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16/02/2015 | BELGIQUE | N°S.13.0085.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 16 février 2015, S.13.0085.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.13.0085.F

JEKATRANS, societe anonyme dont le siege social est etabli à Beersel(Lot), Hemelstraat, 12,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Anvers, Amerikalei, 187/302, ou il est faitelection de domicile,

contre

P. S.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 28 novembre2012 par la cour du travail de Mons.

Le 12 dec

embre 2014, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le president de section Christia...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.13.0085.F

JEKATRANS, societe anonyme dont le siege social est etabli à Beersel(Lot), Hemelstraat, 12,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Anvers, Amerikalei, 187/302, ou il est faitelection de domicile,

contre

P. S.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 28 novembre2012 par la cour du travail de Mons.

Le 12 decembre 2014, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le president de section Christian Storck a fait rapport et l'avocatgeneral Jean Marie Genicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

Articles 8 et 627, 9DEG, du Code judiciaire

Decisions et motifs critiques

L'arret confirme le jugement par lequel le premier juge s'est declareterritorialement competent pour connaitre de la demande du defendeur.

Les motifs pour lesquels l'arret en decide ainsi sont les suivants :

« En vertu de l'article 627, 9DEG, du Code judiciaire, est seulcompetent pour connaitre de la demande, le juge de la situation de lamine, de l'usine, de l'atelier, du magasin, du bureau et, en general, del'endroit affecte à l'exploitation de l'entreprise, à l'exercice de laprofession ou à l'activite de la societe, de l'association ou dugroupement, pour toutes les contestations prevues notamment à l'article578 du meme code ;

[...] L'article 627, 9DEG, concerne donc les cas dans lesquels lacompetence territoriale de la juridiction sociale est determinee enfonction du lieu d'execution des prestations, le legislateur ayant voulucentraliser le contentieux du travail au lieu d'exercice reel de laprofession du travailleur (Rapport Van Reepinghen, p. 223) ;

Des l'instant ou l'exercice reel de la profession du travailleur ne selimite pas à un seul arrondissement judiciaire, il resulte del'enseignement de la Cour de cassation (Cass., 28 octobre 1985, Bull.,1986, 230) que, en matiere de contestations relatives à l'execution desobligations resultant d'un contrat de travail, le travailleur, en tant quedemandeur, est libre de citer son employeur devant le tribunal du travailde l'un de ces arrondissements ;

Certes, le litige dont etait saisie la Cour, pour violation de l'article627, 9DEG, du Code judiciaire, concernait le cas d'un representant decommerce. Il n'en demeure pas moins que la Cour a dit pour droit demaniere generale que, apres avoir constate que le travailleur exerc,ait saprofession de representant de commerce dans differents arrondissementsjudiciaires, `en decidant que la contestation relative à l'execution desobligations resultant d'un contrat de travail peut etre introduite devantn'importe quel tribunal du travail du ressort judiciaire dans lequel letravailleur est occupe, l'arret ne viole pas la disposition legale viseeau moyen' ;

Il s'en deduit, à l'estime de la cour [du travail], que tout travailleur,demandeur en justice, peut citer son employeur devant l'un des tribunauxdu travail des arrondissements judiciaires dans lesquels il exerce demaniere reguliere son activite professionnelle ;

Il en va de la sorte tant pour les representants de commerce que pour lesautres travailleurs dont l'activite professionnelle s'exerce en differentslieux relevant d'arrondissements judiciaires differents ;

La cour [du travail] confirmera partant le jugement entrepris sur cepoint ».

Griefs

L'article 8 du Code judiciaire prevoit que la competence est le pouvoir dujuge de connaitre d'une demande portee devant lui.

Selon l'article 627, 9DEG, du meme code, est seul competent pour connaitrede la demande, le juge de la situation de la mine, de l'usine, del'atelier, du magasin, du bureau et, en general, de l'endroit affecte àl'exploitation de l'entreprise, à l'exercice de la profession ou àl'activite de la societe, de l'association ou du groupement, pour toutesles contestations prevues entre autres à l'article 578 de ce code. Ilressort des travaux preparatoires du Code judiciaire que le legislateur avoulu en meme temps centraliser le contentieux du travail au lieud'exercice reel de la profession du travailleur et promouvoir l'unite dejurisprudence dans le cadre du contentieux du travail.

