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06/03/2014 | BELGIQUE | N°C.12.0184.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 mars 2014, C.12.0184.N


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.12.0184.N

A. J.,

Me Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation,

contre

D. V. E.

I. la procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 6 mai 2010 parla cour d'appel de Gand.

Le conseiller Koen Mestdagh a fait rapport.

L'avocat general Andre Van Ingelgem a conclu.

II. le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitut

ion coordonnee le 17 fevrier 1994 ;

- article 301 nouveau du Code civil.

Decisions et motifs critiques

L'arret attaque declare l'...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.12.0184.N

A. J.,

Me Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation,

contre

D. V. E.

I. la procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 6 mai 2010 parla cour d'appel de Gand.

Le conseiller Koen Mestdagh a fait rapport.

L'avocat general Andre Van Ingelgem a conclu.

II. le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution coordonnee le 17 fevrier 1994 ;

- article 301 nouveau du Code civil.

Decisions et motifs critiques

L'arret attaque declare l'appel principal du defendeur recevable et fonde,declare l'appel incident de la demanderesse recevable mais non fonde etreforme le jugement dont appel dans la mesure ou il accorde une pensionalimentaire apres divorce à la demanderesse.

Statuant à nouveau, l'arret attaque dit pour droit que le defendeur n'estredevable d'aucune pension alimentaire apres divorce à la demanderesse,confirme le jugement dont appel pour le surplus dans les limites desappels, condamne chaque partie à ses propres depens d'appel sansliquidation utile et compense les indemnites de procedure entre lesparties.

Quant à l'etat de besoin et à la degradation importante de la situationeconomique, l'arret attaque decide que :

« 2. La demanderesse soutient que le mariage a provoque une degradationsignificative et que, pour satisfaire à la carriere et aux ambitions dudefendeur, elle a opte pour une carriere d'huissier de justice afin depouvoir organiser parfaitement la vie de famille, mais que ses revenussont limites et qu'il est tres difficile pour elle d'etre nommee. Ellecraint aussi d'avoir moins de travail et moins de revenus tant qu'ellen'est pas nommee.

Tout d'abord, la demanderesse ne demontre pas de degradation de sasituation economique, lorsqu'elle s'est mariee en 2001. Elle etait alorsagee de trente ans.

La demanderesse ne prouve pas que son choix professionnel a influence sacapacite de gain, ni qu'elle a du abandonner une situation economiquementplus favorable, ni que ce choix a ete necessairement cause par le mariage.

Rien n'indique davantage que la demanderesse ne pouvait exercer safonction à temps plein en raison des necessites de la vie familiale. Aucontraire, elle dit qu'elle devait travailler dur et prester de nombreusesheures.

Une degradation significative de sa situation economique en raison oupendant la duree du mariage n'existe pas sur la base de ces elements etn'est pas etablie.

Une difficulte eventuelle de nomination ne constitue pas un elementcertain qui doit etre pris en consideration. Cela vaut aussi pour d'autresdeveloppements futurs quant aux revenus ou la crainte d'une baisse derevenus. La cour peut uniquement se baser sur des elements concretsexistants et pas sur une evolution eventuelle et des hypotheses.

3. La demanderesse soutient que, outre la degradation au moment du mariagequi n'est pas etablie, elle a aussi connu une degradation significative desa situation economique à la suite de la rupture de la relation.

On peut uniquement retenir de l'inegalite de revenus constatee ci-dessusque la demanderesse est, en principe, beneficiaire de la pension en tantque personne dont les revenus sont les moins eleves, de sorte qu'il y alieu d'examiner si une pension alimentaire doit lui etre accordee sur labase des criteres legaux applicables à l'evaluation d'une telle pension.

Une inegalite dans les revenus n'est, en soi, pas suffisante pour accorderune pension alimentaire apres divorce. Une telle pension alimentaire neconstitue pas un moyen pour mettre fin à l'inegalite des revenus.

