Cour de cassation de Belgique
Arret
142
NDEG F.14.0061.F
Etat belge, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12, en la personne du receveur de lataxe sur la valeur ajoutee à Nivelles, dont les bureaux sont etablis àNivelles, boulevard des Archers, 71, et du receveur de la taxe sur lavaleur ajoutee à Bruxelles 3, dont les bureaux sont etablis à Bruxelles,boulevard du Jardin botanique, 50/3106,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,
contre
1. B. S.,
defendeur en cassation,
2. P. S.,
defenderesse en cassation ou, à tout le moins, partie appelee endeclaration d'arret commun.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 5 novembre 2013par la cour d'appel de Bruxelles.
Le president de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat general Andre Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Disposition legale violee
Article 788 du Code civil
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate que le defendeur, qui exerce la professiond'architecte, « à la suite d'une depression grave [...], a du mettre finà ses activites professionnelles » et a « ete force de vendre ses biensimmobiliers » apres son divorce, laissant « d'importantes dettes, enversnotamment l'administration de la taxe sur la valeur ajoutee », dont lesolde s'elevait, selon conclusions du demandeur, à la somme de 60.438,48euros, que le pere du defendeur est decede le 22 janvier 2005, laissantdeux heritiers, etant le defendeur et la defenderesse, que, pardeclaration du 7 juillet 2005 au greffe du tribunal de premiere instancede Bruxelles, le defendeur a renonce à la succession de son pere,
l'arret, saisi de la demande du demandeur, introduite par citation du
22 septembre 2006, de l'autoriser à accepter la succession du defendeuren ses lieu et place, sur le fondement de la disposition legale visee, etqu'il soit procede aux operations de liquidation, par confirmation dujugement entrepris, deboute le demandeur.
Le moyen critique tous les motifs de l'arret, tenus ici pour integralementreproduits, et singulierement les motifs suivants :
« [Le demandeur] fonde sa demande sur l'article 788 du Code civil [...] ;
L'application de cette disposition requiert deux conditions :
- d'une part, la renonciation de l'heritier doit causer un prejudice àson creancier, en ce qu'en renonc,ant à une succession beneficiaire, ledebiteur n'accroit pas le gage general de son creancier, qui estinsuffisant pour apurer la dette ;
- d'autre part, la renonciation releve d'une intention frauduleuse [...] ;
L'intention frauduleuse requise est celle de la fraude paulienne quiresulte de l'article 1167 du Code civil. Il s'agit d'un etat d'esprit quis'apprecie en fonction du critere de l'acte normal compte tenu de toutesles circonstances de la cause [...] ;
La fraude se deduit de plusieurs elements qui, analyses conjointement,constituent un ensemble de presomptions suffisamment serieuses de ce quel'acte incrimine a ete accompli en fraude des droits du creancier [...] ;
Lorsque l'acte est anormal, il faut examiner si les circonstances quil'entourent sont legitimes ou si elles rendent cet acte suspect. Dans cecas, le debiteur est presume avoir agi dans une intention frauduleuse etil lui appartient de prouver le contraire [...] ;
Il convient, en l'espece, d'examiner si la renonciation par [le defendeur]à la succession beneficiaire de son pere constitue un acte anormal,compte tenu de toutes les circonstances de la cause ;
Il n'est pas conteste que [le defendeur] a souffert d'une grave depressionqui se trouve à l'origine de sa situation financiere difficile. Il a ducesser l'exercice de sa profession d'architecte et n'a plus ete en mesurede payer ses dettes ;
Le dossier de pieces [du demandeur] etablit que [le defendeur] n'a jamaismanifeste l'intention d'echapper au payement de ses dettes à l'egard del'administration de la taxe sur la valeur ajoutee. En effet, plusieurs deces dettes sont apurees par des payements partiels [...] ;
Le 4 decembre 2007, [le defendeur] a signe pour accord un releve deregularisation en matiere de taxe sur la valeur ajoutee pour une somme de17.565,99 euros due au titre de cette taxe et signale qu'il est enmediation de dettes depuis aout 2006 [...] ;
Le rapport du mediateur de dettes en vue de l'audience du 27 mai 2008releve que [le defendeur] travaille à temps partiel pour une societed'architectes et perc,oit une remuneration mensuelle nette de l'ordre de1.150 euros [...] ;
Il resulte de cet element et de l'instruction d'audience concernant l'etatde sante [du defendeur] qu'il n'etait pas, au moment ou il a renonce à lasuccession de son pere, et qu'il n'est toujours pas actuellement, en etatde mener une vie professionnelle normale. Ses capacites d'exercice d'uneactivite professionnelle et de gerer des affaires se trouvent reduites ;
