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07/05/2015 | BELGIQUE | N°C.13.0513.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 07 mai 2015, C.13.0513.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.13.0513.F

F. B.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

1. A. D. et

2. M.-T. C.,

defendeurs en cassation,

representes par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la

Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 3 mai 2013 parla cour d'appel de Bruxelles, statuan...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.13.0513.F

F. B.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

1. A. D. et

2. M.-T. C.,

defendeurs en cassation,

representes par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 3 mai 2013 parla cour d'appel de Bruxelles, statuant comme juridiction de renvoi ensuitede l'arret de la Cour du 2 octobre 2008.

Le 13 mars 2015, le premier avocat general Jean-Franc,ois Leclercq adepose des conclusions au greffe.

Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat general

Jean-Franc,ois Leclercq a ete entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente deux moyens, dont le second est libelle dans lestermes suivants :

Dispositions legales violees

Articles 549, 550, 555, 1382 et 1383 du Code civil

Decisions et motifs critiques

Apres avoir [constate les faits suivants : 1. par acte sous seing prive du30 mars 1990, les defendeurs ont vendu une maison d'habitation sise à T.à la demanderesse ; celle-ci prit immediatement possession des lieux etentama une serie de travaux ; 2. le 7 decembre 1990, les defendeurs mirentla demanderesse en demeure de cesser tous travaux et de quitter leslieux ; 3. par exploit du 12 decembre 1990, la demanderesse cita lesdefendeurs devant le tribunal de premiere instance de Charleroi enpassation de l'acte authentique de vente ; les defendeurs formerent unedemande reconventionnelle tendant à l'annulation de la vente en raisond'une « erreur obstacle in corpore », à la restitution du bien dans son« pristin etat » et au paiement d'une indemnite pour perte dejouissance ; par jugement du 26 octobre 1995, le tribunal de premiereinstance declara la vente nulle et condamna la demanderesse à restituerle bien, le surplus etant reserve ; sur l'appel principal de lademanderesse et l'appel incident des defendeurs, la cour d'appel de Mons,par arret du 11 septembre 2001, confirma le jugement entrepris et designaun expert afin de decrire les travaux realises par la demanderesse, d'enestimer le cout, de donner un avis sur la plus-value que ces travaux ontapportee à l'immeuble et de donner un avis sur la valeur locative del'immeuble ; 4. par arret du 30 mai 2006, la cour d'appel de Mons condamnales defendeurs à payer à la demanderesse la somme de 47.100 eurosrepresentant la plus-value apportee à l'immeuble par ces travaux,augmentee des interets depuis le

17 novembre 1990 (date semblant correspondre à celle de la dernierefacture de travaux), outre une somme de 1.810,08 euros en remboursementdes precomptes immobiliers acquittes par la demanderesse, à majorer desinterets depuis le 1er janvier 1997, et condamna la demanderesse à payeraux defendeurs la somme de 37.357,16 euros à titre d'indemnite pour pertede jouissance, augmentee des interets depuis le 1er septembre 1996, datemoyenne ; 5. sur pourvoi des defendeurs, la Cour, par arret du 23 mai(lire :

2 octobre) 2008, cassa ce dernier « sauf en tant qu'il condamne les(defendeurs) à payer à la (demanderesse) la somme en principal de 47.100euros et la somme de 1.810,08 euros augmentee des interets depuis le

10 janvier 1997 », aux motifs a) « qu'en refusant, pour evaluer lesfruits que les (defendeurs) auraient pu percevoir du 1er octobre 1990 au1er mars 2002, de tenir compte des ameliorations apportees au bien par (lademanderesse), alors qu'il aurait du leur etre restitue avec cesameliorations depuis le mois de septembre 1990, l'arret [alors] attaquen'accorde pas aux (defendeurs) la totalite des fruits auxquels ilspouvaient pretendre et viole, des lors, les articles 549, 550, 1382 et1383 du Code civil » et b) « que, par aucune consideration, l'arret[alors] attaque ne repond aux conclusions des (defendeurs) qui faisaientvaloir que, la plus-value etant censee representer l'accroissement de lavaleur de l'immeuble à sa restitution, les interets sur cette plus-valuedoivent se calculer à la date du rapport d'expertise qui l'actualise,soit à partir du 4 novembre 2003 (violation de l'article 149 de laConstitution) » ; la cause ainsi limitee fut renvoyee à la cour d'appelde Bruxelles],

