Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG S.14.0017.F
AGENCE FEDERALE POUR L'ACCUEIL DES DEMANDEURS D'ASILE, en abrege Fedasil, dont les bureaux sont etablis à Bruxelles, rue des Chartreux, 21,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Louvain, Koning Leopold I-straat, 3, ou il estfait election de domicile,
contre
1. M. Z.,
defendeur en cassation,
2. CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE VERVIERS, dont les bureaux sontetablis à Verviers, rue du College, 49,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 4 decembre 2013par la cour du travail de Liege.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport.
L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.
II. Les faits
Tels qu'ils ressortent de l'arret attaque et des pieces auxquelles la Courpeut avoir egard, les faits de la cause et les antecedents de la procedurepeuvent etre ainsi resumes :
- le premier defendeur a demande l'asile et la demanderesse lui a designeune structure d'accueil comme lieu obligatoire d'inscription, sur la basede l'article 11, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 12 janvier 2007 surl'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres categoriesd'etrangers ;
- la demanderesse a supprime ce lieu obligatoire d'inscription par unedecision prise sur la base de l'article 13, alinea 1er, de la meme loi, le23 septembre 2011 ;
- le premier defendeur a demande l'asile à nouveau et la demanderesse arefuse de lui designer un lieu obligatoire d'inscription par une decisionfondee sur l'article 11, S: 3, alinea 4, de la loi precitee, le 29decembre 2011 ;
- le premier defendeur a demande l'aide sociale au second defendeur ;celui-ci a refuse l'aide demandee « vu l'illegalite manifeste » de ladecision de la demanderesse supprimant le lieu obligatoire d'inscription ;
- le premier defendeur a introduit devant le tribunal du travail unedemande contre le second defendeur et la demanderesse, le 23 janvier2012 ;
- l'arret, par confirmation du jugement du premier juge, condamne lademanderesse à executer par equivalent ses obligations d'accueil enversle premier defendeur, et rejette la demande dirigee contre le seconddefendeur.
III. Les moyens de cassation
Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, la demanderesse presente deux moyens.
IV. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen par le second defendeur, etdeduite de ce que le moyen ne critique que la decision de l'arret relativeà la recevabilite de la demande dirigee par le premier defendeur contrela demanderesse en tant qu'elle vise la decision du 23 septembre 2011 :
En raison du lien etabli par l'arret entre ces decisions, la cassation dela decision relative à la recevabilite de la demande du premier defendeurcontre la demanderesse est de nature à entrainer, par voie deconsequence, la cassation de la decision relative au second defendeur.
La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.
Sur le fondement du moyen :
Quant à la premiere branche :
1. En vertu du principe general du droit suivant lequel le juge est tenude trancher le litige conformement à la regle de droit qui lui estapplicable, il a l'obligation, en respectant les droits de la defense, derelever d'office les moyens de droit dont l'application est commandee parles faits specialement invoques par les parties au soutien de leurpretention.
2. L'article 23, alinea 1er, la loi du 11 avril 1995 visant à instituerla charte de l'assure social dispose que, sans prejudice des delais plusfavorables resultant des legislations specifiques, les recours contre lesdecisions prises par les institutions de securite sociale competentes enmatiere d'octroi, de paiement ou de recuperation de prestations doivent,à peine de decheance, etre introduits dans les trois mois de leurnotification ou de la prise de connaissance de la decision par l'assuresocial en cas d'absence de notification.
Suivant l'article 2, 2DEG, a), de la charte de l'assure social, pourl'application de cette loi, constitue une institution de securite sociale,tout organisme, autorite ou personne morale de droit public qui accordedes prestations de securite sociale. En vertu de l'article 2, 1DEG, e), lasecurite sociale comprend l'aide sociale.
Aux termes de l'article 1er, alinea 1er, de la loi du 8 juillet 1976organique des centres publics d'action sociale, toute personne a droit àl'aide sociale ; celle-ci a pour but de permettre à chacun de mener unevie conforme à la dignite humaine.