Dans ses conclusions additionnelles d'appel, la demanderesse a fait valoirque c'est à tort que le tribunal du travail s'est estime competent sur labase de la jurisprudence de la Cour en matiere de representants decommerce, le defendeur etant un chauffeur-livreur. La demanderesse sereferait à un arret de la cour du travail d'Anvers confirmant cettedistinction. Selon cette cour du travail, il resulte de l'article 627,9DEG, que seul le juge de l'etablissement de l'employeur du footballeurprofessionnel ou se deroule la plus grande partie de ses activites estterritorialement competent, la participation du footballeur à desrencontres dans d'autres arrondissements judiciaires ne suffisant pas pourconclure à la competence territoriale des tribunaux du travail de cesarrondissements. La demanderesse, se referant à un jugement du tribunald'arrondissement de Liege, avanc,ait le moyen que l'endroit ou untravailleur est envoye en mission, indefinissable par avance et designe auseul gre de l'employeur, ne peut pas etre considere comme un endroitaffecte à l'exercice de la profession du travailleur. La demanderessefaisait valoir qu'ainsi, à l'egard des chauffeurs de bus, ce n'est pas leterritoire des differents itineraires parcourus qui sert de criteredeterminant la competence territoriale du tribunal du travail mais bien lelieu de depot du bus, qui est le seul lieu stable et determinable puisquec'est le point quotidien de depart et de retour du travail.

L'arret rejette ce moyen de la demanderesse au motif que tout travailleurpeut citer son employeur devant l'un des tribunaux du travail desarrondissements judiciaires dans lesquels il exerce reellement etregulierement son activite professionnelle. L'arret ne constate pourtantpas que l'activite du defendeur dans l'arrondissement judiciaire ou sesitue le tribunal de travail est une activite professionnelle reelle etreguliere. Dans la mesure ou l'arret doit etre ainsi interprete que lacour du travail a deduit l'existence d'une activite professionnelle reelleet reguliere dans cet arrondissement de la nature meme de l'activite dechauffeur-livreur exercee par le defendeur, il meconnait la notion legalede « l'endroit affecte à l'exercice de la profession » visee parl'article 627, 9DEG, du Code judiciaire. En effet, ce n'est pas leterritoire des differents itineraires parcourus par le defendeur dans toutle pays qui sert de critere determinant la competence territoriale dutribunal du travail. En l'espece, seul le siege d'exploitation de lademanderesse peut etre l'endroit affecte à l'exercice de la profession,puisque c'est le seul lieu stable et determinable pouvant garantir l'unitede jurisprudence que le legislateur a entendu consacrer dans l'article627, 9DEG, du Code judiciaire.

L'arret, qui rejette le moyen de la demanderesse quant à la competenceterritoriale du tribunal du travail sans constater que le defendeur exerceune activite professionnelle reelle et reguliere dans l'arrondissementjudiciaire ou se situe le tribunal du travail, ne justifie pas legalementsa decision de confirmer le jugement entrepris, quant à la competenceterritoriale du tribunal du travail (violation des articles 8 et 627,9DEG, du Code judiciaire). Dans la mesure ou l'arret deduit l'existenced'une telle activite de la nature meme de l'activite de chauffeur-livreurexercee par le defendeur, il meconnait en outre la notion legale de« l'endroit affecte à l'exercice de la profession », visee à l'article627, 9DEG, du Code judiciaire ainsi que l'intention du legislateur deconsacrer l'unite de jurisprudence dans le cadre des contestationsrelatives aux contrats de travail dans cette disposition legale. Enconfirmant le jugement entrepris par ces motifs, l'arret viole parconsequent les articles 8 et 627, 9DEG, du Code judiciaire.

