Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG F.12.0176.F
COMMUNE DE PONT-A-CELLES, representee par son college communal, dont lesbureaux sont etablis à Pont-à-Celles, place Communale, 22,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,
contre
MOBISTAR, societe anonyme dont le siege social est etabli à Evere, avenuedu Bourget, 3,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Anvers, Amerikalei, 187/302, ou il est faitelection de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 1er juin 2012par la cour d'appel de Mons.
Le 22 avril 2014, l'avocat general Andre Henkes a depose des conclusionsau greffe.
Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport et l'avocat general AndreHenkes a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- articles 1er et 2 du reglement-taxe de la commune de Pont-à-Celles du29 mai 2007 etablissant pour les exercices 2007 à 2010 une taxe communaleannuelle sur les pylones et mats de diffusion affectes à un systemeglobal de communication mobile (G.S.M.) ;
- article 2 du Code civil et principe general du droit de lanon-retroactivite des lois et reglements consacre par cet article ;
- article 159 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate que, par un reglement du 29 mai 2007, le conseilcommunal de la demanderesse a etabli pour les exercices 2007 à 2010 unetaxe annuelle sur les pylones et mats de diffusion affectes à un systemeglobal de communication mobile (G.S.M.) existant sur le territoire de lacommune au 1er janvier de l'exercice d'imposition ; que cette taxe est duepar le proprietaire du pylone ou du mat au 1er janvier de l'exerciced'imposition concerne (articles 1er et 2 du reglement-taxe) ; que, parapplication du reglement-taxe, la demanderesse a enrole à charge de ladefenderesse deux cotisations relatives à l'exercice 2007 ; que lareclamation de la defenderesse contre ces impositions a ete rejetee pardecision du college communal de la demanderesse du 14 mai 2008, confirmeepar le premier juge, l'arret, reformant la decision du premier juge,annule la decision du college communal de la demanderesse du 14 mai 2008,ordonne le degrevement des cotisations litigieuses et condamne lademanderesse à la restitution de toutes sommes indument perc,ues.
L'arret fonde cette decision sur les motifs suivants :
1. « La taxe directe frappe une situation durable ou permanente, tandisque la taxe indirecte vise un acte ou un fait isole (...) ;
En ce qui concerne les taxes communales, la periode imposable coincideavec l'exercice fiscal. Tout reglement communal instaurant une taxedirecte peut retroagir au 1er janvier de l'exercice au cours duquel etpour lequel elle a ete decidee et etablie (...) ;
En revanche, un reglement communal instaurant une taxe indirecte ne peutetre applique qu'à des faits qui surviennent apres que ce reglement aacquis force obligatoire ».
2. « La taxe litigieuse est applicable au pylone ou au mat existant surle territoire communal au 1er janvier de l'exercice. De meme, le redevablede la taxe est le proprietaire du pylone ou du mat au 1er janvier del'exercice ;
Il s'agit là de faits isoles et non de situations durables ;
Le reglement-taxe ne vise, en aucune maniere, l'exercice d'une quelconqueactivite ou l'exploitation d'une installation destinee à lamobilophonie ;
Il est donc question ici d'une taxe indirecte ;
C'est vainement que (la demanderesse) soutient, dans ce contexte, qu'unefois erige, le mat ou le pylone a `vocation à demeurer sur place' ;
En effet, à tout moment (et eventuellement apres le 1er janvier del'exercice concerne), un mat ou un pylone, surmonte d'une antenne, peutetre demonte, desaffecte ou affecte à un usage different ;
De meme, la propriete d'une telle installation peut, à tout moment, etrecedee à un tiers ;
C'est tout aussi vainement que (la demanderesse) soutient que (ladefenderesse) est demeuree proprietaire des installations litigieusesapres l'entree en vigueur du reglement-taxe. En effet, la legalite d'unreglement doit s'apprecier in abstracto et non au regard de la situationparticuliere d'une partie à la cause ».
3. « En l'espece, les faits generateurs des taxes litigieuses sontanterieurs à l'entree en vigueur du reglement-taxe adopte le 29 mai2007 ;
En application de l'article 159 de la Constitution, la cour (d'appel) sedoit de refuser d'appliquer ce reglement en ce qu'il concerne l'exercice2007, des lors que, dans cette mesure, il est contraire au principe denon-retroactivite consacre par l'article 2 du Code civil ».
Griefs
D'apres le preambule du reglement-taxe du 29 mai 2007, « la perception decette taxe contribue à assurer une repartition equitable de la chargefiscale entre les diverses categories de contribuables ; sont vises par lataxe les pylones et unites d'emission et de reception destines au reseauG.S.M. en raison des capacites contributives des operateurs demobilophonie et l'importance des benefices generes par l'exploitation detels reseaux est de notoriete publique sans commune mesure avec celle desautres reseaux de communication ». C'est donc à tort que l'arret affirmeque « le reglement-taxe ne vise, en aucune maniere, l'exercice d'unequelconque activite ou exploitation d'une installation destinee à lamobilophonie ».
