Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.13.0301.N
* EB-LEASE, s.a.,
* Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
* * contre
* D. P.,
* Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 28 novembre2012 par la cour d'appel de Gand.
Par ordonnance du premier president du 2 janvier 2015, l'affaire a etefixee à une audience pleniere.
L'avocat general Christian Vandewal a depose des conclusions ecrites le 5decembre 2014.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport.
L'avocat general Christian Vandewal a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
* * Dispositions legales violees
* * - article 82 de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites ;
* - articles 1134, 2011, 2021, 2025, 2026, 2029 et 2033 du Code civil.
* * Decisions et motifs critiques
Dans l'arret attaque du 28 novembre 2012, la cour d'appel de Gand adeclare recevables l'appel de la demanderesse et l'appel incident de ladefenderesse contre le jugement entrepris du 20 juin 2012, le premieretant non fonde et le second etant fonde ; a confirme ce jugement qui adeclare non fondee l'opposition de la demanderesse contre le jugement du1er fevrier 2012 prononc,ant la liberation de la defenderesse de sesobligations à l'egard de la demanderesse, en toutes ses dispositions,sauf en tant qu'il statuait sur les depens ; l'a mis à neant sur ce pointet, statuant à nouveau, a condamne la demanderesse aux depens del'instance, a condamne celle-ci aux depens de l'appel dans la cause nDEG2012/RG/2177 ; a declare recevables l'appel de la demanderesse et l'appelincident de la defenderesse dans la cause
nDEG 2010/RG/2200 contre le jugement du 19 mai 2010, le premier etant nonfonde et le second etant fonde ; a mis à neant ce jugement et, statuantà nouveau, a declare la demande de la demanderesse recevable mais nonfondee et l'a condamnee aux depens de l'instance. Cette decision estfondee sur les considerations suivantes :
« 4. EB-Lease demande la condamnation de P. au paiement des sommes dontMP&D - declaree entre-temps en faillite - lui est, selon elle, redevableen vertu de contrats de location financement des 6 juillet 2006 et 2fevrier 2007.
* EB-Lease fonde sa demande sur les actes de cautionnements signes parP. respectivement les 6 juillet 2006 et 2 fevrier 2007 et par lesquelselle s'est portee, à l'egard de EB-Lease, caution solidaire etindivisible pour toutes sommes qui lui seraient dues par MP&D, àconcurrence respectivement de 40.630,00 euros et 33.400,00 euros, àpartir de la mise en demeure majores des depens et des interets.
Par actes distincts de cautionnement de ces memes dates, M. s'estegalement porte caution pour les memes montants à l'egard de EB-Leasepour la dette de MP&D.
P. etait mariee avec M. Leur divorce a ete prononce par un jugement dutribunal de premiere instance de Termonde du 13 mars 2008.
La societe MP&D, dont l'activite consiste à viabiliser des terrains, aete declaree en faillite le 5 mars 2008 et la faillite a ete cloturee le10 decembre 2008. M. qui exploitait une boulangerie en nom personnel aaussi ete declare en faillite le 5 mars 2008. Cette faillite a etecloturee par jugement du 1er fevrier 2012 et M. fut declare excusable.
(...)
5. Si le failli est declare excusable, il ne peut plus etre poursuivi parses creanciers (article 82, alinea 1er, de la loi du 8 aout 1997). Lelegislateur veut ainsi donner une nouvelle chance au failli declareexcusable.
Cet objectif pourrait toutefois rester lettre morte lorsque les creanciersont encore la possibilite de poursuivre le conjoint du failli qui s'estengage avec ou pour ce dernier vis-à-vis d'eux. Une eventuelle executiond'une condamnation à charge du conjoint peut porter atteinte aupatrimoine commun et saper les chances de succes de la nouvelle activitedu failli. C'est la raison pour laquelle le legislateur a considere qu'iletait necessaire de proteger le conjoint du failli declare excusablecontre de telles pretentions.
L'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites,remplace par la loi du 18 juillet 2008, dispose que « le conjoint dufailli qui est personnellement oblige à la dette de son epoux oul'ex-conjoint qui est personnellement oblige à la dette de son epouxcontractee du temps du mariage est libere de cette obligation par l'effetde l'excusabilite ».
