Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.14.0415.N
ENGEL AUSTRIA GmbH,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. P. D. C.,
2. L. S.,
3. M. P.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 21 novembre2013 par la cour d'appel de Gand.
Le president de section Eric Dirix a fait rapport.
L'avocat general Christian Vandewal a conclu.
II. Les faits
Il ressort des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard que :
- la demanderesse dispose d'un titre executoire à l'encontre de lasociete anonyme IPM ;
- le 7 janvier 2009, elle a pratique une saisie conservatoire sur un bienimmeuble situe à Gand et elle a transforme cette saisie ensaisie-execution le 10 mars 2009 ;
- le 12 janvier 2008, la societe anonyme IPM avait vendu ce bien immeubleaux premier et deuxieme defendeurs ;
- par citation du 30 juin 2009, la demanderesse a introduit une actionpaulienne contre ces defendeurs afin d'entendre dire que cette cession nelui etait pas opposable ;
- le 10 aout 2009, la societe anonyme IPM a ete declaree en faillite ;
- le 14 fevrier 2011, la demanderesse a cite le curateur de la societeanonyme IPM (la troisieme defenderesse), en degre d'appel, en interventionforcee et declaration d'arret commun ;
- le curateur a estime que les conditions d'une fraude paulienne ne sontpas reunies et a decide de ne pas introduire d'action paulienne en matierede faillite.
III. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- article 1167 du Code civil ;
- article 20 de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites ;
- en tant que de besoin, articles 7 et 8 de la loi du 16 decembre 1851 surla revision du regime hypothecaire, remplac,ant le titre XVIII du livreIII du Code civil.
Decisions et motifs critiques
Apres avoir decide qu'au cours de la periode du 29 juin 2009 au 10 aout2009, la societe IPM ne se trouvait pas en etat de faillite, de sortequ'au cours de cette periode, la demanderesse etait recevable etadmissible à introduire une action paulienne sur la base de l'article1167 du Code civil, les juges d'appel ont toutefois declare l'appel de lademanderesse non fonde.
Cette decision est fondee sur les motifs suivants :
« Le fondement de la demande principale
C'est egalement à juste titre que les premiers juges ont decide que lademande de la demanderesse est non fondee eu egard à la faillite de lasociete anonyme IPM intervenue entre-temps.
L'action paulienne n'est qu'un accessoire du droit de recours ducreancier, dont le patrimoine du debiteur est le gage commun. Eu egard àla faillite de la societe anonyme IPM intervenue entre-temps, le creancierne peut plus exercer ses droits de recours de maniere individuelle et lademanderesse, en tant que creancier individuel, ne dispose plus d'un droitsubjectif pour contester la vente du bien immeuble aux premier et deuxiemedefendeurs. Etant donne la declaration de faillite, ce droit n'appartientqu'au seul curateur et cette action, des lors qu'il s'agit d'une actioncollective, profitera aussi à tous les creanciers du failli et donc aussià ceux dont les droits ne naitraient qu'apres les actes (pretendus)frauduleux.
L'argument de la demanderesse selon lequel son action, vu l'effet relatifde l'action paulienne, peut encore aboutir, ne peut, pour cette raison,etre approuve. En raison de la faillite intervenue entre-temps, l'actionpaulienne a perdu son effet `relatif'. En vertu de l'article 1167 du Codecivil, une action paulienne ne profite qu'à celui qui l'a introduite, desorte que seul ce creancier peut encore considerer les biens cedes par ledebiteur comme appartenant encore à son patrimoine. L'exercice del'action paulienne est toutefois contrarie lorsqu'il existe une situationde concours, comme dans le cas de la faillite du debiteur. A partir de cemoment, l'action paulienne perd son effet `relatif' et doit profiter àtous les creanciers en concours.
L'article 1167 du Code civil ne cree pas de privilege. Par son actionfondee sur l'article 1167 du Code civil, la demanderesse ne peut echapperau concours des creanciers apres la faillite.
[...]
Il y a lieu de decider, comme le premier juge, eu egard à la faillite dela societe anonyme IPM intervenue entre-temps, que la demande principaleest non fondee ».
Griefs
Premiere branche
En vertu de l'article 1167, alinea 1er, du Code civil, les creanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur debiteuren fraude de leurs droits. Cette action est dirigee contre le tiers qui aparticipe à l'acte juridique attaque et tend à entendre declarer, àl'egard de ce tiers, cet acte non opposable au creancier qui agit.
Les juges d'appel ont constate d'abord qu'au cours de la periode du
29 juin 2009 au 10 aout 2009, la societe IPM ne se trouvait pas en etat defaillite, de sorte qu'au cours de cette periode, la demanderesse a puintroduire une action paulienne recevable et admissible sur la base del'article 1167 du Code civil. Il est aussi etabli que la deuxiemedefenderesse, en qualite de curateur à la faillite de la societe IPM, n'apas introduit d'action en vertu de l'article 20 de la loi du 8 aout 1997sur les faillites.
