 18 mars 2011 celle des travailleurs concernes.
Il s'ensuit que les evenements memes etaient connus de [lademanderesse] - via la version [du defendeur] - le mardi 15 mars 2011.[...]
Mais un fait n'est 'connu' de la partie donnant conge au sensjuridique du terme que lorsque celle-ci a, pour prendre une decisionen connaissance de cause quant à l'existence du fait et descirconstances de nature à lui attribuer le caractere d'un motifgrave, une certitude suffisant à sa propre conviction et aussi àl'egard de l'autre partie et de la justice [...].
In concreto, en l'espece, l'existence du fait (le deplacement de TanjaBoutsen au departement transformation n'est pas incertain, mais bienles circonstances dans lesquelles ce fait s'est produit. Dans laversion [du defendeur], ce fait a eu lieu apres concertation avecSabine (Vaes), qu'il designe comme la responsable du departementtransformation. [...]
Il est admissible que, dans ces circonstances, [la demanderesse] aitvoulu entendre l'autre son de cloche, à savoir la version de SabineVaes, la responsable. Dans le contexte du licenciement pour motifgrave [du defendeur], il appartenait toutefois à [la demanderesse] dene pas perdre de temps et d'interroger Sabine Vaes des que possiblesur les faits.
Dans la phrase introductive de sa lettre recommandee du 17 mars 2011,Sabine Vaes revele qu'à l'occasion des evenements du lundi 14 mars2011, elle a ete absente un jour. Elle est logiquement restee chezelle le mardi 15 mars 2011. Cela signifie egalement que StefanSchildermans, le responsable final aupres de [la demanderesse], auraitpu interpeler Sabine Vaes le 16 mars 2011 sur les faits du lundi 14mars 2011.
Dans la notification du 21 mars 2011, [la demanderesse] indique queSabine Vaes, de meme que ses deux collegues, aurait ete absente dutravail pendant deux jours. En outre, le jeudi 17 mars 2011, personnen'aurait souhaite dire quoi que ce soit, de sorte que [lademanderesse] n'a pu prendre connaissance de la version de Sabine Vaesque le vendredi 18 mars 2011.
Il y a clairement une discordance entre cette notification et lalettre recommandee de Sabine Vaes en ce qui concerne le(s) jour(s)d'absence de cette derniere.
Dans les circonstances donnees, la [cour du travail] tient compte dece que Sabine Vaes elle-meme ecrit le 17 mars 2011. En effet, [lademanderesse] ne prouve pas que Sabine Vaes est demeuree effectivementabsente deux jours les mardi 15 et mercredi 16 mars 2011.
Par ailleurs, la [cour du travail] est d'avis que, dans les memescirconstances specifiques (la pression emanant de la regle des troisjours de l'article 35), [la demanderesse] aurait du, du fait de sonautorite d'employeur, obtenir les informations necessaires de la partde Sabine Vaes au premier moment utile, soit le mercredi 16 mars 2011.
Les versions des autres collegues, Natascha Jasinski et Tanja Boutsen,ne pouvaient etre determinantes pour que [la demanderesse] forge saconviction parce qu'elles effectuaient un pur travail d'execution etqu'elles devaient suivre les ordres de leurs superieurs.
En d'autres mots, dans les circonstances donnees, [la demanderesse]aurait pu acquerir le mercredi 16 mars 2011 une certitude suffisantequant aux evenements du lundi 14 mars 2011, de fac,on à pouvoirprendre en connaissance de cause la decision de licenciement pourmotif grave [du defendeur].
Ainsi, le licenciement aurait du tomber au plus tard le samedi (jourouvrable) 19 mars 2011. Le licenciement du lundi 21 mars 2011 est àcet egard tardif.
Les evenements du lundi 14 mars 2011 ne sont par consequent pasconstitutifs d'un licenciement pour motif grave."
Griefs
1.1 Aux termes de l'article 35, alinea 1er, de la loi du 3 juillet1978 relative aux contrats de travail, chacune des parties peutresilier le contrat sans preavis ou avant l'expiration du terme pourun motif grave laisse à l'appreciation du juge et sans prejudice detous dommages-interets s'il y a lieu.
