Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG S.12.0103.N
OFFICE NATIONAL DE SECURITE SOCIALE,
Me Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,
* * contre
ICARUS, a.s.b.l.
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
III. Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le16 fevrier 2012 par la cour du travail de Bruxelles, statuant entant que juridiction de renvoi à la suite de l'arret de la Cour du18 octobre 2010.
IV. Le conseiller Antoine Lievens a fait rapport.
V. L'avocat general Henri Vanderlinden a conclu.
VI. II. Le moyen de cassation
VII. Le demandeur presente un moyen libelle dans les termessuivants :
VIII. Dispositions legales violees
* articles 1er, 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978relative aux contrats de travail (...) ;
* articles 1er, S: 1er, alinea 1er, 5, 9 et 14 dela loi du 27 juin 1969 revisant l'arrete-loi du28 decembre 1944 concernant la securite socialedes travailleurs (...) ;
* articles 1er, 2, S: 1er, alinea 1er, 3 et 22,S: 1er, premier tiret, de la loi du 29 juin 1981etablissant les principes generaux de la securitesociale des travailleurs salaries (...) ;
* article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernantla protection de la remuneration destravailleurs, (...), tant dans la versionanterieure que dans la version posterieure à samodification par la loi du 22 mai 2001 et dans laversion anterieure à sa modification par la loidu 27 decembre 2004 ;
* article 17quinquies de l'arrete royal du28 novembre 1969 pris en execution de la loi du27 juin 1969 revisant l'arrete-loi du 28 decembre1944 concernant la securite sociale destravailleurs, (...), tel qu'il a ete insere parl'arrete royal du 19 novembre 2001.
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque reforme le jugement du premier juge et debouteentierement le demandeur de sa demande originaire introduite devantle tribunal du travail, par les considerations suivantes :
« 4.2. Ainsi, un des elements constitutifs de l'assujettissement auregime de la securite sociale des travailleurs est la remuneration(convenue) que le travailleur est en droit de reclamer à sonemployeur en vertu de son engagement.
Ainsi que le professeur De Vos l'expose dans son etude 'Loon naarBelgisch arbeidsovereenkomstenrecht' (p. 98 - 109, 136, 176 - 1820e.s.), les prestations de travail ne sont pas toutes necessairementfournies dans le cadre d'un contrat de travail, de sorte que laquestion de savoir s'il existe un contrat de travail et, encontrepartie, une remuneration doit etre examinee à la lumiere del'objectif et de la cause des prestations. En effet, un grand nombrede prestations de travail sont fournies en dehors d'un contrat detravail, telles notamment les prestations fournies dans le cadred'une convention de stage, d'un contrat d'apprentissage ou d'uncontrat de formation professionnelle, ou encore le travail executedans le cadre du benevolat, d'un contrat de placement au pair ou le'travail' de certains sportifs.
Suivant cet auteur, l'objectif ou la cause des prestations sontdeterminants pour apprecier la question de savoir si un travail ausens d'un contrat de travail existe (p.98). Il considere lacirconstance que le travailleur fournit le travail pour subvenir àses besoins comme l'objectif ou la cause des prestations : c'est lemotif primordial de la conclusion d'un contrat de travail. Il preciseau cours de son etude (p. 100) qu'(en regle), l'acquisition derevenus constitue le motif determinant de la conclusion d'un contratde travail.
L'auteur se refere à cet egard à deux arrets de la Cour decassation qui, certes, ont statue en application de la legislationsur le chomage sur la question de savoir si les allocations payees envertu d'un contrat d'apprentissage constituent un revenuprofessionnel (Cass., 18 juin 1990, Pas. 1990, nDEG 604, et lesconclusions de monsieur Lenaerts, alors avocat general, etCass., 29 octobre 1990, Pas. 1991, nDEG 116). Par son arret du18 juin 1990, la Cour a decide qu'il y a lieu d'entendre par revenuprofessionnel, le revenu dont une personne beneficie en raison del'exercice de sa profession et qu'une profession est une occupationsociale qui est source de revenus. Dans son avis, l'avocat generalLenaerts a releve que le travail execute dans le cadre d'un contratd'apprentissage a essentiellement pour objectif d'acquerir desconnaissances professionnelles qui, à l'avenir, permettront àl'apprenti de pourvoir à son entretien et non de subvenir à sesbesoins dans l'immediat. Il a ajoute que l'indemnite eventuellementstipulee par ce contrat doit etre consideree non comme lacontrepartie du travail fourni mais comme un encouragement à suivrela formation.
