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14/02/2014 | BELGIQUE | N°C.12.0460.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 14 février 2014, C.12.0460.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

5192



NDEG C.12.0460.F

1. A. F.,

2. F. V. W. et

3. N. R.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

INTERCOMMUNALE NAMUROISE DE SERVICES PUBLICS, societe cooperative àresponsabilite limitee dont le siege social est etabli à Namur (Naninne),rue des Viaux, 1b,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre M

ichele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election...

Cour de cassation de Belgique

Arret

5192

NDEG C.12.0460.F

1. A. F.,

2. F. V. W. et

3. N. R.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

INTERCOMMUNALE NAMUROISE DE SERVICES PUBLICS, societe cooperative àresponsabilite limitee dont le siege social est etabli à Namur (Naninne),rue des Viaux, 1b,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 13 decembre2011 par la cour d'appel de Liege.

Le conseiller Didier Batsele a fait rapport.

L'avocat general Andre Henkes a conclu.

II. Le moyen de cassation

Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

* articles 2, 6 et 1131 du Code civil ;

* articles D.181 et D.233 du decret de la Region wallonne du 27 mai 2004relatif au Code de l'environnement contenant le Code de l'eau ;

* articles 1er, 2, 21, 27 et 29 du decret de la Region wallonne du

12 fevrier 2004 relatif à la tarification et aux conditions generales dela distribution publique de l'eau en Wallonie.

Decisions et motifs critiques

L'arret, reformant le jugement entrepris, declare l'appel de ladefenderesse fonde, condamne la premiere demanderesse, solidairement etindivisiblement avec O. V., à payer à la defenderesse la somme de13.261,07 euros à augmenter des interets aux taux legaux depuis la dated'introduction de la procedure jusqu'au complet paiement, condamne lesdemandeurs solidairement et indivisiblement à payer à la defenderesse lasomme de 4.127,21 euros à augmenter des interets aux taux legaux depuisla date d'introduction de la procedure jusqu'au complet paiement et lescondamne solidairement et indivisiblement au paiement des depens des deuxinstances, aux motifs que :

« Les relations existant entre le proprietaire d'un immeuble et lespersonnes morales assurant l'approvisionnement en eau courante de celui-cirelevent d'un contrat d'adhesion dont l'existence se deduit ipso facto decelle d'un raccordement, contrat qui fait l'objet d'une reglementationd'ordre public qui definit les droits et les obligations des parties.L'argumentaire presente par [les demandeurs] aux points 1.1, 1.2 et 1.3 deleurs conclusions est à cet egard specieux et ne peut etre retenu.

Ainsi que l'a releve à bon droit le premier juge, `la question qui sepose en l'espece porte uniquement sur le fait de savoir si cesdispositions reglementaires instaurent ou non une solidarite entreproprietaire et locataire en matiere de dettes relatives à des facturesde fourniture d'eau'.

[La defenderesse] fonde à cet egard son action envers [les demandeurs]sur les articles D.223 (lire : D.233) et D.270bis, 5DEG, du Code de l'eau.

C'est en vain que [les demandeurs] soulevent le moyen d'inapplicabilite deces articles en invoquant l'article 27 du decret du

12 fevrier 2004 qui introduit dans la legislation les articlessusmentionnes du Code de l'eau, article 27 qui precise que `les contratsspecifiques en cours au 1er juillet 2003 restent d'application', ce quiemporterait selon eux que seuls les contrats posterieurs au 1er juillet2003 tombent dans le champ d'application de ce decret, ce qui n'est pas lecas, affirment-ils, du contrat souscrit le 1er mai 2001 par O. V. Cetarticle 27 vise exclusivement les `contrats specifiques', c'est-à-direles conventions particulieres conclues avec des industriels grosconsommateurs, ou encore avec des communes ou des personnes de droitpublic. Le contrat souscrit par O. V. n'entre pas dans l'une de cescategories de conventions particulieres. Le decret du 12 fevrier 2004 estdonc bien applicable en l'espece ».

Griefs

Si, en regle, une loi nouvelle s'applique non seulement aux situations quinaissent à partir de son entree en vigueur ainsi qu'aux effets futurs dessituations nees sous le regime de la loi anterieure qui se produisent ouse prolongent sous l'empire de la loi nouvelle, pour autant que cetteapplication ne porte pas atteinte à des droits dejà irrevocablementfixes, il est admis qu'en matiere de conventions, l'ancienne loi demeureapplicable à moins que la loi nouvelle ne soit d'ordre public ou n'enprescrive expressement l'application aux conventions en cours. Ce principegeneral du droit de la non-retroactivite de la loi est exprime parl'article 2 du Code civil.

