Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG F.13.0100.F
D. J., avocat, agissant en qualite de curateur à la faillite de lasociete anonyme Atelec,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,
contre
ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 14 novembre2012 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 22 avril 2014, l'avocat general Andre Henkes a depose des conclusionsau greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et l'avocat generalAndre Henkes a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
* article 37 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuite desentreprises ;
* articles 270, 422 et 423, alineas 1er et 2, du Code des impots sur lesrevenus 1992 ;
* articles 90 et 92 à 95 de l'arrete royal du 27 aout 1993 d'executiondu Code des impots sur les revenus 1992.
Decisions et motifs critiques
1. L'arret « rec,oit l'appel et le dit fonde ; reforme le jugementuniquement en ce qu'il est entrepris ; statuant à nouveau, dit que lacreance de precompte professionnel de 159.778,69 euros en principalest une creance de la masse ; met les depens de l'Etat belge àcharge de la masse, soit 1.320 euros (indemnite de procedure depremiere instance) + 1.320 euros (indemnite de procedure d'appel) ».
L'arret se fonde sur les motifs selon lesquels :
« Par jugement du 9 juillet 2009, le tribunal de commerce de Nivellesdeclare ouverte la procedure de reorganisation judiciaire et accorde àla societe anonyme Atelec un sursis venant à echeance le 28 decembre2009.
Le 21 decembre 2009, la faillite d'Atelec est declaree par jugement dutribunal de commerce de Nivelles et Maitre J. est designe en qualite decurateur.
L'Etat belge, administration des Finances, depose une declaration decreance pour la somme de 164.265,27 euros due à titre de precompteprofessionnel. La declaration indique qu'il s'agit d'une dette de lamasse.
[...] L'Etat belge soutient que les dettes de precompte professionnel destroisieme et quatrieme trimestres 2009, enroles jusqu'à concurrenced'un montant de 159.778,69 euros apres l'ouverture de la procedure enreorganisation judiciaire mais non payes, constituent des dettes de la masse en vertu de l'article 37 de la loi relative à la continuite desentreprises.
[...] Il convient d'abord de relever que la position adoptee parl'administration de la taxe sur la valeur ajoutee, initialement partiedevant le premier juge, ne lie en rien l'administration des contributionsdirectes, partie appelante.
Ensuite, sous l'empire de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordatjudiciaire, l'article 44, alinea 2, prevoyait que `les actes accomplispar le debiteur au cours de la procedure avec la collaboration, l'autorisation ou l'assistance du commissaire au sursis sont considereslors de la faillite comme des actes du curateur, les dettes contracteespendant le concordat etant comprises comme dettes de la masse faillie'.
Nonobstant l'utilisation par le legislateur des termes `dettescontractees', il etait admis que le precompte professionnel du pendant laperiode du sursis provisoire pouvait tomber dans le champ d'applicationde cette disposition (cf. Cass., 8 septembre 2006, RG C.05.0284.N ;Bruxelles,
11 mars 2003, T.R.V., 2004, 52).
Les travaux preparatoires de la loi relative au concordat (Doc. parl.,Chambre, 1406/1- 93-94, p. 34) exposaient que : `Il est important que lesdettes regulierement contractees pendant le sursis soient considereescomme dettes de la masse dans une faillite eventuelle. Le fait qu'une entreprise se trouve dans ce qui a ete appele la zone grise et les dangersque cela comporte peuvent jouer le role de frein sur la volonte decertains de nouer encore des relations commerciales avec le debiteur, cequi menace d'empecher la poursuite normale des activites de l'entrepriseet compromet le but du sursis. Aussi est-il incontestablement indique, entant que stimulant et de securite pour les nouveaux creanciers, de donnerlors d'une eventuelle faillite une certaine priorite aux dettes survenuespendant le sursis'.
