Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG F.13.0128.F
ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12, en la personne du directeurregional des contributions directes à Bruxelles II, dont les bureaux sontetablis à Bruxelles, boulevard du Jardin botanique, 50, boite 3807,
demandeur en cassation,
contre
1. D. H. et
2. V. G.,
defendeurs en cassation,
ayant pour conseils Maitres Laurence Deklerck et Michel Loockx, avocats aubarreau de Bruxelles, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue desMinimes, 41.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 21 mars 2013par la cour d'appel de Bruxelles.
Le president de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat general Andre Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
Articles 49 et 53, 1DEG, du Code des impots sur les revenus 1992,applicables à l'exercice d'imposition 1996
Decisions et motifs critiques
Saisi d'un litige portant « sur la deductibilite, à titre de fraisprofessionnels, des depenses de propagande electorale, d'un montant de32.068,75 euros, que le [defendeur], qui etait dejà depute de la Regionde Bruxelles-Capitale depuis le 12 juillet 1989 et etait par ailleursministre du gouvernement de la Region de Bruxelles-Capitale, avaitexposees au cours de la campagne electorale de juin 1995 en vue d'etrereelu comme depute de la Region de Bruxelles-Capitale »,
l'arret, apres avoir releve que « le premier juge, apres avoir considereque `les depenses engagees par le [defendeur] dans le cadre de sa campagne electorale de reelection constituent des depenses necessitees parl'exercice de sa profession, ce dernier etant dejà depute au moment ou illes a exposees, et que ces depenses ont donc bien ete exposees en vue deconserver des revenus professionnels taxables', a estime que lesconditions d'application de l'article 49 du Code des impots sur lesrevenus 1992 sont reunies en l'espece »,
considere que :
« Le [demandeur] conteste que les depenses en litige aient eteconsenties dans le but d'acquerir ou de conserver des revenusprofessionnels, au sens de l'article 49 precite ;
Certes, comme l'expose [le demandeur], au terme de la legislature, les elections passent par une dissolution des assemblees legislatives et parla mise en place de nouvelles assemblees, composees de nouveaux elus, etle nouveau mandat est subordonne à une nouvelle prestation de serment ;
Le mandat electif que le [defendeur] briguait durant la campagne de juin 1995 n'en constitue pas moins la meme activite professionnelle que sonpremier mandat, qui touchait à sa fin en fin de legislature, et lesfrais de campagne ont par voie de consequence ete assumes en vue deconserver la meme activite professionnelle et les memes revenusprofessionnels qui en decoulent ;
Autrement dit, ce n'est pas parce que les depenses ont ete assumees en finde legislature et allaient de pair avec la fin du mandat du [defendeur]qu'elles ne trouveraient pas leur cause dans son activite professionnelle,puisqu'il exerc,ait dejà l'activite politique. Les frais litigieux ontmanifestement eu pour objet de conserver une source de revenus qui ont uncaractere professionnel ;
Il est specieux de la part du [demandeur] d'affirmer qu' `on ne peut en effet raisonnablement soutenir qu'il est inherent [...] à la professionde membre elu d'une assemblee legislative de faire campagne electorale[...]. Ses missions et son mandat electif s'inscrivent dans un tout autredomaine, qui est celui d'assurer la representation de son electorat dansla gouvernance du bien public, dont la propagande electorale ne faitassurement pas partie. Il ne peut y avoir dans les frais d'une campagneelectorale une composante de l'exercice de l'activite de mandataire[...]' ;
C'est bien entendu en fin de mandat que le [defendeur] a expose les frais de propagande electorale, dans le but d'obtenir des electeurs lerenouvellement de ce mandat et donc de se maintenir [dans] une professionqui procure les revenus taxables ;
C'est encore erronement que le [demandeur] affirme que la solution retenue par le premier juge ouvre la voie d'une discrimination puisqu'elleconduit à traiter differemment les depenses de propagande electoraleselon que le candidat est ou non dejà elu. [Le demandeur] invoque que, `dans les deux cas, le but des depenses est identique : se faire elire,que le fait que le mandataire politique soit dejà elu au moment ou ilexpose les frais est sans relevance ; que lui comme le candidat non dejà elu expose les frais en vue de se faire elire pour un « nouveaumandat »' [...] ;
Selon le [demandeur], l'article 49 du Code des impots sur les revenus 1992s'interprete donc comme n'admettant pas la deductibilite des depenses decampagne electorale par un candidat n'ayant pas dejà un mandatpolitique ;