L'arret de la Cour de cassation du 30 mars 2012 (F.11.0043.F en cause dela province de Namur contre Mobistar) s'est d'ailleurs fonde sur laconsideration qu'un reglement provincial analogue au reglement de lademanderesse taxe « l'activite economique des operateurs detelecommunication qui se materialise sur le territoire de la province parla presence sur le domaine public ou prive de pylones, mats ou antennesG.S.M. affectes à cette activite ».
La taxe litigieuse constitue une taxe annuelle directe analogue à lapatente, c'est-à-dire une taxe qui atteint le contribuable en raison del'exercice de sa profession, de son industrie ou de son commerce d'apresdes indices qui revelent pareille activite professionnelle. L'indice esten l'occurrence la propriete de pylones ou mats de diffusion vises par lereglement-taxe au
1er janvier de l'exercice d'imposition et le proprietaire est taxe d'aprescet indice sur son activite au cours de l'exercice d'imposition, quicorrespond à la periode imposable.
Or, un reglement communal etablissant une taxe directe peut, comme lesouligne l'arret, retroagir au 1er janvier de l'exercice au cours duquelet pour lequel la taxe est etablie sans meconnaitre l'article 2 du Codecivil et le principe general du droit vises en tete du moyen.
Pour justifier qu'il s'agit d'une taxe indirecte, c'est-à-dire d'une taxefrappant un fait isole qui doit se repeter pour donner lieu à nouveau aupaiement de la taxe, il ne suffit pas d'invoquer, comme le fait l'arret,qu'un mat ou pylone existant le 1er janvier de l'exercice puisse etredemonte, desaffecte ou vendu apres cette date. Il s'agirait d'une taxeindirecte si, par exemple, la taxe frappait le fait d'edifier un mat ou unpylone sur le territoire de la commune, auquel cas la taxe n'auraitevidemment pu etre appliquee à l'edification d'un mat ou pylone realiseeavant l'entree en vigueur du reglement.
En refusant d'appliquer le reglement-taxe de la demanderesse du
29 mai 2007 aux taxes litigieuses de l'exercice 2007 par application del'article 159 de la Constitution, l'arret viole cette disposition ainsique les autres dispositions et le principe general du droit vises en tetedu moyen.
III. La decision de la Cour
L'impot direct frappe, non des actes ou des faits isoles, passagers deleur nature, qui emanent du contribuable, mais une situation de naturedurable ou se trouve le contribuable par son activite ou par sonpatrimoine.
En son article 1er, le reglement-taxe adopte le 29 mai 2007 par le conseilcommunal de la demanderesse etablit au profit de cette derniere, pour lesexercices 2007 à 2012, une taxe annuelle sur les pylones et mats dediffusion affectes à un systeme global de communication mobile (G.S.M.)existant sur le territoire communal au 1er janvier de l'exerciced'imposition. La taxe est due, en vertu de l'article 2 de ce reglement,par le proprietaire du pylone ou du mat à la meme date.
Suivant le preambule du reglement, la taxe vise les pylones et unitesd'emission et de reception destines au reseau G.S.M. en raison descapacites contributives des operateurs de mobilophonie ; l'importance desbenefices produits par l'exploitation de tels reseaux est de notorietepublique sans commune mesure avec celle des autres reseaux decommunications, de sorte que la difference de traitement ainsi operee estjustifiee au regard des articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
Il s'ensuit qu'atteignant l'activite economique des operateurs detelecommunications qui se materialise sur le territoire communal par lapresence de pylones ou mats affectes à cette activite, la taxe frappe,non des actes ou faits isoles ou passagers, mais une situation durable desa nature et que, partant, cette taxe est directe.
Un reglement-taxe peut, sans avoir d'effet retroactif, instaurer une taxedirecte dont la periode imposable prend cours au premier janvier del'exercice d'imposition durant lequel il est entre en vigueur.
En considerant que le reglement-taxe adopte le 29 mai 2007 et entre envigueur le 14 juillet 2007 « ne vise, en aucune maniere, l'exercice d'unequelconque activite ou l'exploitation d'une installation destinee à lamobilophonie », qu'en ayant egard aux pylones ou aux mats existant sur leterritoire communal au 1er janvier de l'exercice et à l'identite de leursproprietaires à cette date, ledit reglement frappe des faits isoles etnon des situations durables, que pareille taxe est une taxe indirecte etque, des lors, « les faits generateurs des taxes [afferentes àl'exercice 2007 etant] anterieurs à l'entree en vigueur du reglement-taxe», ce dernier « est contraire au principe de non-retroactivite consacrepar l'article 2 du Code civil », l'arret attaque viole les dispositionslegales et meconnait le principe general du droit vises au moyen.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il rec,oit l'appel ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Gustave Steffens, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel,et prononce en audience publique du seize mai deux mille quatorze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalAndre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| G. Steffens | M. Regout | Chr. Storck |
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16 MAI 2014 F.12.0176.F/1