4.3. Si, de toute evidence, elle ne peut etre transposee en l'espece,la jurisprudence de la Cour de cassation citee ci-avant offre entout cas un cadre de reflexion utile à la distinction à fairenecessairement (ainsi que le professeur De Vos le releve) entre letravail execute dans le cadre d'un contrat de travail moyennant uneremuneration et le travail fourni dans d'autres circonstances dontl'indemnite n'est pas determinante pour l'execution de la 'prestationde travail' (mais qui, de nature, peut etre identique à celle quiest fournie dans le cadre d'un contrat de travail). Il estincontestable qu'outre le 'travail' execute dans le cadre duvolontariat reglemente (actuellement par la loi du 3 juillet 2005 relative aux droits des volontaires qui n'etait pas encore applicableau debut de la contestation), un grand 'eventail' d'activitesbenevoles existe dans le cadre des festivals de musique (commerciauxet non commerciaux), des manifestations sportives et autres activitesculturelles de diverses envergures. Au cours de ces activites, lesjeunes offrent souvent spontanement leur collaboration benevole dansle but de pouvoir en contrepartie participer gratuitement auxactivites, etablir des contacts ou accomplir des activites que sansces opportunites, ils n'accompliraient pas. Dans la pratique, cesbenevoles perc,oivent une indemnite en contrepartie de leursactivites des lors qu'ils ont gratuitement acces à un evenement.Souvent, et logiquement, cette indemnite est accompagnee de lapossibilite de se nourrir gratuitement au cours des activitesentreprises et, parfois, elle est accompagnee d'avantages materielsmodestes plutot symboliques.
Suivant (la cour du travail), il est contraire à la finalite duregime de securite sociale des travailleurs de soumettre cesactivites et les 'indemnites' ainsi obtenues aux cotisations, alorsque l'objectif des participants à ces activites est non d'acquerirdes revenus mais de consacrer leur temps libre à des activitesenrichissantes et qu'en raison du caractere accessoire de leurtravail, ils ne beneficieront pas d'avantages ou de peu d'avantagesen matiere de securite sociale.
4.4. De toute evidence, la cour du travail est consciente du fait quela distinction à faire entre le travail professionnel considerecomme execute dans le cadre d'un contrat de travail et le benevolatau sens large du terme, defini plus amplement ci-avant, est delicateet susceptible d'abus. En consequence, il y a lieu d'etablir danschaque dossier individuel le motif qui a determine le benevole àaccomplir les taches choisies : l'acquisition de revenus oul'amenagement de ses loisirs.
4.5. En l'espece, les 'benevoles' en question n'ont pas etesystematiquement interroges quant aux motifs de leur collaboration àl'organisation des evenements. Il ressort des declarations spontaneesde trois d'entre eux (monsieur D.C., madame V. et monsieur V.) qu'ence qui les concerne, cette collaboration constituait undivertissement, un passe-temps et une opportunite d'assistergratuitement à un concert. C'est le motif pour lequel monsieur D.C.a prefere travailler au sein de l'association sans but lucratif commebenevole et non comme agent de securite remunere.
Il ressort egalement de l'ensemble des declarations combien les 'bonspour activites' accordes ont peu d'importance. Un certain nombre despersonnes interrogees ignorent le fonctionnement du systeme et neconnaissent pas le nombre, la valeur ou la destination des bonsauxquels elles ont droit. Certaines personnes declarent meme ne pasfaire usage de ces bons des lors qu'elles ne sont pas interessees parles activites que l'association sans but lucratif organise (voyagesà l'etranger ou autres evenements).
Il ressort en outre de ces declarations que les bons ne sont pasmonnayables et doivent etre utilises au sein de l'association sansbut lucratif (à laquelle toutes les personnes interrogees sontaffiliees), soit par une participation aux activites, soit parl'achat de cd's ou de t-shirts reserves.
