Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG P.14.0205.F
1. N. B.
2. N. V.
prevenus,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseils Maitres Alex et Adrien Lambert, Geoffroy Van Cutsem,avocats au barreau de Liege, et Erik Berx, avocat au barreau de Hasselt,
contre
Maitre Anne Catherine NOIRHOMME, avocat, agissant en qualite de curateurà la faillite de la societe privee à responsabilite limitee Nathibeau,dont le cabinet est etabli à Houffalize (Tavigny), Cowan, 3,
partie civile,
defenderesse en cassation.
I. la procedure devant la cour
Les pourvois sont diriges contre un arret rendu le 18 decembre 2013 par lacour d'appel de Liege, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent douze moyens dans un memoire annexe au presentarret, en copie certifiee conforme.
Le president de section Frederic Close a fait rapport.
L'avocat general Damien Vandermeersch a conclu.
II. la decision de la cour
A. En tant que les pourvois sont diriges contre les decisions rendues surl'action publique exercee à charge des demandeurs :
Sur le premier moyen :
Pris de la violation des droits de la defense et de l'article 6.1 de laConvention des droits de l'homme et des libertes fondamentales en ce qu'ilgarantit le droit à un proces equitable, le moyen reproche à l'arret dese fonder notamment sur les conclusions de l'expert technique du ministerepublic, alors que la mission de celui-ci n'a pas ete accompliecontradictoirement.
Le conseil technique est, comme l'expert judiciaire, une personnequalifiee qui est choisie en raison de ses connaissances pour donner unavis à celui qui le designe. Il se differencie toutefois de l'expert, ence que ce dernier, designe par un juge ne livre ses constatations etconclusions qu'apres avoir prete à ce juge le serment de faire rapport enhonneur et conscience, avec exactitude et probite.
Fut-il designe par le ministere public qui est charge de veiller à lalegalite des moyens de preuve ainsi qu'à la loyaute avec laquelle ilssont rassembles, le conseiller technique d'une partie au proces peut, deslors, ne presenter ni les memes garanties d'independance et d'impartialiteque l'expert judiciaire. Les articles 973 et 978 du Code judiciaire ne luisont pas applicables et sa mission s'exerce, en regle, de maniereunilaterale et secrete.
Dans la mesure ou il revient à soutenir que la mission du conseillertechnique devrait toujours s'exercer de maniere contradictoire lorsqu'ellelui est confiee par le ministere public apres l'introduction de l'actionpublique devant la juridiction de jugement, le moyen manque en droit.
Ayant rappele que le ministere public a designe un conseiller techniqueapres qu'elle lui a suggere de prescrire des devoirs complementaires, lacour d'appel a constate que les pieces sur lesquelles se fonde le rapporttechnique figurent au dossier, que le demandeur a ete entendu sur lateneur de ce rapport, qu'il n'a jamais ete prive de liberte et a eu toutle loisir d'organiser sa defense avant et apres avoir ete entendu par lesenqueteurs.
Dans la mesure ou il revient à critiquer l'appreciation souveraine desjuges d'appel à cet egard ou exigerait pour son examen la verificationd'elements de fait, pour laquelle la Cour est sans pouvoir, le moyen estirrecevable.
Enfin, ayant considere, d'une part, que les devoirs complementaireslitigieux ont ete realises en 2010 alors que le jugement dont appel a eterendu le 10 octobre 2007 et, d'autre part, que deux ans et cinq mois sesont ensuite ecoules avant que la cause soit à nouveau fixee à sonaudience, la cour d'appel a pu considerer que le delai raisonnable etaitdepasse et sanctionner ce depassement en condamnant le demandeur parsimple declaration de culpabilite, cette decision impliquant,contrairement à ce que le moyen soutient, que le retard n'avait pasentraine en l'espece de deperdition de preuve.
A cet egard, le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le deuxieme moyen :
Les droits de la defense ne sont pas violes lorsque la personne poursuiviea pu contredire devant le juge tous les elements qui lui sont opposes parla partie poursuivante.
D'une part, sauf exceptions prevues par la loi, l'information preparatoiren'autorise l'obtention d'aucune preuve dont la recherche necessiterait unacte de contrainte ou une atteinte aux droits et libertes individuels.D'autre part, la loi oblige le ministere public à la diriger en veillantà la legalite des moyens de preuve ainsi qu'à la loyaute avec laquelleils sont rassembles. Enfin, le souci d'efficacite auquel le conduit sondevoir general d'information, impose au procureur du Roi d'assurer lacredibilite de ses requisitions en recherchant de fac,on objective tousles elements permettant au juge de statuer en connaissance de cause.