Les travaux preparatoires de la loi relative à la continuite desentreprises (Doc. Parl., Chambre, nDEG 52 0160/002, p. 63) precisent,quant à eux, en ce qui concerne l'article 37 litigieux, que : `Pourassurer la confiance des cocontractants du debiteur, facteur essentielpour la continuite de l'entreprise, il faut donner un droit de prioriteà ce cocontractant au cas ou la procedure en reorganisation serait unechec. Faute de donner de telles assurances aux contractants du debiteur,celui-ci serait confronte avec des creanciers exigeant le paiementcomptant. Dans le droit du concordat de la loi du 17 juillet 1997, le contractant beneficiait d'un super-privilege qui lui donnait la primautepar rapport à tous les creanciers du failli et ce, par le biais d'unefiction juridique qui voulait que les engagements conclus avecl'assentiment du commissaire au sursis soient consideres comme des dettesde la masse. Le commissaire au sursis n'etant plus un des organes de laprocedure de reorganisation, une autre solution s'imposait. Dans lenouveau texte, les nouvelles obligations sont à considerer comme desdettes de masse dans une procedure collective subsequente. Cela renforcesans doute à un tres haut degre le credit du debiteur. Il y a pourtantune limite : ces dettes ne sont pas prioritaires sur les titulaires d'undroit reel'.
Il n'apparait pas de ces considerations qu'en ce qui concerne la questionspecifique de l'octroi du benefice de la qualification de dette de masseà des creances nees posterieurement à l'ouverture de la procedure dereorganisation judiciaire, le legislateur ait entendu `faire table rasedu regime du concordat (...). [Il] justifie la necessite de le changerpar le fait que 'le commissaire au sursis n'etant plus un des organes dela procedure de reorganisation, une autre solution s'imposait' (en cesens, Liege, 22 mai 2012, 2011/RG/517, inedit). Il n'emet aucune reservepar rapport à la loi relative au concordat quant au `contractantbeneficiant d'un super-privilege' ou aux `nouvelles obligations' pouvantbeneficier du caractere de dette de masse.
Cette intention ne ressort pas davantage, en raison de la generalite deleurs termes, de la declaration de M. Verougstraete selon laquelle `lalegislation actuelle [c'est-à-dire avant la loi du 31 janvier 2009relative à la continuite des entreprises] presente des carences en lamatiere. La loi sur les faillites et la loi relative au concordatjudiciaire ne sont pas suffisamment flexibles pour aider les entrepriseset assurer leur continuite' ou de celle de M. Zenner pointant lasuppression de la position extraordinaire de l'administration fiscale.Cette derniere declaration se rapporte à la creance de l'administrationfiscale nee avant le jugement d'ouverture de la procedure de reorganisation, laquelle se voit, sous l'empire de la loi du 31 janvier2009, qualifier de creance sursitaire ordinaire susceptible de subir unabattement dans le cadre du plan de reorganisation (cf. Cass., 30 juin2011, C.10.0317.F).
La creance de l'Etat visee en l'espece n'est pas cette creance d'impot neeavant le jugement d'ouverture de la procedure en reorganisationjudiciaire mentionnee par M. Zenner, mais une creance nee posterieurementà l'ouverture de cette procedure.
Si, par ailleurs, le texte de l'article 37 differe legerement dans saredaction en franc,ais (`dans la mesure ou les creances se rapportent àdes prestations effectuees à l'egard du debiteur pendant la procedure dereorganisation judiciaire') ou en neerlandais (`in de mate dat deschuldvorderingen ten aanzien van de schuldenaar beantwoorden aanprestaties uitgevoerd tijdens de procedure van gerechtelijke reorganisatiedoor zijn medecontractant'), dans chacune de ces versions, le legislateurde 2009 a retenu une formulation large ou la condition est que la creanceen cause se rapporte (beantwoordt) à des prestations effectuees par uncocontractant pendant la procedure de reorganisation judiciaire. Cestermes impliquent uniquement la necessite d'un lien avec les prestations(en ce sens, Liege,
22 mai 2012, 2011/RG/517, inedit).