Quand bien meme l'interpretation donnee par le [demandeur] devrait etreprivilegiee, il ne s'agit manifestement pas d'une discrimination, des lorsque, dans cette interpretation, les frais exposes par un candidat quin'aurait pas ete elu au moment ou il lanc,ait sa campagne electoraleseraient d'ordre personnel. Il s'agit donc de deux categories decontribuables se trouvant dans des situations differentes ;
Le [demandeur] rappelle, il est vrai, qu'une proposition de loi, deposeele 27 mai 2004, visait à admettre, en deduction de l'ensemble desrevenus, les depenses electorales engagees par un candidat pour leselections des chambres federales et du parlement de la Region deBruxelles-Capitale. Il en deduit a contrario que les frais de propagandeelectorale ne sont pas deductibles à titre de frais professionnels ;
Comme l'a releve pertinemment le premier juge, il ressort de l'avis de lacommission de l'Interieur et des Affaires administratives, emis lors dudepot de ladite proposition de loi, que les frais deductibles au regardde l'article 49 precite ne peuvent etre ceux qui sont exposes pour avoiracces à une activite professionnelle ;
Sont donc visees par la proposition de loi, les depenses engagees par uncandidat qui n'aurait pas ete elu au moment ou il lanc,ait sa campagneelectorale, et non celles qui sont engagees par un politicien qui, etantdejà elu, engage de nouveaux frais en vue de sa reelection ;
C'est encore en vain que [le demandeur] invoque le protocole relatif àl'application de la loi du 7 avril 1995 concernant le statut fiscal desmembres des assemblees parlementaires, signe le 22 decembre 1995, lequelprecise que les cotisations versees au parti et le financement desdepenses electorales ont ete formellement exclus en tant que fraisprofessionnels deductibles et que ces categories de frais ne font des lors pas partie du forfait de frais de 28 p.c. ;
Ce protocole, par ailleurs denue de force legale, emane de la questure dela Chambre des representants ou du Senat et ne vise que les assemblees parlementaires de l'Etat federal. Il ne s'applique donc pas aux deputesdes assemblees des regions, telle que la Region de Bruxelles-Capitale »,
et decide en consequence qu'« il ressort des constatations etconsiderations qui precedent que les depenses de propagande electoralelitigieuses sont deductibles à titre de frais professionnels »,confirmant ainsi le jugement entrepris qui, en application de l'article49 du Code des impots sur les revenus 1992, avait ordonne « ledegrevement de la cotisation etablie à charge des [defendeurs] àl'impot des personnes physiques et taxes additionnelles pour l'exercice1996 sous l'article de role 827337, supplement à l'article 772835820forme pour la commune de ... ».
Griefs
L'article 49 du Code des impots sur les revenus 1992 enonce qu' « àtitre de frais professionnels, sont deductibles les frais que lecontribuable a faits ou supportes pendant la periode imposable en vue d'acquerir ou de conserver les revenus imposables et dont il justifie larealite et le montant au moyen de documents probants ou, quand cela n'estpas possible, par tous autres moyens de preuve admis par le droit commun,sauf le serment », etant entendu que l'article 53, 1DEG, du meme codeprecise que « ne constituent pas des frais professionnels, les depenses[...] non necessitees par l'exercice de la profession ».
Il resulte de l'economie de ces dispositions, d'une part, que lecontribuable a la charge d'apporter la preuve que les frais dont ildemande la deduction sont bien des frais professionnels reunissant lesconditions legales de deduction, d'autre part, que, pour que des fraispuissent venir en deduction des benefices, il est exige que la realite etle montant de ces frais soient dument etablis, qu'ils aient ete faits ousupportes durant la periode imposable et que non seulement ils aient pourfinalite l'acquisition ou la conservation de revenus imposables maisaussi qu'ils soient necessites par l'exercice meme de la profession.
En effet, le fait que, pour etre deductibles sur le pied de l'article 49du Code des impots sur les revenus 1992, les frais doivent etre «professionnels » et « faits ou supportes [...] en vue d'acquerir ou deconserver les revenus imposables » comprend deux exigences concurrentesqui forment un ensemble : avoir pour finalite, de par leur nature,l'acquisition ou la conservation des revenus professionnels, et un liende causalite necessaire avec l'exercice de l'activite professionnelle.
Le critere de causalite implique l'existence d'un lien necessaire entre ladepense et l'exercice de l'activite professionnelle, c'est-à-dire que ladepense doit etre inherente à l'exercice meme de l'activiteprofessionnelle.
Par consequent, meme si l'administration - et le juge apres elle - n'a pasle pouvoir d'apprecier l'opportunite d'une depense ou d'une charge, illui incombe de s'assurer que cette depense ou charge trouve son origine,sa cause dans des circonstances qui sont propres, inherentes àl'activite exercee par le contribuable au moment ou lesdits frais sontexposes.