l'arret attaque dit que la somme de 47.100 euros due solidairement par lesdefendeurs à la demanderesse, au titre de la plus-value que les travauxrealises par la demanderesse ont apportee à l'immeuble des defendeurs, neproduit d'interets compensatoires au taux legal que depuis le 1er mars2002.

L'arret attaque fonde cette decision sur les motifs suivants :

- « cette dette de valeur ne peut (...) produire d'interets avant sanaissance, c'est-à-dire avant la restitution du bien, le 1er mars 2002[...]. L'`enrichissement' qui en resulte pour les (defendeurs) est laconsequence du refus de restitution du bien par (la demanderesse), alorsqu'il a ete juge qu'elle savait qu'elle y etait tenue depuis la dateprecitee » ;

- « la plus-value (est) due, non au moment de la realisation desouvrages, mais au jour de la restitution du fonds par le possesseur ».

Griefs

1. En vertu des articles 549 et 550 du Code civil, seul le possesseur debonne foi peut conserver les fruits de la chose possedee. Des lors que lepossesseur a connaissance des vices de son titre, sa bonne foi cesse et ilest tenu, en vertu des dispositions precitees et des articles 1382 et 1383du meme code, de restituer les fruits au proprietaire de la chose, àsavoir les fruits que le proprietaire aurait perc,us si la possessionindue ne l'en avait empeche.

Lorsque, sur la base des dispositions precitees, le possesseur qui n'a pasrestitue le bien au proprietaire des que sa bonne foi a cesse d'existerindemnise le proprietaire du prejudice resultant de la privation dejouissance par le paiement d'une indemnite reparant ce dommage depuis ladate à laquelle la bonne foi a cesse d'exister jusqu'à la date ou lebien est effectivement restitue, le proprietaire se trouve replace dans lasituation ou il se serait trouve si la restitution du bien avait [eu] lieuà la date à laquelle celle-ci aurait du avoir lieu et son prejudice estintegralement repare. Par le paiement de cette indemnite, le possesseur,de son cote, a perdu, à partir de la date à laquelle sa bonne foi acesse d'exister, l'avantage indu que sa possession lui avait procure. Lesparties se trouvent donc placees dans la situation qui aurait du etre laleur si le possesseur n'avait pas commis la faute de ne pas restituer lebien des que sa bonne foi avait cesse d'exister.

C'est d'ailleurs en vertu du principe de la reparation integrale dudommage, consacre par les articles 1382 et 1383 du Code civil, et en vertudes articles 549 et 550 du Code civil, que la valeur locative del'immeuble (representant la valeur des fruits de celui-ci) doit etre fixeeen tenant compte des ameliorations que le possesseur a apportees au bien,puisque le bien aurait du etre restitue au proprietaire avec cesameliorations des que la bonne foi du possesseur a cesse d'exister.

2. En vertu de l'article 555 du Code civil, le proprietaire d'un bien quia ete ameliore par des travaux effectues par le possesseur doit payer uneindemnite à ce possesseur, pour reparer le prejudice resultant pour cedernier de son obligation d'abandonner au proprietaire lesdits travauxd'amelioration, que le possesseur soit d'ailleurs de bonne ou de mauvaisefoi (la situation du possesseur de mauvaise foi differe de celle dupossesseur de bonne foi principalement en ce que le proprietaire a ledroit de demander la demolition des ouvrages effectues par le possesseurde mauvaise foi ; mais s'il ne le fait pas, il doit une indemnite aupossesseur). En principe, l'indemnite pour la plus-value apportee àl'immeuble par les travaux effectues par le possesseur est due par leproprietaire au possesseur au moment de la restitution du bien, car, avantcette date, le proprietaire ne tire aucun profit des travauxd'amelioration apportes à son bien : c'est au contraire le possesseur quien profite tant qu'il continue à posseder le bien et donc à en jouir.

