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11/12/2014 | BELGIQUE | N°C.13.0537.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 décembre 2014, C.13.0537.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.13.0537.F

NML CAPITAL Ltd, societe de droit des Iles Caimans, dont le siege estetabli à Maples Corporate Services Limited, PO Box 309, Ugland House,Grand Caiman, KY-1104, Iles Caimans,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile,

contre

REPUBLIQUE D'ARGENTINE, en la personne de son representant, le presidenten exercice, dont les bureaux sont etabli

s à Buenos Aires (Argentine),Casa Rosada,

defenderesse en cassation,

representee par Maitr...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.13.0537.F

NML CAPITAL Ltd, societe de droit des Iles Caimans, dont le siege estetabli à Maples Corporate Services Limited, PO Box 309, Ugland House,Grand Caiman, KY-1104, Iles Caimans,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile,

contre

REPUBLIQUE D'ARGENTINE, en la personne de son representant, le presidenten exercice, dont les bureaux sont etablis à Buenos Aires (Argentine),Casa Rosada,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 28 juin 2013par la cour d'appel de Bruxelles.

Le 28 aout 2014, le premier avocat general Jean-Franc,ois Leclercq adepose des conclusions au greffe.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et le premier avocat generalJean-Franc,ois Leclercq a ete entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente trois moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Disposition legale violee

Article 6, S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre 1950 etapprouvee par la loi du 13 mai 1955

Decisions et motifs critiques

L'arret declare l'appel de la demanderesse non fonde, ordonne la mainleveedes saisies-arrets conservatoires contestees pratiquees le 30 juin 2011 etce, dans les 48 heures de la signification de l'arret qui, à defaut dece faire, vaudra mainlevee, et condamne la demanderesse aux depens. Cettedecision est notamment fondee sur les considerations suivantes :

« Selon [la demanderesse], le respect [de son] droit au proces equitable tel qu'il decoule de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertes fondamentales commande que l'immunitepretendue qui couvrirait les comptes bancaires des ambassades de la[defenderesse] soit ecartee.

[...] La cour [d'appel] constate qu'en l'espece, [la demanderesse] adeveloppe de tres nombreux efforts en vue d'obtenir le paiement de sacreance en sollicitant d'autoriser des mesures de saisie et en pratiquantdes saisies visant les avoirs de la [defenderesse] sous les formes lesplus diverses et detenus à des endroits divers, ainsi :

(1) aux Etats-Unis d'Amerique :

- des obligations offertes lors d'une offre publique d'echange organiseepar la [defenderesse] ;

- les avoirs de la Banco Central de la [defenderesse] (BCRA) detenus

à la Federal Reserve Bank de New York (FRBNY) ;

- le compte trust de la Banco Hipotecario ;

- le compte de nantissement d'actifs de la Banco de la Nacion Argentina (BNA) ;

- le compte de l'Instituto Nacional de Tecnologia Agropecuaria (INTA) ;

- le compte de Agenda Nacional de Promocion Cientifica y Tecnologia (ANPCT) ;

- les fonds de pensions argentins nationalises ;

- la societe Energia Argentina ;

- l'Empresa Argentina de Soluciones Satelitates ;

- certains biens immobiliers dans le district de Colombia ;

- la Comision Nacional de Actividades Espaciales (CONAE) ;

(2) au Ghana :

- le navire Ara Libertad ;

(3) en Suisse :

- des fonds detenus par la BCRA à la Banque des reglements internationauxà Bale (Suisse) ;

- des comptes bancaires en Suisse ;

(4) en France :

- les avoirs argentins entre les mains de Total Austrial ;

- les avoirs argentins entre les mains de BNP Paribas ;

- les avoirs de Aerolineas Argentinas entre les mains de la HSBC ;

- les avoirs argentins et de ses àlter ego' entre les mains de AirFrance ;

- les avoirs de la Provincia del Chubut entre les mains de la BancoBilbao Vizcaya Argentaria (BBVA) ;

- les comptes de l'ambassade à la BBVA ;

(5) en Belgique :

- les saisies pratiquees en 2009 et en 2011.

La contestation de ces mesures d'execution a dans la plupart des cas meneà des procedures en justice qui, à des exceptions pres, ont abouti àun echec pour le saisissant.

Face aux difficultes multiples que [la demanderesse] rencontre lors de sestentatives d'obtenir le reglement de sa creance, il apparait que la[defenderesse] n'a à ce jour fait aucune proposition concrete depaiement afin de pouvoir desinteresser son creancier ni meme uneproposition de cantonnement.

Il convient d'examiner si, en l'espece, l'immunite d'execution dont seprevaut la [defenderesse] pour obtenir la mainlevee des mesuresd'execution contestees doit etre consideree comme une des limitationsauxquelles se prete l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertes fondamentales qui n'est pas de nature àrestreindre l'acces à la justice.

La cour [d'appel] releve d'abord que l'immunite dont beneficient lescomptes bancaires d'ambassades et de missions diplomatiques qui ne sontpas affectes à l'activite commerciale ou economique relevant du droitprive poursuit un but legitime des lors qu'elle permet et renforce lesrelations entre les Etats souverains (en vertu de la regle coutumiereinternationale ne impediatur legatio) par l'accomplissement des fonctionsdiplomatiques.

L'inviolabilite des comptes bancaires d'une ambassade ou missiondiplomatique ne concerne que les comptes destines ou utilises aux fins decette mission.

Quant à l'exigence de la proportionnalite, la cour [d'appel] considereque l'immunite invoquee repond à ce critere si :

- elle est conforme au droit international ;

- la personne contre laquelle cette immunite est invoquee dispose d'autresvoies raisonnables pour proteger efficacement les droits que lui garantitla Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales.

La conformite au droit international relatif aux immunites n'est pascontestee.

[La demanderesse] fonde sa these sur le deuxieme critere, à savoirl'impossibilite d'obtenir le paiement de sa creance.

Contrairement à ce que pretend la [defenderesse], il n'y a pas lieu de reserver l'application de ce critere uniquement aux immunites dontbeneficient les organisations internationales. Ce n'est pas parce quel'immunite d'un Etat couvre uniquement les biens necessaires auxfonctions `iure imperii' de cet Etat que le critere d'autres voiesraisonnables d'execution ne pourrait etre retenu pour determiner si uneimmunite est proportionnee.

