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19/03/2015 | BELGIQUE | N°C.14.0103.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 19 mars 2015, C.14.0103.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0103.F

N. W.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile,

contre

M.-J. D.,

defenderesse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 14 octobre 2013par la cour d'appel de Mons, statuant comme juridiction de renvoi ensuitede l'arret de la Cour du 3 fevrier 2012.

L

e conseiller Martine Regout a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Les antecedents de la ...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0103.F

N. W.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile,

contre

M.-J. D.,

defenderesse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 14 octobre 2013par la cour d'appel de Mons, statuant comme juridiction de renvoi ensuitede l'arret de la Cour du 3 fevrier 2012.

Le conseiller Martine Regout a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Les antecedents de la procedure

Saisie d'un pourvoi dirige contre un arret de la cour d'appel de Liege du30 septembre 2008, la Cour a, par son arret du 11 juin 2010, pose à laCour constitutionnelle une question prejudicielle en vue de savoir sil'article 323 ancien du Code civil ne viole pas les articles 22 et 22bisde la Constitution en ce qu'il interdit à un enfant de rechercher sonpere biologique et de faire reconnaitre sa paternite lorsqu'il a eteconc,u pendant le mariage de sa mere et que sa filiation à l'egard dumari de sa mere est corroboree par une possession d'etat.

Par son arret nDEG 122/2011 du 7 juillet 2011, la Cour constitutionnelle arepondu que l'article 323 du Code civil, tel qu'il etait en vigueur avantson abrogation par l'article 24 de la loi du 1er juillet 2006, violel'article 22 de la Constitution, au motif que la condition de possessiond'etat, qui « a pour effet que le legislateur a, dans toutes lescirconstances, fait prevaloir la realite socio-affective de la paternitesur la realite biologique, sans laisser au juge le pouvoir de tenir comptedes faits etablis et de l'interet de toutes les parties concernees [...],constitue une atteinte disproportionnee au droit au respect de la vieprivee des enfants ».

Par son arret du 3 fevrier 2012, la Cour a casse l'arret de la courd'appel de Liege et renvoye la cause devant la cour d'appel de Mons, qui arendu l'arret attaque le 14 octobre 2013.

III. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 22 et 22bis de la Constitution ;

- article 8 de la Convention relative aux droits de l'enfant, adoptee àNew York le 20 novembre 1989 ;

- article 8, alinea 1er, de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre 1950et approuvee par la loi du 13 mai 1955 ;

- articles 315, 317, 320 et 323 du Code civil, ces deux derniers articlesavant leur abrogation par les articles 23 et 24 de la loi du 1er juillet2006.

Decisions et motifs critiques

L'arret attaque, reformant sur ce point le jugement entrepris, ditirrecevable l'action de la demanderesse tendant à etablir judiciairementsa filiation paternelle à l'egard de feu l. D. et condamne lademanderesse aux depens, aux motifs suivants :

« L'article 323 du Code civil, tel qu'il etait en vigueur avant sonabrogation par la loi du 1er juillet 2006, dispose que, `lorsque lapaternite etablie en vertu des articles 315 ou 317 n'est pas corroboreepar la possession d'etat, la paternite d'un autre homme que le mari peutetre etablie par un jugement dans les cas prevus à l'article 320'.

Il decoule du seul texte legal que l'action en recherche de paterniteprevue par l'article 323 ancien du Code civil n'est recevable que si deuxconditions sont etablies :

1. Il faut se trouver dans les cas prevus à l'article 320 du Codecivil, soit dans les circonstances ou la presomption de paternite du maride la mere est `faible', c'est-à-dire se trouver dans une des quatrehypotheses enumerees par la disposition legale ou, compte tenu de lamauvaise entente entre les epoux, les circonstances de la conception del'enfant induisent un doute raisonnable sur la paternite du mari ;

2. La presomption de paternite ne doit pas etre corroboree par lapossession d'etat.

A la suite des arrets de la Cour constitutionnelle du 7 juillet 2011 et dela Cour de cassation du 3 fevrier 2012 rendus dans la presente cause,cette deuxieme condition ne peut plus etre consideree comme une fin denon-recevoir peremptoire et absolue.