Toutefois, la situation est differente lorsque le possesseur indemnise leproprietaire du prejudice resultant de la privation de jouissance de sonbien depuis la date à laquelle il aurait du restituer le bien jusqu'aujour de la restitution effective. En effet, par cette indemnisation, leproprietaire est replace dans la situation ou il se serait trouve si larestitution avait eu lieu à cette date, puisqu'il obtient en equivalentles fruits dont il a ete prive. De son cote, le possesseur a perdu, àpartir de cette meme date à laquelle la restitution aurait du avoir lieu,l'avantage que lui avait procure la plus-value qu'il avait apportee aubien du proprietaire par les travaux qu'il y a effectues.

3. L'arret attaque condamne la demanderesse à payer aux defendeurs uneindemnite pour privation de jouissance de leur bien sur la base de lavaleur locative de l'immeuble dans l'etat ou celui-ci se trouvait aumoment ou il aurait du etre restitue et cette indemnite couvre la periodedu 1er octobre 1990 au 1er mars 2002. Cette indemnite replacera lesdefendeurs dans la situation ou ils se seraient trouves si l'immeuble leuravait ete restitue, avec ces ameliorations, le 1er octobre 1990. Si lesdefendeurs avaient obtenu la restitution de leur immeuble à cette date,ils auraient du payer à la demanderesse, egalement à cette date, laplus-value que les travaux ont procuree à l'immeuble.

Des lors que la demanderesse doit reparer, par l'indemnite pour privationde jouissance, le dommage des defendeurs en raison de la non-restitutionde l'immeuble à partir d'une certaine date, les defendeurs doivent, deleur cote, reparer le dommage resultant pour la demanderesse de laprivation de la plus-value que les travaux qu'elle a effectues ontapportee à l'immeuble à partir de cette meme date.

Or, l'arret attaque decide que les defendeurs peuvent obtenir, pour laperiode du 1er octobre 1990 au 1er mars 2002, le benefice de la plus-valueapportee à leur immeuble par les travaux de la demanderesse (puisqu'ilsobtiennent une indemnite pour privation de jouissance calculee sur la basede la valeur locative de l'immeuble ainsi ameliore), sans devoir, pourcette meme periode, indemniser la demanderesse du prejudice subi parcelle-ci du fait qu'elle doit abandonner aux defendeurs ses travauxd'amelioration (puisqu'ils ne doivent les interets sur la plus-value qu'àpartir du 1er mars 2002).

En decidant que la demanderesse, qui est condamnee à payer aux[defendeurs] une indemnite pour privation de jouissance de leur bien surla base de la valeur locative de l'immeuble ameliore par ces travaux àpartir du 1er octobre 1990, n'a pas droit, à partir de cette date, auxinterets sur le montant de la plus-value apportee par ces travaux au biendes defendeurs, l'arret attaque viole les articles 549, 550, 555, 1382 et1383 du Code civil.

III. La decision de la Cour

Sur le second moyen :

En vertu de l'article 555 in fine du Code civil, lorsque des ouvrages ontete faits sur le fonds d'autrui par un tiers possesseur de bonne foi, leproprietaire du fonds ne pourra demander la suppression desdits ouvrages,mais il aura le choix, ou de rembourser la valeur des materiaux et du prixde la main-d'oeuvre, ou de rembourser une somme egale à celle dont lefonds a augmente de valeur.

Dans ce cas, l'accession se produit au profit du proprietaire du fonds desque l'accessoire se trouve incorpore au principal.

L'obligation du proprietaire de rembourser au possesseur la valeur desouvrages, jusqu'à concurrence, ou de la valeur des materiaux et du prixde la main-d'oeuvre, ou de l'augmentation de valeur du fonds, nait, deslors, à ce moment.