Il est exact que [la demanderesse] a rencontre des difficultes pourobtenir le paiement de sa creance sur la base d'un titre executoireregulier rendu il y a plus de six ans et s'est vu confrontee au refuspersistant de la [defenderesse] d'executer les condamnations prononceescontre elle par les cours et tribunaux dans differents pays, ainsi qu'ilressort des decisions ou observations suivantes :

- l'ordonnance rendue par le `United States District Court for theSouthern District of New York' du 12 septembre 2008 ;

- les declarations du juge Thomas P. Griesa du Tribunal federal dudistrict sud de New York du 25 mars 2005 et du 12 janvier 2006 ;

- la sentence arbitrale du 7 aout 2009 lue ensemble avec la conclusion ducomite ad hoc du 29 juin 2010.

L'immunite d'execution dont se prevaut la [defenderesse] constitue unerestriction importante au regard de la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertes fondamentales.

Il n'en decoule cependant pas que l'article 6 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales soitviole.

Le fait que [la demanderesse] a pu saisir en 2007 le compte trust de laBanco Hipotecario et qu'à la suite de cette saisie un cheque de270.866,67 dollars americains a ete emis à l'ordre de [la demanderesse],montant correspondant à sa part dans l'actif du trust, soutient cetteconclusion.

Meme si les efforts et moyens financiers considerables que [lademanderesse] a du exposer n'ont permis d'obtenir que le paiement de cemontant d'environ 270.000 dollars americains ainsi que d'un autre montantsaisi aupres de la BNA, comme l'ont affirme les conseils de [lademanderesse] à l'audience du 17 juin 2013, et que ces deux montants nerepresentent ensemble que 0,06 p.c. de la creance, alors que le principalde la dette de la [defenderesse] s'eleve à 284.184.632,30 dollarsamericains à majorer des interets que [la demanderesse] evalue à 98.277.334,84 euros au 14 fevrier 2013, il subsiste neanmoins despossibilites d'execution, d'autant plus que la [defenderesse] dispose demoyens suffisants pour honorer ses dettes (voir à ce sujet lapresentation de la [defenderesse] dans les conclusions de [lademanderesse], non contredites sur ce point).

Quant au compte de l'ANPCT, il n'est pas conteste qu'il a ete juge que lemontant correspondant à la moitie de ce compte revient à [lademanderesse], decision obtenue à la suite d'une procedure que la[defenderesse] a perdue tant en degre d'appel que devant la Cour supremedes Etats-Unis, et que ce compte contient, suivant l'information de [lademanderesse], un solde crediteur de 3.260.000 dollars americains.

A l'audience de plaidoirie, [la demanderesse] a affirme avoir rec,u lepaiement des sommes auxquelles elle a droit, ce qui soutient le principeque son droit d'acces à la justice a manifestement ete respecte.

Il convient en outre de rappeler que l'immunite invoquee ici ne concerneque les biens affectes à l'exercice de la mission diplomatique enBelgique et qu'elle ne prive pas [la demanderesse] d'executer sur desbiens affectes à des fins civiles ou commerciales (`iure gestionis') enBelgique ou ailleurs.

Compte tenu de l'immunite dont beneficie la [defenderesse], [lademanderesse] n'a d'autre choix que de proceder * dans la mesure dupossible * à un examen prealable des possibilites reelles de saisieavant de prendre des mesures d'execution afin d'eviter des demarchesinfructueuses.

[...] Il decoule de ce qui precede que le critere de la proportionnaliteest respecte ».

Griefs

L'article 6, S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales garantit à chacun le droit à ce qu'un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits etobligations de caractere civil.

Le droit d'execution d'une decision judiciaire est un aspect de ce droit.

Le droit à un tribunal serait en effet illusoire si l'ordre juridiqueinterne permettait qu'une decision definitive et obligatoire demeureinexecutee.

Si le droit d'acces aux tribunaux n'est pas absolu, les limitations mises en oeuvre par les Etats ne peuvent toutefois restreindre l'accesoffert à l'individu d'une maniere ou à un point tels que le droit s'entrouve atteint dans sa substance meme.

En outre, pareilles limitations ne se concilient avec l'article 6, S: 1er,que si elles tendent à un but legitime et s'il existe un rapportraisonnable de proportionnalite entre les moyens employes et le but vise.

Si l'octroi de privileges et immunites aux Etats etrangers et à leurs missions diplomatiques est considere comme un moyen indispensable à leur bon fonctionnement, sans ingerence unilaterale d'un gouvernement, et s'ilest admis que ces mesures ne peuvent, de fac,on generale, etreconsiderees comme une restriction disproportionnee au droit d'acces à untribunal tel que le consacre l'article 6, S: 1er, il n'en demeure pasmoins que la question de la proportionnalite doit etre appreciee danschaque cas à la lumiere des circonstances particulieres de l'espece.

Il s'ensuit que, pour determiner si l'atteinte portee aux droitsfondamentaux est admissible au regard de l'article 6, S: 1er, il imported'examiner si la personne contre laquelle l'immunite est invoquee disposed'autres voies raisonnables pour proteger efficacement les droits que luigarantit la Convention.

En l'occurrence, il ressort des constatations de l'arret que lademanderesse a developpe de tres nombreux efforts en vue d'obtenir lepaiement de sa creance, dont le principal s'eleve à la somme de 284.184.632,30 dollars americains, notamment en sollicitant l'autorisationde mesures de saisies et en pratiquant des saisies visant les avoirs dela defenderesse sous les formes les plus diverses et detenus à desendroits divers, enumerees aux pages 7 et 8 de l'arret, à savoir auxEtats-Unis d'Amerique, au Ghana, en Suisse, en France et en Belgique,soit, comme le faisait observer la demanderesse dans ses conclusions auxpages 36 à 42, pas moins de vingt-deux tentatives d'executionprofessionnelles.

L'arret attaque constate quant à ce que la contestation de ces mesuresd'execution a dans la plupart des cas mene à des procedures en justice qui, à des exceptions pres, ont abouti à un echec pour le saisissant.