L'objectif de l'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997 est depermettre ainsi au failli de reprendre son activite sur une base assainiesans courir le risque d'etre menace par les poursuites que les creancierspourraient exercer sur le patrimoine commun des epoux (Courconstitutionnelle, 18 mai 2011, MB 9 aout 2011, 45324).
6. M. avait une dette à l'egard de EB-Lease en raison des actes decautionnement qu'il avait signes les 6 juillet 2006 et 2 fevrier 2007 pourles obligations de MP&D. EB-Lease a produit à cet effet une declarationde creance à la faillite de M. P. s'est portee à son tour, par des actesdistincts, caution à l'egard de EB-Lease pour les memes obligations deMP&D. Ces obligations de cautionnements ont ete contractees par M. et P.pendant leur mariage.
P. etait ainsi tenue avec M. d'une meme dette à l'egard de EB-Lease. Ilsdevaient tous les deux, à concurrence des memes sommes, intervenir pourla dette restee impayee de MP&D à l'egard de EB-Lease. M. ne peuttoutefois plus etre poursuivi pour cette dette, des lors qu'il a etedeclare excusable. P. peut pretendre à etre liberee de cette dette àl'egard de EB-Lease en vertu de l'article 82, alinea 2, de la loi du 8aout 1997. La constatation qu'il ne s'agit pas simplement d'une dettepropre du failli, mais d'une dette que les deux conjoints ont contracteepersonnellement, n'y fait pas obstacle. Cette disposition s'applique eneffet aussi lorsque le conjoint du failli est, avec lui, codebiteur d'unedette contractee par les deux epoux avant la faillite et pour laquelle leconjoint du failli est, des lors, personnellement tenu (comp. Cass., 24fevrier 2011, TBH 2011, 897).
L'avantage de la liberation ne peut pas davantage etre refuse à P. enraison de ce que la dette trouve son origine dans un cautionnementcontracte par les deux parties afin de garantir les obligations d'untiers, ou parce qu'elles l'auraient souscrit pas des actes distincts.L'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites a uneportee generale et s'applique chaque fois que le conjoint du failli peutetre poursuivi pour une dette du failli, quelle qu'en soit l'origine.
La liberation de P. est, en outre, conforme à la ratio legis de l'article82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997. Le cautionnement contracte par lesdeux epoux etait une dette de communaute. Elle tendait à garantir lefinancement de biens necessaires à l'activite de la societe, dont M., entant que gerant, tirait des revenus qui faisaient partie du patrimoinecommun. Si, nonobstant l'excusabilite de M., EB-Lease pouvait encorepoursuivre P. du chef de cette dette, elle pourrait executer ses droitssur la communaute - eventuellement non encore dissoute - qui a existeentre M. et P.
Le jugement entrepris rendu dans la cause nDEG 2012/RG/2171 doit ainsietre confirme, lorsqu'il conclut au caractere non fonde de l'oppositionformee par EB-Lease contre le jugement rendu par defaut le 1er fevrier2012, par lequel le tribunal de commerce de Termonde a libere P. en vertude l'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997, de sa surete àl'egard de EB-Lease.
7. Il resulte des considerations precitees que l'appel de EB-Lease, formedans la cause nDEG 2012/RG/2171 du role general, est non fonde.
Eu egard au caractere non fonde, tant de l'opposition de EB-Lease que deson appel contre la decision du tribunal de commerce de Termonde, lesdepens des deux instances sont à sa charge (article 1017, alinea 1er, duCode judiciaire). La nature de la procedure ne peut justifier que cesdepens soient compenses.
8. Des lors que P. est liberee de ses obligations resultant ducautionnement, sur la base duquel EB-Lease demande sa condamnation dans lacause nDEG 2012/RG/2200, cette demande est non fondee. Cela implique quel'appel de EB-Lease contre le jugement du tribunal de premiere instance deGand du 19 mai 2010 est non fonde et que l'appel incident de P. contre cememe jugement est fonde. Les depens des deux instances sont à charge deEB-Lease. La cour [d'appel] prend acte du fait que P. fixe l'indemnite deprocedure à charge de EB-Lease au montant minimum ».