L'absence de lien contractuel entre l'administration fiscale et ledebiteur ne fait donc pas obstacle à ce que, conformement aux termes del'article 37, la creance de precompte professionnel litigieuse serapporte [...] à des prestations effectuees à l'egard du debiteurpendant la procedure de reorganisation judiciaire et beneficie de laqualite de dette de la masse.
Les autres conditions d'application de l'article 37 (faillite survenue aucours de la periode de reorganisation, existence d'un lien etroit entrela fin de la procedure de reorganisation et la faillite) et le montantvante par l'administration des contributions directes ne font l'objetd'aucune contestation ».
L'arret attaque en deduit que :
« Il decoule de ces considerations qu'il y a lieu de reformer ladecision entreprise et de faire droit à la demande de l'Etat belge » et que « la creance de precompte professionnel de 159.778,69 euros enprincipal est une creance de la masse ».
Griefs
1. En vertu de l'article 37 de la loi du 31 janvier 2009 relative à lacontinuite des entreprises, « dans la mesure ou les creances serapportent à des prestations effectuees à l'egard du debiteur pendantla procedure de reorganisation judiciaire, qu'elles soient issuesd'engagements nouveaux du debiteur ou de contrats en cours au moment de l'ouverture de la procedure, elles sont considerees comme dettes de massedans une faillite ou liquidation subsequente survenue au cours de laperiode de reorganisation ou à l'expiration de celle-ci dans la mesureou il y a un lien etroit entre la fin de la procedure de reorganisationjudiciaire et cette procedure collective ».
La reference expresse à la notion de « prestations » a pour objectif desouligner que seules les dettes issues de fournitures ou de servicessollicites par le debiteur pour assurer la continuite de son activitepeuvent beneficier de la protection offerte par cette disposition. En cesens, le lien devant unir la creance et la prestation qui y est relativeet a ete realisee durant la periode sursitaire doit etre de naturecontractuelle.
Un tel libelle marque l'evolution de la matiere par rapport au texte et àl'esprit de la legislation anterieure. En effet, selon l'article 44,alinea 2, de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire,« les actes accomplis par le debiteur au cours de la procedure avec lacollaboration, l'autorisation ou l'assistance du commissaire au sursissont consideres lors de la faillite comme des actes du curateurs, lesdettes contractees pendant le concordat etant comprises comme dettes dela masse faillie », la notion d' « actes » etant expressement pluslarge que celle de « prestations ».
Le legislateur a estime que, « pour assurer la confiance des contractantsdu debiteur, facteur essentiel pour la continuite de l'entreprise, ilfaut donner un droit de priorite à ce contractant au cas ou la procedureen reorganisation serait un echec » (Doc. parl., Chambre, nDEG 520160/002, p. 63).
Or, la notion de confiance est independante du droit pour le fisc deprelever le precompte professionnel. En effet, le droit de creance dontle fisc est titulaire revet une origine purement legale en tant qu'il estfonde sur l'article 270 du Code des impots sur les revenus 1992.
Des lors, la dette de precompte professionnel au sens des articles 270,422 et 423, alineas 1er et 2, du Code des impots sur les revenus 1992, 90 et 92 à 95 de l'arrete royal du 27 aout 1993 d'execution du Code desimpots sur les revenus 1992 ne nait pas d'une prestation au sens de la loidu 31 janvier 2009 relative à la continuite des entreprises.
2. En l'espece, par les motifs repris au moyen et tenus ici pour integralement reproduits, l'arret commence par constater que (i) laprocedure de reorganisation judiciaire a ete ouverte le 9 juillet 2009 ;(ii) la faillite a ete declaree le 21 decembre 2009 et (iii) les dettesde precompte professionnel litigieuses sont relatives aux troisieme etquatrieme trimestres 2009. Ensuite, l'arret considere, en substance, d'une part, qu'« il n'apparait pas que [...] le legislateur ait entendufaire table rase du regime du concordat, d'autre part, que lelegislateur de 2009 a retenu une formulation large ou la condition estque la creance en cause se rapporte (beantwoordt) à des prestationseffectuees par un cocontractant pendant la procedure de reorganisationjudiciaire. Ces termes impliquent uniquement la necessite d'un lien avecles prestations ».