Il releve que, « face aux difficultes multiples que [la demanderesse]rencontre lors de ses tentatives d'obtenir le reglement de sa creance, ilapparait que la [defenderesse] n'a à ce jour fait aucune propositionconcrete de paiement afin de pouvoir desinteresser son creancier ni memeune proposition de cantonnement ».

Il constate enfin que les efforts et moyens financiers considerables quela demanderesse a du exposer ne lui ont permis d'obtenir que le paiementd'un montant d'environ 270.000 dollars americains, ainsi qu'un autremontant saisi aupres de la BNA, soit 0,06 p.c. de la creance, alors quele principal de la dette de la defenderesse s'eleve à 284.184.632,30dollars americains, à majorer des interets, que la demanderesse evalueà 98.277.334,84 euros au

14 fevrier 2013.

Il s'ensuit une disproportion evidente entre les montants recuperes et lemontant restant du, lequel s'eleve en sa totalite à une somme de pres de1.600.000.000 dollars americains, et ce, independamment de laconstatation de l'arret que la moitie du solde crediteur d'un compte del'ANPCT, lequel s'eleve à 3.260.000 dollars americains, reviendra à lademanderesse.

Si l'arret attaque fait etat de la subsistance d'autres possibilites d'execution, il reste toutefois en defaut d'en preciser la nature.

Si l'arret attaque considere encore que la [defenderesse] dispose demoyens suffisants pour honorer ses dettes, renvoyant le lecteur de l'arret quant à ce à la presentation de la [defenderesse] dans lesconclusions de la demanderesse aux pages 8 et 9, ou la demanderesse exposait qu'à l'heure actuelle la defenderesse dispose de plus de 40milliards de dollars americains de reserves de change et est considereecomme un des grands pays participant au lancement de la Banque du Sud, ilne precise pas davantage la nature desdits moyens ni ne precise queceux-ci sont susceptibles d'etre saisis.

Enfin, l'arret attaque ne constate nullement que le but pour lequell'immunite diplomatique a ete instauree justifiait qu'en l'occurrence la defenderesse s'en prevale pour s'opposer à la saisie-arret des comptes concernes.

Partant, au vu de ses constatations, l'arret attaque, dont il ressort, d'une part, que la defenderesse n'a à ce jour fait aucune proposition concrete de paiement afin de pouvoir desinteresser son creancier et que lademanderesse n'a, à ce jour et malgre les nombreuses tentativesd'execution et tous les efforts deployes, pu recuperer que 0,06 p.c. desa creance, et qui, d'autre part, ne contient aucune indication quant àla nature saisissable d'autres biens de la defenderesse, n'a pulegalement decider que le critere de la proportionnalite etait enl'occurrence respecte et, partant, que le droit de la demanderesse à unproces equitable, dont le droit d'execution de la decision judiciaireobtenue est un aspect, consacre par l'article 6, S: 1er, de la Conventionn'est pas viole (violation de l'article 6, S: 1er, de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, signee àRome le 4 novembre 1950 et approuvee par loi du 13 mai 1955).

Deuxieme moyen

Dispositions legales violees

- articles 22 et 25 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur lesrelations diplomatiques, approuvee par la loi du 30 mars 1968 ;

- article 38, S: 1er, b), du Statut de la Cour internationale de Justice,annexe à la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945, approuve par loidu

14 decembre 1945 approuvant la Charte des Nations Unies et le Statut dela Cour internationale de Justice, signes à San Francisco le 26 juin1945 ;

- article 149 de la Constitution ;

- articles 6 et 1120 du Code judiciaire ;

- articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;

- regle coutumiere internationale ne impediatur legatio.

Decisions et motifs critiques

L'arret declare l'appel de la demanderesse non fonde, ordonne la mainleveedes saisies-arrets conservatoires contestees pratiquees le 30 juin 2011 etce, dans les 48 heures de la signification de l'arret qui, à defaut dece faire, vaudra mainlevee, et condamne la demanderesse aux depens. Cettedecision est notamment fondee sur les considerations suivantes :

« La cour [d'appel] releve d'abord que l'immunite dont beneficient lescomptes bancaires d'ambassades et de missions diplomatiques qui ne sontpas affectes à l'activite commerciale ou economique relevant du droitprive poursuit un but legitime des lors qu'elle permet et renforce lesrelations entre les Etats souverains (en vertu de la regle coutumiereinternationale ne impediatur legatio) par l'accomplissement des fonctionsdiplomatiques.

L'inviolabilite des comptes bancaires d'une ambassade ou missiondiplomatique ne concerne que les comptes destines ou utilises aux fins decette mission.

[...] La conformite au droit international relatif aux immunites n'est pascontestee.

[...] 3. Quant à la renonciation à l'immunite d'execution, [lademanderesse] ne conteste pas que les Etats beneficient d'une immunited'execution.

L'immunite d'execution signifie `qu'aucune mesure de contrainte ne peutetre mise en oeuvre contre un Etat etranger, qui ne peut des lors etrel'objet d'aucune saisie conservatoire ou executoire' (conclusions duprocureur general J.-Fr. Leclercq precedant l'arret du 22 novembre2012).

Selon [la demanderesse] :

1) La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril1961 ne vise pas les comptes bancaires, comptes-titres ou autres avoirsen banque.

Cette these peut etre suivie : la Convention ne comporte aucunedisposition concernant les mesures d'execution qui peuvent etre exerceessur les comptes bancaires d'une mission diplomatique.

2) La doctrine et la jurisprudence belges s'accordent sur le point que laConvention de Vienne ne cree pas une immunite diplomatique distincte,s'appliquant aux comptes d'ambassades, de l'immunite generale dontbeneficient les Etats.

Vu l'arret de la Cour de cassation du 22 novembre 2012 par lequel la Cour consacre sans ambiguite qu'en vertu de la regle coutumiere internationalene impediatur legatio, suivant laquelle le fonctionnement de la missiondiplomatique ne peut etre entrave, l'ensemble des biens de cette missionqui servent à son fonctionnement beneficie d'une immunite d'executionautonome, se superposant à celle de l'Etat accreditant, cet argument neconvainc pas.

3) Ni la Convention de Vienne de 1961 ni aucune autre convention envigueur ne cree une immunite specifique s'appliquant aux comptes d'uneambassade.

