Cour de cassation de Belgique
Arret
* NDEG P.14.0410.N
* A. E.,
* personne faisant l'objet d'une demande d'extradition,
* demandeur,
* ayant pour conseil Maitre Raf Jespers, avocat au barreau d'Anvers.
* I. la procedure devant la cour
VII. VIII. Le pourvoi est dirige contre l'arret rendu le 24 fevrier2014 par la cour d'appel d'Anvers, chambre des mises enaccusation, statuant en tant que juridiction de renvoi ensuitede l'arret de la Cour du 31 decembre 2013.
IX. Le demandeur fait valoir quatre moyens dans un memoire annexe aupresent arret, en copie certifiee conforme.
X. Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
XI. L'avocat general suppleant Marc De Swaef a conclu.
II. la decision de la cour
(...)
Sur le deuxieme moyen :
8. Le moyen invoque la violation des articles 3 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, 1.A.2,31.1, 33 de la Convention internationale du 28 juillet 1951 relativeau statut des refugies, 48 de la loi du 15 decembre 1980 sur l'accesau territoire, le sejour, l'etablissement et l'eloignement desetrangers, 7, alinea 1er, de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1erdecembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procedured'octroi et de retrait du statut de refugie dans les Etats membres et21.1 de la directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 du Conseil concernantles normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir lesressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir pretendreau statut de refugie ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ontbesoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de cesstatuts.
Quant aux branches, prises dans leur ensemble :
9. Le moyen, en sa premiere branche, invoque que l'arret decide, àtort, que la qualite de refugie politique n'est acquise qu'à partirde la reconnaissance effective et que ce n'est qu'à partir de cemoment que la personne concernee peut jouir du principe denon-refoulement ; une personne peut invoquer le statut de refugie àcompter de la date de sa demande d'un tel statut et non à compter dela reconnaissance formelle du statut de refugie ; des interpretationsrepetees et constantes faisant autorite du principe de non-refoulementattestent que les candidats-refugies jouissent de la protection de ceprincipe.
10. Le moyen, en sa deuxieme branche, invoque que l'arret decide, àtort, que les candidats-refugies peuvent uniquement faire valoir laclause de non discrimination ; par ce motif, l'application du principede non-refoulement ne peut etre refuse au candidat-refugie.
11. Le moyen, en sa troisieme branche, invoque que l'arret decide, àtort, qu'il releve, en outre, des possibilites du gouvernementd'attendre une decision definitive sur la reconnaissance du statut derefugie politique pour rendre une decision definitive en matiered'extradition.
12. En vertu de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertes fondamentales, nul ne peut etre soumis àla torture ni à des peines ou traitements inhumains ou degradants.
13. L'article 1.A.1 de la Convention internationale du 28 juillet 1951determine quelles personnes ont notamment la qualite de refugie seloncette convention.
En vertu de l'article 31.1 de ladite convention, les Etatscontractants n'appliqueront pas de sanctions penales aux refugies quientrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation.
L'article 33.1 de cette meme convention prevoit qu'aucun des Etatscontractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque maniere que cesoit, un refugie sur les frontieres des territoires ou sa vie ou saliberte serait menacee en raison de sa race, de sa religion, de sanationalite, de son appartenance à un certain groupe social ou de sesopinions politiques.
14. En vertu de l'article 48 de la loi du 15 decembre 1980, l'etrangerqui reunit les conditions requises à ces effets par les conventionsinternationales liant la Belgique peut etre reconnu comme refugie.
15. L'article 7.1 de la directive 2005/85/CE dispose : « Lesdemandeurs sont autorises à rester dans l'Etat membre, aux seulesfins de la procedure, jusqu'à ce que l'autorite responsable de ladetermination se soit prononcee conformement aux procedures en premierressort prevues au chapitre III. Ce droit de rester dans l'Etat membrene constitue pas un droit à un titre de sejour. »
16. En vertu de l'article 21.1 de la directive 2004/83/CE, les Etatsmembres respectent le principe de non-refoulement en vertu de leursobligations internationales. L'article 21.1 de la directive 2011/95/CEdu 13 decembre 2011, dont l'article 40 abroge la directive 2004/83/CEavec effet au 21 decembre 2013, comporte une meme disposition.