Le maintien d'un niveau de vie equivalent à celui existant pendant lacohabitation n'est plus le critere de reference. Le legislateur a, enoutre, limite la solidarite apres le divorce et met en avantl'independance economique. La pension alimentaire n'a plus non plus defonction indemnitaire.

En outre, les parties ont adopte lors de leur mariage le regime de laseparation de biens. Cela impliquait que leurs revenus restaient propreset que chacun contribuait aux charges du mariage par priorite et selon sesfacultes, jour apres jour en etant dispense de tout decompte, meme en casde dissolution du mariage.

Si, au cours du mariage, le defendeur a, selon ses facultes, contribuedavantage aux frais de logement, d'organisation, d'equipement, devehicules et autres, et si l'intime a pris en compte fiscalement certainesde ces depenses et frais d'ordre professionnel, cette solidarite prend finà la suite de la dissolution du mariage.

La disparition des avantages resultant de ce surplus de revenus dudefendeur ne constitue pas, en soi, un motif suffisant pour accorder unepension alimentaire apres divorce.

Il ne suffit nullement de faire d'un point de depart theorique un droitexecutoire et notamment de reclamer 1/3 des revenus de l'ex-epoux gagnantle plus pendant une periode maximale egale à celle du mariage, sansprouver que les besoins propres ne peuvent etre au moins couverts par desrevenus propres et sans prouver une degradation significative de lasituation economique.

Conclusion

En produisant les elements concernant les revenus de son emploi à tempsplein de candidat-huissier de justice, accompli sans interruption durantdes annees, la demanderesse ne demontre pas qu'elle ne peut pas, au moins,couvrir ses besoins et, en outre, que son choix professionnel a cause unedegradation significative de sa situation economique au cours du mariage,ni que son choix professionnel aurait ete determine ou limite par sonmariage ou qu'il aurait limite les possibilites de beneficier de revenussuperieurs.

Il ressort des operations de liquidation et de partage que lademanderesse souhaitait reprendre l'appartement des parties. Il ressorttoutefois des debats devant la cour que l'appartement a depuis ete vendu.

Se fondant sur les criteres legaux en vigueur et sur les elements concretsprecites la cour conclut qu'aucune pension alimentaire apres divorce n'estdue à la demanderesse ».

Griefs

Premiere branche

Violation des articles 149 de la Constitution et 301 nouveau du Codecivil.

En vertu de l'article 301, S: 3, alineas 1er et 2, nouveau du Code civil,le tribunal fixe le montant de la pension alimentaire qui doit couvrir aumoins l'etat de besoin du beneficiaire. Il tient compte des revenus etpossibilites des conjoints et de la degradation significative de lasituation economique du beneficiaire. Pour apprecier cette degradation, lejuge se fonde notamment sur la duree du mariage, l'age des parties, leurcomportement durant le mariage quant à l'organisation de leurs besoins,la charge des enfants pendant la vie commune ou apres celle-ci.

Le point de depart est que la pension alimentaire apres divorce doitcouvrir au moins l'etat de besoin du beneficiaire. C'est une normeminimale. La pension peut etre fixee à un montant superieur en fonctionde la degradation significative de la situation economique dubeneficiaire.

Afin de fixer le montant de la pension alimentaire apres divorce, le jugedoit des lors tenir compte, non seulement de la degradation de lasituation economique du beneficiaire qui resulte des choix operes par lesepoux au cours de la vie commune, mais aussi de la degradationsignificative de sa situation economique due au divorce.

Il s'ensuit que la possibilite d'accorder une pension superieure à cellequi est necessaire pour couvrir l'etat de besoin existe non seulement sila capacite de gain du beneficiaire a diminue en raison du mariage maisaussi lorsque le divorce cause une degradation significative sans perte decapacite de gain.

Pour apprecier cette degradation, le niveau de vie de reference est celuiqui existait au moment de la cohabitation conjugale.