Les juges d'appel ont ensuite toutefois decide qu'en raison du seul faitqu'une situation de concours est nee apres l'introduction de l'actionpaulienne sur la base de l'article 1167 du Code civil, cette action aperdu son effet `relatif'.
L'inopposabilite à laquelle tend l'action paulienne implique toutefoisque le creancier agissant echappe, par l'effet d'une decision judiciaireet dans les limites de sa creance, aux consequences d'une cession faite enfraude de ses droits, ce qui lui permet d'evincer le tiers qui a participeà l'acte juridique attaque de l'objet auquel se rapporte cet acte. Dansles rapports juridiques entre le debiteur et le tiers, l'acte juridiqueattaque reste valable, de sorte qu'il sortit ses pleins effets dans lecadre de ce rapport.
Il s'ensuit que l'objet sur lequel porte l'acte juridique attaque ne faitpas partie du gage du debiteur pour ceux à l'egard de qui l'actejuridique attaque a plein effet. En decidant qu'une situation de concourscollectif intervenue par la suite fait obstacle à l'effet relatif del'action paulienne, meme lorsque comme, en l'espece, le curateur ne serallie pas à l'action paulienne dejà introduite et n'introduit pasdavantage une telle action, les juges d'appel ont viole l'article 1167 duCode civil et aussi, en tant que de besoin, les articles 20 de la loi du 8aout 1997, 7 et 8 de la loi hypothecaire.
(...)
IV. La decision de la Cour
Quant à la premiere branche :
1. En vertu de l'article 1167 du Code civil, un creancier peut, en son nompersonnel, attaquer les actes faits par son debiteur en fraude de sesdroits.
Cette action paulienne tend à l'indemnisation du dommage cause aucreancier par l'appauvrissement frauduleux du debiteur.
Si l'acte frauduleux concerne la cession, par le debiteur, d'un elementpatrimonial à un tiers, l'indemnisation consiste, en principe, dansl'inopposabilite de la cession au creancier agissant, de sorte quecelui-ci peut proceder à l'execution sur cet element patrimonial.
2. En application de l'article 20 de la loi du 8 aout 1997, le curateurpeut attaquer les actes ou les paiements faits en fraude des droits descreanciers, quelle que soit la date à laquelle ils ont eu lieu. Cetteaction est exercee dans l'interet de la masse et profite à l'ensemble descreanciers, quel que soit le moment de la naissance de leurs creancesrespectives.
3. Apres la faillite du debiteur, une action paulienne tend à lareconstitution de la masse. La circonstance que l'acte frauduleux n'a paslese de maniere identique tous les creanciers existant avant la failliten'empeche pas que l'action paulienne exercee apres la faillite visel'indemnisation du dommage collectif en vue de la reparation duquel seulle curateur est competent pour agir. Cette action profite alors à tousles creanciers en concours, quel que soit le moment ou leurs creancesrespectives sont nees. Une action paulienne ne peut, des lors, plus etreintroduite ou poursuivie par un creancier individuel au cours de lafaillite du debiteur.
4. Les juges d'appel ont decide que : « Eu egard à la faillite de lasociete anonyme IPM intervenue entre-temps, le creancier ne peut plusexercer individuellement ses droits de recours et la demanderesse, en tantque creancier individuel, ne dispose plus d'un droit subjectif pours'opposer à la vente du bien immeuble aux premier et deuxieme defendeurs.En raison de la faillite, ce droit appartient uniquement au curateur etcette action, des lors qu'il s'agit d'une action collective, profiteraaussi à tous les creanciers du failli et donc aussi à ceux dont lesdroits ne seraient nes que posterieurement aux actes (pretendus)frauduleux ».
5. Les juges d'appel ont ainsi legalement justifie leur decision que, euegard à la nature de son action, la demanderesse ne peut plus l'exercerindividuellement apres la faillite et que ce droit n'appartient plus qu'aucurateur.
Dans la mesure ou le moyen, en cette branche, pretend le contraire, il nepeut etre accueilli.
6. Dans la mesure ou le moyen, en cette branche, est fonde sur l'hypotheseque les juges d'appel ont decide que l'action paulienne exercee avant lafaillite par la demanderesse sur la base de l'article 1167 du Code civilperd son effet relatif « du seul fait [...] qu'une situation de concoursest nee », il est fonde sur une lecture inexacte de l'arret et, des lors,manque en fait.
[...]
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Eric Dirix, president, le president desection Albert Fettweis, les conseillers Alain Smetryns, Geert Jocque etBart Wylleman, et prononce en audience publique du treize mars deux millequinze par le president de section Eric Dirix, en presence de l'avocatgeneral Henri Vanderlinden, avec l'assistance du greffier Kristel VandenBossche.
Traduction etablie sous le controle du president de section ChristianStorck et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
Le greffier, Le president de section,
13 MARS 2015 C.14.0415.N/1