17. Ces dispositions ni aucune autre disposition conventionnelle oulegale n'obligent la Belgique à refuser, dans tous les cas,l'extradition d'une personne qui a fui le pays ayant demande sonextradition et qui a introduit dans un autre pays une demande enreconnaissance du statut de refugie.
Le moyen, en ces branches, qui est deduit d'une autre premissejuridique, manque en droit.
Sur le troisieme moyen :
18. Le moyen invoque la violation des articles 3, 5, 6 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales et 2bis, alinea 2, de la loi du 15 mars 1874 sur lesextraditions.
Quant à la premiere branche :
19. Le moyen, en cette branche, invoque que l'arret n'enonce pasl'article 2bis, alinea 2, de la loi du 15 mars 1874 dans le dispositifde l'arret, de sorte qu'il ne ressort pas qu'il a ete tenu comptevalablement dudit article.
20. Aucune disposition legale ne requiert que l'arret qui ordonnel'execution d'un mandat d'arret en vue de l'extradition, indique lesarticles dont il tient compte pour statuer sur cette execution.
Le moyen, en cette branche, qui est deduit d'une premisse juridiqueerronee, manque en droit.
Quant à la deuxieme branche :
21. Le moyen, en cette branche, invoque que l'arret qui se borne àexaminer le risque de deni flagrant de justice, n'apprecie en aucunefac,on les risques serieux de faits de torture ou de traitementsinhumains ou degradants que fait valoir le demandeur et tels qu'ilssont vises à l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales, et ne fournit aucun motif pourecarter ces risques.
22. En vertu de l'article 2bis, alinea 2, de la loi du 15 mars 1874,insere par l'article 4 de la loi du 15 mai 2007, l'extradition ne peutetre accordee s'il existe des risques serieux que la personne, si elleetait extradee, serait soumise dans l'Etat requerant à un deniflagrant de justice, à des faits de torture ou des traitementsinhumains et degradants.
23. Il appert de la genese de la loi que l'existence de risquesserieux de deni flagrant de justice implique que la personne extradeefera tres vraisemblablement l'objet, dans l'Etat requerant, desviolations les plus graves aux articles 5 et 6 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, et cecompte tenu de l'evolution de la jurisprudence de la Cour europeennedes droits de l'homme. Il appert egalement de la genese de la loi quele deni flagrant de justice a ete insere en tant que cause de refusd'extradition, parce qu'il a ete reconnu trop limite de fonder unecause de refus uniquement sur l'article 3 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales.
24. De l'existence de risques serieux de faits de torture ou detraitements inhumains ou degradants decoule, en principe, l'existencede risques serieux de deni flagrant de justice. L'existence de risquesserieux de deni de justice peut avoir une influence sur l'appreciationde l'existence de risques serieux de faits de traitements inhumains oudegradants. En raison du lien reciproque qui unit ainsi ces deuxcauses de refus, le juge peut soumettre à la fois l'un et l'autrerisque à son appreciation.
25. Apres avoir examine de fac,on circonstanciee les risques serieuxde deni flagrant de justice en Turquie, l'arret (...) decide que leselements invoques par le demandeur ne font pas craindre de fac,on toutà fait serieuse qu'il encourt le risque, par son extradition, d'etresoumis à un deni flagrant de justice ou à des faits de torture ou detraitements inhumains ou degradants. Par l'ensemble des motifs qu'ilcomporte ainsi, l'arret apprecie egalement l'existence de risquesserieux de faits de traitements inhumains ou degradants et justifielegalement sa decision.
Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
Quant à la troisieme branche :
26. Le moyen, en cette branche, invoque que l'arret interpreteerronement la notion de deni flagrant de justice en decidant que cettenotion doit etre limitativement appliquee et qu'il implique uniquementles violations les plus graves du droit à un proces equitable ; ilressort des travaux parlementaires que cette notion doit s'entendreainsi que la Cour europeenne des Droits de l'Homme le developpe danssa jurisprudence ; ce n'est pas la notion de deni flagrant de justicequi est restrictive, mais bien les droits fondamentaux qui peuventconstituer une entrave à l'extradition.