Il resulte en effet de ces arrets que l'existence d'une possession d'etatà l'egard du mari de la mere n'empeche pas que la paternite d'un autrehomme que le mari de la mere puisse etre etablie par un jugement, lorsqueles faits etablis et l'interet de toutes les parties concernees lerequierent.

Toutefois, la question s'il est permis d'admettre l'action en recherchede paternite si on ne se trouve pas dans l'un des cas prevus à l'article320 ancien du Code civil n'a pas ete abordee dans ces arrets.

A cet egard, l'arret de la Cour constitutionnelle du 21 octobre 1998,invoque par [la demanderesse], n'est d'aucune utilite. En effet, cet arretdit pour droit que, dans le cas ou le pere biologique d'un enfant exerceune action en recherche de sa propre paternite, l'article 323 ancien duCode civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'iln'offre pas une protection comparable à celle qui est organisee parl'article 322 du meme code.

Il est utile de rappeler en effet que la question prejudicielle qui etaitposee par le juge de renvoi dans cette affaire etait relative à lacompatibilite des articles 322 et 323 anciens du Code civil avec lesarticles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils etablissent unedistinction entre les enfants : parmi les enfants qui faisaient l'objetd'une recherche de paternite, seuls les enfants vises par l'article 322ancien du Code civil, soit les enfants dont la mere n'etait pas mariee aumoment de leur naissance, beneficiaient d'une protection fondee surl'appreciation de leur interet personnel, alors que les enfants vises parl'article 323 ancien du Code civil, soit ceux dont la mere etait mariee aumoment de leur naissance, n'en beneficiaient pas.

Il convient encore de preciser qu'au regard des circonstances del'espece, les conditions de l'article 320 ancien du Code civil etaientreunies.

En outre, cet arret ne se prononce nullement sur la question si l'article323 ancien du Code civil, en ce qu'il exige de se trouver dans l'un descas vises par l'article 320 ancien du Code civil, est discriminatoire,comme le soutient [la demanderesse].

Il convient d'avoir egard à ce propos à l'arret nDEG 56/2001 du 8 mai2001 ou la Cour constitutionnelle a dit pour droit que `l'article 320 duCode civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitutionconsideres isolement ou combines avec les articles 8 et 14 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales et la Convention internationale des droits de l'enfant entant qu'il ne permet pas au tribunal de premiere instance d'autoriser lareconnaissance d'un enfant par un autre homme que le mari si l'enfant aete conc,u avant le mariage de la mere'.

Meme si cet arret a trait à l'etablissement de la filiation paternellepar le biais d'une reconnaissance, il n'en demeure pas moins quel'enseignement peut etre transpose au cas de l'etablissement de lafiliation paternelle par la voie judiciaire des lors que l'article 323ancien du Code civil exige de se trouver dans un des cas prevus parl'article 320 ancien de ce code.

Il doit par ailleurs etre admis que les hypotheses de presomption`faible' de paternite sont enumerees limitativement par l'article 320ancien du Code civil, en maniere telle qu'en dehors de ces quatre cas, onse trouve dans l'impossibilite d'etablir la paternite du pere biologiquesi la paternite legale du mari de la mere n'a pas ete prealablementcontestee par les titulaires de l'action (A. Ch. Van Gysel [dir.], Precisde droit de la famille, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 416-421). Enl'espece, la naissance de [la demanderesse] n'est pas intervenue dans unedes situations visees par l'article 320 ancien du Code civil et elle n'apas, au prealable, conteste la paternite legale du mari de sa mere : sonaction doit etre declaree irrecevable ».

Griefs

En vertu de l'article 323 ancien du Code civil, applicable en la cause,lorsque la paternite etablie en vertu des articles 315 ou 317 n'est pascorroboree par la possession d'etat, la paternite d'un autre homme que lemari peut etre etablie par un jugement dans les cas prevus à l'article320, à savoir les trois cas de presomption faible de paternite enumerespar cet article 320.