* * Griefs
Aux termes de l'article 82, alinea 1er, de la loi du 8 aout 1997 sur lesfaillites, le failli qui est declare excusable ne peut plus etre poursuivipar ses creanciers.
La declaration d'excusabilite concerne les dettes propres du failli qu'ila contractees.
Aux termes de l'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997 sur lesfaillites, le conjoint du failli qui est personnellement oblige à ladette de son epoux ou l'ex-conjoint qui est personnellement oblige à ladette de son ex-epoux contractee du temps du mariage est libere de cetteobligation par l'effet de l'excusabilite.
Ainsi que cela resulte des termes de cette disposition legale, laliberation du conjoint concerne les dettes du failli pour lesquelles leconjoint s'est engage contractuellement ou legalement.
En d'autres termes, le conjoint s'est engage à l'egard du creancier dufailli pour la meme dette, fut-ce sur une autre base juridique.
La liberation ne concerne, des lors, pas les dettes de tiers pourlesquelles le conjoint se serait porte caution personnellement.
Il n'est pas deroge à ce qui precede par la circonstance que le failliaussi se serait porte caution pour la dette de ce meme tiers.
Il ressort, en effet, de l'article 2011 du Code civil que le cautionnementest une convention par laquelle celui qui se rend caution d'une obligationse soumet envers le creancier à satisfaire à cette obligation, si ledebiteur n'y satisfait pas lui-meme.
Suivant l'article 2021 du Code civil, la caution n'est obligee envers lecreancier à le payer qu'à defaut du debiteur, qui doit etreprealablement discute dans ses biens, à moins que la caution n'aitrenonce au benefice de discussion, ou à moins qu'elle ne se soit obligeesolidairement avec le debiteur, auquel cas l'effet de son engagement seregle par les principes qui ont ete etablis pour les dettes solidaires.
Il resulte de cette disposition que la caution garantit par definition ladette d'un tiers.
Cette obligation a un caractere subsidiaire. L'obligation qui est assumeepar la caution est essentiellement une obligation de garantie ou desurete. La caution s'engage à assumer les consequences financieres d'unmanquement futur du debiteur principal.
En vertu de l'article 2025 du Code civil, lorsque plusieurs personnes sesont rendues cautions d'un meme debiteur pour une meme dette, elles sontobligees chacune à toute la dette du debiteur principal, etant entenduque, conformement à l'article 2026 du Code civil, chacune d'elles peut,à moins qu'elle n'ait renonce au benefice de division, exiger que lecreancier divise prealablement son action, et la reduise à la part etportion de chaque caution.
Si plusieurs personnes se sont rendues cautions, il nait des obligationsde garantie et de surete paralleles sans qu'il puisse, certes, etreaffirme que l'une des cautions s'engage à la dette de l'autre caution,soit l'obligation de garantie contractee par cette caution.
Il suit au contraire de l'article 2029 du Code civil, que la caution qui apaye la dette est subrogee dans tous les droits qu'avait le creanciercontre le debiteur.
En outre, l'article 2033 du Code civil dispose que, lorsque plusieurspersonnes ont cautionne un meme debiteur pour une meme dette, la cautionqui a acquitte la dette a recours contre les autres cautions, chacune poursa part et portion.
Il suit de l'ensemble de ces dispositions que la caution ne contracte uneobligation que conjointement avec le debiteur principal. Si plusieurspersonnes se sont rendues caution, elles contractent chacune uneobligation distincte à l'egard du creancier, sans qu'il soit questiond'une meme dette entre les cautions.
En l'espece, il ressort des constatations de l'arret attaque que ladefenderesse a signe un premier acte de cautionnement le 6 juillet 2006 etun second le 2 fevrier 2007 par lesquels elle s'est rendue solidairementet de maniere indivisible caution à l'egard de la demanderesse pour ledebiteur principal, soit la societe privee à responsabilite limitee MP&DConstruct.
La defenderesse s'est ainsi engagee en tant que caution au paiement de ladette d'un tiers, soit la societe privee à responsabilite limitee MP&DConstruct.