4.6. Il ressort d'autre part de l'examen des pieces produites quel'association sans but lucratif (la defenderesse) a manifestementdeveloppe une activite commerciale et n'est pas 'purement' sans butlucratif. Elle a consenti à se soumettre à l'impot des societes. Ilressort des pieces comptables produites (qu)'elle realise un chiffred'affaires important qui provient certainement d'activites autres quecelles qui font l'objet de la contestation en l'espece. Toutefois,cet element ne suffit pas en droit pour decider que l'occupationreleve d'un contrat de travail. En effet, ainsi qu'il a ete exposeci-avant, le critere decisif est le mobile determinant pour lequel lebenevole collabore avec l'association sans but lucratif, mobile qui,suivant la cour, n'est pas essentiellement l'acquisition de revenus.
Il ressort egalement de l'examen des pieces produites que, si elle aun objectif commercial important, l'association sans but lucratifrevet un caractere associatif qui est reel et ne sert pas uniquementde couverture à ses occupations commerciales. L'association sans butlucratif (la defenderesse) publie notamment un bulletin. Il ressortde la lecture des bulletins deposes que des 'activites associatives'sont organisees pour les membres, tels des voyages à l'etranger.Plusieurs personnes interrogees confirment ce fait.
4.7. Ainsi, (la cour du travail) arrive à la conclusion que letravail constate par les services de l'inspection sociale ne peutetre qualifie de travail execute dans le cadre d'un contrat detravail, des lors que les 'benevoles' ont prete leur collaborationaux activites non dans l'intention d'acquerir des revenus par cetravail mais essentiellement dans l'intention d'amenager leursloisirs. Les 'indemnites' liees à l'accomplissement de ces activitessont si modestes qu'elles ne s'opposent pas à la qualification debenevolat ».
Griefs
* 1. Conformement à son article 1er, S: 1er, la loidu 27 juin 1969 revisant l'arrete-loi du 28 decembre 1944 concernantla securite sociale des travailleurs est applicable aux travailleurset aux employeurs lies par un contrat de louage de travail (voirarticles 1er, S: 1er, et 2, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 29 juin1981 etablissant les principes generaux de la securite sociale destravailleurs salaries).
En vertu des articles 14 de la loi du 27 juin 1969 et 23 de la loi du29 juin 1981, les cotisations de securite sociale sont calculees surla base de la remuneration des travailleurs, telle qu'elle estdefinie à l'article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant laprotection de la remuneration des travailleurs, à savoir le salaireen especes et les avantages evaluables en argent auxquels letravailleur a droit à charge de l'employeur en raison de sonengagement.
2. Conformement aux articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978relative aux contrats de travail, le contrat de travail est lecontrat par lequel un travailleur s'engage à fournir un travail sousl'autorite d'un employeur moyennant une remuneration.
Ainsi, l'employeur est redevable des cotisations de securite socialeen raison de l'occupation d'un travailleur lie par un contrat detravail des que les trois elements constitutifs du contrat de travailsont reunis, à savoir le travail, la remuneration et le lien desubordination.
3. Il y a lieu de considerer comme un travail au sens de la loi du3 juillet 1978, le travail qu'un travailleur s'est engage par contratà fournir moyennant une remuneration et sous l'autorite d'unemployeur, independamment de l'importance de ce travail en temps eten volume ou de la modicite de l'indemnite.
Il est contraire à la notion de "travail" au sens de la loi du3 juillet 1978 de decider qu'un travail n'a pas ete fourni alorsqu'il est etabli qu'une indemnite a ete accordee en contrepartie desprestations fournies.
4. Bien qu'en regle, il soit l'objectif du travail au sens de la loidu 3 juillet 1978, l'objectif de pourvoir à son entretien, end'autres termes d'acquerir des revenus ou de gagner de l'argent, neconstitue pas un element necessaire de la notion de travail au sensprecite.
Ainsi, pour la qualification d'une prestation comme travail au sensde la loi du 3 juillet 1978, il importe peu que la prestation visel'acquisition de revenus. Il suffit qu'elle soit fournie moyennantune remuneration et sous l'autorite d'un employeur, independamment dela cause ou des motifs de la prestation. En d'autres termes, desmotifs subjectifs ne peuvent determiner si la loi du 27 juin 1969,dont les dispositions sont d'ordre public, à tout le moins, de droitimperatif, est applicable.
