Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.10.0482.F
M.-M.-K.,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,
contre
1. REpublique DEmocratique du Congo, representee par son ministere de laJustice à Kinshasa, dont les bureaux sont etablis à Kinshasa/Gombe(Republique democratique du Congo), place de l'Independance,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassationpretant son ministere sur projet et requisition, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou il est fait electionde domicile,
2. Fortis Banque, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, Montagne du Parc, 3,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 106, ouil est fait election de domicile,
3. Etat Belge, represente par le ministre des Affaires etrangeres, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Petits Carmes, 15,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480/9, ou il est faitelection de domicile,
4. CommunautE franc,aise, representee par son gouvernement, en lapersonne du ministre-president, dont le cabinet est etabli à Bruxelles,place Surlet de Chokier, 15-17,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480/3B, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 26 avril 2010par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 8 mai 2014, le premier avocat general Jean-Franc,ois Leclercq a deposedes conclusions au greffe.
Le president de section Albert Fettweis a fait rapport et le premieravocat general Jean-Franc,ois Leclercq a ete entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, le demandeur presente cinq moyens.
III. La decision de la Cour
Sur la recevabilite du memoire en reponse de la premiere defenderesse :
La requete en cassation a ete signifiee à la premiere defenderesse par unexploit d'huissier du 10 aout 2010.
Le memoire en reponse, depose le 18 mars 2011 au greffe de la Cour parcette defenderesse, soit en dehors du delai prescrit par l'article 1093,alinea 1er, du Code judiciaire, augmente conformement à l'article 55 dumeme code, est tardif et partant irrecevable. La Cour ne peut des lors yavoir egard.
Sur le deuxieme moyen :
Quant à la premiere branche :
Par aucune consideration, l'arret ne repond aux conclusions du demandeurfaisant valoir que la Republique democratique du Congo s'est referee dansses deux actes introductifs d'instance aux exploits de saisie des 10 et 14novembre 2006 et 23 mars 2007 sans contester la regularite de leurssignifications à son egard et qu'en s'abstenant de soulever in liminelitis l'irregularite des significations effectuees à son ambassade enBelgique, elle avait necessairement renonce à se prevaloir de lapretendue violation de l'article 22.1 de la Convention de Vienne du 18avril 1961 sur les relations diplomatiques.
En cette branche, le moyen est fonde.
Sur le quatrieme moyen :
Quant à la premiere branche :
En vertu des articles 1456 et 1542 du Code judiciaire, à defaut d'avoirfait sa declaration dans le delai legal ou de l'avoir faite avecexactitude, le tiers saisi, cite à cette fin devant le juge des saisies,peut etre declare debiteur, en tout ou en partie, des causes de la saisie.
Le juge qui exerce son pouvoir de moderation sur la base de l'une de cesdispositions peut fonder sa decision sur l'absence de dommage dans le chefdu saisissant lorsque la declaration irreguliere du tiers saisi n'a pasporte atteinte aux chances du saisissant de trouver les biens de sesdebiteurs et de les saisir.
Le moyen, qui soutient, en cette branche, que le juge des saisies ne peutfonder son pouvoir de moderation sur le critere de l'absence de dommagecause au saisissant, manque en droit.
Quant à la deuxieme branche :
Par adoption des motifs du premier juge, et par ses motifs propres,l'arret precise pour chacun des tiers saisis les manquements qu'il retientà leur charge. Il ne considere cependant pas que ceux-ci se sont« rendus coupables de manquements d'intensite essentiellement differenteau regard des articles 1452 et 1542 du Code judiciaire ».
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur l'affirmation contraire,procede d'une interpretation inexacte de l'arret et, partant, manque enfait.
Quant à la troisieme branche :
Par adoption des motifs du premier juge, l'arret enonce que :
- « certes, une ratification ne peut porter atteinte aux droits des tiers[...]. Mais il convient de rappeler que la declaration de tiers saisi estdestinee à donner au creancier un juste reflet de la situation de sondebiteur et doit contenir toutes les donnees qui lui permettront de sefaire une image aussi exacte que possible de ce qu'il peut attendre de lasaisie [...]. Si elle ne respecte pas cet objectif, alors le tiers saisiencourt une sanction. Le `droit' dont dispose le creancier est donc celuide recevoir une declaration de creance satisfaisant aux exigences del'article 1542 du Code judiciaire » ;
- quant à la declaration de l'Etat belge, « en l'occurrence, il convientde constater que la declaration qui a ete faite le 20 avril 2007 -fut-elle le fait d'un fonctionnaire incompetent - devait des l'instant ouelle a ete faite permettre d'eclairer [le demandeur] sur ses droits et surl'opportunite de proceder à d'autres saisies. On n'aperc,oit donc pas enquoi la ratification par l'Etat belge porte atteinte aux droits dudebiteur, la sanction facultative reprimant l'absence de declaration (àlaquelle devrait etre assimilee la declaration faite par une personne nonhabilitee) n'etant pas un `droit' institue en faveur du creanciersaisissant » ;
- quant à la declaration de la Communaute franc,aise, « comme en ce quiconcerne la declaration faite par l'Etat belge, il y a lieu de considererque celle-ci a atteint son objectif en permettant au saisissant de prendrela decision d'entreprendre le cas echeant d'autres mesures d'executioncontre d'autres debiteurs eventuels ».
