Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG F.13.0145.F
AXA BELGIUM, societe anonyme dont le siege social est etabli àWatermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,
contre
1. ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinetest etabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,
2. M. D. et
3. M. P.,
defendeurs en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 15 avril 2013par la cour d'appel de Liege.
Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport.
L'avocat general Andre Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- articles 10, 11 et 172 de la Constitution,
- articles 34, S: 1er, 1DEG et 1DEGbis, et 39, S: 1er, du Code des impotssur les revenus 1992.
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate, notamment par reference à l'expose des faitscontenu dans le jugement du premier juge, que, le 18 septembre 1991, ledeuxieme defendeur a ete victime d'un accident de la circulation de droitcommun dont les assures de la demanderesse ont ete declares responsablespour moitie, que le deuxieme defendeur a retenu de cet accident uneincapacite permanente de travail de 20 p.c. ; que, par jugement du 7fevrier 2003, le tribunal de premiere instance de Liege, statuant en degred'appel sur le prejudice du deuxieme defendeur, a condamne les assures dela demanderesse à payer au deuxieme defendeur la moitie des sommes de19.186,96 euros pour le prejudice passe resultant de cette incapacitepermanente et de 30.997,93 euros pour le prejudice futur, calcule parcapitalisation, et lui a accorde des reserves fiscales ; que le montant del'indemnite versee par la demanderesse au deuxieme defendeur en reparationde son incapacite permanente a ete enrole pour l'exercice d'imposition2004 à la charge du deuxieme defendeur et de son epouse, la defenderesse,à titre de pensions ; que, sur le recours des deuxieme et troisiemedefendeurs contre cette imposition, le directeur des contributions àLiege, par decision du 7 fevrier 2006, a decide que l'indemnite etait enprincipe taxable, car elle compensait une perte de revenus etablie par lejugement du tribunal de premiere instance de Liege du 7 fevrier 2003, maisa admis que l'indemnite devait etre convertie en une rente viagerefictive ; que les deuxieme et troisieme defendeurs ont introduit unrecours contre cette decision devant le tribunal de premiere instance deLiege ; que la demanderesse est intervenue volontairement à la cause ;que le premier juge a dit non fondes le recours des deuxieme et troisiemedefendeurs et la requete en intervention de la demanderesse,
et apres avoir decide que l'incapacite permanente du deuxieme defendeur aentraine pour lui une perte de revenus professionnels,
l'arret, par confirmation du jugement du premier juge, decide quel'indemnite en cause est taxable en application de l'article 34, S: 1er,1DEG et 1DEGbis, du Code des impots sur les revenus 1992 ; condamne lademanderesse à payer aux deuxieme et troisieme defendeurs la somme d'uneuro provisionnel et à supporter les depens des deuxieme et troisiemedefendeurs.
L'arret fonde cette decision sur les motifs suivants :
« [Il convient de rejeter la these de la demanderesse] suivant laquellel'article 39, S: 1er, alinea 2, du Code des impots sur les revenus 1992cree[rait] une discrimination en ce qu'il ne vise que les reparationsfondees sur la legislation sur les accidents du travail et les maladiesprofessionnelles et non les indemnites reparant un accident de droitcommun et demande à la cour [d'appel] de poser une question prejudicielleà la Cour constitutionnelle.
Le premier juge considere qu'il n'y a pas lieu d'examiner laconstitutionnalite de l'article 39 de ce code dans la mesure ou lesindemnites compensent bien une perte de revenus, mais (la demanderesse)releve à juste titre à cet egard que, s'il s'agissait d'un accident dutravail et non de droit commun, (le deuxieme defendeur) n'aurait pas eteimpose en application de l'article 39, S: 1er, alinea 2, puisqu'il n'estpas conteste que son invalidite ayant des repercussions economiques nedepasse pas 20 p.c. et que (l'indemnite) n'est par consequent pas censeeconstituer la reparation d'une perte de revenus.
