Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG P.13.1869.F
I. LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE BRUXELLES,
II. et III. ETAT BELGE, en la personne du ministre des Finances,represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee,9, ou il est fait election de domicile,
partie civile,
demandeurs en cassation,
les trois pourvois contre
1. . de C.-S.
2. DE W. E.
3. DE G. H.
4. F. L.
5. L. M.
6. O. B.
7. Mc G. A.
8. H. S. decede
9. DE C. N.
10. T. de M. E.
prevenus,
defendeurs en cassation,
le troisieme defendeur represente par Maitre Johan Verbist et les premier,deuxieme, sixieme, septieme, neuvieme et dixieme par Maitre CarolineDe Baets, avocats à la Cour de cassation.
I. la procedure devant la cour
Le pourvoi du premier demandeur est dirige contre un arret rendu le 21octobre 2013 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Les pourvois du second demandeur sont diriges contre le meme arret ainsique contre un arret interlocutoire rendu par ladite juridiction le 25 juin2013.
Dans une requete et un memoire annexes au present arret, en copiecertifiee conforme, les demandeurs invoquent respectivement deux et troismoyens.
A l'audience du 26 mars 2014, le president de section chevalier Jeande Codt a fait rapport et l'avocat general Damien Vandermeersch a conclu.
Le 17 avril 2014, Maitre Caroline De Baets a depose une note en reponseaux conclusions du ministere public.
II. la decision de la cour
A. Sur le pourvoi du procureur general :
1. En tant que le pourvoi est dirige contre H. De G., M. L., S. H. et N.De C. :
Les defendeurs n'ont pas interjete appel et n'ont ete intimes que parl'appel de la partie civile.
Le demandeur est sans qualite pour se pourvoir contre la decision renduesur l'action civile.
Le pourvoi est irrecevable.
2. En tant que le pourvoi est dirige contre la decision rendue surl'action publique exercee à charge des autres defendeurs :
Sur la fin de non-recevoir opposee au premier moyen et deduite de lateneur des conclusions prises par le ministere public devant la courd'appel :
Selon les premier, deuxieme, sixieme, septieme, neuvieme et dixiemedefendeurs, le procureur general n'est pas recevable à critiquer ladecision declarant l'audition litigieuse irreguliere, des lors qu'il aconclu lui-meme à l'irregularite retenue par les juges d'appel, et qu'ila admis l'ecartement des actes vicies par celle-ci.
Le ministere public a notamment pour mission d'assister les juges dansl'interpretation de la loi et dans l'application de celle-ci aux causesqui leur sont soumises. Ce devoir d'assistance implique celui d'eclairerimpartialement le juge sur la solution que le proces comporte aux yeux dela loi, cette solution fut-elle contraire à la demande qu'il aintroduite.
Il en resulte qu'un moyen souleve par le ministere public, demandeur encassation, ne saurait etre declare irrecevable au seul motif qu'ilcontredit l'avis emis par son office devant les juges du fond.
La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation de l'article 13 de la loi du 9 decembre2004 sur l'entraide judiciaire internationale en matiere penale. Il estreproche à l'arret, en substance, de ne pas controler legalement lavalidite d'une preuve recueillie à l'etranger, en l'espece unedeclaration obtenue en France sous serment.
L'arret attaque enonce ou considere que
* le juge d'instruction d'Anvers a delivre, le 18 janvier 2000, unecommission rogatoire à destination de la France, à l'effet d'yrecueillir l'audition du sixieme defendeur, en specifiant qu'il devaitetre entendu hors serment ;
* la commission rogatoire faisait apparaitre l'implication del'interesse dans les faits de recel ou de blanchiment vises parl'instruction ;
* les enqueteurs belges ayant assiste à l'execution de la commissionrogatoire ont agi avec deloyaute en laissant sciemment leurs colleguesfranc,ais proceder, le 29 mars 2000, à l'audition sous serment ;
* le droit au silence du sixieme defendeur a ete viole des lors qu'il aete entendu dans des conditions lui donnant à croire que sadeclaration ne pouvait pas lui nuire ;
* le juge d'instruction s'est approprie l'irregularite en versantl'audition au dossier et en ordonnant, sur la base de celle-ci, desdevoirs importants, d'ou il suit qu'il a viole l'obligation, prevuepar l'article 56, S: 1er, du Code d'instruction criminelle, de veillerà la legalite des moyens de preuve ainsi qu'à la loyaute aveclaquelle ils sont rassembles ;
* l'audition indument faite sous serment constitue une piece maitressede l'instruction ;
* lors des debats devant la cour d'appel, le sixieme defendeur aretracte sa declaration du 29 mars 2000 ;
* les consequences d'une violation du droit à un proces equitables'apprecient independamment de la gravite des faits imputes auxprevenus ;
* cette violation etant averee, la cour d'appel ne peut ni utiliserl'audition retractee pour condamner celui qui l'a faite, ni se fondersur les elements figurant dans la declaration irreguliere et dans lesdevoirs qu'elle a engendres, pour condamner les personnes mises encause par le suspect entendu sous serment.