Il s'en deduit qu'aucune meconnaissance des droits de la defense ouviolation du droit à un proces equitable garanti par l'article 6 de laConvention ne resulte du fait que le ministere public rassemble leselements utiles à l'exercice de l'action publique dans le cadre del'information dont il assume la responsabilite.
Dans la mesure ou il suppose le contraire, le moyen manque en droit.
Dans la mesure ou le moyen invoque l'absence de l'avocat lors del'audition du demandeur alors que celui-ci sollicitait son assistance, lemoyen manque en droit des lors que le demandeur n'etait pas prive deliberte.
Dans la mesure ou, enfin, il conteste que le demandeur a eu acces à latotalite du dossier repressif, le moyen exigerait pour son examen laverification d'elements de fait pour laquelle la Cour est sans pouvoir etest, des lors, irrecevable.
Sur le troisieme moyen :
Les articles 1315 du Code civil et 915 du Code judiciaire, dont laviolation est invoquee, sont etrangers aux regles de la preuve regissantla procedure penale.
Le juge repressif apprecie en fait et donc souverainement l'opportunited'ordonner des mesures d'instruction complementaires. A cet egard, ilrespecte les droits de la defense de celui qui sollicite les devoirs, deslors qu'il lui donne à connaitre les raisons pour lesquelles ceux-ci nesont pas de nature à former ou à renforcer sa conviction.
La cour d'appel a indique les motifs qui l'ont convaincue de laculpabilite du demandeur et qui relevent d'une appreciation que la Cour nepourrait censurer. Elle a ainsi legalement justifie sa decision qu'elles'estimait suffisamment informee pour statuer sur le fondement despoursuites, sans etre tenue d'ordonner d'autres devoirs que ceux qu'elleavait precedemment suggeres au ministere public.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le quatrieme moyen :
Le moyen critique la declaration de culpabilite concernant l'infraction àl'article 489bis, 3DEG, du Code penal. Il conteste l'appreciation tant del'element materiel de l'infraction, consistant à avoir paye ou favoriseun creancier au prejudice de la masse, que son element moral, consistantà avoir agi dans l'intention de retarder la declaration de faillite.
Sous couvert d'un vice de legalite, le moyen critique l'appreciation de lapreuve par la cour d'appel, qui git en fait, ou necessiterait pour sonexamen la verification d'elements de fait, pour laquelle la Cour est sanspouvoir.
Le moyen est, des lors, irrecevable.
Sur les cinquieme et sixieme moyens reunis :
Le cinquieme moyen soutient que la cour d'appel a meconnu la notion d'etatde faillite sur laquelle se fondent les infractions dont les demandeurssont declares coupables. Le sixieme conteste, plus particulierement etpour le meme motif, la decision declarant les demandeurs coupables d'avoirfait tardivement aveu de faillite, en infraction à l'article 489bis,4DEG, du Code penal.
L'action publique du chef d'infractions liees à l'etat de faillite estindependante de toute declaration de faillite prononcee par le tribunal decommerce. Le juge penal apprecie de maniere autonome tant l'etat decommerc,ant, la cessation persistante des paiements et l'ebranlement decredit, soit les conditions legales de la faillite, que la date de lacessation des paiements.
Apres avoir constate que les demandeurs etaient les gerants d'une societeprivee à responsabilite limitee, l'arret decide que, le plan financier deredressement propose à celle-ci n'ayant pas ete accepte par la banque,l'etat de cessation de paiement et d'ebranlement de credit est acquis au31 decembre 2001, soit avant que la faillite soit prononcee sur citationle 17 mai 2004.
Critiquant l'appreciation des juges d'appel concernant les elements defait de la cause, les moyens sont irrecevables.
Sur les septieme et huitieme moyens :
D'une part, aux termes de l'article 147, alinea 2, de la Constitution, laCour de cassation ne connait pas du fond des affaires.
D'autre part, l'obligation de motivation constitue une regle de formeetrangere à la valeur du motif.
Considerant respectivement que « la cour d'appel a juge contrairement àun element objectif du dossier » et qu'elle « a viole le principe demotivation des jugements en s'appuyant sur un fondement errone », lesmoyens manquent en droit.
Sur les neuvieme et dixieme moyens :
Le neuvieme moyen critique la condamnation des demandeurs aux frais del'opposition et le dixieme critique leur condamnation au paiement de lamoitie du cout du rapport technique.
Contestant l'appreciation en fait et motivee des juges d'appel selonlaquelle, d'une part, le defaut etait imputable aux demandeurs et, d'autrepart, la mesure dans laquelle les frais de justice ont ete causes par lesfaits declares etablis, les moyens sont irrecevables.
