Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG F.13.0074.F
1. M. B.,
2. F. B.,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maitre Sophie Vanhaelst, avocat au barreau deBruxelles, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 290, ouil est fait election de domicile,
contre
ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile.
NDEG F.13.0079.F
1. M. B.,
2. F. B.,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maitre Sophie Vanhaelst, avocat au barreau deBruxelles, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 290, ouil est fait election de domicile,
contre
ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Par une requete inscrite au role general sous le numero F.13.0074.F, lesdemandeurs ont forme un pourvoi en cassation contre l'arret rendu le 16juin 2010 par la cour d'appel de Bruxelles.
A l'occasion de la transmission du dossier administratif par le defendeur,une copie de la requete a ete inscrite au role general sous le numeroF.13.0079.F.
Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport.
L'avocat general Andre Henkes a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, les demandeurs presentent cinq moyens.
III. La decision de la Cour
Sur la procedure :
Deux numeros de role distincts ont ete attribues à la requete. S'agissantd'un meme pourvoi, il y a lieu de declarer sans objet la procedure enroleesous le numero F.13.0079.F.
Sur le premier moyen :
Quant aux deux premieres branches :
Dans la mesure ou il invoque la violation de l'article 240, alinea 3, duCode des impots sur les revenus (1964), qui est etranger au litige, lemoyen, en ces branches, est irrecevable.
En vertu de l'article 333, alinea 3, du Code des impots sur les revenus1992, dans sa version applicable au litige, l'administration peuteffectuer les investigations visees au titre VII, chapitre III, de ce codependant le delai supplementaire de deux ans prevu à l'article 354, alinea2, à condition qu'elle ait notifie prealablement au contribuable, parecrit et de maniere precise, les indices de fraude fiscale qui existent,en ce qui le concerne, pour la periode consideree.
Sous le chapitre III du titre VII, l'article 316 du meme code, dans saversion applicable au litige, prevoit que toute personne passible del'impot des personnes physiques, de l'impot des societes, de l'impot despersonnes morales et de l'impot des non-residents a l'obligation,lorsqu'elle en est requise par l'administration, de lui fournir, parecrit, dans le mois de la date d'envoi de la demande, ce delai pouvantetre prolonge pour de justes motifs, tous renseignements qui lui sontreclames aux fins de verifier sa situation fiscale.
Il ne suit pas de ces dispositions qu'une notification d'indices de fraudene satisferait pas aux conditions legales lorsqu'elle est contenue dans lademande de renseignements elle-meme ou qu'y etant contenue, elle estintegree dans l'enonce des questions au lieu de les preceder.
La violation pretendue des articles 1319 à 1322 du Code civil est, pourle surplus, tout entiere deduite de celle, vainement alleguee, del'article 333, alinea 3, du Code des impots sur les revenus 1992.
Dans la mesure ou il est recevable, le moyen, en ces branches, ne peutetre accueilli.
Quant à la troisieme branche :
En enonc,ant que « le premier juge a, à bon droit, releve que l'avis derectification a motive l'application de l'article 354, alinea 2, du Codedes impots sur les revenus 1992 par la possession d'un compte numeroteaupres de l'institution financiere suisse S.B.S., [par] l'omission dans ladeclaration des revenus mobiliers perc,us et [par] l'absence de serieuxpour le [demandeur] (disposant d'un niveau de formation eleve, ayant laqualite d'administrateur de societe et gerant un patrimoine mobilierimportant) quand il se pretend victime d'une simple distraction qui seraitla pretendue cause de l'omission de ses revenus mobiliers etrangers danssa declaration », l'arret repond, en les contredisant, aux conclusionsdes demandeurs qui soutenaient que l'existence et la non-declaration derevenus eventuellement imposables ne demontrent pas l'intention d'agirfrauduleusement ou dans le but de causer des dommages et ne constituentdes lors pas des indices de fraude et que, partant, c'est à tort que lepremier juge a considere que le fait d'etre titulaires de comptesbancaires à l'etranger et de n'avoir declare aucun revenu mobilierconstitue des indices de fraude au sens de l'article 333, alinea 3, dumeme code.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la quatrieme branche :
L'arret, qui se refere à un arret de la Cour du 14 octobre 1999 pourdecider que « les circonstances de fait confirment la pertinence de cetteanalyse in casu », s'approprie le raisonnement de la Cour quant aurespect de l'exigence d'une notification prealable pour des raisonspropres à la cause et, partant, ne confere pas à cette jurisprudence lecaractere d'une disposition generale et reglementaire.
Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
Sur le deuxieme moyen :
Quant à la premiere branche :
Le moyen, en cette branche, fait grief à l'arret de violer la foi due àune lettre que le conseil des demandeurs a adressee à l'administration le7 octobre 1996.
Est irrecevable le moyen pris de la violation de la foi due à un actelorsque la decision attaquee ne reproduit pas les termes de cet acte etque le demandeur ne le produit pas en forme reguliere à l'appui de sonpourvoi.
L'arret ne reproduit pas les termes de la lettre precitee du 7 octobre1996.
Les demandeurs, qui en ont joint une copie à la requete en cassation, nel'ont pas fait conformement aux exigences de l'article 1098 du Codejudiciaire.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Pour le surplus, il n'est pas contradictoire de constater que le conseildes demandeurs a adresse une lettre à l'administration le 7 octobre 1996et de considerer ensuite, pour l'application de l'article 351 du Code desimpots sur les revenus 1992, que ceux-ci se sont abstenus de fournir dansle delai les renseignements demandes.
Dans la mesure ou il est recevable, le moyen, en cette branche, manque enfait.
Quant à la seconde branche :
En constatant que « [la lettre] de leur conseil du 7 octobre 1996 [...]n'a pas precise une date de reponse à la demande de renseignements et aevoque au contraire une menace d'application d'une amende administrativepour l'absence de reponse dans le delai à la demande de renseignements du10 septembre 1996 » et en considerant qu'« il en decoule quel'administration n'entendait pas accueillir la sollicitation d'un delaicomplementaire de reponse » pour en conclure que « la procedure detaxation d'office apparait justifiee », l'arret repond, en lescontredisant, aux conclusions des demandeurs qui soutenaient qu'ilsauraient du beneficier d'une prolongation de delai pour de justes motifset ne pouvaient des lors etre assimiles, pour l'application de l'article351 du Code des impots sur les revenus 1992, à des contribuables qui seseraient abstenus de fournir dans le delai les renseignements qui leuravaient ete demandes en vertu de l'article 316 du meme code.
Des lors que l'arret constate que le conseil des demandeurs n'avait pasprecise une date de reponse à la demande de renseignements, l'arretn'avait pas à apprecier l'existence eventuelle de justes motifs.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Sur le troisieme moyen :
Quant aux trois branches reunies :
L'article 1349 du Code civil dispose que les presomptions sont desconsequences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un faitinconnu.
Le juge du fond constate souverainement l'existence des faits sur lesquelsil se fonde et les consequences qu'il en deduit à titre de presomption del'homme sont, en vertu de l'article 1353 du meme code, abandonnees à seslumieres et à sa prudence. Il n'est pas requis que les presomptions quisont deduites des faits constates decoulent necessairement de ces faits ;il suffit qu'elles puissent en decouler.
La Cour se borne à controler si le juge n'a pas viole la notion legale depresomptions de l'homme et, notamment, s'il n'a pas deduit des faitsconstates par lui des consequences qui, sur leur fondement, ne seraientsusceptibles d'aucune justification.
L'arret constate qu'une somme de 30.000.000 francs a ete transferee le 26fevrier 1992 du « compte courant » du demandeur ouvert à la banqueParibas Luxembourg à un « compte fiduciaire » tenu dans les livres dela meme banque et qu'un transfert similaire a eu lieu pour une somme de25.200.000 francs le 26 juin 1992 ; que la « somme de 55.200.000 francs aete retransferee du compte fiduciaire vers le compte courant [dudemandeur] le
29 septembre 1992 » ; qu'au vu de la microfiche etablie par la banque,aucun interet n'a ete verse sur ce compte fiduciaire ; que toutefois« les ecritures bancaires mentionnent expressement la reference `selonconvention ref. 10/01' », laquelle « n'a jamais ete produite », pasplus que ne l'a ete une attestation de la banque que la somme de55.200.000 francs est restee improductive. Il releve que la decisiondirectoriale evoque l'hypothese qu'une convention relative à l'achat detitres ait prevu un versement des interets sur un autre compte et retientegalement de cette decision que le jour meme ou le « compte courant » dudemandeur a ete à nouveau credite de 55.200.000 francs, il a ete debitede cette meme somme pour le paiement des titres.
L'arret ajoute que, « sauf preuve contraire, un compte de depot produitnormalement des interets, ce qui a ete le cas pour le depot à terme fixe[du demandeur] aupres de la meme banque ».
De ces considerations, qui sont exemptes de contradiction, l'arret a pu,sans meconnaitre la notion legale de presomption de l'homme et, partant,sans violer l'article 351 du Code des impots sur les revenus 1992, deduireque le depot fiduciaire litigieux a produit des interets pendant laperiode consideree.
