Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.10.0597.F
IMMO SUN HOUSE, societe anonyme dont le siege social est etabli àWoluwe-Saint-Pierre, rue Kelle, 100,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,pretant son ministere sur projet et requisition, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il est fait election dedomicile,
contre
1. procureur gEnEral prEs la cour d'appel de Bruxelles, dont l'office estetabli à Bruxelles, Palais de justice, place
Poelaert, 1,
2. A. H., avocat, agissant en qualite de curateur à la faillite de lasociete anonyme Immo Sun House,
admis au benefice de l'assistance judiciaire par ordonnance du premierpresident du 19 octobre 2010 (nDEG G.10.0238.F),
represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,
defendeurs en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 15 avril 2010par la cour d'appel de Bruxelles.
Le president de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat general Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- article 6, specialement S: 1er, de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertes fondamentales, signee à Rome le 4novembre 1950 et approuvee par la loi du 13 mai 1955 et, en tant que debesoin, toutes les dispositions de ladite loi ;
- principe general du droit relatif à la primaute sur les dispositions dedroit national des dispositions de droit international ayant un effetdirect ;
- principe general du droit suivant lequel le juge ne peut appliquer unedecision, notamment une norme, qui viole une disposition superieure ;
- articles 87, alinea 1er, 137, 138, 138bis, 144 et 151 du Codejudiciaire.
Decisions et motifs critiques
L'arret dit l'appel recevable mais non fonde, confirmant ainsiimplicitement mais certainement le jugement entrepris qui deboutait lademanderesse de son opposition contre le jugement du 30 mars 2009prononc,ant sa faillite à la demande du ministere public. Il rejette àcet egard le moyen par lequel la demanderesse faisait valoir qu'ellen'avait pas « eu un tribunal impartial et un proces equitable » au sensde l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales aux motifs que la citation en faillite avait ete donnee par le procureur du Roi à Bruxelles et que celui-ci etaitrepresente à l'audience du tribunal de commerce par monsieur M. B.,avocat et juge suppleant, faisant fonction de substitut du procureur duRoi.
L'arret fonde à cet egard sa decision sur les motifs suivants :
« 5. La [demanderesse] fait grief au procureur du Roi d'avoir eterepresente à l'instance par monsieur M. B., avocat et juge suppleant ;
Elle estime que la fonction de substitut du procureur du Roi estincompatible avec l'exercice de la profession d'avocat. Elle invoque aussiune contrariete à l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertes fondamentales dans la mesure ou pareillesituation mettrait à mal les garanties d'independance compte tenu du faitqu'il est avocat et qu'il gere au quotidien des concurrents directs, qu'ila tout interet à envisager [sa] faillite ;
6. La nomination de monsieur F. M. B. comme juge suppleant au tribunal decommerce de Bruxelles est intervenue par arrete royal du 10 novembre 2004et a ete publiee au Moniteur belge du 25 novembre 2004 ;
L'article 87, alinea 1er, du Code judiciaire dispose que les jugessuppleants au tribunal de commerce peuvent remplacer momentanement lesmembres du ministere public lorsque ceux-ci sont empeches ;
Par ordonnance presidentielle du 16 fevrier 2009, il a ete designe pourexercer les fonctions du ministere public pour une duree d'un an àcompter du 1er mars 2009 ;
Monsieur M. B. exerc,ait donc cette fonction, avec les pouvoirs requis ;
Le fait qu'il soit par ailleurs avocat est sans pertinence, la fonction dejuge suppleant etant autorisee dans le cadre de l'exercice de cetteprofession ;
En ce qui concerne l'eventuelle contrariete à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, elle estinexistante ;
En effet, il est admis que le fait de sieger pour un avocat, jugesuppleant, comme membre du tribunal correctionnel n'est pas incompatible,meme dans le cas ou le prevenu est un avocat (Cass., 13 decembre 1988,Pas., 1989, I, 417) ;
Le moyen est non fonde ».
Griefs
S'il est vrai que les avocats peuvent etre juges suppleants au tribunal depremiere instance, du travail ou de commerce et si l'article 87, alinea1er, du Code judiciaire permet aux juges suppleants de remplacer lesmembres du ministere public lorsqu'ils sont empeches, cette regle doitceder devant l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales, norme qui a un effet direct enBelgique (principes generaux du droit vises au moyen et specialementprincipe general du droit relatif à la primaute sur les dispositions dedroit national des dispositions de droit international ayant un effetdirect et article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales).
L'article 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales dispose que « toute personne adroit à ce que sa cause soit entendue equitablement, publiquement et dansun delai raisonnable, par un tribunal independant et impartial, etabli parla loi, qui decidera, soit des contestations sur ses droits et obligationsde caractere civil, soit du bien-fonde de toute accusation en matiere penale dirigee contre elle ».
