Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG F.14.0018.F
Etat belge, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,
contre
K. G.,
defenderesse en cassation,
ayant pour conseils Maitres Marc Levaux et Charlotte Remiche, avocats aubarreau de Liege, dont le cabinet est etabli à Liege, rue Louvrex, 55-57,ou il est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre les arrets rendus les
14 novembre 2012 et 8 mai 2013 par la cour d'appel de Liege.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L'avocat general Andre Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
* articles 352, 353 et 357, specialement S: 3, alinea 2, du Code dessocietes ;
* articles 1134, 1165, 1315, 1316, 1349, 1350, 1352 et 1353 du Codecivil ;
* article 870 du Code judiciaire ;
* principe general du droit relatif à la securite juridique.
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque du 14 novembre 2012 decide que l'absence de registre desassocies ne prive pas la defenderesse du droit de beneficier de laprotection organisee par l'article 357, S: 3, alinea 2, du Code dessocietes et ordonne la reouverture des debats, invitant « (ladefenderesse) à preciser l'identite du ou des cedants des parts de lasociete Prospect, à s'expliquer sur les circonstances et modalites de lacession de parts intervenue et à produire tout document qui a ete etablidans le cadre de celle-ci », aux motifs que :
« (La mention prevue par l'article 357, S: 3, alinea 2, du Code dessocietes) n'est exigee que pour l'inscription dans le registre de nouveauxassocies et (...) son absence ne peut affecter les engagements pris parles fondateurs dans l'acte constitutif d'une societe cooperative àresponsabilite illimitee (cf. Cass., 18 novembre 2010 [...]) ;
(La defenderesse) apparait comme proprietaire de dix parts de la societe Prospect dans le proces-verbal de l'assemblee generale extraordinaire du1er janvier 1999 de la societe qui est signe par elle (...) et (...) iln'est pas conteste que (la defenderesse) n'est pas fondateur de la societemais a acquis des parts d'un tiers ;
(La defenderesse) conteste `la validite ou à tout le moins la portee deson engagement en qualite d'associe de la societe Prospect, (ladefenderesse) n'ayant pu s'engager personnellement de maniere illimitee etsolidaire par la simple apposition de sa signature sur ledit proces-verbaldu
1er juin 1999', ajoutant, en ce qui concerne le registre des associes, quele fait que `le gerant n'ait pas tenu ledit registre ou que celui-ci n'aitpu etre retrouve ne peut etre de nature à priver (la defenderesse) de laprotection instituee par l'alinea 2 du paragraphe 3 de l'article 357 duCode des societes' ;
Le curateur de la societe signale n'avoir pas ete mis en possession dedocuments relatifs à la societe (...) et le dossier revele qu'aucuncontrole de la societe n'a pu etre effectue par le fait de J.-P. M.,gerant de fait de la societe (...) ;
Les considerations du premier juge selon lequel `le registre en questionn'a pas ete communique par monsieur M. au (demandeur) ; la (defenderesse)ne peut donc se fonder sur une violation de la loi imputable à son filspour y trouver un avantage, d'autant plus que ces formalites sontdestinees à proteger les tiers et non les associes', ne sont pas fondeesen droit ;
Le fait que le gerant n'ait pas tenu ledit registre ou que celui-ci n'aitpu etre retrouve ne peut etre en effet en soi de nature à priver (ladefenderesse), qui n'est pas personnellement responsable de la tenue duregistre, de la protection legale de l'associe, et non des tiers, prevuepar l'article 357, S: 3, alinea 2, du Code des societes, qui est unedisposition destinee à attirer l'attention du candidat associe d'unesociete cooperative à responsabilite illimitee sur la portee de sonengagement (...) ;
(La defenderesse) admet avoir acquis dix parts sociales d'un tiers maisn'identifie pas ce tiers, ne fournit aucune precision quant auxcirconstances dans lesquelles la cession est intervenue et ne produitd'ailleurs aucun document relatif à celle-ci »,
et l'arret attaque du 8 mai 2013 declare l'appel de la defenderesse fonde,met à neant le jugement entrepris, reformant, dit la contrainte decerneeà charge de la defenderesse le 9 mars 2009 nulle et non avenue etcondamne le demandeur aux depens des deux instances, soit 21.000 eurospour la defenderesse, par des motifs identiques à ceux de l'arret du 14novembre 2012 rappeles plus haut et, en outre, aux motifs que « lareouverture des debats n'a pas permis d'obtenir de precisionscomplementaires quant à l'identite du ou des cedants de parts socialesainsi que sur les circonstances et modalites de cession de partsintervenue ; (...) force est de conclure qu'à defaut de preuve del'existence d'un document signe par (la defenderesse) lors del'acquisition des parts comprenant la mention `bon pour engagementillimite et solidaire' ou de toute autre indication etablissantl'engagement personnel et illimite de (la defenderesse), la seuleproduction du proces-verbal signe par (la defenderesse) de l'assembleegenerale du 1er juin 1999 dans laquelle elle apparait comme proprietairede dix parts sociales de la societe en cause ne permet pas de considererque l'exigence de l'article 357, S: 3, alinea 2, du Code des societes soitrencontree en l'espece (...) ;
La preuve de l'engagement illimite et solidaire de (la defenderesse)n'etant pas rapportee, il s'ensuit que l'opposition à contrainte de (ladefenderesse) est fondee ».
