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21/02/2014 | BELGIQUE | N°C.13.0325.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 21 février 2014, C.13.0325.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

2998



NDEG C.13.0325.F

J.-L. C.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

P. B.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourv

oi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 27 fevrier 2013par la cour d'appel de Mons.

Le conseiller Michel Lemal a fait...

Cour de cassation de Belgique

Arret

2998

NDEG C.13.0325.F

J.-L. C.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

P. B.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 27 fevrier 2013par la cour d'appel de Mons.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation

Le demandeur presente deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

* article 31 du Code des societes ;

* articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil.

Decisions et motifs critiques

L'arret dit les appels principal et incident recevables mais seul l'appelprincipal fonde. Il met à neant le jugement du premier juge et, statuantà nouveau, dit que le contrat intervenu entre les parties est un contratde societe et, par consequent, dit la demande originaire recevable maisnon fondee, deboute le demandeur de son appel incident, dit la demandenouvelle recevable mais non fondee et condamne le demandeur aux depens desdeux instances.

Ces decisions sont fondees sur les motifs suivants :

L'arret constate tout d'abord que le demandeur et le defendeur ont signele 11 decembre 2008 une convention intitulee « Reconnaissance deversement » qui prevoit ce qui suit :

« (Le defendeur) reconnait avoir rec,u du (demandeur) la somme de unmillion quatre cent mille euros (1.400.000 euros) versee en deux fois :

- trois cent mille euros (300.000 euros) le 10 octobre 2008 ;

- un million cent mille euros (1.100.000 euros) le 10 decembre 2008 sur lecompte courant que (le defendeur) detient à la banque KBC contre uneprise de participation au portefeuille boursier detenu aupres de la BanqueBinckbank au nom du (defendeur), reference compte 507193.

Les parties en presence sont tombees d'accord sur une participationrespective de 40 p.c. du portefeuille pour (le demandeur) et 60 p.c. duportefeuille pour (le defendeur).

Ce pourcentage a ete obtenu par la valorisation du portefeuille boursiercalculee sur la base moyenne 60 jours du cours des actions à la date du20 novembre 2008, soit une valorisation de deux millions cent mille euros(2.100.000 euros) auquel on a ajoute le versement apporte par (ledemandeur) de un million quatre cent mille euros (1.400.000 euros).

A la valeur du jour (10 decembre 2008), le montant total du portefeuillese monte donc à 1.876.944 + 1.100.000 (=) 2.976.944 euros (deux millionsneuf cent soixante-seize mille neuf cent quarante-quatre euros), soit pourchacun :

- 60 p.c., soit un million sept cent quatre-vingt-six mille centsoixante-six euros (1.786.166 euros) pour la part (du defendeur) et

- 40 p.c., soit un million cent quatre-vingt-dix mille sept centsoixante-dix-huit euros (1.190.778 euros) pour la part (du demandeur).

Il n'est pas prevu de remboursement, autre qu'un versement annuel auprorata des participations, dont le montant sera defini de commun accordpour les deux parties.

Toutefois, si une partie souhaite se retirer du portefeuille, cela nepourra se faire qu'avec un etalement du remboursement avec un maximum d'unan à dater de la demande ».

L'arret decide ensuite que la convention conclue entre le demandeur et ledefendeur doit etre qualifiee de contrat de societe.

L'arret en deduit ce qui suit :

« 3. Quant aux relations entre les associes, elles sont decrites auxarticles 22 et suivants du Code des societes.

Il ne resulte pas de la convention des parties qu'elles aient expressementimpose des regles d'administration de la societe. En ce cas, à defaut destipulations speciales sur le mode d'administration, la loi dispose queles associes sont censes s'etre donne reciproquement le pouvoird'administrer l'un pour l'autre. Ce que chacun fait est valable meme pourla part de ses associes, sans qu'il ait pris leur consentement ; sauf ledroit qu'ont ces derniers, ou l'un d'eux, de s'opposer à l'operationavant qu'elle soit conclue.