Cependant, la Cour constitutionnelle a dejà ete interrogee sur lecaractere discriminatoire de l'article 39, S: 1er, du Code des impots surles revenus 1992 et notamment `en tant qu'il etablit meme, en son alinea2, une presomption d'absence de perte de revenus, alors que cetteexoneration n'existe pas pour les indemnites resultant d'une assurance« revenu garanti »' et elle a notamment considere que `la difference detraitement repose sur un critere objectif, à savoir la circonstance quel'indemnite est versee ou non en application de la legislation sur lesaccidents du travail ou les maladies professionnelles. En exonerant del'impot sur les revenus les pensions, rentes et allocations qui neconstituent pas la reparation d'une perte permanente de benefices, deremunerations ou de profits pour autant qu'elles soient octroyees enapplication de la legislation sur les accidents du travail ou les maladiesprofessionnelles, le legislateur a pris une mesure pertinente au regard del'objectif de la modification legislative du 19 juillet 2000, qui etait dese conformer à l'arret nDEG 132/98' (arret nDEG 102/2005 du 1er juin2005).
Aussi (...) il n'y a pas lieu de reinterroger la Cour constitutionnellequi a dejà considere que la difference de traitement decoulant del'application du regime particulier de l'exoneration des pensions, renteset allocations en tenant lieu qui ne constituent pas la reparation d'uneperte permanente de benefices, de remunerations ou de profits visee àl'article 39, S: 1er, du Code des impots sur les revenus 1992 aux seulespensions, rentes et allocations en tenant lieu octroyees en application dela legislation sur les accidents du travail ou les maladiesprofessionnelles reposait sur un critere objectif et constituait unemesure pertinente au regard de l'objectif du legislateur ».
Griefs
En vertu de l'article 34, S: 1er, du Code des impots sur les revenus 1992,sont taxables : 1DEG les pensions et rentes viageres ou temporaires, ainsique les allocations en tenant lieu, qui se rattachent directement ouindirectement à une activite professionnelle ; 1DEGbis les pensions etles rentes viageres ou temporaires, ainsi que les allocations en tenantlieu, qui constituent la reparation totale ou partielle d'une pertepermanente de benefices, de remunerations ou de profits.
Toutefois, en vertu de l'article 39, S: 1er, alinea 1er, du meme code, lespensions, rentes ou allocations en tenant lieu visees à l'article 34, S:1er, 1DEG, qui sont attribuees en cas d'incapacite permanente enapplication de la legislation sur les accidents du travail ou les maladiesprofessionnelles, sont exonerees dans la mesure ou elles ne constituentpas la reparation d'une perte permanente de benefices, de remunerations oude profits.
Suivant l'alinea 2 dudit article 39, S: 1er, lesdites pensions, rentes ouallocations qui sont octroyees en raison d'un accident du travail ou d'unemaladie professionnelle qui a entraine une invalidite n'excedant pas 20p.c. ne sont pas censees constituer la reparation d'une perte permanentede benefices, de remunerations ou de profits. Suivant son alinea 3, dansles cas non vises à l'alinea 2, lesdites pensions, rentes ou allocationsne sont pas censees, sauf preuve contraire, constituer la reparation d'unetelle perte jusqu'à concurrence d'une quotite correspondant àl'indemnite totale multipliee par une fraction dont le numerateur est egalà 20 p.c. et dont le denominateur est egal au degre d'invalidite exprimeen pour cent.
Il resulte de l'article 39, S: 1er, du Code des impots sur les revenus1992 une discrimination entre les victimes d'accidents, selon qu'il s'agitd'un accident de droit commun ou d'un accident du travail. En effet, parderogation à l'article 34, S: 1er, 1DEG, de ce code, les victimes d'unaccident du travail ne sont pas taxees sur les indemnites reparant ledommage resultant de leur invalidite si celle-ci n'excede pas 20 p.c., envertu de la presomption irrefragable de l'alinea 2, ou ne sont pas taxeessur ces indemnites jusqu'à concurrence de la quotite fixee à l'alinea 3,à moins que la preuve soit rapportee que ces indemnites reparent,jusqu'à concurrence de cette quotite, une perte permanente de revenusprofessionnels, en vertu de la presomption refragable de l'alinea 3. Aucontraire, les victimes d'accidents de droit commun ne beneficient enaucun cas des presomptions de l'article 39, S: 1er, alineas 2 et 3, etsont donc toujours taxees sur le montant total des indemnites qui leursont versees en reparation de leur invalidite, sur la base de l'article34, S: 1er, 1DEGbis, pour peu que cette invalidite ait entraine une pertede revenus et quelle que soit l'importance de cette perte de revenus.