Griefs
L'article 352 du Code des societes dispose que :
« Les statuts doivent preciser si la responsabilite des associes de lasociete cooperative est limitee ou illimitee.
Lorsque la societe cooperative a opte pour la responsabilite illimitee,les associes repondent personnellement et solidairement des dettessociales et elle porte le nom de societe cooperative à responsabiliteillimitee ; lorsqu'elle a opte pour la responsabilite limitee, lesassocies ne sont passibles des dettes sociales que jusqu'à concurrence deleurs apports et elle porte le nom de societe cooperative àresponsabilite limitee ».
L'article 353 dudit code porte que « les statuts ne font aucunedistinction du point de vue de leur responsabilite ».
Quant à l'article 357 du meme code, apres avoir indique en son paragraphe1er qu'« il est tenu au siege social de la societe cooperative unregistre des parts, que chaque associe peut consulter », il dit encore,en son paragraphe 3, que :
« L'organe de gestion est charge des inscriptions. Les inscriptionss'effectuent sur la base de documents probants qui sont dates et signes.Elle s'effectue dans l'ordre de leur date.
En ce qui concerne les inscriptions dans le registre des parts nominativesd'une societe cooperative à responsabilite illimitee, la signature dontil est question à l'alinea 1er n'engage son auteur qu'à la conditionqu'elle soit precedee de la mention manuscrite `bon pour engagementillimite et solidaire' ».
Il resulte de l'article 352 du Code des societes que, des lors que lesstatuts precisent que la societe cooperative est à responsabiliteillimitee, les associes (et non uniquement les fondateurs) sont presumeslegalement repondre personnellement et solidairement des dettes sociales.
Cette presomption legale peut etre renversee par l'associe qui n'est pasfondateur et a acquis les parts sociales apres la constitution de lasociete cooperative à responsabilite illimitee, que ce soit par leregistre des parts sociales ou par tout autre document probant, date etsigne. En effet, si l'article 357 dudit code exige qu'il soit tenu unregistre des parts, dont le gerant assume la confection sous saresponsabilite, et prevoit que, dans les societes à responsabiliteillimitee, la mention du transfert des parts en faveur d'un tiers oul'acquisition par celui-ci de nouveaux titres doit etre precedee de laformule, redigee de la main du nouvel associe, « bon pour engagementillimite et solidaire », celle-ci a pour seul objectif de rendrel'associe d'une societe cooperative à responsabilite illimitee solidaireconscient de l'etendue de ses obligations.
Mais, en toute hypothese, il appartient à l'associe d'une societecooperative à responsabilite illimitee de demontrer, à l'encontre de laresponsabilite personnelle, solidaire et illimitee qu'il assumenormalement en vertu des statuts et de la forme adoptee par la societe,qu'il n'a pas souscrit pareil engagement, cette preuve devant etrecertaine et ne pouvant se deduire de la seule circonstance que le registredes parts sociales n'a pas ete regulierement tenu, ce qui releve de laseule responsabilite des organes de gestion, les tiers n'ayant meme pas lapossibilite de prendre connaissance de ce registre, sauf à en demander laproduction forcee par application de l'article 877 du Code judiciaire, oun'a pas ete produit, ni des seules affirmations unilaterales de l'associequi pretend, à l'encontre des mentions des statuts, qu'il n'a assumeaucun engagement solidaire et illimite, affirmation non etayee pard'autres elements probants qui ne peuvent se deduire ni de l'absence duregistre des parts ni du defaut de tout element de preuve à cet effet.
Les tiers, d'une part, ne peuvent se voir opposer les droits etobligations decoulant d'une convention, telle la cession de partssociales, se deduisant d'un instrumentum dont ils ne peuvent prendreconnaissance et qui n'est pas produit, tel le registre des associes, etdoivent, en vertu du principe general de securite juridique, pouvoir sefier à ce qu'ils ne peuvent concevoir autrement que comme une regle fixede conduite et d'administration, et, en matiere de societes cooperatives,à leur denomination et à leurs statuts, s'il echet, revelant l'etenduedes engagements des associes.