Dans la realite, il n'est pas conteste que c'est bien (le defendeur) quiprenait les options et positions, sans qu'il ne soit demontre par (ledemandeur) qu'il s'en serait d'une quelconque maniere desolidarise :jamais, au cours de la relation des parties, aucune opposition du(demandeur) ne s'est manifestee.

4. De meme, aucune opposition ou critique n'a ete formulee par ce dernierlors du reglement des comptes.

Une telle operation est autorisee en droit des societes. L'article 31 duCode des societes permet aux associes d'une societe de droit commun delaisser l'un des leurs fixer les parts respectives dans les benefices etles pertes : `Si les associes sont convenus de s'en rapporter à l'und'eux ou à un tiers pour le reglement des parts, ce reglement ne peutetre attaque s'il n'est evidemment contraire à l'equite. Nullereclamation n'est admise à ce sujet, s'il s'est ecoule plus de trois moisdepuis que la partie qui se pretend lesee a eu connaissance du reglement,ou si ce reglement a rec,u de sa part un commencement d'execution'.

Or cette operation de sortie du portefeuille et de reglement des comptes adure au moins sept mois, puisque (le demandeur) remet sa lettre le 15fevrier 2010 et approuve le reglement le 24 septembre 2010.

En effet, en homme d'affaires experimente et avise, il ecrit le

25 septembre 2010 : `Je soussigne (nom du demandeur) reconnait apresverification du portefeuille avoir rec,u le cheque d'un montant de1.508.483 euros correspondant à la liquidation de ma part du portefeuilledetenu en commun avec (le defendeur)' [...]. Il signe en outre ledecompte en annexe.

Il n'a introduit aucune reclamation à ce moment-là, dans le delai legalde trois mois.

5. De meme, lorsque (le defendeur) reprend les comptes - c'est-à-direprecisement à l'issue du delai d'un an prevu dans la convention du

11 decembre 2008 en cas de sortie d'une partie -, ni (le demandeur) nison avocat n'emettent aucune reserve sur le decompte definitif propose parle (defendeur).

En tant qu'homme averti et conseille precisement sur ce point, (ledemandeur) ne pouvait ignorer la portee de son approbation sur la methodede calcul le 6 mars 2011, approbation sans la moindre reserve. Il n'ad'ailleurs plus jamais reagi, ni à la suite de ce courriel, ni lors dupaiement des sommes le 14 mars 2011.

Dans ce contexte, l'introduction de reclamations par citation signifiee le9 septembre 2011, soit plus de six mois apres le reglement definitif ducompte, est tardive et (le demandeur) n'etait pas fonde à reclamer lesdocuments demandes devant le premier juge. A titre surabondant, la cour[d'appel] observe qu'ayant ete mis en possession des documentssollicites, il n'emet aucune critique quant aux positions prises par (ledefendeur) pour le portefeuille commun.

Le jugement entrepris doit etre reforme et l'appel incident n'est pasfonde ».

Griefs

Premiere branche

1. L'article 31 du Code des societes dispose :

« Si les associes sont convenus de s'en rapporter à l'un d'eux ou à untiers pour le reglement des parts, ce reglement ne peut etre attaque s'iln'est evidemment contraire à l'equite.

Nulle reclamation n'est admise à ce sujet, s'il s'est ecoule plus detrois mois depuis que la partie qui se pretend lesee a eu connaissance dureglement, ou si ce reglement a rec,u de sa part un commencementd'execution ».

2. Le delai de prescription de trois mois prevu par cette disposition nes'applique qu'à l'egard des reclamations formees à l'encontre de ladecision de la partie ou du tiers auquel les associes sont convenus des'en rapporter pour le reglement des parts, c'est-à-dire pour la fixationde la part de chaque associe dans les benefices et les pertes engendrespar la societe.

Ce delai de prescription n'est donc pas applicable aux reclamationsformees contre le reglement des comptes effectue lors de la dissolution dela societe lorsque la part de chaque associe resulte directement ducontrat de societe.

3. Par les motifs reproduits en tete du moyen, l'arret ne constate pasque, dans leur convention du 11 decembre 2008 qu'il qualifie de societe,les parties seraient convenues de s'en remettre à l'une d'elles ou à untiers pour le reglement des parts.

