Cour de cassation de Belgique
Arret
* NDEG P.14.1655.N
* LAZARE KAPLAN INTERNATIONAL Inc.,
* partie civile,
* demanderesse en cassation,
* Me Eline Tritsmans, avocat au barreau de Gand,
* * contre
* S.A. BANQUE DIAMANTAIRE ANVERSOISE,
prevenue,
defenderesse en cassation,
Me Johan Vebist, avocat à la Cour de cassation.
I. la procedure devant la cour
IX. X. Le pourvoi est dirige contre un arret rendu le 17 septembre 2014par la cour d'appel d'Anvers, chambre correctionnelle.
XI. La demanderesse invoque quatre moyens dans un memoire annexe aupresent arret, en copie certifiee conforme.
XII. Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
XIII. L'avocat general Luc Decreus a conclu.
XIV. II. la decision de la cour
Sur le premier moyen :
1. Le moyen invoque la violation des articles 1er, 7, 7bis, 42bis du Codepenal, 179 et 182 du Code d'instruction criminelle : les juges d'appel ontillegalement decide qu'ils etaient sans competence pour connaitre desfaits dont ils ont ete saisis par le biais d'une citation de lademanderesse, faits qui pourraient constituer le crime de faux et usage defaux dans le chef de la defenderesse ; les personnes morales ne peuventetre punies que d'une amende ; une amende n'est jamais une peinecriminelle mais toujours correctionnelle ou de police ; le juge du fond etles juges d'appels etaient, par consequent, competents.
2. L'article 1er du Code penal prevoit que l'infraction que les loispunissent respectivement d'une peine criminelle, correctionnelle ou depolice sont respectivement un crime, un delit ou une contravention.
L'article 7 de ce meme code prevoit que la reclusion est une peineapplicable aux infractions commises par des personnes physiques en matierecriminelle.
L'article 7bis dudit code prevoit que l'amende en matiere criminelle,correctionnelle et de police est une peine applicable aux infractionscommises par les personnes morales en matiere criminelle.
L'article 41bis, S: 1er, dudit code prevoit de quelle maniere est calculeel'amende applicable aux infractions commises par les personnes morales enmatiere criminelle lorsqu'une peine privative de liberte à temps ou àperpetuite est prevue. L'article 41bis, S: 2, prescrit que, pour le calculde l'amende prevue au paragraphe S: 1er, les dispositions du Livre Iersont applicables.
3. Il resulte de la volonte du legislateur de realiser le parallele leplus complet possible dans les poursuites et la repression des personnesmorales et des personnes physiques et de la lecture combinee des articlesprecites que, pour l'application des regles en matiere de competence etdes circonstances attenuantes, la nature d'une infraction imputable à unepersonne morale constitue un crime si la loi punit cette infraction, sielle est commise par une personne physique, d'une peine criminelleprivative de liberte. La conversion à appliquer conformement à l'article41bis du Code penal ne modifie pas la nature de l'infraction.
Dans la mesure ou il est deduit d'une autre premisse juridique, le moyenmanque en droit.
4. Les juges d'appel qui ont decide que, pour l'appreciation de lacompetence concernant une personne morale, la nature de l'infraction estdeterminee par la peine applicable à la personne physique prevue auxdispositions penales y relatives et non selon la conversion prescriteconformement à l'article 41bis du Code penal, ont legalement justifieleur decision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le deuxieme moyen :
5. Le moyen invoque la violation des articles 6.1 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, 13 de laConstitution, 179 et 182 du Code d'instruction criminelle : les jugesd'appel se sont declares sans competence sans avoir examine les faits niprocede à la requalification, alors que les qualifications enoncees dansla citation directe concernent des delits ; un premier controle en matierede competence s'effectue de plano, à savoir en fonction de laqualification faite dans l'acte introductif ; un second controle enmatiere de competence est realise dans le cadre de l'instruction de lacause par laquelle le juge doit se declarer sans competence apres uneeventuelle requalification ; les juges d'appel ont confondu le second etle premier controle en matiere de competence ; des lors que la citation nementionne que des faits qualifies d'abus de confiance, escroquerie etblanchiment, il ne pouvait avoir ete question d'incompetence de plano ;selon les constatations de l'arret meme, les juges d'appel n'ont pasprocede à un second controle en matiere de competence.
6. Il resulte des articles 179 et 182 du Code d'instruction criminellequ'une partie civile ne peut saisir le tribunal correctionnel par citationdirecte que d'un delit.