D'apres la declaration de succession [du defendeur], la succession secompose essentiellement de biens immeubles (six garages, un flat et unappartement). Les avoirs en comptes bancaires, d'un montant de 6.353,08euros, se trouvent largement absorbes par le passif de la succession[...] ;
Par ailleurs, [la defenderesse] ecrit dans ses conclusions, sans etrecontredite, qu'elle n'avait plus aucun contact avec son frere, [ledefendeur], depuis des annees ;
Il resulte de l'ensemble de ces circonstances propres au cas d'espece quela renonciation par [le defendeur] à la succession de son pere neconstitue pas un acte anormal ;
En effet, en raison de son [etat de] sante au moment de la renonciation àcette succession, [le defendeur] ne beneficiait que d'une capacite limiteepar rapport à celle d'un homme normal place dans la meme situation defaire face à la gestion d'un patrimoine immobilier et aux risques deconflits avec sa soeur dans le cadre du partage de cette succession, vu lecontexte d'eloignement entre frere et soeur ;
Des lors que la renonciation à la succession de son pere par [ledefendeur] constitue un acte normal en raison du contexte precite, elle nereleve pas d'une intention frauduleuse, de sorte que [le demandeur] nepeut se prevaloir de l'article 788 du Code civil pour se faire autoriserà accepter la succession en ses lieu et place ».
Griefs
Aux termes de la disposition legale visee, les creanciers « de celui quirenonce au prejudice de leurs droits peuvent se faire autoriser en justiceà accepter la succession du chef de leur debiteur, en son lieu etplace », l'annulation de la renonciation n'ayant effet que jusqu'à« concurrence seulement de leurs creances ».
Ce texte n'exige, pour seule condition, que le prejudice aux droits ducreancier.
Ni l'intention frauduleuse ni le caractere anormal de la renonciation nesont requis pour son application.
Il s'ensuit que l'arret, qui, d'une part, releve que le demandeur estcreancier impaye du defendeur pour un montant eleve, le defendeur ayantd'autres dettes « importantes », d'autre part, que la succession du peredu defendeur, dont celui-ci herite, à laquelle il a renonce, estbeneficiaire, ce dont il peut se deduire, eu egard à l'ensemble desconstatations de l'arret, que la renonciation cause prejudice aux droitsdu demandeur, n'a pu dire non fondee la demande du demandeur, par lesmotifs reproduits, etant en substance que, eu egard aux circonstances del'espece, la renonciation du defendeur n'est pas « un acte anormal » et« ne releve pas d'une intention frauduleuse ».
L'arret serait tout aussi illegal s'il fallait considerer que la courd'appel ne s'est pas prononcee sur le prejudice qu'a pu subir le demandeurdu fait de la renonciation litigieuse, omettant de verifier l'existence -alleguee par le demandeur - d'un tel prejudice des lors qu'elle decidaitque, à defaut d'intention frauduleuse ou de caractere anormal de larenonciation, la disposition legale visee, en tout etat de cause, n'etaitpas d'application.
III. La decision de la Cour
Aux termes de l'article 788, alinea 1er, du Code civil, les creanciers decelui qui renonce au prejudice de leurs droits peuvent se faire autoriseren justice à accepter la succession du chef de leur debiteur, en son lieuet place.
En ce cas, poursuit le second alinea de cet article, la renonciation n'estannulee qu'en faveur des creanciers et jusqu'à concurrence de leurscreances : elle ne l'est pas au profit de l'heritier qui a renonce.
Cette disposition, qui est une application de la regle contenue dansl'article 1167 du Code civil, requiert la preuve que l'acte avait uncaractere anormal et que le debiteur a agi sachant que les creanciersseraient prejudicies.
L'arret, qui n'exclut pas que la renonciation du defendeur à lasuccession de son pere a cause un prejudice au demandeur mais qui, sur labase d'une appreciation qui git en fait, considere que cet acte « neconstitue pas un acte anormal » et en deduit qu'il « ne releve pas d'uneintention frauduleuse », justifie legalement sa decision « que [ledemandeur] ne peut se prevaloir de l'article 788 du Code civil ».
Le moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux depens.
Les depens taxes à la somme de neuf cent quatre-vingt-neuf euros vingtcentimes envers la partie demanderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, president, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Martine Regout,Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononce en audience publique dudix-neuf fevrier deux mille quinze par le president de section ChristianStorck, en presence de l'avocat general Andre Henkes, avec l'assistance dugreffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Regout | A. Fettweis | Chr. Storck |
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19 FEVRIER 2015 F.14.0061.F/7