Le fait que ni la Convention de Vienne ni d'autres conventions en vigueurne visent explicitement les comptes bancaires des missions diplomatiqueset des ambassades n'empeche pas que les comptes bancaires qui fontl'objet des saisies contestees beneficient d'une immunite specifiquebasee sur le principe du droit international public ne impediatur legatio(voir l'arret de la Cour de cassation du 22 novembre 2012).

4) Dans l'hypothese d'une immunite diplomatique, distincte de l'immunitegenerale d'execution reconnue aux Etats, ce que conteste [lademanderesse], la [defenderesse] y aurait renonce de fac,on expresse etclaire.

La renonciation invoquee par [la demanderesse] est en effet claire etexpresse. Elle n'est cependant pas specifique, ce qui est pourtant lependant necessaire de l'immunite d'execution specifique, autonome descomptes bancaires des missions diplomatiques fondee sur la reglecoutumiere ne impediatur legatio ».

Griefs

Premiere branche

La demanderesse contestait explicitement devant la cour d'appel l'existence d'une quelconque coutume internationale etendant la protectionde l'immunite diplomatique aux comptes bancaires.

Elle faisait notamment valoir que, pour que l'existence d'une coutume internationale soit retenue, deux elements constitutifs doivent etreremplis, à savoir :

- un element objectif, à savoir une pratique generale et constante,adoptee de longue date par les Etats ;

- un element subjectif, designe par l'expression « opinio juris sivenecessitas », à savoir la conviction pour l'Etat d'etre lie par uneregle de droit, les Etats devant avoir le sentiment de se conformer à cequi equivaut à une obligation juridique.

Elle observait que ni la frequence ni meme le caractere habituel desactes ne suffisent pour qu'il y ait une coutume internationale et qu'ilexiste nombre d'actes internationaux, dans le domaine du protocole parexemple, qui sont accomplis presque invariablement mais qui sont motivespar de simples considerations de courtoisie, d'opportunite ou detradition et non par le sentiment d'une obligation juridique, se referantà un arret du 20 fevrier 1969 de la Cour internationale de Justice (cf.C.I.J., 20 fevrier 1969, Plateau continental de la Mer du Nord, Rec.,1969, p. 44).

Il s'ensuit qu'il appartenait à la cour d'appel d'examiner si ces deuxelements etaient presents, sans qu'elle puisse se contenter de se referer à un arret rendu par la Cour à une autre occasion sous peine de donnerà cet arret un effet general et reglementaire.

En effet, l'article 6 du Code judiciaire dispose explicitement que lesjuges ne peuvent prononcer par voie de disposition generale etreglementaire sur les causes qui leur sont soumises.

En outre, il ressort de l'article 1120 du Code judiciaire qu'un arret dela Cour lie uniquement le juge de renvoi, apres une deuxieme cassationpour les memes motifs.

Or, en l'espece, la cour d'appel se borne à se referer à l'arret de laCour du 22 novembre 2012, auquel elle se range sans avoir procede auparavant à un quelconque examen quant à l'existence de la coutumeinternationale alleguee.

De la sorte, l'arret attaque reconnait à cet arret du 22 novembre 2012l'effet d'une disposition generale et reglementaire.

Partant, l'arret attaque, qui decide que l'argument de la demanderesse neconvainc pas, vu l'arret de la Cour du 22 novembre 2012 relatif àl'existence de la regle coutumiere internationale ne impediatur legatio,suivant laquelle le fonctionnement de la mission diplomatique ne peut etreentrave, sans indiquer un quelconque motif pour lequel elle consideredevoir se ranger à cette decision, accorde à celle-ci l'effet d'unedisposition generale et reglementaire et, partant, ne justifie paslegalement sa decision (violation de l'article 6 du Code judiciaire), luiattribuant par ailleurs illegalement la valeur d'un precedent obligatoire(violation de l'article 1120 du Code judiciaire).

A tout le moins, l'arret attaque, qui retient l'existence d'une coutume internationale, en vertu de laquelle l'ensemble des biens de la mission diplomatique qui servent à son fonctionnement beneficie d'une immunite d'execution autonome, y compris les comptes bancaires, sans qu'elle indique les raisons qui l'ont amenee à adopter une solution identique àcelle que la Cour a retenue en son arret du 22 novembre 2012, laissantainsi incertain si elle a considere que ledit arret etait obligatoire,auquel cas elle viole les articles precites, ou bien si elle est arriveeà cette conclusion sur la base d'un examen independant du droitinternational en la matiere, ne permet pas à la Cour d'exercer soncontrole de la legalite de la decision et, partant, ne motive pasregulierement sa decision (violation de l'article 149 de laConstitution).

Deuxieme branche

Dans ses conclusions, la demanderesse contestait explicitement l'existence d'une disposition conventionnelle ou d'une coutumeinternationale justifiant une immunite d'execution autonome des comptesd'ambassades.

Elle prenait, en outre, soin de s'exprimer au conditionnel quant à l'existence d'une immunite diplomatique specifique portant sur les comptesbancaires d'une ambassade, dans le cadre du developpement de son moyen relatif à l'acces à la justice.

Ainsi, contrairement à ce que considere l'arret attaque à la page 8,« la conformite au droit international relatif aux immunites » del'immunite specifique invoquee etait bel et bien contestee, en ce sens que la demanderesse contestait que la defenderesse puisse se prevaloir, ence qui concerne les comptes d'ambassade, d'une immunite autonome etdistincte de l'immunite dont beneficie l'Etat etranger.

Partant, si la consideration que « la conformite au droit internationalrelatif aux immunites n'est pas contestee » devait etre lue en ce sensque la demanderesse ne contestait pas que l'immunite d'execution autonomeinvoquee par la defenderesse etait conforme au droit international, alorsqu'elle contestait explicitement que le droit international instaure une immunite d'execution diplomatique des comptes d'ambassade distincte del'immunite d'execution des Etats, l'arret attaque donne de cesconclusions une interpretation inconciliable avec leurs termes en ylisant quelque chose qui n'y figure pas (violation des articles 1319,1320 et 1322 du Code civil).