En vertu du troisieme alinea de la meme disposition, le conge pourmotif grave ne peut plus etre donne sans preavis ou avant l'expirationdu terme, lorsque le fait qui l'aurait justifie est connu de la partiequi donne conge, depuis trois jours ouvrables au moins. Peut seuletre invoque pour justifier le conge sans preavis, ou avantl'expiration du terme, le motif grave notifie dans les trois joursouvrables qui suivent le conge, ainsi que le prevoit le quatriemealinea de l'article 35.
L'article 35 de la loi du 3 juillet 1978 offre donc à chacune desparties de resilier le contrat pour motif grave dans un delai de troisjours ouvrables à compter du jour de la connaissance des faits et nondu jour ou cette partie aurait pu ou du en prendre connaissance.
1.2. Il ressort des constations de fait de l'arret que, le lundi 21mars 2011, la demanderesse a procede à la resiliation immediate ducontrat de travail du defendeur sur la base d'un motif grave, eninvoquant notamment "les faits du 14 mars 2011" comme motif grave.
Apres avoir considere que la partie qui licencie doit prouver que ledelai pour le licenciement a ete respecte et que, si les faits qui ontdonne lieu au licenciement pour motif grave par la partie donnantconge sont invoques plus de trois jours apres la date à laquelle ilsont eu lieu, elle doit prouver quelles circonstances ont pourconsequence que ces faits ne sont venus à sa connaissance qu'au plustot trois jours ouvrables avant le licenciement, la cour du travailapplique ces regles aux faits du lundi 14 mars 2011.
L'arret considere à cet egard que:
- le fait que la demanderesse reproche au defendeur est l'ordre qu'ila donne à Tanja Boutsen d'arreter le travail auquel elle etaitoccupee pour aller ensuite donner de l'aide à un autre departement;
- la demanderesse concede que, le mardi 15 mars 2011, elle connaissaitla version des evenements du defendeur, mais declare qu'elle n'a suque le vendredi 18 mars 2011 celle des travailleurs concernes;
- il s'ensuit que les evenements memes etaient connus de lademanderesse - via la version du defendeur - le mardi 15 mars 2011;
- en l'espece, ce n'est pas l'existence du fait qui etait incertaine,à savoir le deplacement de Tanja Boutsen au departement travail, maisbien les circonstances dans lesquelles ce fait eut lieu, et decide parces motifs que, dans ces circonstances, il est admissible que lademanderesse veuille entendre la version de Sabine Vaes.
La cour du travail considere ensuite que, dans le contexte dulicenciement pour motif grave du defendeur, il appartenait toutefoisà la demanderesse de ne pas perdre de temps et d'interroger SabineVaes "des que possible" sur les faits.
Apres avoir decide que la demanderesse ne prouve pas que Sabine Vaesest effectivement demeuree absente pendant deux jours les mardi 15 etmercredi 16 mars 2011, la cour du travail a considere :
- etre d'avis que, dans les circonstances specifiques (la pressionemanant de la regle des trois jours de l'article 35), la demanderesse,du fait de son autorite d'employeur, "aurait du obtenir lesinformations necessaires" de la part de Sabine Vaes au premier momentutile, soit le mercredi 16 mars 2011 ;
- que, dans les circonstances donnees, la demanderesse "aurait puacquerir" le mercredi 16 mars 2011 une certitude suffisante quant auxevenements du lundi 14 mars 2011, de fac,on à pouvoir prendre enconnaissance de cause la decision de licenciement pour motif grave ;
- qu'ainsi, le licenciement "aurait du tomber" au plus tard le samedi(jour ouvrable) 19 mars 2011. Le licenciement du lundi 21 mars 2011est à cet egard tardif ;
- et la cour du travail decide que les evenements du lundi 14 mars2011 ne sont par consequent pas constitutifs d'un licenciement pourmotif grave.