Ensuite, il decide que « l'absence de lien contractuel entrel'administration fiscale et le debiteur ne fait donc pas obstacle à ceque, conformement aux termes de l'article 37, la creance de precompteprofessionnel litigieuse se rapporte [...] à des prestations effectueesà l'egard du debiteur pendant la procedure de reorganisation judiciaireet beneficie de la qualite de dette de la masse ».
Or, au sens de l'article 37 de la loi du 31 janvier 2009 relative à lacontinuite des entreprises, une dette de precompte professionnel ne serapporte pas à des prestations effectuees à l'egard du debiteur.
3. En consequence, l'arret, qui, sur la base des considerations quiprecedent, octroie le statut de dettes de la masse aux dettes deprecompte professionnel litigieuses, n'est pas legalement justifie auregard des dispositions legales visees au moyen.
III. La decision de la Cour
Le moyen ne precise pas en quoi l'arret violerait les articles 270, 422 et423, alineas 1er et 2, du Code des impots sur les revenus 1992 ainsi queles articles 90 et 92 à 95 de l'arrete royal du 27 aout 1993 d'executiondu Code des impots sur les revenus 1992.
Dans la mesure ou il invoque ces dispositions, le moyen est irrecevable.
Pour le surplus, aux termes de l'article 37 de la loi du 31 janvier 2009relative à la continuite des entreprises, dans la mesure ou les creancesse rapportent à des prestations effectuees à l'egard du debiteur pendantla procedure de reorganisation judiciaire, qu'elles soient issuesd'engagements nouveaux du debiteur ou de contrats en cours au moment del'ouverture de la procedure, elles sont considerees comme des dettes de lamasse dans une faillite ou une liquidation subsequente survenue au coursde la periode de reorganisation ou à l'expiration de celle-ci, dans lamesure ou il y a un lien etroit entre la fin de la procedure dereorganisation et cette procedure collective.
Il s'ensuit que constitue une dette de la masse, dans les conditionsprecitees, la creance à l'egard du debiteur nee en contrepartie de laprestation qui lui a ete fournie pendant la procedure de reorganisationjudiciaire.
En vertu de l'article 2, 1DEG, de la loi du 12 avril 1965 concernant laprotection de la remuneration des travailleurs, la remuneration s'entenddu salaire auquel le travailleur a droit à charge de l'employeur enraison de son engagement.
Selon l'article 3bis de cette loi, le droit au paiement de la remunerationporte sur la remuneration, avant imputation des retenues visees àl'article 23, dont notamment les retenues effectuees en vertu de lalegislation fiscale, de la legislation relative à la securite sociale eten application des conventions particulieres ou collectives concernant lesavantages complementaires de securite sociale.
Il ressort de la combinaison de ces dispositions que la creance deremuneration, contrepartie des prestations effectuees en execution d'uncontrat de travail, comprend les montants qui font l'objet d'une retenuepar application de l'article 23 de la loi, dont le precompteprofessionnel, et que, des lors, beneficie du statut de dette de la masse,la creance de remuneration brute qui est la contrepartie de cetteprestation de travail realisee au cours de la procedure de reorganisationjudiciaire.
Dans la mesure ou il soutient que la dette de precompte professionnelafferente à la remuneration de celui qui a fourni son travail au cours dela procedure de reorganisation judiciaire ne se rapporte pas à desprestations effectuees à l'egard du debiteur au sens de l'article 37 dela loi du 31 janvier 2009 relative à la continuite des entreprises, lemoyen manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux depens.
Les depens taxes à la somme de sept cent trente-cinq euros six centimesenvers la partie demanderesse et à la somme de trois cent nonante-quatreeuros nonante-huit centimes envers la partie defenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Gustave Steffens, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel,et prononce en audience publique du seize mai deux mille quatorze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalAndre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| G. Steffens | M. Regout | Chr. Storck |
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16 MAI 2014 F.13.0100.F/1