En l'espece, « les frais exposes au cours d'une campagne electorale envue d'etre reelu comme depute » ne constituent pas des fraisprofessionnels legalement deductibles à defaut d'etre inherents àl'activite de depute exercee par le defendeur ; ce ne sont pas desprestations accomplies par le defendeur dans l'exercice de son mandat dedepute qui engendrent lesdits frais, qui en sont la cause.
En effet, les frais de propagande electorale exposes en vue d'acceder àun mandat electif - tant dans le cadre d'une election que d'unereelection - ne presentent pas un lien de causalite necessaire avecl'exercice meme de l'activite de depute au moment ou ils sont consentiset ce, à l'instar des principes qui president à la deductibilite des frais exposes en vue de l'acces à une nouvelle profession.
A ce titre, il y a lieu de souligner que ledit mandat demeure limite dansle temps et qu'en se presentant au suffrage universel direct en vue d'unereelection, le mandataire public ne poursuit pas la meme activiteprofessionnelle mais brigue un autre mandat public distinct de son mandatoriginaire.
Il s'ensuit que, si les depenses de propagande electorale litigieuses sontcertes exposees en vue d'acquerir des revenus professionnels engendrespar l'exercice d'un mandat public - voire meme en vue de conserver desrevenus professionnels d'une meme nature - et satisfont ainsi au criterede finalite, elles ne sont pas pour autant inherentes à l'activiteprofessionnelle exercee par le defendeur à defaut de presenter un liende causalite necessaire avec l'exercice de cette activite au moment ouelles ont ete exposees, conformement aux exigences des articles 49 et 53,1DEG, du Code des impots sur les revenus 1992, et que, partant, leurdeduction en frais professionnels doit etre refusee.
De ce qui precede, il resulte que l'arret, en considerant que, « certes,comme l'expose [le demandeur], au terme de la legislature, les electionspassent par une dissolution des assemblees legislatives et par la mise enplace de nouvelles assemblees, composees de nouveaux elus, et le nouveaumandat est subordonne à une nouvelle prestation de serment », que,toutefois, « le mandat electif que le [defendeur] briguait durant lacampagne de juin 1995 n'en constitue pas moins la meme activiteprofessionnelle que son premier mandat, qui touchait à sa fin en fin delegislature, et que les frais de campagne ont par voie de consequence ete assumes en vue de conserver la meme activite professionnelle et les memesrevenus professionnels qui en decoulent ; qu'autrement dit, ce n'est pasparce que les depenses ont ete assumees en fin de legislature et allaientde pair avec la fin du mandat du [defendeur] qu'elles ne trouveraient pasleur cause dans son activite professionnelle, puisqu'il exerc,ait dejàl'activite politique ; que les frais litigieux ont manifestement eu pourobjet de conserver une source de revenus qui ont un caractere professionnel ; [...] que c'est bien entendu en fin de mandat que le[defendeur] a expose les frais de propagande electorale, dans le butd'obtenir des electeurs le renouvellement de ce mandat et donc de semaintenir [dans] une profession qui procure les revenus taxables », nejustifie pas legalement sa decision que « les depenses de propagandeelectorale litigieuses sont deductibles à titre de frais professionnels» mais viole les dispositions legales visees au moyen.
III. La decision de la Cour
Il resulte des articles 49, alinea 1er, et 53, 1DEG, du Code des impotssur les revenus 1992 que des depenses ne peuvent etre considerees commedes frais professionnels que lorsqu'elles sont inherentes à l'exercice dela profession.
L'arret constate que les frais dont le demandeur conteste la deductionsont « des depenses de propagande electorale [...] que [le defendeur],qui etait dejà depute de la Region de Bruxelles-Capitale depuis le 12juillet 1989 [...], a exposees au cours de la campagne electorale de juin1995 en vue d'etre reelu ».
L'arret considere que « ce n'est pas parce que les depenses ont eteassumees en fin de legislature et allaient de pair avec la fin du mandatdu [defendeur] qu'elles ne trouveraient pas leur cause dans son activiteprofessionnelle, puisqu'il exerc,ait dejà l'activite politique », que« c'est bien entendu en fin de mandat que le [defendeur] a expose lesfrais de propagande electorale dans le but d'obtenir des electeurs lerenouvellement de son mandat », que « les frais litigieux ontmanifestement eu pour objet de conserver une source de revenus qui ont uncaractere professionnel » et « de [...] maintenir [le defendeur] [dans]une profession qui procure les revenus taxables ».
Des lors qu'il ne ressort ni de ces considerations ni d'aucune autre queles depenses litigieuses sont inherentes à l'exercice du mandat dudefendeur, l'arret ne justifie pas legalement sa decision que ces depensesconstituent des frais professionnels deductibles fiscalement.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel,et prononce en audience publique du trente octobre deux mille quatorze parle president de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalAndre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Delange | M. Regout | Chr. Storck |
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30 OCTOBRE 2014 F.13.0128.F/9