Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.14.0466.F
R. T.,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,
contre
P. R.,
defendeur en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 5 juin 2014 parla cour d'appel de Mons.
Le president de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat general Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
Articles 2251, 2253, 2262bis, modifie par l'article 5 de la loi du 10 juin1998, du Code civil et, en tant que de besoin, 10 de ladite loi du 10juin 1998 modifiant certaines dispositions en matiere de prescription
Decisions et motifs critiques
L'arret « dit l'appel [du defendeur] recevable et partiellement fonde ;par consequent, met à neant le jugement defere, sauf en ce qu'il adeboute [le defendeur] de sa demande reconventionnelle pour proceduretemeraire et vexatoire ; dit la demande de [la demanderesse] irrecevableet l'en deboute ; compense les frais et depens des parties en premiereinstance ; condamne [la demanderesse] aux frais et depens [du defendeur]en instance d'appel, liquides à la somme de 1.250 euros, et lui delaisseses propres frais et depens ».
L'arret fonde ces decisions sur ce que :
« [Le defendeur] invoque la prescription de la dette litigieuse ;
En l'absence de terme conventionnel, le point de depart de la prescriptionest la date de la reconnaissance de dette, soit le 5 decembre 1996 ;
L'article 2262 ancien du Code civil prevoyait tant pour les actionsreelles que personnelles un delai de prescription de trente ans ;
A la suite de l'adoption de la loi du 10 juin 1998 modifiant certainesdispositions en matiere de prescription, le delai de prescription desactions personnelles, c'est-à-dire celles dont l'objet est un droit decreance, fut reduit à dix ans (article 2262bis nouveau du Code civil) ;
Neanmoins, en vertu de l'article 10 de cette loi, lorsque l'action a prisnaissance avant l'entree en vigueur de celle-ci, les nouveaux delais deprescription ne commencent à courir qu'à dater du 27 juin [lire :juillet] 1998, date d'entree en vigueur de la loi ;
Le delai de prescription aurait du expirer en l'espece le 27 juillet 2008,sauf cause d'interruption ou de suspension de la prescription ;
En vertu de l'article 2244 ancien du Code civil, une citation en justice,un commandement ou une saisie, signifies à celui qu'on veut empecher deprescrire, forment l'interruption civile ;
La citation du 19 janvier 2012 etant posterieure au 27 juin 1998 [lire :juillet 2008], celle-ci n'a pu interrompre la prescription ;
Il en decoule que l'action en paiement fondee sur la reconnaissance dedette du 5 decembre 1996 doit etre declaree irrecevable puisquetardive ».
L'arret fonde ainsi le rejet de l'action en paiement de la demanderessesur l'ecoulement de la prescription de dix ans prevue par l'article2262bis, S: 1er, alinea 1er, du Code civil, cette prescription n'ayant puetre interrompue par la citation du 19 janvier 2012 puisque celle-ci etaitposterieure de plus de dix ans au 27 juillet 1998, date de l'entree envigueur de la loi du 10 juin 1998, constituant le point de depart de laprescription de dix ans etablie par cette loi.
Griefs
La prescription peut, ainsi que l'arret le releve d'ailleurs, etre nonseulement interrompue mais aussi suspendue (article 2251 du Code civil).
L'arret constate que les parties se sont mariees le 7 mars 1998 et queleur divorce a ete prononce le 13 mai 2013, etant par ailleurs nonconteste que, ainsi que le relevent les conclusions de synthese d'appel dela demanderesse, les parties sont toujours en instance de divorce, ledefendeur ayant interjete appel du jugement ayant autorise leur divorce.
Il resulte ainsi des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard que lesparties sont mariees depuis le 7 mars 1998.
Or, l'article 2253 du Code civil dispose, en un texte qui n'a pas changedepuis 1804, que la prescription « ne court point entre epoux ».
Il s'agit là d'une cause legale de suspension de la prescription (article2251 du Code civil).
Il s'ensuit qu'une prescription dont le point de depart se situe le
« 27 juin [lire : juillet] 1998 » (article 10 de la loi du 10 juin 1998vise au moyen) n'a pu courir depuis cette date puisque les epoux etaientmaries depuis le 7 mars 1998 et que la prescription ne court point entreepoux (article 2253 du Code civil).
Il suit de là que, en decidant que la prescription prevue par l'article2262bis du Code civil a couru entre le « 27 juin [lire : juillet] 1998 »et le
27 juillet 2008, alors que les parties etaient mariees durant cetteperiode, l'arret :
1DEG meconnait la cause legale de suspension de la prescription etabliepar l'article 2253 du Code civil et, partant, viole ledit article 2253ainsi que l'article 2251 de ce code ;
2DEG par voie de consequence, meconnait l'article 2262bis, S: 1er, alinea1er, du Code civil, en considerant comme acquise la prescription prevuepar cet article alors qu'elle etait suspendue depuis son point de departtheorique (violation dudit article 2262bis, S: 1er, alinea 1er, du Codecivil et, en tant que de besoin, des articles 2251 et 2253 du meme codeet de l'article 10 de la loi du 10 juin 1998 vises au moyen).
III. La decision de la Cour
En vertu de l'article 2251 du Code civil, la prescription court contretoutes personnes, à moins qu'elles soient dans quelque exception etabliepar la loi, et, aux termes de l'article 2253 de ce code, elle ne courtpoint entre epoux.
L'arret considere que la prescription de la creance de la demanderesse surle defendeur a pris cours le 5 decembre 1996 et que, d'une duree initialede trente ans, conformement à l'article 2262 ancien du Code civil, elleest, depuis le 27 juillet 1998, date de l'entree en vigueur de la loi du10 juin 1998 modifiant certaines dispositions en matiere de prescription,d'une duree de dix ans en vertu de l'article 2262bis de ce code.
L'arret, qui constate que les parties se sont mariees le 7 mars 1998 etque la demanderesse a engage une procedure en divorce le 25 juillet 2011,n'a pu, sans violer les articles 2251 et 2253 du Code civil, decider quela demande de la demanderesse en remboursement de sa creance etaitprescrite pour n'avoir ete formee que par une citation du 19 janvier 2012.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il rec,oit l'appel et statue sur lademande reconventionnelle du defendeur ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, president, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Martine Regout,Michel Lemal et Sabine Geubel, et prononce en audience publique du seizeavril deux mille quinze par le president de section Christian Storck, enpresence de l'avocat general Thierry Werquin, avec l'assistance dugreffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Lemal |
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| M. Regout | A. Fettweis | Chr. Storck |
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16 AVRIL 2015 C.14.0466.F/1