1.3. Il ressort de ces considerations et de ces decisions que la courdu travail n'a pas considere comme regulier le licenciement pourmotif grave sur la base des "faits du lundi 14 mars 2011" au motifque, selon la cour du travail, la demanderesse aurait pu et du etre aucourant le mercredi 16 mars 2011 de l'existence du fait invoque pourjustifier le licenciement pour motif grave et aurait donc pu procederau licenciement avant le 21 mars 2011. Il ne resulte pas de l'article35, plus specialement alinea 3, de la loi du 3 juillet 1978 que lapartie qui procede au licenciement pour motif grave a l'obligation dese rendre compte à temps des faits et de leur gravite.
En statuant dans le sens ou elle l'a fait, la cour d'appel a ajoute àl'article 35 de la loi du 3 juillet 1978 une condition qu'il necontient pas et elle a viole cette disposition.
En accordant (notamment) par ces motifs l'indemnite de conge demandeepar le defendeur, la cour du travail a viole egalement les articles39, S: 1er, et 82, S: 2 et S: 3, de la loi du 3 juillet 1978.
Conclusion
Les decisions de la cour du travail suivant lesquelles le licenciementpour motif grave a ete donne à tort et l'appel du defendeur estpartiellement fonde ne sont pas legalement justifiees (violation desarticles 35, 39, S: 1er, et 82, S: 2 et S: 3, de la loi du 3 juillet1978 relative aux contrats de travail).
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen
1. En vertu de l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aucontrat de travail, chacune des parties peut resilier le contrat sanspreavis ou avant l'expiration du terme pour un motif grave laisse àl'appreciation du juge et sans prejudice de tous dommages-interetss'il y a lieu.
En vertu du troisieme alinea du meme article, le conge pour motifgrave ne peut plus etre donne sans preavis ou avant l'expiration duterme, lorsque le fait qui l'aurait justifie est connu de la partiequi donne conge, depuis trois jours ouvrables au moins.
2. Le fait est connu de l'employeur lorsqu'il a une certitudesuffisante, à savoir une certitude suffisant à sa propre convictionet aussi à l'egard de la partie licenciee et de la justice, pourpouvoir prendre en connaissance de cause une decision quant àl'existence de ce fait et des circonstances qui en font un motif gravede licenciement immediat.
3. Les juges d'appel considerent que le licenciement pour motif gravedu 21 mars 2011 etait tardif et que la date de prise de connaissancedu 18 mars 2011 de la lettre recommandee du temoin ne peut pas etreprise en consideration aux motifs que :
- il appartenait à la demanderesse de ne pas perdre de temps etd'interroger le temoin des que possible sur les faits;
- la demanderesse aurait du, du fait de son autorite d'employeur,obtenir les informations necessaires de la part du temoin au premiermoment utile, soit le mercredi 16 mars 2011;
- la demanderesse aurait pu acquerir le mercredi 16 mars 2011 unecertitude suffisante quant aux evenements du lundi 14 mars 2011.
4. En admettant ainsi que le delai de trois jours ouvrables prevu àl'article 35, alinea 3, de la loi du 3 juillet 1978 commence à courirlorsque le fait n'est pas connu de la partie qui donne conge, maisaurait pu ou aurait du l'etre, les juges d'appel ont viole cettedisposition.
Le moyen est fonde.
Sur les autres griefs
5. Il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs qui ne sauraiententrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il declare l'appel recevable.
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse.
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond.
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour du travail deBruxelles.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles,ou siegeaient le president de section Beatrijs Deconinck, president,les conseillers Alain Smetryns, Koen Mestdagh, Mireille Delange etAntoine Lievens, et prononce en audience publique du quinze juin deuxmille quinze par le president de section Beatrijs Deconinck, enpresence de l'avocat general Henri Vanderlinden, avec l'assistance dugreffier Vanessa Van De Sijpe.
Traduction etablie sous le controle du president de section AlbertFettweis et transcrite avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.
Le greffier, Le president de section,
15 JUIN 2015 S.13.0095.N/1