7. Le tribunal correctionnel et, en degre d'appel, la cour d'appel sonttenus de verifier, du point de vue de la citation directe et selon laqualification qu'elle contient, s'ils sont competents pour connaitre dufait, objet de la saisine.
Lors de ce controle de prime abord, qui exclut tout examen du fait meme,le juge ne doit pas se limiter à la qualification legale de l'infractiondonnee par la partie civile dans la citation directe, mais il peut, pourdeterminer sous quelle qualification il a ete saisi du fait par lacitation directe, tenir compte egalement de tous les autres elementsenonces dans la citation.
Dans la mesure ou il est deduit d'une autre premisse juridique, le moyenmanque en droit.
8. L'arret decide notamment que
- l'appreciation de savoir si la citation directe implique la saisine d'undelit ou d'un crime, doit s'effectuer sur la base du contenu de l'acteintroductif, à savoir la citation directe ;
- il y a lieu de tenir compte des infractions telles qu'elles figurentdans cette citation ;
- cependant, le juge peut, à la lumiere de l'expose des faits et de ladescription des infractions dans la citation, verifier quelles sont lesinfractions reellement visees par la demanderesse ;
- la demanderesse ne peut echapper à l'incompetence du tribunalcorrectionnel en se bornant à mentionner explicitement la qualificationlegale de delits lorsqu'il ressort de la description des infractions etdes faits qu'elle saisit en fait le tribunal d'un crime ;
- à la lecture de la citation directe, il ressort clairement que, malgrela qualification d'escroquerie, en realite, la saisine porte, en partieaussi, sur le crime de faux et usage de faux ;
- alors que, dans la qualification des preventions d'escroquerie, lesmanoeuvres frauduleuses ne sont pas concretement decrites, tel estpourtant le cas dans le developpement ulterieur de la citation directe etil ressort clairement d'un passage de la citation directe que lademanderesse reproche à la defenderesse d'avoir commis un faux et usagede faux constituant la manoeuvre frauduleuse, la demanderesse ayant cru enl'existence d'un credit imaginaire et d'une issue favorable ;
- sans examiner les faits, il y a lieu de constater qu'ainsi, l'objet dela saisine faite par la demanderesse concerne des faits de faux enecritures bancaires, privees et commerciales et usage de ces faux.
Par ces motifs et sans outrepasser les limites du controle de prime abord,les juges d'appel ont legalement justifie leur decision selon laquelle,par la citation directe, la demanderesse a saisi le tribunal correctionneld'un crime et qu'ils sont sans competence.
Dans cette mesure, le moyen ne peut etre accueilli.
(...)
Sur le quatrieme moyen :
13. Le moyen invoque la violation des articles 6.1 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, 13 de laConstitution, 3, alinea 3, de la loi du 4 octobre 1867 sur lescirconstances attenuantes, 179 et 182 du Code d'instruction criminelle :les juges d'appel ont decide, à tort, que l'article 3, alinea 3, de laloi du 4 octobre 1867 ne permet pas d'admettre des circonstancesattenuantes en cas de citation directe par une partie civile pour desfaits de faux et usage de faux ; en decidant que la possibilite d'admettredes circonstances attenuantes dans le cadre de la saisine d'un crimen'existe qu'en cas d'ordonnance de renvoi de la juridiction d'instructionou de citation par le ministere public, les juges d'appel ont emis unecondition qui n'est pas legalement prevue ; l'article 3, alinea 3, de laloi du 4 octobre 1867 requiert uniquement que le crime « peut etre[correctionnalise] en vertu de l'article 2, alinea 3 » et renvoie ainsiaux cas vises aux points 1DEG à 12DEG de cette derniere disposition, sansque le mode de saisine joue aucun role.
