Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG F.12.0160.F
1. M. K.,
2. G. L.,
demandeurs en cassation,
representes par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,
contre
ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 12 juillet 2012par la cour d'appel de Bruxelles.
Le conseiller Gustave Steffens a fait rapport.
L'avocat general Andre Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- articles 353, 354 (tels que ces articles etaient en vigueur avant leurmodification par des lois posterieures à 2005), 359, specialement alinea2, et 413 du Code des impots sur les revenus 1992 ;
- article 136 de l'arrete d'execution du Code des impots sur les revenus1992.
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate que le delai d'imposition des demandeurs pourl'exercice 2003 (revenus de 2002) conformement à leur declarationexpirait, en vertu de l'article 359, alinea 2, du Code des impots sur lesrevenus 1992, le 30 juin 2004 ; que le role a ete rendu executoire le 19mars 2004 mais que l'avertissement-extrait de role envoye aux demandeursà leur adresse le
25 mars 2004 est revenu à l'expediteur et n'est donc pas parvenu auxdemandeurs ; qu'un avertissement-extrait de role rectifie quant aux datesne leur a ete adresse que le 28 janvier 2005, c'est-à-dire plus de sixmois apres l'expiration du delai d'imposition,
l'arret declare non fondee l'exception de forclusion invoquee par lesdemandeurs et confirme la decision du premier juge qui avait rejete leurrecours contre la decision par laquelle le directeur avait rejete leurreclamation.
L'arret fonde cette decision sur les motifs suivants :
1. « Il est avere que [les demandeurs] n'ont rec,ul'avertissement-extrait de role afferent à cette cotisation (del'exercice fiscal 2003) que lors du renvoi de celui-ci par la recetted'Auderghem en date du 28 janvier 2005, les differentes pieces deposees audossier administratif [...] attestant d'un premier envoi à la bonneadresse en date du 25 mars 2004, soit six jours apres la date del'executoire du role du 19 mars 2004 mentionnee surl'avertissement-extrait de role.
Il est avere egalement qu'apres la date du 30 juin 2004, les contribuablesne se sont manifestes aupres des contributions ni pour s'inquieter du sortde leur declaration fiscale ni pour se prevaloir de la forclusion etreclamer remboursement des precomptes verses, ce que le [demandeur] a faitvaloir pour la premiere fois dans sa reclamation du
25 avril 2005, à la reception de l'avertissement-extrait de role renvoyele
28 janvier 2005 (...).
Ils invoquent en consequence la forclusion de l'enrolement et demandentrestitution des sommes payees pour l'apurement de cette cotisationlitigieuse ».
2. « L'enrolement intervient à l'issue de l'etablissement de l'impot etprealablement à son recouvrement.
La Cour de cassation en a fourni depuis [le 17 juin] 1929 une definitioncomplete : `Le role est un acte authentique par lequel l'administrationdes Finances se cree un titre contre le contribuable et manifeste savolonte d'exiger le paiement de l'impot : l'executoire donne au role estun ordre pour le contribuable de payer, sous peine d'y etre contraint, lessommes pour lesquelles il est porte au role'.
La procedure de l'enrolement revet une importance capitale en matiered'impots directs puisque, en effet, seul l'enrolement rend la detted'impot exigible, tout aussi certaine et liquide qu'elle puisse etre parailleurs. En outre, les resultats de l'imposition doivent se voir portesau role dans les delais legaux afin que ce dernier puisse valoir commetitre executoire à l'egard du redevable. A defaut d'enrolement regulier,l'Etat serait contraint en effet de proceder au remboursement de toutesles sommes qui relevent du paiement anticipe de la dette fiscale. (...).
Conformement à l'article 359, alinea 2, du Code des impots sur lesrevenus 1992, la cotisation litigieuse etablie sur la base de ladeclaration à l'impot des personnes physiques souscrite par les[demandeurs] (...) devait etre enrolee pour le 30 juin 2004.
La date de l'executoire du role figurant sur l'avertissement-extrait derole renvoye aux [demandeurs] le 28 janvier 2005 est la date du 19 mars2004, soit dans le delai legal ».