L'arret en conclut que les poursuites sont irrecevables à l'egard desprevenus H. de C.-S., E. De W., L. F., B. O., A. Mc G. et E. T. de M.
L'article 13 de la loi du 9 decembre 2004 sur l'entraide judiciaireinternationale en matiere penale prevoit trois cas d'exclusion obligatoiredes elements de preuve recueillis à l'etranger.
Le premier cas est celui de la preuve qui y a ete obtenue en violationd'une regle de forme prescrite, à peine de nullite, selon le droit del'Etat sur le territoire duquel le devoir d'enquete a ete realise.
Le deuxieme cas est celui de la preuve entachee d'une irregularite propreà lui oter sa fiabilite.
Le troisieme cas est celui de la preuve dont l'utilisation viole le droità un proces equitable.
Il resulte des dispositions combinees des articles 105, 113-1, 153 et 154du Code de procedure penale franc,ais, dans leur redaction applicable auxfaits, qu'une personne placee en garde à vue sur commission rogatoire dujuge d'instruction est entendue apres avoir prete le serment prevu par laloi, des lors qu'à son encontre, il n'existe pas d'indices graves etconcordants d'avoir participe aux faits dont le juge d'instruction estsaisi, ou s'il n'apparait pas que cette personne soit nommement designeepar un requisitoire introductif.
Il ressort des constatations de fait de l'arret, d'une part, que lacommission rogatoire du 18 janvier 2000 n'a pas mentionne les requisitionscomplementaires du procureur du Roi visant nommement le sixieme defendeuret, d'autre part, que l'autorite franc,aise chargee de recueillir sonaudition a considere qu'en l'etat actuel de l'enquete, aucun indice nepermettait de penser que l'interesse avait commis ou tente de commettredes faits de recel ou de blanchiment.
Sans doute la cour d'appel a-t-elle considere que, pour les autoritesbelges, l'implication du sixieme defendeur dans les faits excluaitformellement sa prestation de serment.
Mais l'arret ne constate pas l'existence d'une nullite que le Code deprocedure penale de l'Etat requis attacherait à l'audition sous sermentd'une personne entendue sur commission rogatoire internationale, lorsquel'autorite judiciaire ou de police de cet Etat estime que les conditionsd'une mise en examen ne sont pas reunies alors que l'autorite commettanteetrangere affirme le contraire.
L'arret ne justifie des lors pas legalement la decision des juges d'appelrelative au premier cas d'exclusion de la preuve prevu par la loi du 9decembre 2004. Partant, ne sont pas non plus legalement justifiees lesconsequences que la cour d'appel en a tirees quant à la deloyaute desenqueteurs belges ayant assiste à l'execution du devoir selon laprocedure de l'Etat requis, ou quant à la meconnaissance par le juged'instruction des obligations que lui impose l'article 56, S: 1er, du Coded'instruction criminelle.
Quant au deuxieme cas d'exclusion prevu par la loi, l'arret ne constatepas que le serment defere au sixieme defendeur apres qu'il a rec,unotification des droits de la personne gardee à vue, a eu pour effet derendre non fiables les propos qu'il a tenus à la police franc,aise ou laretranscription de ses dires par celle-ci.
Le troisieme cas d'exclusion implique que le juge determine si laprocedure a ete equitable. Il lui appartient, à cette fin, de verifier siles droits de la defense ont ete respectes.
Cette verification exige un examen de la cause dans son ensemble, àl'effet de rechercher si un vice inherent à un stade de la procedure apu, ou non, etre corrige par la suite.
Il y a lieu d'examiner notamment si les parties se sont vu offrir lapossibilite de remettre en question l'authenticite de l'element de preuveet de s'opposer à son utilisation. Ce controle tient compte de la qualitede l'element de preuve, en ce compris le point de savoir si lescirconstances dans lesquelles il a ete recueilli font douter de sonexactitude.
