Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG F.13.0077.N
1. OPTIBELZ, s.p.r.l.,
2. M. B.,
Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation,
contre
ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 9 octobre 2012par la cour d'appel d'Anvers.
L'avocat general Dirk Thijs a depose des conclusions ecrites le 16septembre 2014.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport.
L'avocat general Dirk Thijs a conclu.
II. Les moyens de cassation
Les demandeurs invoquent trois moyens libelles dans les termes suivants :
(...)
Deuxieme moyen
Dispositions legales violees
- articles 1er et 2 de la Directive 77/799/CEE du Conseil du 19 decembre1977 concernant l'assistance mutuelle des autorites competentes des Etatsmembres dans le domaine des impots directs et de la taxe sur la valeurajoutee, modifiee par la Directive 79/1070/CEE du Conseil du 6 decembre1979 modifiant la directive 77/799/CEE concernant l'assistance mutuelledes autorites competentes des Etats membres dans le domaine des impotsdirects et de la taxe sur la valeur ajoutee ;
- principe general du droit relatif à la primaute du droit communautaire,consacre notamment par l'article 4, alinea 3, du Traite du 13 decembre2007 sur l'Union europeenne ;
- article 159 de la Constitution ;
- article 81bis, dans sa version anterieure à sa modification par laloi-programme du 22 decembre 2008, du Code de la taxe sur la valeurajoutee ;
- articles 1er et 2 de l'arrete ministeriel du 23 juillet 1997 creant ausein de l'Administration de la taxe sur la valeur ajoutee, del'Enregistrement et des Domaines, une unite centrale pour la cooperationadministrative internationale.
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque : « La cour [d'appel] a declare l'appel de (la premieredemanderesse) recevable et fonde comme suit.
La cour [d'appel] a reforme le jugement entrepris dans la mesure suivante.
La cour [d'appel] a des lors declare la demande originaire de (la premieredemanderesse) recevable et partiellement fondee.
La cour [d'appel] a annule la contrainte portant le numero CRTI406/0420/21723 decernee le 26 avril 2006 par monsieur Roger De Huwer,comptable au premier bureau des recettes de la taxe sur la valeur ajouteed'Anvers, dans la mesure ou, hormis les interets legaux et les frais, unetaxe sur la valeur ajoutee d'un montant superieur à 133.486,25 euros etune amende administrative d'un montant superieur à 100.114,69 euros sontreclames.
La cour [d'appel] a compense les frais des deux instances entre (lapremiere demanderesse) et (le defendeur) »
sur la base des motifs suivants (p. 22-24) :
« 4.3 Dans le cadre de la Directive 77/799/CEE du 19 decembre 1977,modifiee par la Directive 79/1070/CEE du 6 decembre 1979 du conseil descommunautes europeennes, concernant l'assistance mutuelle des autoritescompetentes des Etats membres dans le domaine des impots directs et de lataxe sur la valeur ajoutee, (le defendeur) a demande des informationsaupres de l'administration fiscale portugaise.
En execution de cette directive, l'article 74 de la loi du 8 aout 1980relative aux propositions budgetaires 1979-1980 (M.B. du 15 aout 1980) ainsere dans le Code de la taxe sur la valeur ajoutee un article93terdecies concernant l'assistance mutuelle.
L' àutorite competente' d'un Etat membre qui peut demander de tellesinformations est, en ce qui concerne la Belgique, `le ministre desFinances ou un representant autorise' (article 1.5 de la Directive77/799/CEE - JO L 336 du 27 decembre 1977, p. 15).
Nonobstant le fait que l'arrete ministeriel du 23 juillet 1997 creant ausein de l'Administration de la TVA, de l'Enregistrement et des Domainesune unite centrale pour la cooperation administrative internationale adesigne cette unite centrale comme autorite competente pour demander desinformations à une administration fiscale etrangere, l'Inspectionspeciale des impots (administration centrale de l'ISI) a ete designee, auxcotes de cette unite centrale, comme àutorite competente' en ce quiconcerne les echanges d'informations dans le cadre de la Directive77/799/CEE pour les dossiers traites par ses services.