Comme le releve justement l'arret attaque, il resulte de l'arret

nDEG 122/2011 de la Cour constitutionnelle du 7 juillet 2011 et de l'arretde la Cour de cassation du 3 fevrier 2012, tous deux rendus en la cause dela demanderesse, que l'existence d'une possession d'etat à l'egard dumari de la mere n'empeche pas que la paternite d'un autre homme que lemari de la mere puisse etre etablie par un jugement lorsque les faitsetablis et l'interet de toutes les parties concernees le requierent.

Pas plus que l'existence d'une possession d'etat, l'absence d'unepresomption faible de paternite à l'egard du mari de la mere ne peutempecher de maniere absolue une recherche de la paternite biologique.

L'article 22 de la Constitution dispose que « chacun a droit au respectde sa vie privee » et l'article 22bis ajoute que, dans toute decision quile concerne, l'interet de l'enfant est pris en consideration « de maniereprimordiale ».

Ce droit primordial de l'enfant au respect de sa vie privee est repristant dans l'article 8 de la Convention relative aux droits de l'enfant,qui lui reconnait un droit à preserver son identite, que par l'article8.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales prescrivant que « toute personne a droit au respect de savie privee et familiale ».

Comme il vient d'etre vu, l'arret attaque considere que l'enfant qui,comme la demanderesse, ne se trouve pas à l'egard du mari de sa mere (sonpere legal) dans un des cas de presomption « faible » de paterniteprevus par l'article 320 ancien du Code civil n'est pas recevable àetablir la paternite de son pere biologique s'il n'a pas au prealableconteste avec succes la paternite legale du mari de sa mere.

Cette irrecevabilite de l'action de la demanderesse en recherche de sonpere biologique, meme si elle tend à assurer la securite juridique de lafiliation, est incompatible avec le droit de l'enfant au respect de sa vieprivee en raison de l'impossibilite pour le juge de statuer en fonctiond'une appreciation in concreto selon les particularites de l'espece.

En effet, meme si le droit de l'enfant n'est pas absolu, il est neanmoinsprimordial, en maniere telle qu'à ce droit ne peut etre oppose a priori,sans examen des elements et faits concrets de la cause, une presomptionforte de paternite du mari de la mere.

Dans son arret du 3 fevrier 2012, qui a casse l'arret de la cour d'appelde Liege du 30 septembre 2008 et renvoye la cause devant la cour d'appelde Mons, la Cour a rappele que, « par son arret du 7 juillet 2011, laCour constitutionnelle a repondu que l'article 323 precite viole l'article22 de la Constitution, au motif que la condition de possession d'etat, quia pour effet que le legislateur a, dans toutes les circonstances, faitprevaloir la realite socio-affective de la paternite sur la realitebiologique, sans laisser au juge le pouvoir de tenir compte des faitsetablis et de l'interet de toutes les parties concernees, constitue uneatteinte disproportionnee au droit au respect de la vie privee desenfants ».

Dans son arret du 7 juillet 2011, la Cour constitutionnelle avait affirmeque, « bien que la paix des familles et la securite juridique des liensfamiliaux soient des objectifs legitimes dont le legislateur peut tenircompte pour empecher que la recherche de paternite puisse etre exerceesans limitation, le caractere absolu de la condition mentionnee en B.2(c'est-à-dire que la recherche de paternite sur la base de l'article 323ancien du Code civil ne peut avoir lieu que lorsque la paternite n'est pascorroboree par la possession d'etat) a pour effet que le legislateur a,dans toutes les circonstances, fait prevaloir la realite socio-affectivede la paternite sur la realite biologique, sans laisser au juge le pouvoirde tenir compte des faits etablis et de l'interet de toutes les partiesconcernees » .