27. Il ressort de la genese de la loi du 15 mai 2007 que l'existencede risques serieux de deni flagrant de justice implique que lapersonne extradee dans l'Etat requerant fera l'objet, à un certainniveau de probabilite, des violations les plus graves des articles 5et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, cela compte tenu de l'evolution de lajurisprudence de la Cour europeenne des Droits de l'Homme. Il ressortegalement de cette genese de la loi que, dans le developpement parcette Cour de la notion de deni flagrant de justice, l'accent est missur la necessite de depasser un seuil de gravite afin quel'extradition puisse etre refusee sur la base du risque de violationdes droits fondamentaux vises en l'espece.
Le moyen, en cette branche, qui est deduit de la premisse que lanotion de deni flagrant de justice constitue uniquement unerestriction du nombre des droits fondamentaux pouvant etre violes,mais sans se limiter aux violations les plus graves des articles 5 et6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, manque en droit.
Quant à la quatrieme branche :
28. Le moyen, en cette branche, invoque que l'arret ne pouvait deduiredes motifs generaux et theoriques qu'il comporte, qu'il n'existe enTurquie aucun risque serieux de deni flagrant de justice à l'egard dela personne du demandeur et qu'il ne mesure pas concretement cesrisques ; l'arret ne refute pas les elements precis avances par ledemandeur qui revelent ces risques encourus par sa personne etn'inclut pas ces elements dans son appreciation ; de meme, les motifsque l'arret enonce pour decider que la Turquie observe les articles 5et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, sont, en tant que tels, insuffisants ; l'arretocculte les rapports des droits de l'homme deposes par le demandeur etne tient nullement compte de la jurisprudence de la Cour europeennedes Droits de l'Homme ; par consequent, l'instruction faite parl'arret n'est pas conforme à l'article 2bis, alinea 2, de la loi du15 mars 1874.
29. Il appartient à la juridiction d'instruction d'examiner lesconditions generales de refus de l'existence d'un risque serieux dedeni flagrant de justice imposees par l'article 2bis, alinea 2, de laloi du 15 mars 1874 et de verifier, à cette fin, sur la base d'uneappreciation souveraine en fait, s'il existe une cause serieuse etprecise de laquelle il ressort qu'il est impossible de remplir cesconditions. La Cour examine uniquement si cette juridiction ne tirepas des faits qu'elle constate des consequences qui y sont etrangeresou qui ne peuvent etre admises sur cette base.
30. Par les motifs qu'il comporte, l'arret examine, à la lumiere descirconstances concretes et pertinentes s'il y a des raisons serieuseset precises dont il faut deduire que la Turquie soumettra le demandeurà un deni flagrant de justice et il decide que tel n'est pas le cas.
Par ailleurs, l'arret decide que les elements invoques par ledemandeur ne font pas craindre de fac,on tout à fait serieuse qu'ilencourt le risque, par son extradition, d'etre soumis à un deniflagrant de justice ou à des faits de traitements inhumains oudegradants. L'arret fait, partant, le lien entre, d'une part, lapersonne du demandeur et les elements qu'il invoque et, d'autre part,l'instruction visee.
L'arret qui se prononce ainsi, ne viole pas l'article 2bis, alinea 2,de la loi du 15 mars 1874, mais refute la defense du demandeur et estregulierement motive et legalement justifie, sans qu'il faille avoirdavantage egard aux arguments developpes par le demandeur à l'appuide sa defense, mais qui ne constituent pas une defense independante.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
31. Pour le surplus, le moyen, en cette branche, critiquel'appreciation souveraine des faits par l'arret et impose à la Courun examen des faits pour lequel elle est sans pouvoir.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
(...)
Par ces motifs,
* * La Cour
* Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles,ou siegeaient le president de section Paul Maffei, les conseillersBenoit Dejemeppe, Filip Van Volsem, Antoine Lievens et Erwin Francis,et prononce en audience publique du vingt-deux avril deux millequatorze par le president de section Paul Maffei, en presence del'avocat general suppleant Marc De Swaef, avec l'assistance dugreffier Frank Adriansen.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Gustave Steffens ettranscrite avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.
Le greffier, Le conseiller,
22 AVRIL 2014 P.14.0410.N/1