3. « Devant la cour [d'appel], les [demandeurs] soutiennent [...] quel'Etat serait en tout etat de cause forclos car, à defaut de leur avoirenvoye l'avertissement-extrait de role dans le delai legal de l'article359, alinea 2, du Code des impots sur les revenus 1992, mais seulement le28 janvier 2005, la cotisation ne pourrait etre consideree comme`valablement etablie' avant le
30 juin 2004.
Tel n'est pas le cas.
Suivant l'article 359, alinea 2, du Code des impots sur les revenus 1992,la cotisation à l'impot des personnes physiques litigieuse de l'exerciced'imposition 2003, sur la base de la declaration souscrite à l'impot despersonnes physiques, devait etre etablie pour etre valable avant le 30juin 2004.
Selon l'enseignement de la Cour de cassation, en matiere d'impots sur lesrevenus, la dette d'impot nait definitivement à la date de la cloture dela periode au cours de laquelle les revenus qui constituent la baseimposable ont ete acquis.
Les [demandeurs] restent en defaut de demontrer à cet egard qu'ils ont pulegitimement penser que, parce qu'ils n'avaient pas rec,ud'avertissement-extrait de role avant le 30 juin 2004, ils n'avaient pasete enroles avant cette date. La cour [d'appel] constate d'ailleurs qu'ilsn'ont pas sollicite le remboursement des precomptes payes, apresl'ecoulement de cette date, avant leur reclamation de 2005, ensuite del'envoi de l'avertissement-extrait de role litigieux. Ils ne demontrentpas un traitement different dans l'enrolement de leur cotisation justementcalculee sur la base de leur declaration, par rapport aux autrescontribuables dans la meme situation, ayant rec,u les memes delais depaiement et de date de prise de cours des interets de retard, fixessuivant les dispositions legales applicables, que tout contribuablerecevant un avertissement-extrait de role pour une cotisation à l'impotdes personnes physiques. Il est inutile pour la solution du litige deposer une question prejudicielle à la Cour constitutionnelle dont lelibelle exact n'est meme pas repris au dispositif des conclusions des[demandeurs] et dont le libelle complet ne l'est pas plus dans les motifsauxquels il est renvoye.
L'article 413 du Code des impots sur les revenus 1992 prevoit que lesimpots directs sont exigibles à la date à laquelle le role a ete renduexecutoire et doivent etre payes dans les deux mois de l'envoi del'avertissement-extrait de role.
L'article 136 de l'arrete royal d'execution du Code des impots sur lesrevenus 1992 prevoit que, àussitot que les roles sont rendus executoires,il en est adresse des extraits aux redevables interesses'.
L'exigence d'un envoi de l'avertissement-extrait de role et de sareception par le contribuable dans le delai de l'article 359, alinea 2, du Code des impots sur les revenus 1992 ne trouve pas d'appui dans cestextes et s'oppose à la jurisprudence contraire etablie de la Cour decassation auquel la cour [d'appel] adhere. Chaque etape decrite ci-dessusa des effets specifiques, seul l'envoi de l'avertissement-extrait de role faisant courir les delais de paiement, des interets de retard, et del'introduction d'une reclamation. La date de l'envoi surl'avertissement-extrait de role ne fait pas partie des mentionsauthentiques du role.
(...) C'est la date à laquelle le fonctionnaire competent a rendu le roleexecutoire qui est determinante pour s'assurer de l'etablissement del'impot dans le delai legal et non la date d'envoi de l'avertissement quin'est qu'un extrait de role qui n'est par ailleurs soumis à aucuneexigence legale de forme ou de delai d'envoi (...).
Aucune sanction n'est prevue à l'article 136 de l'arrete royald'execution du Code des impots sur les revenus 1992. Il est avere en outreen l'espece, par les pieces du dossier administratif et le resume desinvestigations complementaires effectuees par l'administration sur leretard de l'envoi de l'avertissement-extrait de role, qu'il y a eu unpremier envoi de l'avertissement-extrait de role six jours apresl'enrolement mais qui a fait retour. Les [demandeurs] ne demontrent pasque l'administration serait responsable de ce retour du pli (qui a punaitre de la separation et du divorce des parties) et du retard pris pourle renvoi.
En tout etat de cause, les [demandeurs] ne demontrent pas avoir subi unprejudice du fait du retard de l'envoi de l'avertissement-extrait de role des lors que les dates d'echeance de paiement et de prise de cours desinterets de retard ont bien ete adaptees par les mentions manuscrites dontquestion plus haut sur l'avertissement-extrait de role originaire.