Troisieme branche

Dans ses conclusions, la demanderesse contestait l'existence d'unecoutume internationale, exposant, quant à l'extension du domaine del'immunite de la Convention de Vienne sur la base d'une coutume, que :

« S'il est en effet admis que les conventions internationales coexistentavec le droit international coutumier [...], et qu'en cas de silence dutraite sur un point donne, il est permis d'avoir recours au droitinternational coutumier, ce que confirme le preambule de la Convention deVienne du 18 avril 1961 en affirmant que `les regles du droitinternational coutumier doivent continuer à regir les questions quin'ont pas ete expressement reglees dans les dispositions de la presenteconvention', encore faut-il que l'existence d'une telle coutume internationale ait ete caracterisee ;

Le droit international peut a minima etre defini comme `la preuve d'unepratique generale acceptee comme etant le droit' (article 38, S: 1, b),du Statut de la Cour internationale de Justice). Plus precisement, `lasubstance du droit international coutumier doit etre recherchee enpremier lieu dans la pratique effective et l'opinio juris des Etats' ;

Il en resulte, pour que soit retenue l'existence d'une coutumeinternationale, l'exigence de la reunion de deux elements constitutifs :

- un element objectif, une `pratique generale', laquelle est entendue de longue date comme devant recouvrir une `pratique internationale constante'ou encore une `pratique constante et uniforme'. C'est ainsi que le caractere coherent de la pratique doit ressortir de l'element objectif constituant la coutume : `seule une pratique constante, effectivement suivie et sans changement, peut devenir generatrice d'une regle de droitinternational coutumier' ;

- un element subjectif designe par l'expression opinio juris sivenecessitas, c'est-à-dire en termes communs la conviction pour l'Etatd'etre lie par une regle de droit. Ainsi qu'il a ete tres clairementrappele, `[l]es Etats doivent avoir le sentiment de se conformer à cequi equivaut à une obligation juridique. Ni la frequence ni meme lecaractere habituel des actes ne suffisent. Il existe nombre d'actesinternationaux, dans le domaine du protocole par exemple, qui sontaccomplis presque invariablement mais sont motives par de simplesconsiderations de courtoisie, d'opportunite ou de tradition et non par lesentiment d'une obligation juridique' (C.I.J., arret du 20 fevrier 1969, Plateau continental de la Mer du Nord, Rec., 1969, p. 44) ;

En consequence, la reference à une norme de droit international coutumiersuppose la constatation de l'existence d'une pratique internationalegenerale et constante, laquelle ne peut evidemment resulter du seul choixdu preteur ».

La demanderesse exposait encore à la page 57 :

« En ce qui concerne l'immunite d'execution des sommes deposees sur les comptes bancaires des missions diplomatiques, le fait que la Convention deVienne du 18 avril 1961 n'en fasse pas expressement mention alors qu'ils'agit d'un instrument de codification ayant opte pour une listeexhaustive des biens ainsi proteges montre que les negociateurs ontconsidere que ce point ne constitue pas un cas `ou il s'agit de formuleravec plus de precision et de systematiser les regles du droitinternational dans des domaines dans lesquels il existe dejà unepratique etatique considerable, des precedents [jurisprudentiels] et desopinions doctrinales [convergentes]' (Statut de la Commission du droitinternational, article 15) ».

Dans la note 56, elle ajoutait : « Ce constat a ete confirme durant lesdecennies qui ont suivi l'adoption de la Convention de Vienne du 18 avril1961 : il n'existe pas de norme coutumiere internationale relative àl'immunite d'execution des sommes deposees sur les comptes bancaires desmissions diplomatiques.

La Commission du droit international, organe principal de codification desNations Unies, ainsi que l'Assemblee generale de l'ONU, ont en effetexamine cette question precise au cours des 27 annees qu'ont dure leurstravaux consacres aux immunites juridictionnelles des Etats et de leursbiens (1977-2004), travaux qui ont conduit à l'adoption de la Conventiondes Nations Unies portant le meme intitule le 2 decembre 2004.

Des 1985, le rapporteur special de la Commission du droit internationalsur le sujet, M. Sompong Sucharitkul, soulignait qu'il s'agissait `d'unaspect du droit international ou l'on se heurte tres vite à desproblemes politiques et diplomatiques fondamentaux' (doc. A/CN.4/388 etCorr. 1 et 2, S: 247).

Les premieres annees des travaux de la Commission du droit internationalsur ce sujet, consacrees pour une bonne part au recensement de lapratique des Etats, ont ainsi rapidement conduit au constat de l'absencede `pratique constante et uniforme', selon le critere exige par lajurisprudence precedemment mentionnee quant au premier elementconstitutif de la coutume.

Davantage, meme, c'est au contraire l'emergence d'une pratique inverse qui a ete soulignee par la Commission du droit international.

L'integration d'une disposition relative à l'immunite d'execution dessommes deposees sur les comptes bancaires des missions diplomatiques dansle texte de la Convention du 2 decembre 2004 (article 21) a en effet etejustifiee des l'origine des travaux de la Commission du droitinternational par l'importance de contrer la pratique grandissante dessaisies de ces avoirs, cette protection etant jugee `necessaire etopportune' (commentaire de l'article 19 du projet relatif aux immunitesjuridictionnelles des Etats et de leurs biens, rapport de la CDI sur lestravaux de sa quarante-troisieme session, p. 61).

L'article 21 de la Convention des Nations Unies sur les immunitesjuridictionnelles des Etats et de leurs biens releve donc non pas de lacodification mais, au mieux, du developpement progressif du droit,c'est-à-dire de `sujets qui ne sont pas encore regles par le droitinternational ou relativement auxquels le droit n'est pas encoresuffisamment developpe dans la pratique des Etats' (Statut de laCommission du droit international, article 15).

Des lors, si l'immunite d'execution des sommes deposees sur les comptes bancaires des ambassades peut etre expressement fondee, ce sera le cas uniquement sur une base conventionnelle et non coutumiere.

De surcroit, l'article 21 de la Convention des Nations Unies sur lesimmunites juridictionnelles des Etats et de leurs biens ne pourra etreapplique, dans la limite du cercle conventionnel, que dans l'avenir, unefois ladite convention entree en vigueur et sous la reserve que l'Etataccreditant n'ait pas renonce à son immunite d'execution, ainsi que leprevoient les articles 18 et 19 de la Convention du 2 decembre 2004 ».