Ainsi l'arret repond, en les contredisant, aux conclusions du demandeursoutenant que meme si elle ne portait atteinte à aucun de ses droitsacquis, la ratification d'une declaration de tiers saisi etablie par unfonctionnaire incompetent ne pouvait se voir reconnaitre aucun effet.
En cette branche, le moyen manque en fait.
Quant à la quatrieme branche :
Suivant l'article 33, alinea 2, de la Constitution, les pouvoirs sontexerces de la maniere etablie par la Constitution ; aux termes del'article 105, le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuentformellement la Constitution et les lois particulieres portees en vertu dela Constitution meme ; en vertu de l'article 78 de la loi speciale du 8aout 1980 de reformes institutionnelles, le gouvernement de la Communautefranc,aise n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellementla Constitution et les lois et decrets portes en vertu de celle-ci.
Ces dispositions, qui concernent la repartition des pouvoirs au sein del'Etat belge, sont etrangeres au grief invoquant l'incompetence d'unfonctionnaire de l'administration de l'Etat belge et de la Communautefranc,aise pour etablir une declaration de tiers saisi.
A cet egard, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
La declaration de tiers saisi etablie par une autorite administrative envertu des articles 1452 et 1539, alinea 4, du Code judiciaire, consistantà transmettre une information à laquelle l'autorite est tenue dans lecadre d'une procedure judiciaire, ne constitue pas un acte administratifsoumis au controle de legalite prescrit par l'article 159 de laConstitution.
En tant qu'il repose sur le soutenement contraire, le moyen, en cettebranche, manque en droit.
Pour le surplus, en considerant, par confirmation du jugement du premierjuge, s'agissant des declarations de tiers saisi de l'Etat belge et de laCommunaute franc,aise, que « la declaration de tiers saisi est destineeà donner au creancier un juste reflet de la situation de son debiteur etdoit contenir toutes les donnees qui lui permettront de se faire une imageaussi exacte que possible de ce qu'il peut attendre de la saisie » etqu'en l'occurrence chacune des declarations, fut-elle le fait d'unfonctionnaire incompetent, a ete confirmee par le tiers saisi dans sesconclusions et « a atteint son objectif en permettant d'eclairer [ledemandeur] sur ses droits et sur l'opportunite de proceder à d'autressaisies », l'arret justifie legalement sa decision de ne pas tenir lesdeclarations de tiers saisi precitees pour inexistantes. Il n'empeche pasla Cour d'exercer son controle de legalite.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
Quant à la cinquieme branche :
Par aucune consideration, l'arret ne repond aux conclusions du demandeurfaisant valoir que l'Etat belge avait indique dans ses conclusions du 12novembre 2007 devant le premier juge « qu'il restait approximativement aumois de mai 2007 un montant de 83.709.000 euros disponibles » sur les« quelques 84,6 millions d'euros declares le 26 avril 2007 » et que« s'il fallait en deduire que l'Etat belge s'est, depuis la saisie,dessaisi des sommes et effets faisant l'objet de celle-ci, il s'agiraitalors d'un motif supplementaire justifiant sa condamnation à etre declaredebiteur pur et simple des causes de la saisie, conformement à l'article1541 (lire : 1540) du Code judiciaire », que l'Etat belge etant reste endefaut de s'expliquer à ce sujet malgre l'invitation qui lui en avait etefaite en premiere instance, « il faut en deduire qu'il s'esteffectivement dessaisi d'une partie des sommes frappees d'indisponibilite,jusqu'à concurrence de presqu'un million d'euros ».
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.
Sur le cinquieme moyen :
Aux termes de l'article 807 du Code judiciaire, qui conformement àl'article 1042 du meme code est applicable en degre d'appel, la demandedont le juge est saisi peut etre etendue ou modifiee, si les conclusionsnouvelles, contradictoirement prises, sont fondees sur un fait ou un acteinvoque dans la citation, meme si leur qualification juridique estdifferente.
Cette disposition ne requiert pas que la nouvelle demande, des lorsqu'elle est fondee sur un fait ou un acte invoque dans la citation, sefonde exclusivement sur ce fait ou sur cet acte.
Lorsque cette demande est en outre fondee sur un autre fait ou un autreacte, l'article 807 n'exige pas que ceux-ci presentent un lien avec lefait ou l'acte invoque dans la citation.