Second moyen

Dispositions legales violees

- article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats detravail ;

- articles 1134, 1135, 1315, 1316, 1319, 1320, 1322 et 1341 à 1348 duCode civil ;

- articles 8, 9, 19, 20, 23, 578, 870, 876, 915, 916, 921, 941, 959 et1042 du Code judiciaire ;

- principe general du droit de l'autonomie des parties au proces,egalement appele principe dispositif, consacre par l'article 1138, 2DEG,du Code judiciaire ;

- principe general du droit relatif au respect des droits de la defense.

Decisions et motifs critiques

L'arret confirme le jugement entrepris qui, ayant declare l'action dudefendeur fondee, a condamne la demanderesse au paiement de la somme de10.179,54 euros à titre d'indemnite pour licenciement abusif.

Les motifs pour lesquels l'arret en decide ainsi sont les suivants :

« En l'espece, le formulaire C4 fait etat d'une `reorganisation duservice' pour justifier le motif du licenciement ;

Il releve de l'evidence que ce motif ne correspond nullement aux raisonsqui ont pousse la [demanderesse] à se separer d'un travailleur à l'issuede deux annees de collaboration ;

En l'occurrence, la [demanderesse] reproche essentiellement à sontravailleur la communication tardive de ses multiples absences pour causemedicale avec les repercussions que son remplacement impromptu entrainaitsur le bon fonctionnement de l'entreprise tant au niveau de la clienteleque parmi les travailleurs amenes à devoir assurer ce remplacement àudebotte' ;

Il resulte des pieces des parties que, durant son occupation pour la[demanderesse], [le defendeur] a ete en incapacite de travail : - annee2007 : du 1er au 3 mars et du 7 au 10 novembre ; - annee 2008 : du 2 au 8juillet, les 26 et 27 septembre et du 4 au 6 decembre ; - annee 2009 : du24 janvier au 8 fevrier ;

Il s'agit donc de six periodes d'incapacite subies par [le defendeur],dont cinq de courte duree.

Chacune de ces incapacites a ete portee à la connaissance de [lademanderesse] par le biais d'un certificat medical, la derniere en dateayant ete communiquee le jour meme à son superieur (24 janvier 2009), ausortir de la consultation de son medecin, vers 17 heures ;

La [demanderesse] admet que [le defendeur] a toujours respecte le delai detransmission des certificats medicaux, soit dans les 24 heures suivantl'absence ;

Faute toutefois d'en aviser immediatement son superieur hierarchique,celui-ci ne pouvait prevoir un remplac,ant, ce qui l'obligeait à devoirreagir dans l'urgence et la precipitation ;

A l'estime de la [demanderesse], cette carence [du defendeur]desorganisait completement les plannings et contribuait à degrader lesrelations avec la clientele ;

[...] En tout etat de cause, à supposer que [la lettre de reproche d'unclient produite par la demanderesse] ait ete à l'origine de la decisionde licenciement [du defendeur], il aurait à tout le moins convenu derecueillir prealablement ses explications à l'effet de fixer les balisesdu comportement attendu du travailleur se trouvant en etat d'incapacite ;

Par ailleurs, alors que la [demanderesse] se plaint du retard [dudefendeur] à lui communiquer immediatement ses absences pour motifsmedicaux en raison de la difficulte liee à son remplacement ex abrupto,elle n'engagera à nouveau un chauffeur-livreur que le 6 avril, soit presde deux mois apres son licenciement, et licenciera de surcroit quatrechauffeurs-livreurs au cours de la periode du 9 fevrier à fin avril2009 ;

Une telle attitude laisse à penser qu'elle disposait d'un nombresuffisant de chauffeurs-livreurs pour pouvoir assurer le remplacement d'untravailleur manquant ;

Si le fait pour les chauffeurs-livreurs de devoir communiquerimmediatement leur future absence pour cause de maladie avait ete à cepoint essentiel au bon fonctionnement de l'entreprise - ce que la cour [dutravail] peut parfaitement concevoir -, la [demanderesse] n'aurait pasmanque de le faire preciser, soit dans le contrat de travail, soit dans lereglement du travail ou, à tout le moins, aurait adresse à sontravailleur, voire à l'ensemble des travailleurs, une lettre de mise aupoint recadrant les obligations des travailleurs en ce qui concerne cepoint precis ;