L'equilibre des droits entre les parties n'epuise pas la notion de procesequitable. L'ideal de justice en est egalement une composante. Il enresulte que le poids de l'interet public à la poursuite d'une infractionet au jugement de ses auteurs peut etre pris en consideration et mis enbalance avec l'interet de l'individu à ce que les preuves à sa chargesoient recueillies regulierement.
En considerant que les consequences d'une violation du droit à un procesequitable s'apprecient independamment de la gravite des faits imputes auxprevenus, la cour d'appel a decline l'examen de proportionnalite revenantpourtant au juge lorsque la preuve accusee d'une telle violation faitl'objet d'une demande d'ecartement.
Sans doute le rejet de cet examen est-il justifie lorsque l'irregularite apour effet de vider d'emblee de leur substance meme les droits de ladefense du prevenu, ou de porter atteinte à la qualite de l'element depreuve.
Mais par aucune des considerations resumees ci-dessus, l'arret ne metl'irregularite denoncee en balance avec les droits que chacun des prevenusa pu, ou non, exercer au cours de l'instruction preparatoire, devant lesjuridictions d'instruction, au cours des audiences du tribunalcorrectionnel et dans ses moyens d'appel.
La cour d'appel n'a des lors pas legalement decide que le serment defereau sixieme defendeur par les autorites de l'Etat requis a suffi pour oterà toutes les parties la possibilite de contredire les elements à chargecontenus dans la declaration litigieuse.
A cet egard, le moyen est fonde.
Il n'y a pas lieu d'examiner le second moyen, qui ne pourrait entrainerune cassation plus etendue.
B. Sur le pourvoi forme par l'Etat belge le 5 novembre 2013 :
Le demandeur se desiste, sans acquiescement, de son pourvoi.
C. Sur le pourvoi forme par l'Etat belge le 12 decembre 2013 :
1. En tant que le pourvoi est dirige contre l'arret du 25 juin 2013 :
Sur le second moyen :
Quant aux deux branches reunies :
Le demandeur reproche aux juges d'appel d'avoir ecarte les conclusionsdeposees pour lui à l'audience du 25 juin 2013, sans constater legalementle caractere purement dilatoire de cette communication tardive.
Le grief est pris de ce que le conseil du demandeur a invoque un cas deforce majeure, etant une incapacite temporaire de travail pour raisonmedicale, attestee par un certificat depose à l'audience du 17 juin 2013et couvrant la periode du 10 au 30 juin 2013.
Le juge peut ecarter des debats, comme etant constitutives d'un abus deprocedure, des conclusions tardives qui empechent la bonne administrationde la justice, lesent fautivement les droits de l'autre partie, portentatteinte au droit à un proces equitable.
L'arret releve notamment que les prevenus sont intimes par l'appel de lapartie civile depuis pres d'un an, que les dates d'audience ont ete fixeesle 30 octobre 2012, qu'un calendrier a ete etabli, prevoyant que la partiecivile prendrait la parole le 29 avril 2013 et que cette prise de parole aete postposee aux audiences des 21 et 22 mai 2013, ultime delai pour lacommunication des conclusions de la partie civile.
L'arret ajoute qu'à cette date, la partie civile a obtenu un nouveaureport, au 27 mai, qu'ensuite, elle a signale ne pas pouvoir prendre laparole au jour fixe, qu'il a ete prevu alors que le ministere publicprononcerait ses requisitions le 27 mai, qu'à la suite d'une recusation,le proces a ete suspendu à compter de ce jour jusqu'au 17 juin 2013, dateà laquelle le ministere public a commence à requerir, avant que leconseil de la partie civile ne depose à l'audience un certificat medicalle concernant.
Sur la base de ces elements, les juges d'appel ont pu considerer quel'incapacite attestee par ledit certificat ne constituait pas un cas deforce majeure elisif de l'abus consistant à deposer tardivement deux centet onze pages de conclusions apres que les prevenus aient du se defendresans connaitre la position de la partie civile appelante.
La cour d'appel a, des lors, legalement justifie sa decision.
Le moyen ne peut etre accueilli.
2. En tant que le pourvoi est dirige contre l'arret du 21 octobre 2013 quideclare irrecevable l'appel du demandeur, partie civile :
Sur les fins de non-recevoir opposees au premier moyen et deduite de sondefaut d'interet :
Les premier, deuxieme, troisieme, sixieme, septieme, neuvieme et dixiemedefendeurs font valoir que la decision de declarer irrecevable l'appel del'Etat belge demeure legalement justifiee par celle de dire l'actionpublique elle-meme irrecevable.
