Cour de cassation de Belgique
Arret
148/04
NDEG C.13.0470.F
P.-E. G., avocat, agissant en qualite de curateur à la faillite de lasociete privee à responsabilite limitee Welding 2000,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile,
contre
G. D. M.,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 31 janvier 2013par la cour d'appel de Liege.
Le 7 mai 2014, l'avocat general Andre Henkes a depose des conclusions augreffe.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat general Andre Henkesa ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
* articles 17 et 18 de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites ;
* articles 2251 et 2262bis, S: 1er, alinea 2, du Code civil.
Decisions et motifs critiques
L'arret, reformant le jugement entrepris, declare prescrite la demande dudemandeur en tant qu'elle est fondee sur l'article 18 de la loi sur lesfaillites, aux motifs suivants :
« C'est en vain que, pour tenter d'echapper à la prescription, lecurateur soutient que `le dommage n'a existe qu'au jour ou il a etedecide, par le tribunal de commerce de Namur, que la date de cessation despaiements remontait au 26 aout 2003, faisant ainsi tomber l'acte [dudefendeur] en periode suspecte'. Ce raisonnement ne peut etre suivi.
L'acte dommageable pour la masse a ete accompli le 30 decembre 2003. Lecurateur en a pris connaissance à l'occasion de la descente de faillitele 15 mars 2004 et il a ecrit [au defendeur] le 6 aout 2004 que `cetteoperation (soit le paiement litigieux) s'est en outre deroulee en periodesuspecte et n'est pas opposable aux creanciers de la faillite'. Lecurateur a pris connaissance du dommage subi par la masse le 15 mars 2004.Le fait que la date precise de cessation des paiements n'ait etedeterminee que par un jugement intervenu le 2 fevrier 2006 n'y changerien.
L'action introduite par citation du 22 octobre 2010 est donc tardive en cequ'elle se fonde sur l'article 18 de la loi sur les faillites ».
Griefs
Premiere branche
L'arret decide que l'action en inopposabilite prevue par l'article 18 dela loi sur les faillites, « qui tend à reparer le prejudice subi par lamasse des creanciers, rentre bien dans le cadre general du regimed'exception prevu par l'article 2262bis, S: 1er, alinea 2, du Code civil».
Ce paragraphe 1er dispose :
« Toutes les actions personnelles sont prescrites par dix ans.
Par derogation à l'alinea 1er, toute action en reparation d'un dommagefondee sur une responsabilite extracontractuelle se prescrit par cinq ansà partir du jour qui suit celui ou la personne lesee a eu connaissance dudommage ou de son aggravation et de l'identite de la personneresponsable ».
L'article 17 de la loi sur les faillites prevoit qu'une serie d'actes(consideres comme anormaux) « sont inopposables à la masse lorsqu'ilsont ete faits par le debiteur depuis l'epoque determinee par le tribunalcomme etant celle de la cessation de ses paiements ».
L'article 18 sanctionne ensuite de maniere plus legere d'autres actes(moins graves) accomplis par le debiteur : « Tous autres paiements faitspar le debiteur pour dettes echues, et tous autres actes à titre onereuxpar lui passes apres la cessation de ses paiements et avant le jugementdeclaratif, peuvent etre declares inopposables à la masse si, de la partde ceux qui ont rec,u du debiteur ou qui ont traite avec lui, ils ont eulieu avec connaissance de la cessation de paiement ».
Il ressort clairement de ces deux dispositions
1DEG que le demandeur n'aurait pas pu avoir connaissance du dommage causeà la masse par le paiement effectue le 30 decembre 2003 par la societeWelding avant qu'un jugement du 2 fevrier 2006 du tribunal de commerce nedetermine la date de cessation de ses paiements et
2DEG que c'est à cette date du 2 fevrier 2006 seulement que, parapplication de l'article 2262bis, S: 1er, alinea 2, du Code civil, ledemandeur a eu connaissance du dommage cause à la masse par le paiementlitigieux et qu'a donc pris cours la prescription quinquennale de l'actiondu demandeur en reparation de ce dommage.
L'article 12 de la loi sur les faillites prevoit que « la cessation depaiement est reputee avoir lieu à partir du jugement declaratif defaillite ». Cette disposition tend à confirmer a pari qu'aussi longtempsque le juge n'a pas determine la date de la cessation des paiements, iln'est pas possible de dire qu'un paiement cause un prejudice à la masseet peut, pour cette raison, lui etre declare inopposable par applicationde l'article 18 de la loi sur les faillites.
Si le demandeur a effectivement pris connaissance le 15 mars 2004 del'acte que constituait le paiement litigieux, il n'y avait encore à cettedate ni « personne lesee » ni « dommage », de sorte qu'il ne pouvaitavoir connaissance d'un dommage inexistant et que la prescription del'article 2262bis, S: 1er, alinea 2, du Code civil ne pouvait commencer àcourir.
En effet, lorsqu'il est etabli qu'un paiement douteux a ete effectue avantla cessation de paiement du debiteur, ce qu'en l'espece le demandeur nepouvait que supputer à la date du 15 mars 2004, ce paiement ne constitueen toute hypothese qu'un simple acte et non un acte dommageable au sens del'article 18 de la loi sur les faillites puisque cette disposition legaleexclut qu'un paiement effectue en dehors de la periode suspecte soitprejudiciable pour la masse et puisse etre declare, pour cette raison,inopposable à celle-ci.