Il ne peut se deduire du fait que cette designation a ete faite dans uneinstruction relative à la reglementation de l'assistance mutuelle entrela Belgique et les Pays-Bas qu'une illegalite a en l'espece ete commisepar l'administration, qui entrainerait l'exclusion, au titre de preuve,des informations obtenues de la part de l'administration fiscaleportugaise.
Il faut tout d'abord remarquer que les donnees litigieuses n'ont pas eteobtenues par le fisc belge d'une maniere à ce point contraire à ce quipeut etre attendu d'une autorite agissant selon le principe de bonneadministration que l'utilisation de ces donnees ne puisse etre admise.Aucun droit fondamental du contribuable n'a à ce point ete viole quel'engagement d'un examen plus approfondi de la pertinence fiscale deselements obtenus ne pourrait etre admis.
On ne peut en outre concevoir pour quelle raison le droit de la preuve enmatiere fiscale serait soumis à des regles plus severes qu'en droitpenal. Une conception trop dogmatique, selon laquelle toute irregulariteentrainerait l'exclusion de la preuve, porte d'ailleurs atteinte ausentiment de justice et peut etre consideree comme un manquement del'autorite à son obligation de proteger la societe contre la criminalite,en l'espece contre des formes graves de fraude fiscale.
La legislation fiscale ne contient pas davantage de dispositions quideterminent les consequences juridiques d'une collecte de preuvesirreguliere. Il existe, certes, dans quelques cas isoles, une sanctionexplicite lorsque le fisc meconnait la procedure prescrite (par ex.l'article 333 du Code des impots sur les revenus 1992 et l'article 84terdu Code de la taxe sur la valeur ajoutee ou l'article 463 du Code desimpots sur les revenus 1992 et 74bis du Code de la taxe sur la valeurajoutee).
Un fondement juridique alternatif à la regle d'exclusion de la preuve enmatiere fiscale pourrait meme etre trouve dans les principes generaux debonne administration (...), certainement et d'autant plus lorsque lecontribuable, comme en l'espece, ne peut etablir aucune atteinte à sesinterets resultant de l'irregularite invoquee et que ses droits de ladefense ont ete sauvegardes à tous les stades de la procedure, lorsquel'on ne peut douter de la fiabilite des informations obtenues qui ontd'ailleurs ete confirmees par d'autres elements du dossier, et lorsquel'irregularite dans l'obtention de la preuve par l'administration est sansproportion avec la gravite et l'ampleur de la fraude fiscale qui a eterevelee ».
Griefs
1. L'article 1.1 de la Directive 77/799/CEE du Conseil du 19 decembre 1977concernant l'assistance mutuelle des autorites competentes des Etatsmembres dans le domaine des impots directs et de la taxe sur la valeurajoutee, modifiee par la Directive 79/1070/CEE du 6 decembre 1979, disposeque c'est uniquement à la demande de « l'autorite competente » d'unEtat membre que, conformement à l'article 2 de cette directive, toutesles informations demandees sont fournies par l'autorite competente del'Etat membre requis susceptibles de permettre l'etablissement correct dela dette d'impot dans l'Etat membre de l'autorite requerante.
L'article 1.5 de la meme directive dispose qu'en Belgique « l'autoritecompetente » designe : « Le ministre des Finances ou un representantautorise ».
Le representant du ministre des Finances est « l'unite centrale de lataxe sur la valeur ajoutee pour la cooperation administrativeinternationale creee au sein de l'Administration de la TVA, del'Enregistrement et des Domaines » visee à l'article 1er de l'arreteministeriel du 23 juillet 1997 creant au sein de l'Administration de laTVA, de l'Enregistrement et des Domaines, une unite centrale pour lacooperation administrative internationale. Ce service est place sous ladirection d'un directeur regional d'administration fiscale. Son siege estetabli à Bruxelles. Sa competence s'etend à l'ensemble du territoire. Leservice peut etre designe sous la denomination internationale « CentralLiaison Office » ou par son abreviation « CLO ». En vertu de l'article2 de ce meme arrete ministeriel, le CLO est charge de la gestion pratiqueet de la coordination de l'echange international de renseignements sur leplan de l'etablissement et du recouvrement de la TVA.