Si, suivant les constatations faites, son conjoint, qui a ete declare enfaillite, s'est aussi rendu caution solidaire et indivisible au mememoment, mais par des actes distincts, à l'egard de la demanderesse, cecautionnement valait aussi pour la dette de la societe privee àresponsabilite limitee MP&D Construct, soit le debiteur principal.
Il ressort de ces constatations que des obligations equivalentes decaution ont ete contractees à l'egard de la demanderesse par ladefenderesse et par le failli, et que ces obligations peuvent etrequalifiees d'obligation de garantie, sans que l'on puisse considerer quela defenderesse etait personnellement tenue d'une obligation contracteepar le failli.
Si les obligations des deux ex-conjoints portaient sur la meme dette,elles concernaient incontestablement la dette d'un tiers pour laquelle nil'un ni l'autre ne s'etait personnellement engage.
* Conclusion
* Se fondant sur les constatations de l'arret attaque, desquelles ilressort que la defenderesse s'est engagee personnellement à l'egard de lademanderesse par deux actes de cautionnement distincts, à garantir ladette d'un tiers, à savoir la societe privee à responsabilite limiteeMP&D Construct, la cour d'appel ne pouvait legalement decider qu'en tantque conjoint de l'autre caution faillie, en raison de sa declarationd'excusabilite, elle etait liberee de sa propre obligation decautionnement concernant la dette de MP&D Construct, à l'egard de lademanderesse (violation des articles 82, alineas 1er et 2, de la loi du 8aout 1997 sur les faillites, 2011, 2021, 2025, 2026, 2029, 2033 du Codecivil). En outre, la cour d'appel n'a pu legalement decider, sans violerainsi la force obligatoire des actes de cautionnement des 6 juillet 2006et 2 fevrier 2007 souscrits par la defenderesse, que la dette garantie parcelle-ci est une dette du failli, vu qu'il ressort des constatations del'arret attaque meme que la dette garantie etait une dette de la societeprivee à responsabilite limitee MP&D Construct à l'egard de lademanderesse (violation de l'article 1134 du Code civil).
III. La decision de la Cour
* 1. L'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997 sur les faillitesdispose que le conjoint du failli ou l'ex-conjoint du failli qui estpersonnellement oblige à la dette de son epoux contractee du temps dumariage est libere de cette obligation par l'effet de l'excusabilite.
2. Le conjoint ou l'ex-conjoint est personnellement oblige à la dette ausens de cette disposition lorsqu'il s'est porte caution, avec le failli,d'une dette d'une societe dont le failli est gerant.
3. Le juge d'appel a constate que :
- par des actes de cautionnement, la defenderesse et son conjoint se sontportes caution solidaire et indivisible envers la demanderesse pour toutesles sommes qui lui seraient dues par la societe privee à responsabilitelimitee MP&D Construct, societe dont le conjoint de la defenderesse etaitle gerant ;
- la societe privee à responsabilite limitee MP & D a ete declaree enfaillite ;
- le conjoint de la defenderesse, qui exerc,ait aussi un commerce à titrepersonnel, a egalement ete declare en faillite ;
- le conjoint de la defenderesse a ete declare excusable.
4. En considerant, sur la base de ces constatations, que le benefice de laliberation ne peut etre refuse à la defenderesse au motif que la dettetrouve son origine dans un cautionnement contracte par les deux parties envue de garantir les obligations d'un tiers, le juge d'appel a legalementjustifie sa decision.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le premier president chevalier Jean de Codt, les presidents desection Christian Storck, Eric Dirix et Albert Fettweis, les conseillersAlain Smetryns, Koen Mestdagh, Martine Regout, Geert Jocque et BartWylleman, et prononce en audience pleniere du huit mai deux mille quinzepar le premier president chevalier Jean de Codt, en presence de l'avocatgeneral Christian Vandewal, avec l'assistance du greffier Kristel VandenBossche.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Marie-Claire Ernotte ettranscrite avec l'assistance du greffier Patricia
De Wadripont.
Le greffier, Le conseiller,
8 MAI 2015 C.13.0301.N/1