En presence d'un tel acte, il ne peut donc etre question d'un quelconque« dommage » au sens de l'article 2262bis precite et a fortiori d'unequelconque « connaissance » d'un tel dommage permettant de faire courirla prescription de l'action en reparation de ce dommage.
Il s'ensuit qu'ayant constate que « la date precise de cessation despaiements n'a ete determinee que par le jugement intervenu le 2 fevrier2006 », la decision de l'arret selon laquelle « l'acte dommageable pourla masse a ete accompli le 30 decembre 2003 » et que le demandeur « apris connaissance du dommage subi par la masse le 15 mars 2004 », ensorte que l'action du demandeur introduite par citation du 22 octobre 2010et fondee sur l'article 18 de la loi sur les faillites serait tardive et,partant, prescrite, n'est pas legalement justifiee (violation des articles17 et 18 de la loi sur les faillites et de l'article 2262bis, S: 1er,alinea 2, du Code civil).
Seconde branche
Aux termes de l'article 2251 du Code civil, « la prescription courtcontre toutes personnes, à moins qu'elles ne soient dans quelqueexception etablie par une loi ».
Par application de cette disposition, la prescription ne court pointcontre celui qui est dans l'impossibilite d'agir par suite d'unempechement resultant de la loi.
Comme expose à la premiere branche du moyen, le demandeur etait dansl'impossibilite d'introduire une action en reparation du dommage cause parle paiement litigieux aussi longtemps que le tribunal de commerce n'avaitpas determine la date de la cessation des paiements.
En clair, le demandeur ne pouvait introduire une action avant le jugementdu 2 fevrier 2006 qui a fixe la date de la cessation des paiements etavant qu'il ne puisse du fait de ce jugement avoir connaissance ducaractere dommageable du paiement litigieux. Les articles 17 et 18 de laloi sur les faillites excluent en effet qu'un paiement puisse etre declareinopposable à la masse, parce que dommageable pour elle, avant que letribunal de commerce n'ait fixe la date de la cessation des paiements.
Il s'ensuit qu'en decidant que l'action du demandeur introduite parcitation du 22 octobre 2010 est prescrite au motif que la prescriptionaurait commence à courir le 15 mars 2004 lorsque le demandeur « a prisconnaissance du dommage subi par la masse », alors qu'il constate parailleurs que « la date precise de cessation des paiements n'a etedeterminee que par jugement intervenu le 2 fevrier 2006 », l'arret violel'article 2251 du Code civil et, parallelement, les articles 17 et 18 dela loi sur les faillites.
III. La decision de la Cour
Quant à la seconde branche :
La prescription, qui est une defense opposee à une action tardive, nepeut prendre cours avant que cette action soit nee.
En vertu de l'article 18 de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites, touspaiements faits par le debiteur pour dettes echues, autres que ceux visesà l'article 17 de cette loi, et tous actes à titre onereux, autres queceux vises à l'article 17 de cette loi, par lui passes apres la cessationde ses paiements et avant le jugement declaratif, peuvent etre declaresinopposables à la masse, si, de la part de ceux qui ont rec,u du debiteurou qui ont traite avec lui, ils ont eu lieu avec connaissance de lacessation de paiement.
Suivant l'article 12, alineas 1er à 3, de la loi du 8 aout 1997, sauf sile jugement declaratif de faillite en dispose autrement, la cessation depaiement est reputee avoir lieu à partir de ce jugement et le tribunal decommerce peut, sur citation des curateurs dirigee contre le failli ou surcitation de tout interesse dirigee contre le failli et les curateurs,modifier ulterieurement la date de cessation de paiement.
Il en resulte que l'action du curateur tendant à faire declarer unpaiement inopposable à la masse en application de l'article 18 precite nenait que lorsqu'il est etabli conformement à l'article 12, alineas 1er à3, precite que ce paiement est posterieur à la cessation de paiement.
L'arret constate que le demandeur demande, en sa qualite de curateur, dedeclarer inopposable sur la base de l'article 18 un paiement effectue parla societe faillie au profit du defendeur le 30 decembre 2003 et que lecurateur a eu connaissance de ce paiement à l'occasion de la descente defaillite du
15 mars 2004.
Il ne resulte pas des constatations de l'arret que le jugement declaratifde faillite du 26 fevrier 2004 aurait fixe à une date anterieure auditjugement la cessation des paiements de la societe faillie et l'arretconstate que, « par jugement du 2 fevrier 2006, le tribunal de commercede Namur a dit pour droit que la date de cessation des paiements de lasociete faillie remonte au 26 aout 2003 ».
En fixant le point de depart de la prescription au 15 mars 2004 au motifque « le fait que la date precise de cessation des paiements n'ait etedeterminee que par un jugement intervenu le 2 fevrier 2006 n'y changerien », l'arret viole l'article 18 precite.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.
Sur les autres griefs :
Il n'y a pas lieu d'examiner la premiere branche du moyen, qui ne sauraitentrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque en tant qu'il declare prescrite la demande dudemandeur en ce qu'elle est fondee sur l'article 18 de la loi sur lesfaillites et qu'il statue sur les depens ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du trente mai deux mille quatorze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalAndre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
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| M. Delange | M. Regout | Chr. Storck |
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30 MAI 2014 C.13.0470.F/9