Elle precisait encore à la page 61 de ses conclusions que la defenderessene rapportait pas la preuve de cette pretendue coutume.

L'arret attaque, qui se limite à se referer à l'arret de la Cour du

22 novembre 2012, sans rencontrer ce moyen detaille, qui precisait lesconditions qui doivent etre remplies pour que l'existence d'une coutume internationale puisse etre retenue et qui donnait les raisons pourlesquelles il fallait admettre qu'aucune coutume internationalen'existait, ne motive pas regulierement sa decision (violation del'article 149 de la Constitution).

Quatrieme branche

Une immunite d'execution, portant sur les comptes bancaires d'uneambassade ou d'une mission diplomatique, qui serait distincte de l'immunite d'execution dont beneficie tout Etat etranger, de sorte qu'unerenonciation par l'Etat etranger à son immunite d'executionn'impliquerait pas encore une renonciation à l'immunite d'execution surlesdits comptes, suppose necessairement l'existence, soit d'un traiteinternational instaurant une immunite d'execution autonome, signe etratifie par l'Etat, sur le territoire duquel sont tenus lesdits comptes,en l'occurrence la Belgique, soit l'existence d'une coutumeinternationale, dont la force obligatoire est reconnue par la majorite des Etats comme telle.

Une telle immunite d'execution autonome n'est pas comprise dans laConvention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques,approuvee par la loi du 30 mars 1968, comme l'observe d'ailleurs l'arretattaque lui-meme.

En effet, l'article 22 de la Convention de Vienne dispose uniquement :

« 1. Les locaux de la mission sont inviolables. Il n'est pas permis auxagents de l'Etat accreditaire d'y penetrer, sauf avec le consentement duchef de la mission.

2. L'Etat accreditaire a l'obligation speciale de prendre toutes mesuresappropriees afin d'empecher que les locaux de la mission ne soientenvahis ou endommages, la paix de la mission troublee ou sa digniteamoindrie.

3. Les locaux de la mission, leur ameublement et les autres objets qui s'ytrouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne peuventfaire l'objet d'aucune perquisition, requisition, saisie ou mesured'execution ».

L'article 25 de la Convention precise quant à lui uniquement que l'Etataccreditaire accorde toutes facilites pour l'accomplissement des fonctionsde la mission.

Il ne ressort ni de ces articles ni d'ailleurs des travaux de la Commission du droit international, creee le 21 novembre 1947 parl'Assemblee generale des Nations Unies pour preparer le projet de cetteconvention, qu'il existerait quant aux comptes bancaires en vertu de cesdispositions une immunite d'execution specifique et distincte de celleoctroyee aux Etats.

Or, le but de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 etait de concentrer, en un ecrit unique, les normes fondamentales du droitinternational coutumier relatives aux privileges et immunites applicablesdans l'exercice des fonctions diplomatiques des Etats.

Ne faisant point etat des comptes bancaires, alors que les ambassades enpossedaient dejà depuis des decennies, il s'en deduit necessairement qu'il n'existait à l'epoque pas de consensus parmi les Etats quant à la reconnaissance d'une immunite d'execution autonome des comptes bancaires.

Quant à l'existence d'une coutume internationale en ce sens, dont faitetat l'arret attaque, il echet de relever que la force obligatoire d'unecoutume internationale comme source du droit international suppose auxtermes de l'article 38, S: 1er, b), du Statut de la Cour internationalede Justice, annexe à la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945,approuve par loi du 14 decembre 1945 approuvant la Charte des NationsUnies et le Statut de la Cour internationale de Justice, signes à SanFrancisco le 26 juin 1945, que la coutume invoquee constitue la preuved'une pratique generale acceptee comme etant le droit.

Pour pouvoir retenir l'existence d'une telle coutume, ni la frequence, nimeme le caractere habituel des actes ne suffisent, puisqu'il existe nombre d'actes internationaux, dans le domaine du protocole par exemple,qui sont accomplis presque invariablement mais sont motives par desimples considerations de courtoisie, d'opportunite ou de tradition etnon par le sentiment d'une obligation juridique.

Il faut encore un element subjectif : les Etats doivent avoir le sentimentde se conformer à ce qui equivaut à une obligation juridique à laquelleils ne peuvent pas se soustraire.

L'existence d'une coutume internationale ne peut des lors etre retenue comme source de droit sans un examen prealable de la pratique generale des Etats.

Or, il ne ressort aucunement des considerations de l'arret attaque qu'ilexisterait dans le monde une pratique generale, admise par une majorite des Etats, selon laquelle les comptes bancaires des ambassades et missionsdiplomatiques beneficient d'une immunite d'execution autonome, distincte de l'immunite d'execution des Etats etrangers.

Partant, dans la mesure ou l'arret attaque considere que les avoirs surles comptes bancaires saisis beneficient d'une immunite d'execution autonome et ce, en vertu d'une coutume internationale ne impediaturlegatio, suivant laquelle le fonctionnement de la mission diplomatique nepeut etre entrave et en vertu de laquelle l'ensemble des biens de cettemission qui servent à son fonctionnement beneficie d'une immunited'execution autonome, se superposant à celle de l'Etat accreditant, sansqu'il ressorte toutefois des considerations de l'arret qu'il existeeffectivement une pratique generale en ce sens dans le monde, considereepar une majorite des Etats comme une regle de droit, il ne justifie paslegalement sa decision en etendant l'immunite d'execution diplomatique àdes hypotheses non prevues par la Convention de Vienne sans aucune basejuridique (violation des articles 22 et 25 de la Convention de Vienne du18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, approuvee par la loi du 30mars 1968, et 38, S: 1er, b), du Statut de la Cour internationale deJustice, annexe à la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945, approuvepar la loi du 14 decembre 1945 approuvant la Charte des Nations Unies etle Statut de la Cour internationale de Justice, signes à San Franciscole 26 juin 1945). A tout le moins, il ne justifie pas legalement sadecision en rendant applicable aux comptes d'ambassade la regle ne impediatur legatio, à supposer celle-ci etablie, sans constater d'abordqu'une majorite des Etats admet que la regle ne impediatur legatioconsacre egalement une immunite d'execution diplomatique autonome descomptes d'ambassade (violation de la regle coutumiere internationale neimpediatur legatio).