Certes, l'article 8 du contrat de travail stipule que, `pour etre admis aubenefice des dispositions legales relatives à l'octroi du salaire garantien cas de maladie ou d'accident de la vie privee, le travailleur devraavertir le chef de l'entreprise ou son delegue des le debut du premierjour ouvrable de l'incapacite (au besoin par telephone) et lui indiquers'il peut ou non se deplacer' mais force est à la cour [du travail] deconstater que cette disposition n'exige pas du travailleur unejustification immediate de son absence pour cause d'incapacite de travailmais uniquement d'avertir l'employeur des le debut du premier jourouvrable suivant la reconnaissance de l'incapacite de travail ;

Il en resulte que le grief ayant fonde le licenciement [du defendeur] necadre pas avec les propres exigences de son employeur telles qu'ellesresultent de son contrat de travail ;

A l'estime de la cour [du travail], le probleme du remplacement deschauffeurs-livreurs en incapacite de travail releve d'une questiond'organisation interne de l'entreprise qui, faute d'etablissement d'unservice de garde parmi ses divers chauffeurs-livreurs alors qu'ellesemblait disposer d'un personnel suffisant (au vu de son retard àremplacer [le defendeur] apres licenciement ainsi que des quatrelicenciements de chauffeurs-livreurs intervenus au cours de la periode du9 fevrier à fin avril 2009), s'est trouvee à l'origine d'eventuellesdifficultes rencontrees à l'egard de la clientele et de son personnelaffecte au remplacement ;

La [demanderesse] se plaint en effet des repercussions que ces absencesont eues sur la clientele sans apporter le moindre commencement de preuvesous la forme d'attestation de cette clientele ;

De la meme maniere, la [demanderesse] fait etat de difficultesrelationnelles avec les autres chauffeurs-livreurs appeles à remplacerinopinement [le defendeur] sans apporter le moindre commencement de preuvesous forme d'attestation de ces travailleurs ;

Elle demande actuellement de faire la preuve de trois faits dont :

1. le defaut de justification immediate des absences, alors qu'aucunepreuve de ce que cela aurait fait l'objet d'une mise au point prealablen'est rapportee ;

2. les perturbations du travail liees à l'organisation plus difficile duplanning, alors que l'absence d'engagement d'un nouveau chauffeur-livreurdans les deux mois qui ont suivi le licenciement [du defendeur] jointe aulicenciement de quatre chauffeurs-livreurs au cours de la periodeconcomitante laisse à penser que le remplacement [du defendeur] ne devaitpas constituer un obstacle insurmontable pour son superieur hierarchique ;

3. les relations tendues avec ses collegues amenes à devoir assurerinopinement son remplacement, alors qu'aucune attestation n'est jointe autitre de commencement de preuve ;

La cour [du travail] considere que ces faits ne sont pas pertinents dansla mesure ou, à les supposer etablis, ils n'en constitueraient pas pourautant un motif legitime de licencier un travailleur à defaut pourl'employeur :

- d'etablir qu'il en irait en l'espece d'une transgression du travailleurd'un rappel à l'ordre prealable quant au comportement à adopter en casd'incapacite de travail ;

- d'avoir pris, pour ce type de situation (absences justifiees d'untravailleur), les mesures organisationnelles adequates en vue d'ypallier ».

Griefs

Premiere branche

L'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travailconsidere comme abusif le licenciement d'un ouvrier engage pour une dureeindeterminee qui est effectue pour des motifs qui n'ont aucun lien avecl'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondes sur lesnecessites du fonctionnement de l'entreprise, de l'etablissement ou duservice. Sans prejudice de l'article 39, S: 1er, de la meme loi,l'employeur qui licencie abusivement un ouvrier engage pour une dureeindeterminee est tenu de payer à cet ouvrier une indemnite correspondantà la remuneration de six mois, sauf si une autre indemnisation est prevuepar une convention collective de travail rendue obligatoire par le Roi.