L'independance et l'impartialite du tribunal, comme le caractere equitable du proces, doivent s'apprecier non seulement in concreto maisencore de maniere objective. Il ne s'agit donc pas que les juges composantle tribunal soient intrinsequement (ou subjectivement) independants etimpartiaux, il faut encore qu'ils apparaissent tels aux yeux des partieset des tiers.
Il en va de meme du caractere equitable du proces.
Or, le mecanisme mis en place par l'article 87, alinea 1er, du Codejudiciaire est objectivement de nature à faire naitre des doutes dansl'esprit des parties et des tiers sur l'impartialite du tribunal dans lamesure ou il permet à un juge suppleant d'exercer les fonctions duministere public aupres de celui-ci. Il en est specialement ainsi lorsque,comme en l'espece, le ministere public est partie à la cause et ne selimite pas à donner un avis. En effet, l'article 87, alinea 1er, du Codejudiciaire revient dans cette mesure à faire trancher par le tribunal lademande introduite - ou à tout le moins plaidee - par l'un de ses juges,le juge suppleant designe pour remplacer un membre du ministere publics'identifiant en droit (articles 87, alinea 1er, 137, 138, 138bis, 144 et151 du Code judiciaire) ou à tout le moins aux yeux des justiciables etdes tiers à ce dernier. Le doute est encore accru dans l'esprit desjusticiables et du public par la circonstance que le juge qui exerce lesfonctions du ministere public a la qualite d'avocat, l'avocat etantl'adversaire naturel du ministere public lorsqu'il est partie à la cause- ce qui cree la confusion.
Il s'ensuit qu'en considerant que l'article 6 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales n'a pas eteviole devant le tribunal de commerce malgre la circonstance que monsieurM. B., avocat et juge suppleant audit tribunal, exerc,ait les fonctionsdu ministere public dans la cause et que ce dernier etait partie àcelle-ci, et en confirmant des lors le jugement entrepris, qui avaitrejete l'opposition formee contre le jugement du 30 mars 2009 prononc,ant la faillite, l'arret, qui s'approprie de la sorte les irregularitesaffectant ces deux decisions et la procedure qui a conduit à celles-ci,meconnait ledit article 6, specialement paragraphe 1er, de la Conventionde sauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales(violation dudit article 6, specialement paragraphe 1er, et, en tant quede besoin, des dispositions de sa loi d'approbation du 13 mai 1955 et desautres dispositions visees en tete du moyen).
A tout le moins, il refuse illegalement d'ecarter l'application del'article 87, alinea 1er, du Code judiciaire alors que celui-ci estcontraire à l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertes fondamentales et qu'il ne pouvaitdonc recevoir application (violation de toutes les dispositions ouprincipes vises en tete du moyen et specialement du principe general dudroit relatif à la primaute sur les dispositions de droit national desdispositions de droit international ayant un effet direct).
III. La decision de la Cour
En vertu de l'article 87, alinea 1er, du Code judicaire, il y a aupres dutribunal de commerce des juges suppleants qui n'ont pas de fonctionshabituelles et sont nommes pour remplacer momentanement, soit les juges,soit les membres du ministere public lorsqu'ils sont empeches.
Cette disposition n'est en soi pas contraire à l'article 6, S: 1er, de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, qui ne saurait se trouver viole qu'en raison descirconstances concretes de l'intervention d'un juge suppleant dans unecause determinee.
La circonstance que, devant le tribunal de commerce saisi d'une demande enfaillite formee par le procureur du Roi, le siege du ministere public soitoccupe par un avocat nomme juge suppleant aupres de ce tribunal n'a paspour effet que celui-ci serait appele à statuer sur une demandeintroduite ou plaidee par un de ses membres et, des lors que le moyen nesoutient pas que l'intervention de ce juge suppleant ne se serait paslimitee en la cause au remplacement d'un membre du ministere publicempeche, n'est pas de nature à affecter l'independance et l'impartialitedu tribunal et le caractere equitable du proces.
L'arret decide des lors legalement de rejeter le grief deduit de cettecirconstance devant la cour d'appel par la demanderesse.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de quatre cent cinquante-cinq euros quatorzecentimes envers la partie demanderesse et à la somme de quatre-vingt-deuxeuros quarante-deux centimes en debet envers la seconde partiedefenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Martine Regout, Mireille Delange et Michel Lemal, etprononce en audience publique du dix-neuf mars deux mille quinze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalThierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | M. Lemal | M. Delange |
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| M. Regout | D. Batsele | Chr. Storck |
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19 MARS 2015 C.10.0597.F/1