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12/02/2015 | BELGIQUE | N°C.14.0331.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 12 février 2015, C.14.0331.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0331.F

1. JARDICO, societe privee à responsabilite limitee dont le siege socialest etabli à Schaerbeek, rue Van Schoor, 86,

2. BUREAU D'ASSURANCES ET DE FINANCEMENT, societe anonyme dont le siegesocial est etabli à Berchem-Sainte-Agathe, avenue de la Basilique,42,



demanderesses en cassation,

representees par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile,

contre

1. CBC BANQUE,

societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, Grand-Place, 5,

defenderesse en cassation,

...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0331.F

1. JARDICO, societe privee à responsabilite limitee dont le siege socialest etabli à Schaerbeek, rue Van Schoor, 86,

2. BUREAU D'ASSURANCES ET DE FINANCEMENT, societe anonyme dont le siegesocial est etabli à Berchem-Sainte-Agathe, avenue de la Basilique,42,

demanderesses en cassation,

representees par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile,

contre

1. CBC BANQUE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, Grand-Place, 5,

defenderesse en cassation,

2. BNP PARIBAS FORTIS, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, Montagne du Parc, 3,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 8 mai 2014 parla cour d'appel de Bruxelles.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

Les demanderesses presentent un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 2, specialement d), et 50 de la loi du 31 janvier 2009 relativeà la continuite des entreprises, telle qu'elle etait applicable aux faitsde l'espece avant sa modification par la loi du 27 mai 2013 modifiantdiverses legislations en matiere de continuite des entreprises ;

- article 149 de la Constitution.

Decisions et motifs critiques

L'arret « joint les appels introduits dans les causes inscrites au rolegeneral sous les numeros 2013/AR/l683, 3013/AR/l684, 2013/AR/l896 et2013/AR/l902 ; rec,oit les appels et dit seuls fondes les appelsintroduits par [les defenderesses] ; reforme les jugements entreprisprononces dans les causes inscrites au role general du tribunal decommerce de Bruxelles sous les numeros G/13/03612, G/13/03613 etG/13/03614 et, statuant à nouveau, dit pour droit que la creance de la[seconde defenderesse] doit etre qualifiee, dans les deux procedures dereorganisation [des demanderesses], comme une creance sursitaireextraordinaire et ce, pour la totalite du montant de 6.671.580,31 euros enprincipal et 775.758,61 euros en interets jusqu'au

29 mai 2013 et que la creance de la [premiere defenderesse] à l'encontrede la [seconde demanderesse] doit etre qualifiee de creance sursitaireextraordinaire à concurrence de 5.395.503,02 euros au 13 fevrier 2013 etqu'elle sera reprise comme telle dans toutes les operations de lareorganisation judiciaire et que la creance de la [premiere defenderesse]à l'encontre de la [premiere demanderesse] doit etre qualifiee de creancesursitaire extraordinaire à concurrence de 5.395.503,02 euros au 13fevrier 2013 et qu'elle sera reprise comme telle dans toutes lesoperations de la reorganisation judicaire, et met les depens des deuxinstances à charge des [demanderesses] et les condamne, in solidum, àpayer à la [seconde defenderesse] les sommes de 364,69 euros, 1.320euros, 210 euros et 1.320 euros et à la [premiere defenderesse] lessommes de 326,60 euros, 326,60 euros, 1.320 euros, 210 euros et 1.320euros ».

L'arret se fonde sur les motifs selon lesquels :

« B. Sur la qualite des creances des banques

[Les demanderesses] soutiennent que :

- un gage general sur creances actuelles et futures ne constitue pas unprivilege special ;

- subsidiairement, un creancier sursitaire n'est extraordinaire quejusqu'à concurrence de ce qui subsiste de l'assiette de son privilegespecial au moment de l'ouverture de la procedure en reorganisationjudiciaire ; or, à cette date, [les demanderesses] n'etaient pastitulaires de creances sur des clients ou des tiers ;

- en tout etat de cause, les banques commettent un abus de droit dans lamesure ou elles n'ont rien à gagner à provoquer leurs faillites, ce quiserait immanquablement le cas en l'espece, d'autant qu'elles ont realisecompletement leurs gages sur titres, qui plus est à un moment inopportun.

a) Sur le gage general sur creances actuelles et futures

13. L'article 12.2 des conditions generales de [la premiere defenderesse]prevoit :

`Par les presentes, les credites affectent en gage toutes leurs creancesactuelles et futures sur la banque en raison d'avoirs en compte oud'operations bancaires et de services bancaires, ainsi que toutes leurscreances actuelles et futures sur des tiers. Sont visees, entre autres,les creances nees de contrats de vente, de location de services, de depotset d'assurances, les creances decoulant de l'activite professionnelle oucommerciale du credite, les creances sur etablissements financiers envertu d'avoirs en compte, les creances en responsabilite contractuelle etextracontractuelle, les creances sur l'Etat et autres personnes morales dedroit public'.