L'article 57ter, alinea 2, de cette loi enonce que le demandeur d'asileauquel a ete designe comme lieu obligatoire d'inscription, en applicationde l'article 11, S: 1er, de la loi du 12 janvier 2007 sur l'accueil desdemandeurs d'asile et de certaines autres categories d'etrangers, unestructure d'accueil geree par la demanderesse ou par un partenaire decelle-ci ne peut obtenir l'aide sociale que dans cette structured'accueil, conformement à cette loi.
Il resulte des articles 2, 6DEG et 9DEG, 3, 9, 10, 11, 13, 55, 56, S: 2,1DEG, et 62 de la loi du 12 janvier 2007 que l'aide sociale visee àl'article 57ter, alinea 2, de la loi du 8 juillet 1976 est l'aidematerielle octroyee par la demanderesse, directement ou à l'interventionde partenaires. Cette aide materielle constitue donc l'une des formes del'aide sociale prevue à l'article 1er, alinea 1er, de la loi du 8 juillet1976.
L'article 23, alinea 1er, de la charte de l'assure social s'applique, deslors, au delai de recours du beneficiaire de l'aide materielle contre lesdecisions de la demanderesse.
3. L'arret rec,oit par confirmation du jugement du premier juge lademande, formee par le premier defendeur le 23 janvier 2012 contre lademanderesse suite à sa decision du 23 septembre 2011, au motifqu' « aucune disposition de la loi du 12 janvier 2007 ni aucune autredisposition legale qui soit precisee devant la cour [du travail] nedetermine un delai de recours contre les decisions prises par [lademanderesse supprimant un lieu obligatoire d'inscription], qui seraitsanctionne de decheance », sans examiner d'office la possibilited'appliquer l'article 23, alinea 1er, de la charte de l'assure social.
En s'abstenant de proceder à cet examen, l'arret meconnait le principegeneral du droit precite.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.
Sur le second moyen :
Quant à la premiere branche :
Conformement à l'article 11, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 12 janvier2007 sur l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autrescategories d'etrangers, la demanderesse designe une structure d'accueilcomme lieu obligatoire d'inscription aux demandeurs d'asile vises àl'article 10, 1DEG et 2DEG, de cette loi.
L'article 11, S: 3, alinea 4, prevoit que, dans des circonstancesparticulieres, la demanderesse peut deroger aux dispositions du paragraphe1er en ne designant pas de lieu obligatoire d'inscription.
Suivant l'article 13, alinea 1er, la demanderesse peut supprimer le lieuobligatoire d'inscription designe conformement aux articles 9 à 12, dansdes circonstances particulieres.
Il ressort des travaux preparatoires de la loi du 12 janvier 2007 que lerisque de saturation de la capacite d'accueil des demandeurs d'asile peutconstituer une des circonstances particulieres visees à l'article 11, S:3, alinea 4, partant, à l'article 13, alinea 1er, de cette loi.
L'arret considere que « la saturation des structures d'accueil ou lerisque de saturation pourraient etre invoques comme circonstanceparticuliere au sens des articles 11, S: 3, et 13 de la loi [du 12 janvier2007], dans la mesure ou ils auraient une relation avec la situationpersonnelle du beneficiaire de l'asile, faisant obstacle à l'accueil decelui-ci dans une structure d'accueil precisement en ce qui le concerne,ce qui ne sera d'evidence pas le cas lorsque, comme en l'espece, ledemandeur d'asile est dejà heberge dans une telle structure ».
Il en deduit que la « situation generalisee de saturation de son reseaud'accueil » invoquee par la demanderesse, qui n'est pas « unecirconstance particuliere relative à la situation personnelle » dupremier defendeur, n'est pas « la circonstance particuliere visee auxarticles 11, S: 3, et 13 de la loi du 12 janvier 2007 » et decide, pource premier motif, que les decisions prises par la demanderesse le 23septembre 2011 sur la base de l'article 13, alinea 1er, et le 29 decembre2011 sur la base de l'article 11, S: 3, alinea 4, sont illegales.