Au contraire, l'arret constate que, selon les termes de cette convention,« les parties en presence sont tombees d'accord sur une participationrespective de 40 p.c. du portefeuille pour (le demandeur) et 60 p.c. duportefeuille pour (le defendeur) », fixant ainsi directement la part dechaque associe.

L'article 31 du Code des societes n'est donc pas applicable dans une tellehypothese.

4. Par les motifs reproduits en tete du moyen, l'arret declare tardive lareclamation formee par le demandeur plus de sept mois apres avoir notifieson intention de se desengager du portefeuille commun et plus de six moisapres le reglement definitif des comptes, et rejette par consequent lesdemandes formees par le demandeur.

En appliquant à ces demandes le delai de prescription de l'article 31 duCode des societes alors que celui-ci n'etait pas applicable en l'espece,l'arret viole cette disposition.

Seconde branche

Si l'arret doit etre interprete comme considerant que, par leur conventiondu 11 decembre 2008, les parties sont convenues de s'en remettre audefendeur pour fixer la part de chaque associe dans les benefices etpertes de la societe, alors il lit dans cette convention une affirmationqui ne s'y trouve pas et refuse d'y lire le reglement des parts qui s'ytrouve - à savoir 40 p.c. en faveur du demandeur et 60 p.c. en faveur dudefendeur -, donne, des lors, de cette convention une interpretationinconciliable avec ses termes et meconnait, partant, la foi qui lui estdue (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

Second moyen

Disposition legale violee

Article 149 de la Constitution

Decisions et motifs critiques

L'arret dit les appels principal et incident recevables mais seul l'appelprincipal fonde. Il met à neant le jugement du premier juge et, statuantà nouveau, dit que le contrat intervenu entre les parties est un contratde societe et, par consequent, dit la demande originaire recevable maisnon fondee, deboute le demandeur de son appel incident, dit la demandenouvelle recevable mais non fondee et condamne le demandeur aux depens desdeux instances.

Ces decisions sont fondees sur l'ensemble des motifs reproduits au premiermoyen, tenus pour etre ici expressement reproduits.

Griefs

1. Dans ses conclusions de synthese d'appel, le demandeur faisait valoirce qui suit :

« Que, tout au long de ses conclusions, l'on peut remarquer que (ledefendeur) se retranche sur une pseudo-acceptation des comptes par le(demandeur) ;

Que l'acceptation pretendue de `comptes' par le (demandeur) ne pourraitetre consideree comme valablement consentie des lors que l'ensemble deceux-ci ne lui ont pas ete presentes, mis à part un vague tableau Excelemanant (du defendeur), et certainement pas les mouvements du compteBinckBanck, seules pieces pouvant justifier un accord reel et non vicie ;

Qu'à ce propos, le tribunal de premiere instance a justement souligne que`l'examen scrupuleux des ecrits rediges par le demandeur ne permet pas deconclure qu'il ait entendu, par là, donner une decharge definitive,exclusive de toute responsabilite, au defendeur, d'autant que le demandeurs'est retrouve, dit-il, du jour au lendemain dans un urgent besoin et quele defendeur n'acceptait de liberer les fonds qui revenaient au demandeurque moyennant redaction des documents qu'il exigeait ».

2. Par aucun motif l'arret ne repond à ce moyen par lequel le demandeurfaisait valoir que l'approbation qu'il a donnee aux decomptes presentespar le defendeur ne pouvait etre prise en consideration, n'ayant pas etedonnee de maniere libre et eclairee.

Il suit de ce defaut de reponse que, s'il doit etre interprete commefondant sa decision sur le fait qu'independamment du delai de prescriptionprevu à l'article 31 du Code des societes, le demandeur ne pouvait plusintroduire de reclamation apres avoir approuve sans reserve les decomptespresentes par le defendeur, l'arret n'est pas regulierement motive etviole, partant, l'article 149 de la Constitution.

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la premiere branche :

En vertu de l'article 31 du Code des societes, si les associes sontconvenus de s'en rapporter à l'un d'eux ou à un tiers pour le reglementdes parts, ce reglement ne peut etre attaque s'il n'est evidemmentcontraire à l'equite et nulle reclamation n'est admise à ce sujet, s'ils'est ecoule plus de trois mois depuis que la partie qui se pretend leseea eu connaissance du reglement, ou si ce reglement a rec,u de sa part uncommencement d'execution.