L'article 8 des conditions generales de [la seconde defenderesse],intitule `gage general', prevoit quant à lui :

`Pour surete du remboursement de toutes sommes dues, le credite donne engage à la banque toutes les creances actuelles et futures sur des tiers,de quelque chef que ce soit, telles que notamment les creancescommerciales et autres creances sur clients, les remunerations pourprestations et services, les creances decoulant du produit des biensmeubles ou immeubles, les creances sur des institutions de credit ouautres institutions financieres, les creances relatives à des dommages etinterets, des pensions, des prestations d'assurance, des allocations desecurite sociale ou des creances sur les pouvoirs publics dans le cadre dela reglementation fiscale'.

C'est sur la base de ces dispositions - dont l'opposabilite n'est pascontestee - que les banques soutiennent que leurs creances doivent etreconsiderees comme des creances sursitaires extraordinaires et que,partant, elles ne peuvent etre concernees par les plans de reorganisation,tels qu'ils ont ete proposes.

14. L'article 2, d) ancien, de la loi sur la continuite des entreprisesdispose qu' `on entend par [...] « creances sursitaires extraordinaires» les creances garanties par un privilege special ou une hypotheque etles creances des creanciers-proprietaires'.

La loi sur la continuite des entreprises traite plus favorablement lescreanciers extraordinaires puisque l'article 50 prevoit que :

`Sans prejudice du paiement des interets qui leur sont conventionnellementou legalement dus sur leurs creances, le plan peut prevoir le sursis del'exercice des droits existants des creanciers sursitaires extraordinairespour une duree n'excedant pas vingt-quatre mois à dater du depot de larequete.

Dans les memes conditions, le plan peut prevoir une prorogationextraordinaire de ce sursis pour une duree ne depassant pas douze mois.Dans ce cas, le plan prevoit qu'à l'echeance du premier delai de sursis,le debiteur soumettra au tribunal, son creancier entendu, la preuve que lasituation financiere et les recettes previsibles de l'entreprise lamettront, selon les previsions raisonnables, à meme, à l'expiration decette periode supplementaire, de rembourser integralement les creancierssursitaires extraordinaires concernes, et qu'à defaut d'apporter cettepreuve, le debiteur entendra ordonner la fin de ce sursis.

Sauf leur consentement individuel ou accord amiable conclu conformement àl'article 15 ou 43, dont une copie est jointe au plan lors de son depot augreffe, le plan ne peut comporter aucune autre mesure affectant les droitsdesdits creanciers'.

Les termes `privilege special' dont il est question dans la loi sur lacontinuite des entreprises doivent s'entendre comme etant une expressionsynonyme de `privileges particuliers' tels qu'ils sont definis auxarticles 18 et suivants de la loi hypothecaire.

Sont notamment consideres comme des creanciers sursitaires extraordinairesceux dont la creance est garantie par un gage et un gage sur fonds decommerce.

Il ne s'agit là que de la stricte application de l'article 20, 3DEG, dela loi hypothecaire. En effet, une surete est generale lorsqu'elle a pourassiette un ensemble de biens. Elle est speciale lorsqu'elle greve un ouplusieurs biens determines, ce qui est le cas du gage, de l'hypotheque,des privileges speciaux sur meubles ou sur immeubles et du privilege del'assureur. Cette distinction ressort de l'article 18 de la loihypothecaire selon lequel les privileges sont ou generaux ou particulierssur certains meubles. L'article 18 de la loi hypothecaire enumere lesprivileges generaux sur les meubles et l'article 20 les privileges surcertains meubles, c'est-à-dire les privileges speciaux. L'article 20,3DEG, de la loi hypothecaire dispose que les creances privilegiees surcertains meubles sont, notamment, la creance sur le gage dont le creancierest saisi. De plus, les travaux preparatoires de la loi sur la continuitedes entreprises precisent clairement que les creances sursitairesextraordinaires sont notamment celles qui sont `garanties par une suretereelle', comme l'est le gage sur creances.