L'article 63 exclut qu'un licenciement soit abusif au sens de cettedisposition des lors qu'il est fonde sur un motif qui presente un lienavec l'aptitude de l'ouvrier, quelles que soient les consequences del'inaptitude de celui-ci sur l'organisation du travail. Dans la mesure oule motif du licenciement est fonde sur les necessites de l'entreprise,l'employeur a une grande marge d'appreciation pour imposer les mesuresnecessaires pour le bon fonctionnement de l'entreprise, l'employeur etantle seul juge de l'orientation, de l'organisation et de la strategie del'entreprise ou de la valeur du travailleur. Le juge du fond ne peutsubstituer sa decision à cet egard à celle de l'employeur et le controlequ'il exerce ne peut, partant, etre que marginal.

Dans ses conclusions additionnelles d'appel, la demanderesse a fait valoirque le defendeur, bien qu'il respectat le delai de transmission de soncertificat medical, ne prevenait pas ou ne prevenait que tardivement sonsuperieur, que la demanderesse a ete obligee chaque fois d'adapter leschema des autres chauffeurs en derniere minute, que la communicationtardive des absences frequentes perturbait les relations avec lescollegues du defendeur et l'organisation du service aux clients, que lademanderesse a par consequent ete contrainte de mettre fin au contrat detravail avec le defendeur et que ces motifs justifient le licenciement dudefendeur au sens de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative auxcontrats de travail. La demanderesse a encore fait valoir que le marche dutransport est soumis à une concurrence feroce, que le seul moyen depouvoir survivre est d'offrir un service de qualite, les clientsinsatisfaits recherchant un autre partenaire avec lequel ils auront unmeilleur service, et que l'employeur a une grande marge d'appreciationpour imposer les mesures necessaires au bon fonctionnement del'entreprise.

L'arret constate neanmoins que la demanderesse n'a engage un nouveauchauffeur-livreur que pres de deux mois apres le licenciement du defendeuret que la demanderesse a de surcroit licencie quatre chauffeurs-livreurs.L'arret en deduit que la demanderesse disposait d'un nombre suffisant dechauffeurs-livreurs pour assurer le remplacement d'un travailleur manquantet que le probleme du remplacement des chauffeurs-livreurs en incapacitede travail releve d'une question d'organisation interne de l'entreprise.

Selon l'arret, le defaut de justification immediate des absences, lesperturbations du travail liees à l'organisation plus difficile duplanning et les relations tendues avec les collegues du defendeur amenesà devoir assurer inopinement son remplacement, à supposer ces faitsetablis, ne constituent pas un motif legitime de licencier le defendeur àdefaut pour la demanderesse d'etablir qu'il en irait en l'espece d'unetransgression par le travailleur d'un rappel à l'ordre prealable quant aucomportement à adopter en cas d'incapacite de travail et d'avoir pris lesmesures organisationnelles adequates en vue d'y pallier. En outre, l'arretn'autorise pas la demanderesse à faire la preuve de ces faits par tousmoyens de droit, y compris la preuve par temoins.

Or, en estimant le licenciement du defendeur abusif au motif que lademanderesse n'a pas pris les mesures organisationnelles adequates en vuede pallier les absences des travailleurs en incapacite de travail, l'arretse substitue à l'employeur quant à la gestion de l'entreprise, exerceplus qu'un controle marginal sur la decision prise par la demanderesse etexcede donc les pouvoirs que lui donne le Code judiciaire (violation desarticles 8, 9, 19, 20, 23 et 578 du Code judiciaire). En exigeant que lademanderesse ait pris les mesures organisationnelles en vue de pallier lesabsences du defendeur et les communications tardives au superieur dudefendeur, l'arret subordonne la reconnaissance du motif legitimejustifiant le licenciement du defendeur à une condition que l'article 63de la loi du 3 juillet 1978 ne prevoit pas et qui n'est pas davantageindispensable pour atteindre le but vise par la loi, à savoir prevenirtout licenciement abusif des ouvriers (violation de l'article 63 de la loidu 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail). En outre, l'arret nerejette pas legalement, par les motifs precites, l'offre emanant de lademanderesse d'entendre des temoins (violation des articles 1315, 1316,1341 à 1348 du Code civil, 870, 876, 915, 916, 921, 941, 959 et 1042 duCode judiciaire).