Les informations obtenues par la Belgique d'un autre Etat membre,autrement que par l'intermediaire du ministre ou de ce representantautorise, sont, dans ce cas, demandees de maniere illegale et obtenues parune instance qui n'en a pas la competence.
(...)
Seconde branche
4. L'illegalite commise par le defendeur, qui a demande des informationsaupres de l'administration fiscale portugaise par l'intermediaire del'administration centrale de l'ISI non competente à cet egard, et non parl'intermediaire de « l'autorite competente », a trait à l'organisationde la competence mise en place sur le plan communautaire quant à lamaniere dont les informations peuvent etre echangees.
Cette organisation est substantielle et entraine l'exclusion d'une tellecollecte irreguliere de preuves.
Le juge ne peut donc refuser de sanctionner cette collecte de preuvesillegale au motif qu'aucune disposition ne l'assortit de la nullite oud'une autre sanction, que « le contribuable, (...), ne peut prouver uneatteinte à ses interets resultant de l'irregularite invoquee et que sesdroits de la defense ont ete sauvegardes à tous les stades de laprocedure, que l'on ne peut douter de la fiabilite des informationsobtenues qui ont d'ailleurs ete confirmees par d'autres elements dudossier, et que l'irregularite dans l'obtention de la preuve parl'administration est sans proportion avec la gravite et l'ampleur de lafraude fiscale qui a ete revelee ».
5. Il s'ensuit que c'est illegalement que l'arret attaque n'exclut pas àdes fins fiscales les informations obtenues irregulierement du Portugalrelatives à la facturation à Hertal le 23 juin 2004, mais qu'il en tientcompte pour le calcul du delai de prescription de sept ans afin demaintenir dans la contrainte la taxe sur la valeur ajoutee s'elevant à74.213,37 euros x 21 % = 15.584,81 euros, majoree des interets legaux(violation de l'article 81bis, S: 1er, alinea 3, du Code de la taxe sur lavaleur ajoutee precite).
(...)
III. La decision de la Cour
(...)
Sur le deuxieme moyen :
Quant à la seconde branche :
3. La legislation fiscale ne contient aucune disposition generaleinterdisant l'utilisation d'une preuve obtenue illegalement pourdeterminer la dette d'impot et, s'il y a lieu, pour infliger unaccroissement ou une amende.
4. L'utilisation par l'administration d'une preuve obtenue illegalementdoit etre appreciee à la lumiere des principes de bonne administration etdu droit à un proces equitable.
5. Sauf lorsque le legislateur prevoit des sanctions particulieres,l'utilisation d'une preuve obtenue illegalement en matiere fiscale ne peutetre ecartee que si les moyens de preuve sont obtenus d'une manieretellement contraire à ce qui est attendu d'une autorite agissant selon leprincipe de bonne administration que cette utilisation ne peut en aucunecirconstance etre admise, ou si celle-ci porte atteinte au droit ducontribuable à un proces equitable.
Lors de cette appreciation, le juge peut notamment tenir compte d'une oude plusieurs des circonstances suivantes : le caractere purement formel del'irregularite, son incidence sur le droit ou la liberte proteges par lanorme transgressee, le caractere intentionnel ou non de l'illegalitecommise par l'autorite et la circonstance que la gravite de l'infractiondepasse de loin l'illegalite commise.
Le moyen, qui, en cette branche, est fonde sur un soutenement juridiquedifferent, manque en droit.
(...)
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux depens.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Eric Dirix, president, le president desection Beatrijs Deconinck, les conseillers Alain Smetryns, Filip VanVolsem et Bart Wylleman, et prononce en audience publique du vingt-deuxmai deux mille quinze par le president de section Eric Dirix, en presencede l'avocat general Dirk Thijs, avec l'assistance du greffier KristelVanden Bossche.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Marie-Claire Ernotte ettranscrite avec l'assistance du greffier Patricia
De Wadripont.
Le greffier, Le conseiller,
22 MAI 2015 F.13.0077.N/1