15. Par ailleurs, rien n'interdit de constituer un gage sur creancesfutures.

En effet, on peut constituer une surete en garantie de dettes futures ouconditionnelles sous la reserve que ces dettes soient determinees oudeterminables au moment de la constitution de la surete (article 1130,alinea 1er, du Code civil). Les creances futures ont un caracteresuffisamment determine ou determinable si la convention instituant lasurete permet de les definir et s'il resulte des elements de la causequ'elles sont effectivement de celles que les parties avaient entenduassortir de la garantie.

Tel est le cas en l'espece. Les conditions generales des banques decriventd'une maniere tres claire et pratiquement exhaustive les creances futuressusceptibles d'entrer dans l'assiette du gage, en maniere telle qu'ellespeuvent etre identifiees à l'avenir. Elles repondent des lors àl'exigence du caractere determinable.

A titre surabondant, il convient en outre d'observer que le droit futur aprevu que le gage peut avoir pour objet des biens futurs (cf. article 8 dunouveau chapitre 1er du titre XVII du Code civil, insere par la loi du 11juillet 2013 qui entrera en vigueur à une date fixee par le Roi et auplus tard le

1er decembre 2014).

16. Il s'ensuit que c'est à tort que [les demanderesses] soutiennent,dans le cadre de leur appel incident, qu'un gage general sur creancesactuelles et futures ne constitue pas un privilege special.

b) Sur le caractere extraordinaire de la creance jusqu'à concurrence del'assiette

17. [Les demanderesses], suivies en cela par le premier juge, soutiennent,d'une part, qu'un creancier sursitaire n'est extraordinaire que jusqu'àconcurrence de ce qui subsiste de l'assiette de son privilege special aumoment de l'ouverture de la procedure en reorganisation judiciaire,d'autre part, qu'à cette date, elles n'etaient pas titulaires de creancessur des clients ou des tiers et, partant, que les banques ne devaient pasetre traitees comme creancier sursitaire extraordinaire.

18. Il convient tout d'abord d'observer que, contrairement à cequ'affirment [les demanderesses], l'assiette des gages des banques n'etaitpas reduite à neant à la date de l'ouverture de la procedure enreorganisation judiciaire. Il resulte en effet des pieces deposees que lescreances detenues par [la seconde demanderesse] etaient au 31 decembre2012 de :

Creance impot à recuperer : 41.689,96 euros

Creance taxe sur la valeur ajoutee à recuperer : 42.042,84 euros

Creance du chef d'un compte courant : 173.853,62 euros

Valeur CCP : 54,12 euros

Valeur caisse : 492,81 euros

Dividendes à recevoir : 2.000 euros

Immobilisations financieres actions et participations : 1.161.783 euros,

et que celles detenues par [la premiere demanderesse] etaient, à la memedate, de :

Creance impot à recuperer : 44.027,57 euros

Creance taxe sur la valeur ajoutee à recuperer : 237,29 euros

Creance du chef d'un compte courant: 95.485,95 euros

Creances commerciales sur clients : 4.885,73 euros

Creance cautions : 8.973,75 euros

Valeur caisse : 800,43 euros

Immobilisations financieres actions et participations : 1.498.380,67euros.

Le dernier bilan publie (arrete au 30 juin 2012) laisse apparaitre pour[la seconde demanderesse] les postes suivants :

Creances commerciales : 170.640 euros

Autres creances : 83.733 euros

Valeurs disponibles : 174.401 euros

et celui pour [la premiere demanderesse] :

Creances commerciales : 57.663 euros

Autres creances : 43.835 euros

Valeurs disponibles 2.218.099 euros.

Il s'ensuit que la realisation par les banques des titres mis en gage n'apas eu pour effet que toutes les creances gagees avaient ete payees avantl'ouverture de la procedure de reorganisation.

Par ailleurs, des lors que le gage sur creances futures est admis, ilconvient egalement d'observer que la poursuite des activites [desdemanderesses] etait et est toujours de nature à generer de nouvellescreances puisque les estimations des comptes de resultat pour l'annee 2014font apparaitre pour [la premiere demanderesse] un chiffre d'affairesprevisionnel de 80.000 euros et pour [la seconde demanderesse] de 241.500euros, ainsi que des approvisionnements de marchandises et de biens etservices divers, susceptibles de generer une creance contre la taxe sur lavaleur ajoutee. Tout comme pour le gage sur le fonds de commerce,l'assiette du gage en cause, des lors qu'il comporte egalement descreances, est susceptible de varier dans le temps. Il ne peut donc etreaffirme que les privileges speciaux dont les banques peuvent se prevaloiretaient depourvus d'assiette.