Deuxieme branche

Le juge est tenu de statuer sur la contestation conformement aux regles dedroit qui lui sont applicables. Il doit examiner la nature juridique desfaits et actes allegues par les parties et peut, quelle que soit laqualification juridique que les parties leur ont donnee, suppleer d'officeaux motifs proposes par elles à condition de ne pas soulever unecontestation dont les parties ont exclu l'existence dans leursconclusions, de se fonder uniquement sur des elements regulierement soumisà son appreciation, de ne pas modifier l'objet de la demande et de ne pasvioler le droit de defense des parties.

Dans ses conclusions additionnelles d'appel, la demanderesse a faitvaloir que le defendeur, bien qu'il respectat le delai de transmission deson certificat medical, ne prevenait pas ou ne prevenait que tardivementson superieur, que la demanderesse a ete obligee chaque fois d'adapter leschema des autres chauffeurs en derniere minute, que la communicationtardive des absences frequentes du defendeur perturbait les relations avecses collegues et l'organisation du service aux clients, que lademanderesse a par consequent ete contrainte de mettre fin au contrat detravail avec le defendeur et que ces motifs justifient le licenciement dudefendeur au sens de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative auxcontrats de travail.

L'arret ecarte le moyen souleve par la demanderesse au motif que lademanderesse disposait d'un nombre suffisant de chauffeurs-livreurs pourassurer le remplacement d'un travailleur manquant et que le probleme duremplacement des chauffeurs-livreurs en incapacite de travail releve d'unequestion d'organisation interne de l'entreprise.

Il ressort des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard que, d'une part,le defendeur ne s'est pas prevalu d'un defaut d'organisation interne del'entreprise et que, d'autre part, la cour du travail n'a pas soumis à lacontradiction le moyen qu'elle a souleve d'office. L'arret souleve parconsequent une contestation dont les parties ont exclu l'existence dansleurs conclusions et viole le droit de defense de la demanderesse(meconnaissance du principe general du droit de l'autonomie des parties auproces, egalement appele principe dispositif, consacre entre autres parl'article 1138, 2DEG, du Code judiciaire ainsi que du principe general dudroit relatif au respect des droits de la defense).

Troisieme branche

Il y a lieu d'entendre par licenciement abusif, au sens de l'article 63 dela loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, toutlicenciement effectue pour des motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitudeou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondes sur les necessitesdu fonctionnement de l'entreprise, de l'etablissement ou du service.

Dans ses conclusions additionnelles d'appel, la demanderesse a fait valoirque le defendeur ne prevenait pas ou ne prevenait que tardivement sonsuperieur, que la demanderesse a ete obligee chaque fois d'adapter leschema des autres chauffeurs en derniere minute, que la communicationtardive des absences frequentes du defendeur perturbait les relations avecses collegues et l'organisation du service aux clients, que lademanderesse a par consequent ete contrainte de mettre fin au contrat detravail avec le defendeur et que ces motifs justifient le licenciement dudefendeur au sens de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative auxcontrats de travail.

L'arret ecarte ce moyen au motif qu'il aurait à tout le moins convenu derecueillir prealablement les explications du defendeur à l'effet de fixerles balises du comportement attendu du travailleur se trouvant en etatd'incapacite. En outre, la cour du travail rejette l'offre emanant de lademanderesse d'entendre des temoins au motif que la demanderesse n'etablitpas qu'il en irait en l'espece d'une transgression par le travailleur d'unrappel à l'ordre prealable quant au comportement à adopter en casd'incapacite de travail.

L'arret rejette comme n'etant pas pertinente l'audition de temoinsproposee par la demanderesse afin de prouver l'existence des motifs delicenciement en rapport avec le comportement du defendeur et decide que lelicenciement du defendeur est abusif par le motif que, meme si l'existencedes faits decrits est etablie, la demanderesse n'a pas recueilliprealablement les explications du defendeur à l'effet de fixer lesbalises du comportement attendu du defendeur et n'etablit pas qu'il enirait en l'espece d'une transgression par le defendeur d'un rappel àl'ordre prealable quant au comportement à adopter.