D'ou il suit que les arrets attaques, qui :
admettent que la societe Prospect etait une societe cooperative àresponsabilite illimitee, en sorte que les associes de cette societeetaient tenus solidairement et de maniere illimitee des dettes sociales,dont celle qui est relative à la taxe sur la valeur ajoutee ;
reconnaissent que la defenderesse etait proprietaire de dix parts socialesde ladite societe Prospect ;
constatent que ni le registre des parts sociales ni aucun autre documentprobant, singulierement relatif à la cession des parts detenues par ladefenderesse, n'ont ete produits,
decident neanmoins que la defenderesse, à l'encontre de la presomptionlegale de responsabilite illimitee des associes decoulant de la formeadoptee par la societe cooperative à responsabilite illimitee Prospect etde ses statuts, n'est pas tenue aux dettes de cette societe, car sonaffirmation unilaterale alleguant qu'elle n'a pas souscrit d'engagementsolidaire et illimite n'est controuvee ni par le registre des partssociales, inexistant et, en tout cas, non produit, ni par aucun autreelement probant, qu'elle n'a pas davantage produit, en sorte qu'il doitetre admis qu'elle n'assume pas pareille obligation solidaire etillimitee, violent les articles 1315, 1316 du Code civil, 870 du Codejudiciaire, 352 et 353 du Code des societes, renversant illegalement lacharge de la preuve de l'absence d'engagement illimite solidaire dans lechef d'un associe d'une societe cooperative à responsabilite illimitee,les articles 1349, 1350 et 1352 dudit code, admettant à l'encontre d'unepresomption legale, une preuve inexistante, l'article 1353 de ce code,accueillant, à titre de presomption de l'inexistence de l'engagementsolidaire et illimite quant aux dettes sociales d'un associe d'une societecooperative à responsabilite illimitee, l'absence de registre des partssociales et de toutes autres precisions complementaires quant àl'identite du ou des cedants des parts sociales ainsi qu'à propos descirconstances et modalites de la cession de parts intervenue, pretant àl'article 357, specialement paragraphe 3, alinea 2, du Code des societesune portee qu'il ne revet pas, meconnaissant l'article 1134 du Code civilen refusant de donner aux statuts de la societe Prospect l'effet qu'ilsont legalement, ainsi que l'article 1165 dudit code en opposant audemandeur les droits et obligations qui decouleraient du registre desparts sociales et de l'acte de cession de parts, inexistant, ainsi que leprincipe general du droit relatif à la securite juridique.
III. La decision de la Cour
En vertu de l'article 1092 du Code judiciaire, dans sa version applicable,la reponse au pourvoi se fait suivant le mode prescrit par l'article 1079de ce code et est signifiee à l'avocat de la partie demanderesse.
Il n'y a pas lieu d'avoir egard au memoire en reponse depose le 18 avril2014 au greffe de la Cour par la defenderesse, qui n'a pas ete signifie audemandeur.
Sur le moyen :
Suivant l'article 352 du Code des societes, les statuts doivent precisersi la responsabilite des associes de la societe cooperative est limitee ouillimitee ; lorsque la societe cooperative a opte pour la responsabiliteillimitee, les associes repondent personnellement et solidairement desdettes sociales et elle porte le nom de societe cooperative àresponsabilite illimitee ; lorsqu'elle a opte pour la responsabilitelimitee, les associes ne sont passibles des dettes sociales que jusqu'àconcurrence de leurs apports et elle porte le nom de societe cooperativeà responsabilite limitee.
L'article 353 de ce code dispose que les statuts ne font aucunedistinction entre les associes du point de vue de leur responsabilite.
En vertu de l'article 357, S:S: 1er et 2, du meme code, il est tenu ausiege social de la societe un registre des parts que chaque associe peutconsulter et qui contient notamment les transferts de parts avec leur dateainsi que celle de l'admission.
L'article 357, S: 3, dudit code dispose que l'organe de gestion est chargedes inscriptions, que les inscriptions s'effectuent sur la base dedocuments probants qui sont dates et signes, dans l'ordre de leur date, etqu'en ce qui concerne les inscriptions dans le registre des partsnominatives d'une societe cooperative à responsabilite illimitee, lasignature dont il est question n'engage son auteur qu'à la conditionqu'elle soit precedee de la mention manuscrite « bon pour engagementillimite et solidaire ».
Il suit de ces dispositions que, si l'associe d'une societe cooperative àresponsabilite illimitee repond personnellement et solidairement desdettes sociales, le seul fait d'acquerir des parts de cette societe nesuffit pas à conferer à son titulaire la qualite d'associe : il faut quele cessionnaire accepte expressement de s'engager de maniere illimitee etsolidaire, ce que verifie l'organe de gestion lors de l'inscription dansle registre des parts constatant par ailleurs son admission.
Lorsqu'un creancier demande la condamnation d'un tiers, cessionnaire departs, au paiement d'une dette incombant à la societe, il doit des lorsetablir que celui-ci s'est engage expressement de fac,on illimitee etsolidaire et cette preuve peut etre rapportee par toutes voies de droit.
Le moyen, qui repose sur le soutenement que la qualite d'associe d'unesociete cooperative à responsabilite illimitee nait de la seuleacquisition de parts de cette societe, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux depens.
Les depens taxes à la somme de sept cent septante-six euros nonante-sixcentimes envers la partie demanderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel,et prononce en audience publique du trente octobre deux mille quatorze parle president de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalAndre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Delange | M. Regout | Chr. Storck |
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30 OCTOBRE 2014 F.14.0018.F/10