En statuant de la sorte, l'arret viole les dispositions legales precitees.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
Quant à la troisieme branche :
L'article 11, S: 4, alinea 1er, de la loi du 12 janvier 2007 prevoit que,dans des circonstances exceptionnelles liees à la disponibilite desplaces d'accueil dans les structures d'accueil, la demanderesse peut,apres une decision du conseil des ministres sur la base d'un rapportetabli par la demanderesse, pendant une periode qu'elle determine, soitmodifier le lieu obligatoire d'inscription d'un demandeur d'asile en tantqu'il vise une structure d'accueil pour designer un centre public d'actionsociale, soit, en dernier recours, designer à un demandeur d'asile uncentre public d'action sociale comme lieu obligatoire d'inscription.L'alinea 2 poursuit que tant la modification que la designation d'un lieuobligatoire d'inscription en application de ce paragraphe ont lieu sur labase d'une repartition harmonieuse entre les communes, en vertu descriteres fixes selon les modalites visees au paragraphe 3, alinea 2, 2DEG,c'est-à-dire en vertu de criteres fixes par un arrete royal delibere enconseil des ministres.
Les circonstances liees à la disponibilite des places d'accueil dans lesstructures d'accueil, visees par cette disposition, sont exceptionnellesen ce sens qu'elles justifient l'adoption, par un arrete royal delibere enconseil des ministres, d'un plan de repartition harmonieuse des demandeursd'asile entre les communes.
L'article 11, S: 4, precite n'exclut pas que des circonstances liees à ladisponibilite des places d'accueil dans les structures d'accueilconstituent egalement, comme il est dit en reponse à la premiere branchedu moyen, une des circonstances particulieres visees aux articles 11,S: 3, alinea 4, et 13, alinea 1er, de la loi du 12 janvier 2007.
L'arret considere qu' « il doit etre tenu compte de l'evolution du textede la loi des lors que le legislateur a entendu qualifier de `circonstanceexceptionnelle' dans la disposition de l'article 11, S: 4, ladisponibilite des places d'accueil dans les structures d'accueil » et que« la distinction à operer entre la circonstance particuliere visee auxarticles 11, S: 3, et 13 de la loi du 12 janvier 2007 et la circonstancesexceptionnelle visee à l'article 11, S: 4, de la meme loi, lorsqu'ils'agit de l'absence de disponibilite des places d'accueil, procede ducaractere individualise, c'est-à-dire particulier, ou du caracteregeneralise de ce manque de disponibilite ».
Il en deduit que la « situation generalisee de saturation de son reseaud'accueil » invoquee par la demanderesse, qui n'est pas « unecirconstance particuliere relative à la situation personnelle » dupremier defendeur, n'est pas « la circonstance particuliere visee auxarticles 11, S: 3, et 13 de la loi du 12 janvier 2007 » et decide, pource second motif, que les decisions prises par la demanderesse le 23septembre 2011 sur la base de l'article 13, alinea 1er, et le 29 decembre2011 sur la base de l'article 11, S: 3, alinea 4, sont illegales.
En statuant de la sorte, l'arret viole les dispositions legales precitees.
Le moyen, en cette branche est fonde.
Sur l'etendue de la cassation :
La cassation des decisions de l'arret relatives à la demande du premierdefendeur contre la demanderesse s'etend à celle relative à la demandedu premier defendeur contre le second defendeur, en raison du lien etablipar l'arret entre ces decisions.
Sur les autres griefs :
Il n'y a lieu d'examiner ni les deuxieme et troisieme branches du premiermoyen ni les deuxieme et quatrieme branches du second moyen, qui nesauraient entrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il rec,oit l'appel incident dupremier defendeur ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour du travail de Mons.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillers DidierBatsele, Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel, et prononce enaudience publique du trente mars deux mille quinze par le president desection Albert Fettweis, en presence de l'avocat general delegue MichelPalumbo, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
+---------------------------------------+
| L. Body | S. Geubel | M. Lemal |
|------------+------------+-------------|
| M. Delange | D. Batsele | A. Fettweis |
+---------------------------------------+
30 MARS 2015 S.14.0017.F/1