Cette difference de traitement fiscal des indemnites payees à desvictimes d'accidents ayant cause une invalidite est denuee de toutejustification raisonnable de sorte que les dispositions legales visees aumoyen sont contraires aux articles 10, 11 et 172 de la Constitution. Eneffet, le fait que les victimes d'un accident du travail sont indemniseespar l'assureur-loi alors que les victimes d'un accident de droit communsont indemnisees par le tiers responsable ou par l'assureur de laresponsabilite de ce tiers responsable est sans aucun lien avecl'exoneration fiscale totale ou partielle dont les unes beneficient etdont les autres sont privees.
Dans son arret nDEG 102/2005 du 1er juin 2005, la Cour constitutionnellene s'est pas prononcee sur la discrimination ici denoncee - celle quiexiste entre victimes d'accidents, selon qu'il s'agit d'un accident dutravail ou d'un accident du droit commun - mais bien sur une autredistinction - celle qui existe entre les personnes qui perc,oivent despensions, rentes ou allocations en application de la legislation sur lesaccidents du travail ou les maladies professionnelles et les personnes quirec,oivent des pensions, rentes ou allocations en execution d'un contratd'assurance individuelle contre les accidents corporels et qui ont pudeduire de leurs revenus professionnels imposables, à titre de chargesprofessionnelles, les primes liees à ce contrat d'assurance.
Or la victime d'un accident de droit commun qui est indemnisee par letiers responsable ou par l'assureur de responsabilite civile du tiersresponsable, en vertu des regles de la responsabilite civileextracontractuelle, n'a evidemment pu beneficier d'une telle deductionfiscale.
En l'espece, l'arret admet que, s'il s'etait agi d'un accident du travailet non d'un accident de droit commun, le deuxieme defendeur n'aurait pasete impose en application de l'article 39, S: 1er, alinea 2, du Code desimpots sur les revenus 1992 « puisqu'il n'est pas conteste que soninvalidite ayant des repercussions economiques ne depasse pas 20 p.c. etqu'elle n'est par consequent pas censee constituer la reparation d'uneperte de revenus ».
L'arret n'a des lors pu faire application de l'article 34, S: 1er, 1DEG et1DEGbis, du Code des impots sur les revenus 1992 en raison du caracterediscriminatoire du regime d'exoneration prevu par l'article 39, S: 1er,dudit code, sans avoir soumis au prealable à la Cour constitutionnelle laquestion prejudicielle de savoir si cette difference de traitement fiscalviole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution. L'arret n'est deslors pas legalement justifie (violation de toutes les dispositions legalesvisees en tete du moyen).
III. La decision de la Cour
La discrimination fiscale alleguee par le moyen entre victimes d'unaccident de droit commun et victimes d'un accident du travail repose surla constatation que seules les victimes de la seconde categorie peuventbeneficier du regime d'exoneration de l'article 39, S: 1er, alineas 2 et3, du Code des impots sur les revenus 1992 sur les indemnites qu'ellesperc,oivent en reparation d'une perte permanente de benefices, deremunerations ou de profits. Elle prend des lors sa source dansl'abstention du legislateur d'etendre ce regime à la premiere categoriede victimes.
Lorsqu'une question prejudicielle porte sur une lacune legislative, laCour n'est tenue de la poser à la Cour constitutionnelle que lorsqu'elleconstate qu'elle serait en mesure, le cas echeant, d'y remedier sansl'intervention du legislateur.
La lacune denoncee, à supposer qu'elle viole la Constitution, ne sauraitetre comblee que par une intervention du legislateur, le regimed'exoneration precite ne pouvant etre applique par analogie eu egard àl'article 172, alinea 2, de la Constitution.
Il n'y a des lors pas lieu de poser la question prejudicielle proposee parla demanderesse.
En presence de pareille lacune, l'arret, qui releve que l'indemnite encause compense une perte de revenus, decide legalement que cette indemnite« est taxable en application de l'article 34 du Code des impots sur lesrevenus 1992 ».
Le moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de cinq cent nonante-cinq euros nonante-neufcentimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent soixante etun euros quatre centimes envers la premiere partie defenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillers DidierBatsele, Martine Regout, Mireille Delange et Sabine Geubel, et prononce enaudience publique du treize novembre deux mille quatorze par le presidentde section Albert Fettweis, en presence de l'avocat general Andre Henkes,avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Delange |
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| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
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13 NOVEMBRE 2014 F.13.0145.F/1