La notion de « degradation » requiert qu'une comparaison soit faiteentre deux situations.

S'agissant de la degradation significative de la situation economique enraison du divorce, il y a lieu de comparer la situation economiqueeffective du beneficiaire apres le divorce et sa situation economiquemoyenne au cours du mariage avec le debiteur de la pension. Il estdeterminant, pour qu'une pension superieure à la norme minimale soitaccordee, que le beneficiaire se retrouve dans une situation financieresignificativement plus mauvaise que celle existant au moment du mariage.

Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse a invoque expressement que :« La famille V.E.D. et J.A. disposait au cours du mariage d'un revenumensuel net de 7.907 euros de l'epoux. J.A. exerc,ait une activitecomplementaire en tant qu'huissier de justice independant mais son statutetait douteux et precaire. J.A. dependait des revenus mensuels de V.E.D.Cela valait tant pour sa famille que pour elle. Ses revenus mensuelss'elevaient à 2.400 euros au plus de sorte que le divorce a entraine unedegradation significative de sa situation economique.

La demanderesse faisait ainsi valoir que son etat de besoin devait etredetermine par rapport à son niveau de vie au cours de la cohabitationconjugale, qui pouvait etre determine in concreto sur la base d'uneanalyse de l'ensemble des revenus annuels du menage.

1.4. L'arret attaque apprecie la degradation significative de la situationeconomique due au divorce et decide, en substance, que :

- l'inegalite des revenus ne suffit pas pour accorder une pension apresdivorce ;

- le maintien d'un niveau de vie equivalent à celui qui existait au coursdu mariage n'est plus la reference standard ;

- si, au cours du mariage, le defendeur a selon ses facultes contribuedavantage aux frais de logement, d'organisation, d'equipement, devehicules et autres, et si l'intime a pris en compte fiscalement cesdepenses et frais d'ordre professionnel, cette solidarite prend fin à lasuite de la dissolution du mariage ;

- la disparition des avantages resultant de ce surplus de revenus dudefendeur ne constitue, en soi, pas un motif suffisant pour accorder unepension alimentaire apres divorce ;

- il ne suffit nullement de faire d'un point de depart theorique un droitexecutoire et notamment de reclamer 1/3 des revenus de l'ex-epoux gagnantle plus pendant une periode maximale egale au mariage, sans prouver queles besoins propres ne peuvent etre couverts par des revenus propres etsans prouver une degradation significative de la situation economique.

En se limitant ainsi à des considerations generales, sans determinerl'etat de besoin de la demanderesse par rapport au niveau de vie au coursde la communaute conjugale, l'arret n'a pas repondu au moyen precite desconclusions d'appel de la demanderesse dans lesquelles elle demontrait sonetat de besoin par rapport à l'ensemble des revenus annuels du menage aucours du mariage.

A defaut de reponse à ce moyen, l'arret n'est pas regulierement motive etil viole l'article 149 de la Constitution obligeant le juge à repondreaux moyens regulierement presentes par les parties.

En outre, l'arret attaque est fonde sur des premisses erronees lorsqu'ildecide, dans le cadre de l'appreciation de la degradation significative dela situation economique en raison du divorce, que le maintien d'un niveaude vie equivalant à celui qui existait au cours de la cohabitation neserait plus la reference standard et que la solidarite au sens preciteaurait pris fin en raison de la dissolution du mariage.

Comme il a ete dit precedemment, la reference standard par rapport àlaquelle la degradation significative de la situation economique en raisondu divorce doit etre appreciee est precisement le niveau de vie quiexistait au cours du mariage.

Les ex-epoux qui ont adopte le regime de la separation de biens lors deleur mariage ont egalement droit à une pension alimentaire apres divorceau sens de l'article 301 nouveau du Code civil qui prevoit precisement unesolidarite de base apres le mariage.