Et n'est d'ordre public que la loi qui touche aux interets essentiels del'etat ou de la collectivite ou qui fixe, dans le droit prive, les basesjuridiques sur lesquelles repose l'ordre economique ou moral de lasociete. A cet egard, il est admis que ce n'est pas parce qu'une matiereinteresse l'etat ou la collectivite qu'elle doit etre consideree commed'ordre public ni que toutes les regles qui la regissent revetiraient cecaractere. Sont ainsi considerees, en droit public et administratif, commed'ordre public, les lois qui concernent l'etablissement et la perceptiondes impots et taxes, le regime de la monnaie, les attributions de l'etat,des collectivites, des autorites administratives et judiciaires, le droitpenal et la procedure penale, l'organisation administrative desprofessions, l'organisation et la mise en oeuvre des libertesconstitutionnelles, les mesures de politique economique et, en droitprive, l'etat et la capacite des personnes, la securite sociale, lesaccidents du travail et les maladies professionnelles, la responsabilitedecennale des architectes et des entrepreneurs, les droits de la defense,la faillite, la reorganisation et la continuite des entreprises.

Tel n'est pas le cas des regles qui regissent les relations commercialeset economiques entre les societes distributrices d'eau et les« abonnes » et qui instituent une solidarite entre le consommateur reelet le proprietaire des immeubles ou se situent les consommations. Cesregles n'ont pas pour objectif de veiller à la sauvegarde des interetsessentiels de la Nation mais uniquement de proteger ceux des societesdistributrices, et sont etrangeres à l'ordre economique et social de lasociete.

L'article D.181 du decret wallon du 27 mai 2004 et l'article 1er du decretwallon du 12 fevrier 2004 se bornent à definir « l'abonne » comme etant« toute personne titulaire d'un droit de propriete, d'usufruit, denue-propriete, d'usage, d'habitation, de superficie, d'emphyteose sur unimmeuble raccorde à la distribution d'eau », « le consommateur » commeetant « toute personne qui jouit de l'eau mise à disposition par unfournisseur » et « l'usager » comme « toute personne qui jouit duservice de la distribution publique de l'eau en tant qu'occupant d'unimmeuble raccorde ».

L'article D.233 du decret du 27 mai 2004 et l'article 21 du decret du

12 fevrier 2004 posent le principe que « l'abonne », lorsqu'il n'est pas« l'usager » ou « le consommateur », ne peut etre, en regle, tenusolidairement et indivisiblement des dettes de ce dernier, à la conditionqu'il puisse demontrer certains elements, à savoir soit qu'il a avise ledistributeur du changement d'occupation de l'immeuble, ou encore « qu'uneforte consommation inhabituelle ne soit pas consecutive à l'etat desinstallations privees ».

L'arret, qui admet que les relations entre « l'abonne » et ledistributeur procedent d'un contrat, fut-il « d'adhesion », mais quidecide que le Code wallon de l'eau tout entier, et singulierement la reglequi rend le proprietaire ou le titulaire d'un droit reel sur le bien ouest effectuee la consommation, debiteur solidaire du cout de celle-ci,meme s'il y est totalement etranger, est d'ordre public, viole la notiond'ordre public, telle qu'elle est notamment exprimee par les articles 6 et1131 du Code civil, ainsi que les articles D.181, D.233 du decret wallondu 27 mai 2004 et 1er, 2 et 21 du decret wallon du

12 fevrier 2004.

Par ailleurs, ni le decret du 27 mai 2004 ni le decret du 12 fevrier 2004ne comportent de disposition qui preciserait qu'ils seraient applicablesaux contrats en cours au moment de leur entree en vigueur.

Bien au contraire, l'article 27 du decret du 12 fevrier 2004 indique que« les contrats specifiques en cours au 1er juillet 2003 restentd'application ».

Il ne definit pas ce qu'il entend par « contrats specifiques » et aucuneautre de ses dispositions ne comporte de precision à cet egard. Il ne diten tout cas pas que ces contrats seraient exclusivement ceux qui sontconclus avec des industriels, des communes ou des personnes morales dedroit public.