Partant, l'arret subordonne l'existence d'un licenciement abusif à unecondition qui ne figure pas dans cette disposition legale et, des lors, nedecide pas legalement que le licenciement du defendeur est abusif(violation de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative auxcontrats de travail). En outre, par les motifs precites, l'arret nerejette pas legalement l'offre emanant de la demanderesse d'entendre destemoins (violation des articles 1315, 1316, 1341 à 1348 du Code civil,870, 876, 915, 916, 921, 941, 959 et 1042 du Code judiciaire).

Quatrieme branche

Comme l'arret le constate, l'article 8 du contrat de travail entre lesparties stipule que, « pour etre admis au benefice des dispositionslegales relatives à l'octroi du salaire garanti en cas de maladie oud'accident de la vie privee, le travailleur devra avertir le chef del'entreprise ou son delegue des le debut du premier jour ouvrable del'incapacite (au besoin par telephone) et lui indiquer s'il peut ou non sedeplacer ».

Dans ses conclusions additionnelles d'appel, la demanderesse a fait valoirque le defendeur « ne prevenait pas ou ne prevenait que tardivement sonsuperieur, que le comportement du defendeur (communications tardives desabsences, livraisons effectuees avec retard) traduit un mepris vis-à-visde la demanderesse mais egalement vis-à-vis des clients et de sescollegues » , que ce n'est pas la maladie qui est à l'origine du preavisdu defendeur « mais la communication tardive de celle-ci », que « lesabsences frequentes [du defendeur] et la communication tardive decelles-ci ont cause des relations difficiles avec ses collegues ». Atitre subsidiaire, la demanderesse souhaitait que la cour du travaill'autorisat à prouver les faits suivants : « pendant son occupationaupres de la [demanderesse], [le defendeur] a neglige de prevenir sonresponsable lors de ses absences pour maladies ; ces absencescommuniquees tardivement ont perturbe le travail ; [le defendeur]entretenait des relations tendues avec ses collegues ».

L'arret considere pourtant que, faute « d'en aviser immediatement sonsuperieur hierarchique, celui-ci ne pouvait prevoir un remplac,ant, ce quil'obligeait à devoir reagir dans l'urgence et la precipitation », que,« si le fait pour les chauffeurs-livreurs de devoir communiquerimmediatement leur future absence pour cause de maladie avait ete à cepoint essentiel au bon fonctionnement de l'entreprise - ce que la cour [dutravail] peut parfaitement concevoir -, la [demanderesse] n'aurait pasmanque de la faire preciser soit dans le contrat de travail, soit dans lereglement de travail ou, à tout le moins, aurait adresse à sontravailleur, voire à l'ensemble des travailleurs, une lettre de mise aupoint recadrant les obligations des travailleurs en ce qui concerne cepoint precis ».

L'arret constate ensuite que l'article 8 du contrat de travail entre lesparties n'exige pas du travailleur « une justification immediate de sonabsence » pour cause d'incapacite de travail. L'arret en deduit que legrief ayant fonde le licenciement du defendeur ne cadre pas avec lespropres exigences de son employeur telles qu'elles resultent de soncontrat de travail.

Or, dans la mesure ou l'arret considere que la demanderesse reproche audefendeur de ne pas avoir communique immediatement ses absences pourmaladie, il viole la foi due aux conclusions additionnelles d'appel de lademanderesse qui ne reprochait pas au defendeur de ne pas les avoircommuniquees immediatement mais de ne pas les avoir communiquees ou de lesavoir communiquees tardivement (violation des articles 1319, 1320 et 1322du Code civil). L'arret meconnait la force obligatoire de l'article 8 ducontrat de travail entre les parties en ne considerant donc pas legalementque le grief ayant fonde le licenciement du defendeur ne cadre pas avecles propres exigences de son employeur telles qu'elles resultent de soncontrat de travail (violation des articles 1134 et 1135 du Code civil). Ils'ensuit qu'il ne decide pas legalement, par ces motifs, que lelicenciement du defendeur est abusif (violation de l'article 63 de la loidu 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail) et ne rejette paslegalement l'offre emanant de la demanderesse d'entendre des temoins(violation des articles 1315, 1316, 1341 à 1348 du Code civil, 870, 876,915, 916, 921, 941, 959 et 1042 du Code judiciaire).