Il est demande à la Cour de poser à la Cour constitutionnelle laquestion prejudicielle suivante :
« L'article 3, alinea 3, de la loi du 4 octobre 1867 sur lescirconstances attenuantes, tel qu'insere par l'article 9 de la loi du 8juin 2008, compte tenu des articles 64, alinea 2, 179 et 182 du Coded'instruction criminelle, en ce sens que cet article n'est pas applicableà la citation directe portee devant le tribunal correctionnel par unepartie civile, viole-t-il l'article 13 de la Constitution, pris isolement,et les articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec lesarticles 13 de la Constitution et 6.1 de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertes fondamentales, en ce que cet article, sile tribunal correctionnel constate que les faits dont il est saisiqualifies delits dans l'acte introductif, concernent en realite des crimescorrectionnalisables, implique une distinction non justifiee entre
(1) la/les partie(s) civile(s) presente(s) devant le juge du fond saisides faits ensuite du renvoi par une juridiction d'instruction ou sur lacitation directe du ministere public, et
(ii) la/les partie(s) civile(s) presente(s) devant le juge du fond saisides faits par la citation directe d'une partie civile,
dans la mesure ou le tribunal a la possibilite dans le premier mais pasdans le second cas de decliner sa competence en admettant lui-meme descirconstances attenuantes ou la cause d'excuse, dans le cas ou le crimevise à cet egard entre en consideration pour ce faire sur la base del'article 2, alinea 3, de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstancesattenuantes ? »
14. L'article 2, alineas 2 et 3, de la loi du 4 octobre 1867 dispose :
« De la meme maniere, dans les cas ou une instruction n'a pas eterequise, le ministere public peut, s'il estime qu'il n'y a pas lieu derequerir une peine plus severe qu'une peine correctionnelle en raison decirconstances attenuantes ou d'une cause d'excuse, citer directement ouconvoquer le prevenu devant le tribunal correctionnel en indiquant cescirconstances attenuantes ou la cause d'excuse.
La citation directe ou la convocation par le ministere public (...) enraison de circonstances attenuantes, ne sont possibles que dans les cassuivants (...) ».
L'article 3 de cette meme loi, tel que modifie par l'article 9 de la loidu 8 juin 2008, dispose :
« Le tribunal correctionnel, devant lequel l'inculpe est renvoye, ne peutdecliner sa competence en ce qui concerne les circonstances attenuantes oula cause d'excuse.
Il peut cependant decliner sa competence en ce qui concerne lescirconstances attenuantes ou la cause d'excuse s'il est saisi enapplication de l'article 2, alinea 2.
Il peut se declarer competent en admettant les circonstances attenuantesou la cause d'excuse lorsqu'il constate que le crime dont il a ete saisin'a pas ete correctionnalise et peut l'etre en vertu de l'article 2,alinea 3. »
Il resulte de la lecture combinee de ces dispositions et de la geneselegale que l'article 3, alinea 3, de ladite loi n'implique pas que le jugepeut, en cas de citation directe pour un crime par une partie civile, sedeclarer competent en admettant les circonstances attenuantes.
Dans la mesure ou il est deduit d'une autre premisse juridique, le moyenmanque en droit.
15. Par les motifs qu'il comporte (...), l'arret justifie legalement ladecision selon laquelle les juges d'appel ne peuvent, en cas de citationdirecte par une partie civile, admettre de circonstances attenuantes pourun crime.
Dans cette mesure, le moyen ne peut etre accueilli.
16. La question prejudicielle soulevee est deduite d'une comparaison faiteentre deux situations juridiques :
- d'une part, la situation de la juridiction de jugement, qui, saisie parle ministere public ou par une ordonnance de renvoi de la juridictiond'instruction d'un fait qualifie delit qu'elle considere en realite etreun crime correctionnalisable et qui peut admettre des circonstancesattenuantes ou une cause d'excuse, ce qui la rend competente ;
- d'autre part, la situation de la juridiction de jugement qui, saisie parla citation directe emanant d'une partie civile d'un fait qualifie delitqu'elle considere en realite etre un crime correctionnalisable mais qui nepeut admettre de circonstances attenuantes ni une cause d'excuse et doitdonc decliner sa competence.
Ces situations juridiques ne sont pas comparables. Dans le premier cas, ladecision d'engager l'action publique ou de la poursuivre repose sur leministere public ou la juridiction d'instruction qui tendent, dansl'interet general, à rechercher, poursuivre et sanctionner lesinfractions. Dans le second cas, l'initiative emane d'une partie lesee quipoursuit exclusivement un interet personnel.
La question prejudicielle n'est pas posee.
Par ces motifs,
* * La Cour
* Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient Luc Van hoogenbemt, president de section, Filip Van Volsem,Peter Hoet, Antoine Lievens et Erwin Francis, conseillers, et prononce enaudience publique du vingt-huit avril deux mille quinze par Luc Vanhoogenbemt, president de section, en presence de l'avocat general LucDecreus, avec l'assistance du greffier delegue Veronique Kosynsky.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Benoit Dejemeppe ettranscrite avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.
Le greffier, Le conseiller,
28 AVRIL 2015 P.14.1655.N/1