Sur les onzieme et douzieme moyens :
Les moyens invoquent la prescription de l'action publique relativerespectivement aux preventions 3 et 4.
S'agissant d'infractions correctionnelles liees à l'etat de faillite,l'action publique se prescrit par un delai de cinq ans.
La cour d'appel ayant constate l'unite d'intention et inflige de ce faitune seule peine, ce delai ne commence à courir qu'à partir du dernierdes faits declares etablis, puisque ceux-ci ne sont pas separes l'un del'autre de plus de cinq ans.
L'arret decide que l'infraction d'aveu tardif de faillite libellee sous laprevention 4 est consommee le 1er fevrier 2002.
Alors que la citation reprochait aux demandeurs d'avoir commisl'infraction consistant à avoir paye ou favorise des creanciers auprejudice de la masse « entre le 1er janvier 2000 et le 11 juillet 2005,sans prejudice de dates plus precises », l'arret reduit la periodeinfractionnelle en declarant la prevention 3 etablie entre le 30 decembre2001 et le 17 mai 2004. S'agissant d'infractions instantanees qui se sontrepetees, le delai quinquennal de prescription ne prend cours qu'au jourdu dernier fait etabli au cours de cette periode et dont la date estconnue.
Il ressort d'un motif decisoire de l'arret que les paiements favorisantles creanciers se sont poursuivis jusqu'au 17 mai 2004, date du jour ou letribunal de commerce a declare la faillite. Toutefois, le dernier paiementmentionne dans l'arret remonte à « juillet 2003 ».
Le delai originaire de prescription commence, par consequent, à courir,à l'egard de l'ensemble des faits, à la date la plus ancienne du mois dejuillet 2003, soit le 1er juillet 2003.
Contrairement à ce que soutiennent les moyens, le delai quinquennaloriginaire qui devait prendre fin le 30 juin 2008 a ete plusieurs foissuspendu.
Les faits etant anterieurs au 1er septembre 2003, l'article 24 du titrepreliminaire du Code de procedure penale leur reste, en effet, applicabledans sa version de 1998. Il en resulte que les premier et second delais deprescription de l'action publique ont ete suspendus, en regle, chaque foisque cette action a ete introduite, par defaut ou sur opposition, devant lajuridiction d'instance ou d'appel, et ce pour une duree maximale d'un an.
Le delai originaire a ainsi ete suspendu une premiere fois, pendant un an,à partir de l'audience initiale du tribunal correctionnel, soit le 3janvier 2007. Son echeance etant ainsi reportee du 30 juin 2008 au 30 juin2009, la prescription n'etait pas acquise le 28 novembre 2008, jour del'audience à laquelle l'action a ete introduite devant la cour d'appel età laquelle l'examen de la cause fut reporte à la demande des prevenus.Il s'ensuit qu'une nouvelle suspension annuelle de la prescription a priscours à cette date jusqu'au 28 novembre 2009 et que l'echeance du premierdelai, dument prolonge d'une duree egale à celle de cette periode desuspension s'est trouvee reportee d'un an, soit du 30 juin 2009 au 30 juin2010.
En definitive, ce delai primaire a ete interrompu pour la derniere fois le1er fevrier 2010 par les requisitions du procureur du Roi saisissant sonconseiller technique. Il s'ensuit que, sans egard à d'eventuelles causesulterieures de suspension du second delai quinquennal, celui-ci, qui acommence le 1er fevrier 2010, n'etait pas expire à la date de l'arretattaque.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Le controle d'office
Les formalites substantielles ou prescrites à peine de nullite ont eteobservees et les decisions sont conformes à la loi.
B. En tant que les pourvois sont diriges contre les decisions rendues surl'action civile exercee par la defenderesse contre les demandeurs :
Les demandeurs ne font valoir aucun moyen specifique.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxes à la somme de quatre-vingt euros nonante et uncentimes dus.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient Frederic Close, president de section, Benoit Dejemeppe, PierreCornelis, Gustave Steffens et Franc,oise Roggen, conseillers, et prononceen audience publique du dix septembre deux mille quatorze par FredericClose, president de section, en presence de Damien Vandermeersch, avocatgeneral, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.
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| T. Fenaux | F. Roggen | G. Steffens |
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| P. Cornelis | B. Dejemeppe | F. Close |
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La soussignee Tatiana Fenaux, greffier à la Cour de cassation, constateque Monsieur le Conseiller Cornelis est dans l'impossibilite de signerl'arret.
Cette declaration est faite en vertu de l'article 785, alinea 1er, du Codejudiciaire.
Bruxelles, le 10 septembre 2014.
Le greffier,
T. Fenaux
10 SEPTEMBRE 2014 P.14.0205.F/1