Il ressort des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard que :
- le demandeur a pratique diverses saisies-arrets-executions à charge dela Republique democratique du Congo les 10 et 14 novembre 2006 entre lesmains de plusieurs banques, dont Fortis Banque, et le 23 mars 2007 entreles mains de la Banque nationale, de l'Etat belge et de la Communautefranc,aise ;
- par exploit du 20 avril 2007, la Republique democratique du Congo a faitopposition aux saisies-arrets-executions des 10 et 14 novembre 2006 ;
- par citation du 29 mai 2007, le demandeur a cite en intervention forceela societe Fortis Banque, l'Etat belge et la Communaute franc,aise afin deles entendre declares debiteurs des causes des saisies. Dans cettecitation, le demandeur precise que les saisies-arrets-executions ont etedenoncees à la Republique democratique du Congo le 17 novembre 2006s'agissant de celles des 10 et 14 novembre 2006 et le 30 mars 2007s'agissant de celles du 23 mars 2007 ;
- dans des conclusions deposees le 28 septembre 2007 au greffe du tribunalde premiere instance, la Republique democratique du Congo a fait valoirque les denonciations qui lui ont ete faites des saisies-arretslitigieuses par la voie diplomatique par l'intermediaire du ministere desAffaires etrangeres de l'Etat belge n'etaient pas regulieres et n'ont entout cas pu faire courir le delai d'opposition en l'absence de « noteverbale attestant de [leur] reception » par l'ambassade ;
- par exploit du 16 juin 2008, la Republique democratique du Congo a faitopposition aux saisies-arrets-executions pratiquees le 23 mars 2007 ;
- par des conclusions deposees le 30 avril 2009 devant la cour d'appel, ledemandeur a introduit, en ordre subsidiaire, une action nouvelle contrel'Etat belge tendant à entendre declarer celui-ci responsable pourn'avoir pas veille au bon deroulement de la procedure de notification àla Republique democratique du Congo des saisies-arrets-executionslitigieuses par la voie diplomatique.
En considerant que la mention des denonciations desditessaisies-arrets-executions à la Republique democratique du Congo dans lacitation en intervention forcee du 29 mai 2007 « ne suffit pas pouradmettre que la demande nouvelle [du demandeur] se fonde, memepartiellement, sur un fait ou un acte invoque dans la citation » au motifque « cette mention ne constitue ni un acte ni un fait invoque dans lacitation introductive en ce sens qu'en l'espece [le demandeur] ne l'a pasà proprement parler `invoquee' comme un fait à l'appui de sa demande[mais qu'il] ne s'agissait que d'une information concernant la chronologiedes retroactes sans pertinence aucune pour la demande que [le demandeur]introduisait contre l'Etat belge », l'arret ne justifie pas legalement sadecision de declarer la demande nouvelle du demandeur irrecevable.
Le moyen est fonde.
Sur l'etendue de la cassation :
La cassation de la decision ordonnant la mainlevee dessaisies-arrets-executions litigieuses s'etend à celle rejetant la demandedu demandeur contre l'Etat belge tendant à entendre condamner celui-ci« à vider inconditionnellement ses mains entre celles de l'huissier dejustice instrumentant [du demandeur] jusqu'à concurrence de la sommedeclaree de `quelques 84,6 millions d'euros' » sous peine d'uneastreinte, en raison du lien etabli par le juge du fond entre cesdecisions.
Sur les autres griefs :
Il n'y a pas lieu d'examiner le premier et le troisieme moyen, ni lesdeuxieme, troisieme et quatrieme branches du deuxieme moyen, qui nesauraient entrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, en tant que, par confirmation du jugement dupremier juge, il declare la demande de mainlevee des saisies recevable etfondee, ordonne au demandeur de donner mainlevee dessaisies-arrets-executions qu'il precise, condamne le demandeur aux depensde la Republique democratique du Congo et condamne l'Etat belge à payerau demandeur une indemnite de 2.500 euros et une indemnite de procedure de1.200 euros et en tant que, par ses dispositions propres, il declare lesdemandes nouvelles du demandeur contre l'Etat belge irrecevables ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Delaisse à la premiere defenderesse les depens de son memoire enreponse ; condamne le demandeur au tiers des autres depens et en reservele surplus pour qu'il soit statue sur celui-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.
Les depens taxes à la somme de six cent vingt-cinq euros soixante et uncentimes en debet envers la partie demanderesse, à la somme de centseptante-cinq euros vingt-sept centimes envers la premiere partiedefenderesse, à la somme de cent quatre-vingt-deux euros soixante-neufcentimes envers la deuxieme partie defenderesse, à la somme de centseptante et un euros vingt-quatre centimes envers la troisieme partiedefenderesse et à la somme de cent septante et un euros vingt-quatrecentimes envers la quatrieme partie defenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillersMartine Regout, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du six juin deux mille quatorze par lepresident de section Albert Fettweis, en presence du premier avocatgeneral Jean-Franc,ois Leclercq, avec l'assistance du greffier Patricia DeWadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Lemal | M. Regout | A. Fettweis |
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6 JUIN 2014 C.10.0482.F/11