Mais il ressort de la reponse donnee ci-dessus au premier moyen duprocureur general, que la deuxieme decision susdite n'est pas legalementjustifiee.
Les fins de non-recevoir ne peuvent etre accueillies.
Sur le premier moyen :
Par declaration du 11 juillet 2012 faite par avocat au greffe du tribunalde premiere instance de Bruxelles, le demandeur a releve appel, en qualitede partie civile, du jugement rendu par ce tribunal le 28 juin 2012.
Selon l'extrait des minutes reposant au greffe du tribunal, l'appel a eteforme contre les dix defendeurs, prevenus, « du chef de toutes lesinfractions les concernant ».
L'arret decide que l'appel est irrecevable parce que la partie civile« n'a dirige son appel qu'à l'encontre des dispositions penales dujugement entrepris sans viser les dispositions civiles ».
Mais l'acte ne mentionne pas que l'appelant borne son recours à ladecision rendue sur l'action publique exercee à charge des defendeurs duchef des infractions mises à leur charge.
Lorsqu'une decision est entreprise sans que l'appelant ne precise quellessont les dispositions qu'il attaque, il faut en deduire qu'il les visetoutes. Le juge de l'appel ne saurait faire le partage des dispositionsattaquees et de celles qui, d'apres lui, ne le seraient pas lorsquel'appelant n'a pas, lui-meme, circonscrit son appel autrement qu'enidentifiant le jugement qu'il entreprend.
La mention suivant laquelle la partie civile se refere à l'ensemble desinfractions reprochees aux intimes ne saurait etre comprise comme unelimitation de l'appel aux dispositions penales, alors que la partie civileagit pour la reparation du dommage cause par une infraction dont elle asouffert, ce qui lui donne qualite pour se prevaloir de l'existence decelle-ci.
En deduisant du libelle de l'acte d'appel que le demandeur a exclu, de sonrecours, la decision rendue sur son action civile, l'arret donne de cetacte une interpretation inconciliable avec ses termes et, partant, violela foi qui lui est due.
A cet egard, le moyen est fonde.
3. En tant que le pourvoi est dirige contre l'arret du 21 octobre 2013 quideclare la cour d'appel sans competence pour connaitre de l'action civileexercee par le demandeur :
Le demandeur ne fait valoir aucun moyen specifique.
Toutefois, la cassation de la decision rendue sur l'action publiqueexercee à charge de H. de C.-S., E. De W., L. F., B. O., A. Mc G. et E.T. de M., entraine l'annulation de la decision declarant la cour d'appelsans competence pour connaitre des demandes de la partie civile dont elledemeurait saisie dans la mesure des appels des prevenus. La deuxiemedecision est, en effet, unie à la premiere par un lien necessaire.
Il n'y a pas lieu d'examiner le surplus du memoire du demandeur, lequel nesaurait entrainer la cassation dans d'autres termes que ceux libellesci-dessous.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Decrete le desistement du pourvoi forme par le second demandeur le 5novembre 2013 ;
Casse l'arret attaque rendu le 21 octobre 2013 par la cour d'appel deBruxelles ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;
Condamne H. de C.-S., E. De W., L. F., B. O., A. Mc G. et E. T. de M.,chacun, à un dixieme des frais du pourvoi du premier demandeur, et laissele surplus desdits frais à charge de l'Etat ;
Condamne le second demandeur à onze vingtiemes des frais de ses pourvoiset chacun des defendeurs H. de C.-S., E. De W., H. De G., L. F., M.L., B.O., A. Mc G., N. De C. et E. T. de M., à un vingtieme desdits frais ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, à la cour d'appel de Liege.
Lesdits frais taxes en totalite à la somme de mille soixante-quatre eurosquarante-cinq centimes dont I) sur le pourvoi du procureur general pres lacour d'appel de Bruxelles : six cent quatre-vingts euros dix centimes duset sur les pourvois de l'Etat belge : trois cent quatre-vingt-quatre eurostrente-cinq centimes dus.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le chevalier Jean de Codt, premier president, Benoit Dejemeppe,Pierre Cornelis, Gustave Steffens et Sabine Geubel, conseillers, etprononce en audience publique du trente avril deux mille quatorze par lechevalier Jean de Codt, premier president, en presence de DamienVandermeersch, avocat general, avec l'assistance de Tatiana Fenaux,greffier.
+------------------------------------------+
| T. Fenaux | S. Geubel | G. Steffens |
|-------------+--------------+-------------|
| P. Cornelis | B. Dejemeppe | J. de Codt |
+------------------------------------------+
30 AVRIL 2014 P.13.1869.F/2