Troisieme moyen

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil.

Decisions et motifs critiques

L'arret declare l'appel de la demanderesse non fonde, ordonne la mainleveedes saisies-arrets conservatoires contestees pratiquees le 30 juin 2011 etce, dans les 48 heures de la signification de l'arret qui, à defaut dece faire, vaudra mainlevee, et condamne la demanderesse aux depens. Cettedecision est notamment fondee sur les considerations suivantes :

« 3. Quant à la renonciation à l'immunite d'execution

[La demanderesse] ne conteste pas que les Etats beneficient d'une immunited'execution.

L'immunite d'execution signifie qu'aucune mesure de contrainte ne peutetre mise en oeuvre contre un Etat etranger qui ne peut des lors etrel'objet d'aucune saisie conservatoire ou executoire (conclusions duprocureur general J.-Fr. Leclercq precedant l'arret du 22 novembre2012).

Selon [la demanderesse] :

[...] 4) Dans l'hypothese d'une immunite diplomatique, distincte del'immunite generale d'execution reconnue aux Etats, ce que conteste [lademanderesse], la [defenderesse] y aurait renonce de fac,on expresse etclaire.

La renonciation invoquee par [la demanderesse] est en effet claire etexpresse. Elle n'est cependant pas specifique, ce qui est pourtant lependant necessaire de l'immunite d'execution specifique, autonome, descomptes bancaires des missions diplomatiques fondee sur la reglecoutumiere ne impediatur legatio.

La clause de renonciation contenue dans le Fiscal agency agreement et les Conditions d'emission n'a pas ete signee par un organe de la [ladefenderesse] ayant le pouvoir de renoncer à l'immunite d'execution en cequi concerne des biens (comptes en banque) diplomatiques.

Elle ne peut etre consideree comme emportant une renonciation par la[defenderesse] à l'immunite dont beneficient ses biens diplomatiques,plus particulierement les comptes bancaires de la mission ou ambassadedans le monde entier (dans ce sens, Cass., 22 novembre 2012, ou la Courconsidere : `L'arret, qui, sans constater que les sommes saisies etaientaffectees à d'autres fins que le fonctionnement de la missiondiplomatique de la demanderesse (ici la [defenderesse]), decide que larenonciation generale contenue dans les actes susmentionnes (c'est-à-dire le Fiscal agency agreement et les contrats d'emission d'obligations) s'etend aux biens de cette mission diplomatique, y comprisses comptes bancaires, sans qu'il soit besoin d'une renonciation expresseet speciale en ce qui concerne ces biens, viole les articles 22,3, et 25de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 et la regle coutumiereinternationale ne impediatur legatio').

5) Si la [defenderesse] devait etre suivie dans sa these qu'unerenonciation specifique s'imposait sur la base de la `coutume [reconnuepar l'arret] du 22 novembre 2012', il y aurait lieu d'en deduire, selon[la demanderesse], qu'elle etait tenue d'en avertir ses investisseurs etcreanciers et à tout le moins ne pouvait leur faire croire qu'ellerenonc,ait à toutes ses immunites. Le fait de ne pas avoir agi de lasorte constituerait une faute dont la reparation en nature consiste en laprivation de l'immunite (diplomatique) dont la [la defenderesse] seprevaut ici. Partant [la demanderesse] conclut au non-fondement del'opposition initiale de la [defenderesse].

Compte tenu de ce qui precede, [la defenderesse] ne peut etre suivie dansson raisonnement. Le fait de se prevaloir de l'immunite dont beneficientles comptes bancaires de la mission diplomatique et de l'ambassade envertu du droit international public ne constitue pas une faute de la[defenderesse]. Le contexte general de la cause ne mene pas à une autreconclusion ».

Griefs

Dans ses conclusions, la demanderesse contestait que la clause derenonciation ne soit pas valable, comme allegue par la defenderesse.

Elle ajoutait qu'« enfin, il tombe sous le sens que chaque souscripteur des obligations emises par la [defenderesse] est en droit de se prevaloird'un mandat apparent dans le chef du signataire des contrats d'emissionaux fins de signer valablement les contrats et toutes et chacune de leursclauses (y compris celle de la renonciation à l'immunite).

Les hautes juridictions americaines, faisant application du droit del'Etat de New York, retiennent une theorie tout à fait similaire aumandat apparent de droit belge, en vertu de laquelle `un agent estinvesti d'un mandat apparent si « un principal place [l']agent dans uneposition de laquelle il apparait que l'agent a certains pouvoirs, qu'illes ait ou pas »'.

La consequence en est, en vertu du droit de l'Etat de New York, que, `siun tiers peut legitimement croire que l'agent agissait dans le cadre deson mandat et prend une decision sur la base des actions de l'agent, leprincipal ne peut plus invoquer que les actions de l'agent n'etaient pasautorisees'.

Tel etait evidemment le cas en l'espece, les cocontractants de la[defenderesse] à l'epoque de la signature du Fiscal agency agreement etdes deux contrats d'emission pouvant raisonnablement croire que lerepresentant de la [defenderesse] designe par cette derniere pour signerdes contrats d'une telle importance disposait de tous les pouvoirs etautorites requis pour le signer, y compris, bien evidemment, lesrenonciations aux immunites qui en constituaient un element essentiel ».

Elle s'y prevalait des lors clairement de la theorie du mandat apparent pour appuyer ses droits de proceder à des mesures de saisies-arrets surles comptes bancaires, et ce, independamment de l'existence d'une faute.

Partant, dans la mesure ou il considere que la demanderesse invoquait auxpages 89 et 90 de ses conclusions l'existence d'une faute de ladefenderesse qui justifiait une reparation en nature, alors qu'elle ydeclarait se prevaloir d'un mandat apparent à l'egard de la defenderesse, sans faire etat de faute, l'arret attaque donne de cesconclusions une interpretation inconciliable avec leurs termes en ylisant une affirmation que celles-ci ne contiennent pas (violation desarticles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

En outre, l'arret attaque, qui constate que « la clause de renonciationcontenue dans le Fiscal agency agreement et les Conditions d'emission n'apas ete signee par un organe de la [defenderesse] ayant le pouvoir derenoncer à l'immunite d'execution en ce qui concerne des biens (comptesen banque) diplomatiques », ne rencontre par aucune consideration lemoyen precite et, partant, ne motive pas regulierement sa decision(violation de l'article 149 de la Constitution).