19. Il ne resulte d'aucune disposition contenue dans la loi sur lacontinuite des entreprises que le legislateur a entendu limiter les droitsdes creanciers sursitaires extraordinaires, tels qu'ils decoulentnotamment de l'article 50, ni que la loi doit etre interpretee en ce sensque le caractere extraordinaire d'une creance devrait etre limite à lavaleur de realisation de l'assiette du gage au moment de l'ouverture de laprocedure en reorganisation.

Cette theorie, outre qu'elle ne repose sur aucun fondement legal, n'estqu'une construction d'une certaine doctrine qui ne fait pas l'unanimite.Elle est en effet critiquee par C.A. Leunen et M. Lamberty (cf. `Un autreregard sur le sort des interets et la qualite de creance sursitaireextraordinaire', in Actualite de la continuite, continuite de l'actualite,Larcier, 2012, pp. 402 et s., qui citent, en note infrapaginale nDEG 16,S. Brijs et S. Jacmain, `De reorganisatie van een onderneming in het kadervan een collectieve akkoord', Intersentia, 2010, p. 93, et en note 20, M.Forges et P.F. Van Den Driesche, `Le gage sur fonds de commerce et lesentreprises en difficulte', in Le fonds de commerce, Anthemis, 2012, p. 81), auteurs qui estiment que la valeur de realisation estimee des biensconstituant l'assiette de la surete ou du privilege special n'a guered'impact sur la qualite de la creance qu'ils garantissent.

Il ne convient en effet pas de confondre la nature de la creance et sonassiette. Le caractere d'une creance ou, autrement dit, la question si unecreance est privilegiee ou non est une question differente de celle desavoir pour quel montant elle est privilegiee (P. Franc,ois, `De wetbetreffende de continuiteit van de ondernemingen. Over euforie enrelativisme. De ervaringen van de bank als schuldeiser', in Bank enFinancieel recht, Larcier, 2011/111, p. 185). C'est l'integralite dumontant de la creance garantie par le privilege qui doit etre qualifieecomme etant extraordinaire, peu importe dans quelle mesure le creanciersera en fin de compte rembourse, la finalite de la loi sur la continuitedes entreprises etant la continuite de l'entreprise et l'execution du plandans le futur, qui doit permettre le remboursement de la creance.

Suivre la these [des demanderesses] reviendrait à exclure les creancesfutures de l'assiette du gage, ce qui ne peut etre admis pour les motifsdeveloppes au point 14 [ci-dessus].

Vainement [les demanderesses] soutiennent-elles que les banquesentendraient modifier en cours de sursis la qualite de la creance. Lesbanques detiennent des creances sursitaires extraordinaires depuis le jourde l'ouverture de la procedure de reorganisation judiciaire et ce, envertu d'un gage sur creances constitue des annees avant. La surete n'a pasete prise en cours de sursis. Soutenir qu'une creance serait à la foisextraordinaire jusqu'à concurrence de la valeur de realisation de lasurete et ordinaire (pour le reste) reviendrait à creer une nouvellecategorie de creanciers non prevus par la loi sur la continuite desentreprises.

Enfin, c'est tout aussi vainement que [les demanderesses] reprochent quele gage n'a pas fait l'objet d'un enregistrement. C'est en effet perdre devue qu'en l'espece le gage est commercial ».

L'arret en deduit que « les appels des banques sur ce point sontfondes ».

Griefs

1. En vertu de l'article 2, d), de la loi sur la continuite desentreprises, les creances sursitaires extraordinaires sont « les creancessursitaires garanties par un privilege special ou une hypotheque et lescreances des creanciers-proprietaires ».

Les travaux preparatoires precisent que les creances sursitairesextraordinaires sont celles « qui beneficient d'un traitementparticulier », à savoir « les creances garanties par une suretereelle, c'est-à-dire un gage ou une hypotheque, ou qui beneficient d'unegarantie donnee par la retention du droit de propriete ou par le biaisd'un privilege special » (Doc. parl., Chambre, 2007-2008, nDEG 52-160/2,p. 45)

Cependant, la question de savoir jusqu'à concurrence de quel montant uncreancier sursitaire peut se prevaloir de la qualite de creancierextraordinaire fait l'objet de debats en doctrine et en jurisprudence.Plusieurs theses coexistent, qui n'ont jusqu'ores pas ete soumises àl'examen de la Cour.