De meme, dans la presente cause, en erigeant en regle absolue et sanslaisser au juge le pouvoir de statuer en tenant compte des faits et desinterets de chacun, que la demanderesse est irrecevable à fairereconnaitre sa paternite biologique des lors qu'elle ne se trouve dansaucun des cas de presomption « faible » de paternite à l'egard de feule mari de sa mere (les cas enumeres par l'article 320 ancien du Codecivil), l'arret attaque fait prevaloir de maniere absolue, comme l'avaitfait l'arret de la cour d'appel de Liege, la paternite legale du mari desa mere sur la paternite du pere biologique et la prive ainsi du droit aurespect de sa vie privee et de son identite, consacre par les articles 22et 22bis de la Constitution ainsi que par l'article 8 de la Convention du20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant et l'article 8, alinea1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales.

Il s'ensuit que,

Premiere branche

La decision, qui dit irrecevable l'action de la demanderesse en recherchede son pere biologique sur la base de l'article 323 ancien du Code civilau motif qu'il ressort de ce texte legal que l'action en recherche depaternite n'est recevable qu'en cas de presomption « faible » depaternite à l'egard de son pere legal, meconnait les articles 22 et 22bisde la Constitution ainsi que les articles 8 de la Convention du 20novembre 1989 relative aux droits de l'enfant et 8, alinea 1er, de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales.

Seconde branche

En disposant que « la paternite d'un autre homme que le mari peut etreetablie par un jugement dans les cas prevus à l'article 320 », l'article323 ancien du Code civil ne subordonne pas, et en tout cas ne peutsubordonner, à cette condition la recevabilite de l'action en recherchedu pere biologique.

Il appartient en effet au juge saisi d'une telle action et statuant aufond d'apprecier si, au vu d'une presomption de paternite du mari de lamere qui n'est pas faible, il convient, eu egard aux droits et interets dechacun et aux circonstances de la cause, de faire prevaloir cettepaternite sur le droit primordial de l'enfant à faire reconnaitre sapaternite biologique.

Il s'ensuit qu'en posant en regle qu'en dehors des hypotheses depresomption faible de paternite enumerees par l'article 320 ancien du Codecivil, l'enfant n'est pas recevable à etablir sa paternite biologique sila paternite legale du mari de la mere n'est pas contestee, l'arretattaque viole non seulement les articles 22 et 22bis precites de laConstitution combines avec les articles 8 de la Convention relative auxdroits de l'enfant et de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales mais fait aussi une application nonlegalement justifiee des articles 320 et 323 anciens du Code civil(violation de ces dispositions).

IV. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

Le moyen soutient que l'article 323 ancien du Code civil est contraire auxarticles 22 et 22bis de la Constitution et 8 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales en ce que,lorsque la paternite est etablie en vertu des articles 315 ou 317 anciensdu Code civil, la paternite biologique d'un autre homme que le mari nepeut etre etablie par un jugement à la demande de l'enfant que dans lescas prevus à l'article 320 du meme code.

L'article 320 vise des hypotheses de presomption faible de paternite quisont etrangeres à l'espece.

En vertu de l'article 26, S: 1er, 3DEG, de la loi speciale du 6 janvier1989 sur la Cour constitutionnelle, cette cour statue, à titreprejudiciel, par voie d'arret, sur les questions relatives à la violationpar une loi des articles 22 et 22bis de la Constitution.

Il y a lieu de poser à la Cour constitutionnelle la question libellee audispositif du present arret.

Par ces motifs,

La Cour

Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle ait reponduà la question prejudicielle suivante :

L'article 323 ancien du Code civil viole-t-il les articles 22 et 22bis dela Constitution en ce que, lorsque la paternite est etablie en vertu desarticles 315 ou 317 du meme code, il interdit à un enfant de rechercherson pere biologique et de faire reconnaitre la paternite de celui-ci parjugement sans avoir prealablement conteste la paternite du mari de samere, à moins qu'il ne se trouve dans une des hypotheses de presomptionfaible de paternite visees à l'article 320 de ce code ?

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Martine Regout, Mireille Delange et Michel Lemal, etprononce en audience publique du dix-neuf mars deux mille quinze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalThierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M. Lemal | M. Delange |
|-----------------+------------+-------------|
| M. Regout | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

19 MARS 2015 C.14.0103.F/11


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0103.F
Date de la décision : 19/03/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 09/04/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-03-19;c.14.0103.f ?
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