Le moyen, en ces branches, ne peut etre accueilli.
Sur le quatrieme moyen :
Quant à la premiere branche :
L'arret ne considere pas le fait que le compte fiduciaire produise desinterets comme un fait connu de nature à fonder une autre presomption del'homme quant au taux de ces interets mais enonce que « la productiond'interets par le compte fiduciaire et le taux de ces interets ont eteetablis distinctement par des presomptions à partir de faits connus ».
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant aux deuxieme et troisieme branches :
L'arret constate, par reference aux faits enonces par le premier juge, quele montant des interets produits par le compte de depot à terme fixe dudemandeur à la banque Paribas Luxembourg resulte de documents etablis parcette banque ainsi que de la declaration des demandeurs.
Il releve que l'administration a etabli une moyenne des taux de ce compteà terme pour la periode consideree.
Il considere, sans etre critique, que le taux moyen ainsi etabli est unfait connu.
Par ces enonciations, et par celles qui sont reproduites en reponse autroisieme moyen, d'ou il ressort que la somme de 55.200.000 francs a etedebitee du « compte courant » du demandeur pour etre placee, pour uneperiode donnee, sous un depot fiduciaire ouvert dans la meme banque queson depot à terme fixe, l'arret motive regulierement et justifielegalement sa decision que « l'administration a correctement pu presumerque cette moyenne [de taux] constituait le taux d'interet applicable audepot fiduciaire ».
La violation pretendue de l'article 351 du Code des impots sur les revenus1992 est, pour le surplus, tout entiere deduite de celle, vainementalleguee, des articles 1349 et 1352 du Code civil.
Le moyen, en ces branches, ne peut etre accueilli.
Sur le cinquieme moyen :
Quant à la premiere branche :
Le moyen, qui, en cette branche, ne critique pas l'arret mais le fait dela taxation par l'administration apres le delai legal d'imposition, estirrecevable.
Quant à la deuxieme branche :
Par les considerations que critique le moyen, en cette branche, l'arretn'inverse pas la charge de la preuve mais rejette l'allegation desdemandeurs, elevee en degre d'appel, que la plus-value realisee sur lesactions de la societe Cremafa, active dans le secteur immobilier, seraitle fruit d'investissements familiaux de longue date, exclusifs de touteidee de speculation sortant du cadre de la gestion normale d'un patrimoineprive, ce qui enleverait toute pertinence aux motifs en sens contraire dupremier juge.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la troisieme branche :
En considerant que « la vente des actions de la societe Cremafa ne peutetre isolee de son contexte » et que, « si, sans doute, aucun empruntn'a ete souscrit pour realiser cette plus-value, la plus-value a eterealisee dans un court laps de temps, le cessionnaire n'est pas la societeanversoise Jason mais bien la societe irlandaise Coltreen, ce qui impliqueque la notion de simulation eut pu etre retenue, comme l'observe lepremier juge », l'arret a pu, sur la base d'une appreciation qui git enfait et sans violer l'article 90, 1DEG, du Code des impots sur les revenus1992, decider que l'operation sort du cadre de la gestion normale d'unpatrimoine prive et que, partant, cette plus-value est imposable sur labase de cette disposition.
Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
Quant à la quatrieme branche :
Contrairement à ce que suppose le moyen, en cette branche, l'arret nededuit pas sa decision que « le cessionnaire [des actions Cremafa] n'estpas la societe anversoise Jason mais la societe irlandaise Coltreen » dela seule lettre d'un avocat suisse du 8 decembre 1997 mais egalement de laconstatation que, « parallelement à cette lettre, rien n'etablit que laparticipation dans la societe Cremafa ait figure effectivement au bilan dela societe Jason Brussels ».
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Par ces motifs,
La Cour
Declare sans objet la procedure inscrite sous le numero de roleF.13.0079.F ;
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux depens.
Les depens taxes à la somme de deux cent soixante-deux eurosquarante-neuf centimes envers les parties demanderesses et à la somme dedeux cent vingt-deux euros soixante-quatre centimes envers la partiedefenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, le conseiller DidierBatsele, le president de section Albert Fettweis, les conseillers MartineRegout et Sabine Geubel, et prononce en audience publique du dix-huitdecembre deux mille quatorze par le president de section Christian Storck,en presence de l'avocat general Andre Henkes, avec l'assistance dugreffier Patricia
De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Regout |
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| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
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18 DECEMBRE 2014 F.13.0074.F - F.13.0079.F/1