Lorsque, posterieurement à la constitution de la societe, les associesconviennent, par derogation aux stipulations du contrat de societe, des'en rapporter à l'un d'entre eux pour le reglement des parts, lesreclamations contre ce reglement sont soumises aux restrictions del'article 31 precite.

L'arret considere que le contrat liant les parties constitue un contrat desociete et que cette societe a ete dissoute par la renonciation dudemandeur notifiee par lettre du 15 fevrier 2010.

Il ressort des enonciations de l'arret reproduites au moyen, en cettebranche, que celui-ci considere qu'il existait un accord entre les partiespour s'en rapporter au defendeur pour le reglement des parts et deduit cetaccord de la circonstance que, posterieurement à la dissolution de lasociete, le premier reglement des comptes auquel le defendeur a procede aete expressement approuve par le demandeur le 24 septembre 2010 et que ledecompte definitif etabli par le defendeur à l'issue du delai d'un anprevu dans la convention du 11 decembre 2008 a ete tacitement approuve parle demandeur, qui n'a emis aucune reserve tant lors de la presentation dece decompte que lors du paiement des sommes complementaires lui revenant.

L'arret, qui considere qu'aucune reclamation contre le premier decompten'a ete introduite dans le delai de trois mois prevu à l'article 31 duCode des societes et que les reclamations ont ete introduites par« citation signifiee le 9 septembre 2011, soit plus de six mois apres lereglement definitif du compte », justifie legalement sa decision que cesreclamations sont tardives et que la demande de production de pieces dudemandeur n'est pas fondee.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la deuxieme branche :

Il resulte de la reponse à la premiere branche du moyen que l'arret nefonde pas sa decision que les parties sont convenues de s'en rapporter audefendeur pour le reglement des parts sur le document du 11 decembre 2008.Des lors, il n'a pu violer la foi qui lui est due.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Sur le second moyen :

L'arret considere qu' « en homme d'affaires experimente et avise, [ledemandeur] a ecrit le 25 septembre 2010 : `Je soussigne [...] reconnaisapres verification du portefeuille avoir rec,u le cheque d'un montant de1.508.483 euros correspondant à la liquidation de ma part du portefeuilledetenu en commun avec [le defendeur]' », qu' « il signe en outre ledecompte en annexe », que, « de meme, lorsque [le defendeur] reprend lescomptes - c'est-à-dire precisement à l'issue du delai d'un an prevu dansla convention du

11 decembre 2008 en cas de sortie d'une partie -, ni [le demandeur] ni sonavocat n'emettent de reserve sur le decompte definitif propose par [ledefendeur] », qu' « en tant qu'homme averti et conseille precisement surce point, [le demandeur] ne pouvait ignorer la portee de son approbationsur la methode de calcul le 6 mars 2011, approbation sans la moindrereserve », et qu' « il n'a d'ailleurs plus jamais reagi, ni à la suitede ce courriel, ni lors du paiement des sommes le 14 mars 2011 ».

Par ces considerations, l'arret repond, en les contredisant, auxconclusions du demandeur, visees au moyen, faisant valoir que sonapprobation des comptes presentes par le defendeur ne pouvait etre priseen consideration, faute d'avoir ete donnee de maniere libre et eclairee.

Le moyen manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux depens.

Les depens taxes à la somme de huit cent cinquante-neuf eurosquatre-vingt-huit centimes envers la partie demanderesse et à la somme dedeux cent soixante-huit euros nonante-cinq centimes envers la partiedefenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononce enaudience publique du vingt et un fevrier deux mille quatorze par lepresident Christian Storck, en presence de l'avocat general ThierryWerquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|-----------------+----------------+-------------|
| M. Delange | D. Batsele | Chr. Storck |
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21 fevrier 2014 C.13.0325.F/12


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.13.0325.F
Date de la décision : 21/02/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 21/03/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-02-21;c.13.0325.f ?
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