Selon une premiere these, la creance n'est extraordinaire que jusqu'àconcurrence de la valeur de realisation estimee de ce qui subsiste del'assiette de la surete au moment de l'ouverture de la procedure dereorganisation judiciaire. Aussi, le creancier ne pourrait-il se prevaloirdu statut de creancier sursitaire extraordinaire sur la base d'un gagedont l'assiette aurait ete reduite à neant, ce qui serait le cas si lescreances gagees avaient ete payees avant l'ouverture de la procedure dereorganisation.

Ce point de vue est fonde notamment sur le fait que le privilege (ycompris celui qui est prevu à l'article 20, 3DEG, de la loi hypothecaireen faveur du creancier gagiste) n'est rien d'autre qu'un droit accorde àson titulaire d'etre paye de maniere preferentielle sur le produit derealisation des biens sur lesquels il porte.

Certes, la reorganisation par accord collectif ne suppose pas larealisation des biens de l'entreprise, fussent-ils greves de privileges oude suretes reelles, de sorte qu'en tant que telle, l'execution du plann'est pas destinee à engendrer l'expression du privilege dans sa finaliteultime : le paiement par priorite du creancier qui en beneficie.

Cependant, la loi sur la continuite des entreprises accorde, à plusieurscategories de creanciers, une faveur d'une autre nature, dependant del'existence ou non d'un privilege ou d'une surete reelle.

La question posee consiste à determiner dans quelle mesure un privilegeou une surete reelle peuvent servir d'etalons en dehors d'une procedure deconcours, et non dans quelle mesure ils influencent l'ordre desrepartitions du produit de realisation des actifs greves.

Repondre à cette question n'est assurement pas aise, car il est admis àbon droit qu'en dehors d'une procedure de concours, rien ne distingue, enregle, une creance chirographaire d'une creance privilegiee. De manieresimilaire, en dehors d'une procedure de concours, une surete reelle neproduit que des effets conservatoires, caracteristiques de la periode delatence separant la naissance de la garantie de son execution eventuelle,et non un paiement preferentiel.

Neanmoins, l'application de la loi sur la continuite des entreprises, entant qu'elle gouverne l'accord collectif, invite à estimer la proportiondans laquelle les creanciers sursitaires extraordinaires peuvent avoiracces à la categorie speciale qui leur est reservee par les articles 2,d), et 50, avec les exigences renforcees à charge de l'entreprise quecette appartenance implique.

A cet egard, selon une deuxieme these, il convient de tenir compte de lavaleur nominale de l'assiette de la surete, revelee par le montant del'inscription pour un gage ou une hypotheque. Les auteurs favorables àcette position en reconnaissent le caractere imparfait, laquelle auraitneanmoins le merite d'une plus grande securite juridique.

Enfin, une troisieme et derniere these defend l'idee que l'existence d'unesurete entrainerait la qualite de creancier sursitaire extraordinaire pourl'integralite de la creance, quelle que soit la valeur reelle economiquede l'assiette. C'est cette position qu'adopte l'arret.

La loi du 27 mai 2013 modifiant diverses legislations en matiere decontinuite des entreprises a insere un article 2/1 dans la loi sur lacontinuite des entreprises selon lequel, « sans prejudice de la naturedes creances resultant de contrats à prestations successives et del'effet sur la creance d'un paiement intervenu apres l'ouverture de laprocedure, la nature de la creance est determinee au moment de l'ouverturede la procedure ».

A cet egard, les travaux preparatoires precisent que « les suretes quiconferent au creancier le droit d'etre paye sur les biens qui en fontl'objet par preference aux autres creanciers ne donnent lieu à la qualitede creancier sursitaire extraordinaire pour les biens qui en font l'objetque pour le montant qui etait du au moment de l'ouverture de la procedure ». Les travaux preparatoires renvoient en outre expressement à lapremiere these developpee ci-avant (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, nDEG53-2692/1, p. 9).

Or, l'on sait que la loi precitee poursuit un objectif de clarificationdes textes, dans la ligne de la volonte du legislateur lors de lapromulgation de la loi sur la continuite des entreprises, plus qued'adaptation. C'est donc dans le sens exprime par le nouveau libelle qu'ilconvient d'interpreter l'article 2, d), de cette loi applicable à lapresente espece.