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

L'article 6, S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales garantit à chacun le droit à ce qu'untribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits etobligations de caractere civil.

Le droit d'acces aux tribunaux garanti par l'article 6, S: 1er, precite,tel qu'il est interprete par la Cour europeenne des droits de l'homme, nepeut avoir pour effet de contraindre un Etat de passer outre contre songre à la regle de l'immunite d'execution des Etats, qui vise à assurerle fonctionnement optimal des missions diplomatiques et, plusgeneralement, à favoriser la courtoisie et les bonnes relations entreEtats souverains.

Le moyen, qui soutient que l'atteinte portee aux droits fondamentaux parl'immunite d'execution des Etats n'est admissible au regard dudit article6, S: 1er, que si la personne contre laquelle l'immunite est invoqueedispose d'autres voies raisonnables pour proteger efficacement les droitsque lui garantit la Convention, manque en droit.

Sur le deuxieme moyen :

Quant à la premiere branche :

En considerant que, « vu l'arret de la Cour de cassation du

22 novembre 2012, par lequel la Cour consacre sans ambiguite qu'en vertude la regle coutumiere internationale ne impediatur legatio suivantlaquelle le fonctionnement de la mission diplomatique ne peut etreentrave, l'ensemble des biens de cette mission qui servent à sonfonctionnement beneficie d'une immunite d'execution autonome, sesuperposant à celle de l'Etat accreditant, cet argument ne convaincpas », l'arret attaque ne donne pas à cette decision du 22 novembre2012 l'effet d'une disposition generale et reglementaire mais se limite àciter un precedent qui contredit l'affirmation de la demanderesse que« la doctrine et la jurisprudence belges s'accordent sur le point que laConvention de Vienne ne cree pas une immunite diplomatique s'appliquantaux comptes d'ambassades distincte de l'immunite generale dont beneficientles Etats ».

Pour le surplus, en enonc,ant que « le fait que ni la Convention deVienne ni d'autres conventions en vigueur ne visent explicitement lescomptes bancaires des missions diplomatiques et des ambassades n'empechepas que les comptes bancaires qui font l'objet des saisies contesteesbeneficient d'une immunite specifique basee sur le principe du droitinternational public ne impediatur legatio (voir l'arret de la Cour decassation du 22 novembre 2012) » et que « la renonciation invoquee par[la demanderesse] est en effet claire et expresse. Elle n'est cependantpas specifique, ce qui est pourtant le pendant necessaire de l'immunited'execution specifique, autonome, des comptes bancaires des missionsdiplomatiques fondee sur la regle coutumiere ne impediatur legatio »,l'arret attaque exprime une conviction autonome qu'il illustre par unereference à un arret de la Cour sans conferer à celui-ci une porteegenerale et reglementaire et donc sans violer les dispositions visees aumoyen, en cette branche.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la deuxieme branche :

Il ne ressort pas des conclusions d'appel de la demanderesse que celle-ciait conteste devant la cour d'appel que, à supposer que son existencesoit etablie, l'inviolabilite des comptes bancaires d'une ambassade oumission diplomatique destines ou utilises aux fins de cette mission soitconforme au droit international relatif aux immunites.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la troisieme branche :

Par les enonciations reproduites dans la reponse à la premiere branche dumoyen, l'arret repond, en les contredisant, aux conclusions de lademanderesse contestant l'existence d'une norme coutumiere internationalerelative à l'immunite d'execution des comptes bancaires des missionsdiplomatiques. Il n'etait pas tenu de repondre, en outre, à chacun desarguments formules par la demanderesse, qui ne constituaient pas desmoyens distincts.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la quatrieme branche :

En vertu de l'article 38, S: 1er, b), du Statut de la Cour internationalede Justice, annexe à la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945, la Courinternationale de Justice, dont la mission est de regler conformement audroit international les differends qui lui sont soumis, applique lacoutume internationale comme preuve d'une pratique generale acceptee commeetant le droit.

Il ne resulte pas de cette disposition que le juge etatique qui identifieet interprete une regle coutumiere internationale est tenu de constater,dans sa decision, l'existence d'une pratique generale, admise par unemajorite des Etats, qui soit à l'origine de cette regle coutumiere.

Le moyen, qui repose entierement sur le soutenement contraire, manque endroit.

Sur le troisieme moyen :

D'une part, contrairement à ce que suppose le moyen, l'arret ne considerepas que la demanderesse invoquait aux pages 89 et 90 de ses conclusionsl'existence d'une faute de la defenderesse qui justifiait une reparationen nature mais que ce moyen figurait aux pages 79 et 80 desditesconclusions.

D'autre part, l'arret considere que la renonciation par la defenderesse àson immunite d'execution n'est « pas specifique, ce qui est pourtant lependant necessaire de l'immunite d'execution specifique, autonome, descomptes bancaires des missions diplomatiques fondee sur la reglecoutumiere ne impediatur legatio ».

Il n'etait des lors pas tenu de repondre aux conclusions de lademanderesse faisant valoir qu'elle pouvait raisonnablement croire que lerepresentant de la defenderesse designe par cette derniere pour signer lescontrats entre parties disposait du pouvoir de signer l'acte derenonciation, que sa decision privait de pertinence.

Le moyen ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de huit cent dix-sept euros nonante centimesenvers la partie demanderesse et à la somme de quatre cent trente-troiseuros soixante et un centimes envers la partie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, president, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Martine Regout,Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononce en audience publique duonze decembre deux mille quatorze par le president de section ChristianStorck, en presence du premier avocat general Jean-Franc,ois Leclercq,avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

+------------------------------------------+
| L. Body | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|-----------+----------------+-------------|
| M. Regout | A. Fettweis | Chr. Storck |
+------------------------------------------+

11 DECEMBRE 2014 C.13.0537.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.13.0537.F
Date de la décision : 11/12/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-12-11;c.13.0537.f ?
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