Cette obligation trouve son fondement dans l'enrichissement sans cause.

Pour fixer le montant de l'indemnite, le juge se place, en regle, aumoment ou il statue. Cette regle ne lui interdit ni de calculer le montantprincipal de l'indemnite à une date anterieure s'il considere qu'àcelle-ci, l'enrichissement du proprietaire et l'appauvrissement correlatifdu possesseur etaient dejà certains et evaluables et pouvaient, des lors,donner lieu à restitution, ni d'allouer dans ce cas sur ce montant desinterets compensatoires pour indemniser le dommage resultant du paiementdiffere de l'obligation principale.

Le possesseur, qui, ayant fait des ouvrages sur le fonds d'autrui alorsqu'il etait de bonne foi, s'abstient de restituer le fonds des qu'il cessede l'etre, est tenu, sur la base des articles 549, 550, 1382 et 1383 duCode civil, de restituer des ce moment au proprietaire les fruits qu'il aperc,us et ceux dont le proprietaire a ete prive par la possession indue,soit, s'il s'agit d'une indemnite pour la privation de la jouissance dufonds, une indemnite determinee en tenant compte des ouvrages faits sur lefonds.

Le proprietaire et le possesseur se trouvent ainsi, en regle, chacunreplace dans la situation qui aurait ete la sienne si le fonds avait eterestitue lorsque la bonne foi a cesse d'exister.

L'arret rendu en la cause par la cour d'appel de Mons le 11 septembre2001, qui n'a pas ete attaque, considere que la demanderesse a possede debonne foi un immeuble appartenant aux defendeurs, qu'elle y a apporte desameliorations et que sa bonne foi a cesse le 7 septembre 1990. L'arretrendu par cette cour d'appel le 30 mai 2006, qui n'a pas ete critique surces points, constate que la demanderesse a restitue l'immeuble le 1er mars2002, decide que les defendeurs doivent lui rembourser la valeur desameliorations sur la base de l'article 555 in fine du Code civil et fixele montant principal de cette indemnite à 47.100 euros.

L'arret attaque considere que des interets compensatoires sont dus surcette indemnite avant le depot du rapport d'expertise judiciaire le 4novembre 2003, des lors « qu'il ne ressort pas [dudit rapport] que cetteplus-value aurait ete evaluee au jour ou l'expert deposa son rapport ; lespoints de comparaison sur la base desquels il l'a fixee remontent, eneffet, à des ventes realisees en 1997 et 1998 ».

Il decide toutefois que « cette dette de valeur ne peut [...] produiredes interets compensatoires avant [...] la restitution du bien, le 1ermars 2002 », au motif, d'une part, que la dette aurait pris naissance àcette derniere date et, d'autre part, que « `l'enrichissement' qui[resulte de sa decision pour les defendeurs] est la consequence du refusde restitution du bien par [la demanderesse], alors qu'il a ete jugequ'elle savait qu'elle y etait tenue depuis [le 7 septembre 1990] ».

En refusant pour ces motifs d'allouer des interets compensatoires surl'indemnite entre le moment ou la demanderesse a cesse d'etre de bonne foiet la restitution de l'immeuble, l'arret attaque viole l'article 555 infine du Code civil.

Dans cette mesure, le moyen est fonde.

Sur l'etendue de la cassation :

La cassation de la decision sur les interets sur la plus-value s'etend àl'evaluation des fruits dus aux defendeurs, en raison du lien etabli parl'arret attaque entre les deux decisions.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant la cour d'appel de Liege.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, president, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Mireille Delange,Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononce en audience publique dusept mai deux mille quinze par le president de section Christian Storck,en presence de l'avocat general Jean-Franc,ois Leclercq, avec l'assistancedu greffier Patricia

De Wadripont.

+------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|-----------------+----------------+-------------|
| M. Delange | A. Fettweis | Chr. Storck |
+------------------------------------------------+

7 MAI 2015 C.13.0513.F/10


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.13.0513.F
Date de la décision : 07/05/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-05-07;c.13.0513.f ?
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