L'arret, qui decide que l'article 27 du decret du 12 fevrier 2004 nes'applique pas à l'abonnement souscrit par O. V. et au raccordement del'immeuble des demandeurs parce que son application serait limitee auxgros consommateurs, aux communes et aux personnes morales de droit public,ajoute à cette disposition une condition d'application qu'elle necomporte pas et la meconnait.

Mais, l'article 27 du decret du 12 fevrier 2004 ne fut-il pas applicableà l'espece, il n'en resterait pas moins que, l'article 233 du decret du27 mai 2004 et l'article 21 du decret du 12 fevrier 2004 etant etrangersà l'ordre public et aucune disposition de ces legislations ne prevoyantleur application immediate aux contrats en cours, l'arret fait, enviolation de l'article 2 du Code civil et du principe general de lanon-retroactivite des lois, une application retroactive de ces decrets àun contrat en cours au moment de leur entree en vigueur.

De la sorte, il n'est pas legalement justifie et viole toutes lesdispositions visees au moyen.

III. La decision de la Cour

D'une part, le moyen ne precise pas en quoi les articles D.181 et D.233 dudecret wallon du 27 mai 2004 relatif au Code de l'environnement contenantle Code de l'eau et les articles 1er, 2 et 21 du decret wallon du 12fevrier 2004 relatif à la tarification et aux conditions generales de ladistribution publique de l'eau en Wallonie seraient violes.

D'autre part, la relation juridique existant entre le proprietaire d'unimmeuble et le distributeur d'un service public, telle la defenderesse,distributrice d'eau, est regie par un reglement de droit public et est,partant, de nature reglementaire et non contractuelle.

L'arret considere que « les relations existant entre le proprietaire d'unimmeuble et les personnes morales assurant l'approvisionnement en eaucourante de celui-ci relevent d'un contrat d'adhesion dont l'existence sededuit ipso facto de celle d'un raccordement, contrat qui fait l'objetd'une reglementation d'ordre public ».

Il appartient à la Cour de substituer un motif de droit à un motif dedroit errone.

S'il est exact, comme le soutiennent les demandeurs, que, d'une part, lesdispositions des decrets wallons des 12 fevrier et 27 mai 2004 visees aumoyen ont pour objet de regler les relations commerciales entre lessocietes distributrices d'eau et leurs abonnes et que, d'autre part, aucundes deux decrets ne contient de disposition prevoyant leur applicationimmediate aux contrats en cours, il se deduit neanmoins de la naturereglementaire de la relation juridique entre les parties que s'applique laregle selon laquelle une nouvelle loi s'applique non seulement auxsituations qui naissent à partir de son entree en vigueur mais aussi auxeffets futurs des situations nees sous le regime de la loi anterieure quise produisent ou se prolongent sous l'empire de la loi nouvelle, pourautant que cette application ne porte pas atteinte à des droits dejàirrevocablement fixes.

L'arret, qui considere que les decrets des 12 fevrier et 27 mai 2004s'appliquent immediatement à la relation juridique entre les demandeurset la defenderesse, nee sous le regime de la loi anterieure mais seprolongeant sous l'empire des decrets precites, ne viole ni l'article 2 duCode civil ni le principe general du droit relatif à la non-retroactivitedes lois.

Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.

Pour le surplus, s'il est exact que ni l'article 27 du decret du 12fevrier 2004 ni aucune autre disposition de ce decret ne definissentl'expression « contrats specifiques », l'arret, qui, conformement auxtravaux preparatoires du decret, interprete cette expression comme nevisant que les contrats conclus avec les gros consommateurs, les communeset les personnes morales de droit public, ne viole pas ledit article 27.

Dans la mesure ou il est recevable, le moyen ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne les demandeurs aux depens.

Les depens taxes à la somme de neuf cent cinquante-quatre eurosquarante-deux centimes envers les parties demanderesses et à la somme decinq cent septante-huit euros quatre-vingt-huit centimes envers la partiedefenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Martine Regout, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononce enaudience publique du quatorze fevrier deux mille quatorze par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general Andre Henkes, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+-----------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|-----------------+------------+----------------|
| M. Regout | D. Batsele | Chr. Storck |
+-----------------------------------------------+

14 FEVRIER 2014 C.12.0460.F/9


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.12.0460.F
Date de la décision : 14/02/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-02-14;c.12.0460.f ?
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