L'arret attaque fait ainsi une application erronee de l'article 301 duCode civil et viole cette disposition legale.

Il ne ressort nullement de ses constatations que l'arret attaque aapprecie l'etat de besoin de la demanderesse, et plus particulierement ladegradation significative de sa situation economique en raison du divorce,sur la base du niveau de vie existant au cours de la cohabitationconjugale.

L'arret n'a examine ni s'il existait une difference entre la situationeconomique de la demanderesse apres le divorce et au cours du mariage nisi cette difference a cause une degradation economique tellementsignificative qu'elle devait etre prise en consideration pour etrecompensee par l'octroi d'une pension apres divorce.

Il s'ensuit que l'arret attaque n'a pu decider legalement que la preuved'une degradation significative de la situation economique n'est pasapportee, sans determiner l'etat de besoin de la demanderesse par rapportau niveau de vie au cours de la cohabitation conjugale et donc proceder àcette comparaison et examiner si sa situation financiere etaitsignificativement plus mauvaise que durant le mariage (violation del'article 301 du Code civil).

(...)

III. la decision de la cour

Quant à la premiere branche :

1. L'arret decide, tout d'abord, que l'appreciation de la degradationsignificative de la situation economique implique une comparaison entre,d'une part, la situation economique effective du beneficiaire au moment dudivorce et, d'autre part, la situation economique qui aurait ete celle dubeneficiaire s'il n'avait pas fait les choix qui ont influence sa capacitede gain au cours ou en raison du mariage avec le debiteur de la pension.

Il decide, en outre, qu'une telle degradation significative de lasituation economique en raison ou au cours du mariage n'existe pas etn'est pas prouvee sur la base d'elements concrets existants.

Par ces motifs et ceux reproduits par le moyen, en cette branche, sous lenumero 1.4, l'arret rejette et repond au moyen de defense vise par lemoyen.

Dans la mesure ou le moyen, en cette branche, invoque un defaut demotivation, il manque en fait.

2. Pour le surplus, l'article 301, S: 3, alineas 1er et 2, du Code civildispose que le tribunal fixe le montant de la pension alimentaire qui doitcouvrir au moins l'etat de besoin du beneficiaire.

Il tient compte des revenus et possibilites des conjoints et de ladegradation significative de la situation economique du beneficiaire. Pourapprecier cette degradation, le juge se fonde notamment sur la duree dumariage, l'age des parties, leur comportement durant le mariage quant àl'organisation de leurs besoins, la charge des enfants pendant la viecommune ou apres celle-ci.

Il suit de ces dispositions que, pour fixer le montant de la pensionalimentaire apres divorce, le juge peut tenir compte non seulement de ladegradation de la situation economique du beneficiaire resultant des choixoperes par les epoux durant la vie commune mais aussi de la degradationsignificative de sa situation economique en raison du divorce lorsque desraisons particulieres existent à cet egard comme la tres longue duree dumariage ou l'age avance du beneficiaire.

3. Le moyen qui, en cette branche, suppose que lors de la determination dela pension alimentaire apres divorce le juge est tenu de tenir compte dela degradation significative de la situation economique qui resulte dudivorce, de sorte que l'etat de besoin du beneficiaire de la pension doitetre determine sur la base du niveau de vie existant au cours de lacohabitation conjugale, est fonde sur un soutenement juridique errone.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, manque en droit.

(...)

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Eric Dirix, les conseillers AlainSmetryns, Koen Mestdagh, Geert Jocque et Bart Wylleman, et prononce enaudience publique du six mars deux mille quatorze par le president desection Eric Dirix, en presence de l'avocat general Andre Van Ingelgem,avec l'assistance du greffier Johan Pafenols.

Traduction etablie sous le controle du conseiller Mireille Delange ettranscrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

Le greffier, Le conseiller,

6 mars 2014 C.12.0184.N/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.12.0184.N
Date de la décision : 06/03/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-03-06;c.12.0184.n ?
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