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

Si, dans les conclusions qu'elle a prises devant la cour du travail, lademanderesse a fait valoir que la regle qui permet au representant decommerce occupe dans differents arrondissements judiciaires de saisir letribunal du travail de l'un de ces arrondissements d'une contestationrelative à son contrat de travail ne peut etre etendue à d'autrestravailleurs itinerants, tels les chauffeurs-livreurs, elle n'a enrevanche pas soutenu que le defendeur n'a pas exerce dans l'arrondissementjudiciaire dont il a saisi le tribunal du travail une activiteprofessionnelle reelle et reguliere justifiant que cet arrondissementpuisse etre tenu pour celui de l'endroit affecte à l'exercice de saprofession au sens de l'article 627, 9DEG, du Code judiciaire.

Des lors que cette disposition n'est imperative qu'en faveur du seultravailleur, le moyen, qui n'a pas ete soumis à la cour du travail etdont celle-ci ne s'est pas saisie de sa propre initiative, est nouveau,partant, irrecevable.

Sur le second moyen :

Quant à la premiere branche :

En vertu de l'article 63, alinea 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relativeaux contrats de travail, est considere comme abusif, pour l'application decet article, le licenciement d'un ouvrier engage pour une dureeindeterminee qui est effectue pour des motifs qui n'ont aucun lien avecl'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondes sur lesnecessites du fonctionnement de l'entreprise, de l'etablissement ou duservice.

L'appreciation de la legitimite du motif de licenciement fonde sur lesnecessites du fonctionnement de l'entreprise, de l'etablissement ou duservice n'autorise pas le juge à substituer à ceux de l'employeur sespropres criteres d'organisation de ce fonctionnement.

L'arret, qui, apres avoir admis que la demanderesse « reproche [audefendeur] la communication tardive de ses multiples absences pour causemedicale avec les repercussions que son remplacement impromptu entrainaitsur le fonctionnement de l'entreprise tant au niveau de la clientele queparmi les travailleurs amenes à devoir assurer ce remplacement àudebotte' », considere, sur la base des motifs reproduits au moyen,qu' « à l'estime de la cour [du travail], le probleme du remplacementdes chauffeurs-livreurs en incapacite de travail releve d'une questiond'organisation interne de l'entreprise qui, faute d'un service de gardeparmi ses divers chauffeurs-livreurs alors qu'elle semblait disposer d'unpersonnel suffisant [...], s'est trouvee à l'origine d'eventuellesdifficultes rencontrees à l'egard de la clientele et de son personnelaffecte au remplacement », et qui refuse à la demanderesse le droit derapporter la preuve de « perturbations du travail liees à l'organisationplus difficile du planning » parce que, « à supposer ces faits etablis,ils n'en constitueraient pas pour autant un motif legitime de licencier untravailleur à defaut pour l'employeur [...] d'avoir pris, pour ce type desituation [...], les mesures operationnelles adequates en vue d'ypallier », viole l'article 63, alinea 1er, de la loi du 3 juillet 1978.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Et il n'y pas lieu d'examiner les autres branches du second moyen, qui nesauraient entrainer une cassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque en tant que, par confirmation du jugement entrepris,il dit fondee la demande du defendeur et qu'il statue sur les depens ;

Rejette le pourvoi pour le surplus ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Condamne la demanderesse à la moitie des depens ; en reserve le surpluspour qu'il soit statue sur celui-ci par le juge du fond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour du travail de Bruxelles.

Les depens taxes à la somme de quatre cent huit euros quarante-huitcentimes envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du seize fevrier deux mille quinze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalJean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

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| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Lemal |
|-----------------+------------+-------------|
| M. Delange | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

16 FEVRIER 2015 S.13.0085.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.13.0085.F
Date de la décision : 16/02/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-02-16;s.13.0085.f ?
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