A raison, le premier juge a decide que la cotisation litigieuse avait bienete etablie dans le delai vise à l'article 359, alinea 2, du Code desimpots sur les revenus 1992 ».
Griefs
Pour que l'impot sur les revenus soit « etabli » dans le delai vise auxarticles 353 et 359, alinea 2, ou à l'article 354 du Code des impots surles revenus 1992, il ne suffit pas que le role soit rendu executoire dansce delai mais il faut que l'enrolement soit porte à la connaissance ducontribuable par l'envoi dans ce delai de l'avertissement-extrait de role,ce que confirme l'article 136 de l'arrete d'execution du Code des impotssur les revenus 1992, aux termes duquel « aussitot que les roles sontrendus executoires, il en est adresse des extraits aux redevablesinteresses ».
C'est à tort que la cour d'appel a oppose à cette interpretation de laloi l'article 413 du Code des impots sur les revenus 1992 aux termesduquel « les impots directs (et le precompte immobilier porte au roleconformement à l'article 304) sont exigibles à la date à laquelle lerole a ete rendu executoire. Ils doivent etre payes dans les deux mois del'envoi de l'avertissement-extrait de role » : si les impots ne doiventetre payes que « dans les deux mois de l'envoi de l'avertissement-extraitde role », ils ne sont evidemment pas « exigibles » avant cette date.Le terme « exigible », dans ce contexte, signifie donc simplement qu'àpartir de l'enrolement, l'administration peut exiger le paiement del'impot dans le delai precite par l'envoi d'un avertissement-extrait derole.
L'interpretation qui precede des dispositions du Code des impots sur lesrevenus 1992 est seule compatible avec le principe constitutionneld'egalite : en effet, si les impots sur les revenus devaient etreconsideres comme valablement etablis des la date ou le role a ete renduexecutoire, sans attendre la date de notification del'avertissement-extrait de role au contribuable, la loi traiterait lescontribuables soumis aux impots sur les revenus differemment des autresadministres destinataires d'actes administratifs à portee individuelle àl'egard desquels ces actes ne peuvent sortir leurs effets qu'à daterd'une communication individuelle aux personnes concernees (arret de laCour d'arbitrage nDEG 64/2004 du 28 avril 2004).
Comme l'interpretation des dispositions precitees defendue par le moyens'ecarte de la jurisprudence de la Cour, les demandeurs demandent qu'avantde se prononcer sur le fondement du moyen, la Cour soumette à la Courconstitutionnelle la question prejudicielle suivante :
« Interpretes comme signifiant que les impots sur les revenus sontvalablement `etablis' dans le delai legal d'imposition du moment que lerole a ete rendu executoire dans ce delai, meme si la notification del'avertissement-extrait de role aux contribuables n'a lieu qu'apresl'expiration de ce delai, les articles 353, 359 et 354 du Code des impotssur les revenus 1992 violent-ils les articles 10, 11 et 172 de laConstitution en ce qu'ils traitent sans justification les contribuablessoumis aux impots sur les revenus portes au role differemment des autresadministres faisant l'objet d'actes administratifs à portee individuelle,à l'egard desquels de tels actes ne peuvent sortir leurs effets, en vertud'un principe general, qu'à dater d'une communication individuelle auxpersonnes concernees » ?
III. La decision de la Cour
L'impot sur les revenus est etabli par son enrolement rendu executoire aunom du redevable et non par l'envoi de l'avertissement-extrait de role àce dernier.
Le moyen, qui repose sur le soutenement contraire, manque en droit.
Pour le surplus, un acte administratif à portee individuelle n'est pasprive de tout effet avant d'avoir ete notifie à son destinataire.
Il n'y a pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle de la questionprejudicielle qui affirme, à tort, le contraire.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux depens.
Les depens taxes à la somme de cent soixante-huit euros neuf centimesenvers les parties demanderesses et à la somme de cent six eurosvingt-quatre centimes envers la partie defenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Gustave Steffens, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel,et prononce en audience publique du seize mai deux mille quatorze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalAndre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| G. Steffens | M. Regout | Chr. Storck |
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16 MAI 2014 F.12.0160.F/1