Il se deduit de ce qui precede que l'existence d'une clause de mise engage de creances actuelles et futures au sein des conditions generalesd'une banque est, bien entendu, propre à fonder la validite etl'opposabilite d'un gage mais demeure insuffisante pour conferer pour letout la qualite de sursitaire extraordinaire au creancier qui enbeneficie, à defaut d'evaluation de l'assiette au moment de l'ouverturede la procedure en reorganisation judiciaire.

2. En l'espece, par les motifs repris au moyen et tenus ici pourintegralement reproduits, l'arret commence à bon droit par constaterl'existence et l'opposabilite d'un gage sur creances actuelles et futuresau sein des conditions generales [des defenderesses].

Mais l'arret poursuit à tort en considerant en substance qu'« il neresulte d'aucune disposition contenue dans la loi sur la continuite desentreprises que le legislateur a entendu limiter les droits des creancierssursitaires extraordinaires, tels qu'ils decoulent notamment de l'article50, ni que la loi doit etre interpretee en ce sens que le caractereextraordinaire d'une creance devrait etre limite à la valeur derealisation de l'assiette du gage au moment de l'ouverture de la procedureen reorganisation (...). C'est l'integralite du montant de la creancegarantie par le privilege qui doit etre qualifiee comme etantextraordinaire ».

L'arret constate ensuite que « la realisation par les banques des titresmis en gage n'a pas eu pour effet que toutes les creances gagees avaientete payees avant l'ouverture de la procedure de reorganisation » etsouligne que, « des lors que le gage sur creances futures est admis, ilconvient egalement d'observer que la poursuite des activites [desdemanderesses] etait - et est toujours - de nature à generer de nouvellescreances puisque les estimations des comptes de resultat pour l'annee 2014font apparaitre pour [la premiere demanderesse] un chiffre d'affairesprevisionnel de 80.000 euros et pour [la seconde demanderesse] de 241.500euros, ainsi que des approvisionnements de marchandises et des biens etservices divers, susceptibles de generer une creance contre la taxe sur lavaleur ajoutee. Tout comme pour le gage sur le fonds de commerce,l'assiette du gage en cause, des lors qu'il comporte egalement descreances, est susceptible de varier dans le temps. Il ne peut donc etreaffirme que les privileges speciaux dont les banques peuvent se prevaloiretaient depourvus d'assiette ».

Ayant ainsi constate l'existence de privileges speciaux au profit desbanques, l'arret neglige toutefois d'en determiner la portee et d'enlimiter la mesure, alors que, sur la base de ses constatations de fait, ildevait prendre en consideration une telle limitation pour l'applicationdes articles 2, d), et 50 de la loi sur la continuite des entreprises.

3. En consequence, l'arret, qui, sur la base des considerations quiprecedent, decide que c'est l'integralite du montant des creanceslitigieuses, garanties par un gage sur creances actuelles et futures, quidoit etre qualifiee de creance sursitaire extraordinaire, sans limitercette qualification à la valeur de l'assiette de la surete au moment del'ouverture de la procedure de reorganisation judiciaire, meconnait laportee de la notion legale de creance sursitaire extraordinaire (violationdes articles 2, d), et 50 de la loi sur la continuite des entreprises) ;à tout le moins, à defaut de proceder à une estimation de la valeur del'assiette de la surete au moment de l'ouverture de la procedure dereorganisation judiciaire pour faire application des articles 2, d), et 50de cette loi, l'arret ne permet pas à la Cour d'exercer le controle delegalite qui lui est attribue (violation de l'article 149 de laConstitution).

III. La decision de la Cour

En vertu de l'article 2, d) et h), de la loi du 31 janvier 2009 relativeà la continuite des entreprises, la personne qui est titulaire d'unecreance sursitaire garantie par un privilege special ou une hypotheque estun creancier sursitaire extraordinaire.

Il ne resulte pas de cette disposition legale que la creance dont cettepersonne est titulaire n'est extraordinaire que jusqu'à concurrence de lavaleur de realisation de l'assiette du privilege special ou del'hypotheque qui la garantit.

Le moyen, qui repose tout entier sur le soutenement contraire, manque endroit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne les demanderesses aux depens.

Les depens taxes à la somme de six cent septante-quatre euros quinzecentimes envers les parties demanderesses.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du douze fevrier deux mille quinze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalThierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|-----------------+----------------+-------------|
| M. Delange | D. Batsele | Chr. Storck |
+------------------------------------------------+

12 FEVRIER 2015 C.14.0331.F/16


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0331.F
Date de la décision : 12/02/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 04/03/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-02-12;c.14.0331.f ?
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