Ainsi, le benevolat exerce pendant son temps libre et ne visant pasl'acquisition de revenus doit etre considere comme un travail au sensde la loi du 3 juillet 1978 des qu'il est compense par une indemniteet est exerce sous l'autorite d'un employeur, independamment du faitqu'il est accessoire en temps et en volume et que l'indemniteaccordee est modeste.
Meme modeste, l'indemnite constitue la remuneration à laquelle letravailleur a droit à charge de l'employeur en raison de sonengagement (article 2 de la loi du 12 avril 1965).
5. Il s'ensuit que, premiere branche, l'arret attaque n'a pas decidelegalement que le travail constate par les services de l'inspectionsociale ne peut etre qualifie de travail execute dans le cadre d'uncontrat de travail, des lors que les benevoles ont prete leurcollaboration aux activites non dans l'intention d'acquerir desrevenus par ce travail mais essentiellement dans l'intentiond'amenager leurs loisirs et que les 'indemnites' liees àl'accomplissement de ces activites sont si modestes qu'elles nes'opposent pas à la qualification de benevolat (violation desarticles 1er, 2, 3 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contratsde travail, 1er, S: 1er, alinea 1er, 14 de la loi du 27 juin 1969revisant l'arrete-loi du 28 decembre 1944 concernant la securitesociale des travailleurs, 1er, 2, S: 1er, alinea 1er, de la loi du29 juin 1981 etablissant les principes generaux de la securitesociale des travailleurs salaries et 2 de la loi du 12 avril 1965concernant la protection de la remuneration des travailleurs).
(...)
III. La decision de la Cour
IX. X. Quant à la premiere branche :
XI. XII. Sur la recevabilite :
1. La defenderesse oppose au moyen, en cette branche, une fin denon-recevoir deduite de ce que la decision de l'arret est legalementjustifiee par la constatation, non contestee, du defaut d'un deselements constitutifs du contrat de travail, à savoir laremuneration convenue, de sorte que le moyen est denue d'interet.
2. Il ne peut etre deduit d'aucun de ses motifs que l'arretconsidere que les benevoles et la defenderesse n'ont pas convenud'une remuneration en contrepartie du travail.
* La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.
* Sur le fondement :
* 3. Conformement aux articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet1978, le contrat de travail est le contrat par lequel untravailleur s'engage à fournir un travail moyennant uneremuneration et sous l'autorite d'un employeur.
4. Il y a lieu de considerer comme un travail au sens de la loi du3 juillet 1978, le travail qu'un travailleur s'est engage parcontrat à fournir moyennant une remuneration et sous l'autorited'un employeur, independamment de la modicite de la remuneration etdu fait que ce travail est fourni pendant son temps libre et sansviser l'acquisition de revenus.
5. L'arret qui decide que le travail constate ne peut etre qualifiede travail execute dans le cadre d'un contrat de travail, des lorsque les « benevoles » ont prete leur collaboration aux activitesnon dans l'intention d'acquerir des revenus par ce travail maisessentiellement dans l'intention d'amenager leurs loisirs et que les« indemnites » liees à l'accomplissement de ces activites sont simodestes qu'elles ne s'opposent pas à la qualification debenevolat, viole les articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978relative aux contrats de travail.
* Le moyen, en cette branche, est fonde.
* Par ces motifs,
* * La Cour
* * Casse l'arret attaque ;
* Ordonne que mention du present arret sera faite en marge del'arret casse ;
* Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par lejuge du fond ;
* Renvoie la cause devant la cour du travail de Gand.
* Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, àBruxelles, ou siegeaient le president Christian Storck, lesconseillers Alain Smetryns, Koen Mestdagh, Mireille Delange etAntoine Lievens, et prononce en audience publique du dix marsdeux mille quatorze par le president Christian Storck, enpresence de l'avocat general Henri Vanderlinden, avecl'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
* Traduction etablie sous le controle du conseiller Michel Lemalet transcrite avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
Le greffier, Le conseiller,
10 mars 2014 S.12.0103.N/1