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03/02/2014 | BELGIQUE | N°S.12.0077.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 03 février 2014, S.12.0077.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

8271



NDEG S.12.0077.F

Masquelier, societe anonyme anciennement denommee EtablissementsMasquelier R.-Tinsy, dont le siege social est etabli à Manage, rueParmentier, 40,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

G. M.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le

cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la C...

Cour de cassation de Belgique

Arret

8271

NDEG S.12.0077.F

Masquelier, societe anonyme anciennement denommee EtablissementsMasquelier R.-Tinsy, dont le siege social est etabli à Manage, rueParmentier, 40,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

G. M.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 8 decembre 2011par la cour du travail de Mons.

Le 16 octobre 2013, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le president Christian Storck a fait rapport et l'avocat general JeanMarie Genicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

* article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats detravail ;

* articles 1134, 1135, 1315, 1319,1320 et 1322 du Code civil ;

* article 870 du Code judiciaire.

Decisions et motifs critiques

L'arret declare le licenciement pour cause des nombreuses absences [dudefendeur] abusif et, reformant les jugements entrepris, declare lademande originaire de celui-ci recevable et fondee. En consequence, ilcondamne la [demanderesse] à payer [au defendeur] la somme de 13.774,50euros à titre d'indemnite pour licenciement abusif, à majorer desinterets compensatoires au taux legal à dater du 2 avril 2003 et desinterets judiciaires, ainsi qu'aux depens, aux motifs suivants :

« [La demanderesse] pretend que les nombreuses absences [du defendeur]depuis 1993 `etaient de nature à nuire à l'organisation del'entreprise' : `[il] ne fut jamais remplace et, pendant ses absences, sesprestations devaient etre assurees par d'autres ouvriers' ;

Examinees à partir du critere de necessite du fonctionnement del'entreprise, ces absences doivent en consequence correspondre à lacondition de necessite : le licenciement doit avoir ete rendu necessairepar ces absences. Il appartient donc à l'employeur de prouver laperturbation ou la desorganisation (M. Jourdan, `Le licenciement abusif del'ouvrier. Evolutions', in Le licenciement abusif, Anthemis, Perspectivesde droit social, 2009, 78) ;

En l'espece, il est etabli que [le defendeur] a fait l'objet de nombreusesabsences pour raisons medicales justifiees depuis 1993 (en majorite,incapacite suite à un accident de travail) ;

Toutefois, [la demanderesse] n'etablit pas en quoi ces absences auraienteu des effets negatifs sur l'organisation de l'entreprise ou du service.Elle reste muette sur le nombre des membres du personnel capables deremplacer [le defendeur], sur l'influence eventuelle de ces absences surla productivite des machines, sur l'obligation eventuelle des autresmembres du personnel d'executer des prestations supplementaires ;

De maniere assez paradoxale, [la demanderesse] va d'ailleurs pretendreque ces absences desorganisaient le service alors que, selon elle, lesmachines sur lesquelles travaillait [le defendeur] n'avaient plus beaucoupd'utilite et que son poste etait sur le point d'etre supprime ;

Les autres elements debattus par les parties (anciennete, credit-temps,outplacement, carnet de pointage) sont sans incidence sur la solution dulitige au regard des seuls motifs expressement invoques par [lademanderesse], sur qui repose la charge de la preuve ».

L'arret conclut « qu'il ressort de l'examen qui precede que la[demanderesse] reste en defaut de renverser la presomption instituee parl'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats detravail ; que l'indemnite pour licenciement abusif est due ; que l'appel,en tant qu'il est dirige à l'encontre du jugement du 9 juin 2010, est enconsequence fonde ».

Griefs

Premiere branche

Aux termes de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative auxcontrats de travail, est abusif le licenciement de tout ouvrier, engage àduree indeterminee, effectue pour des motifs qui ne presentent aucun lienavec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondes surles necessites du fonctionnement de l'entreprise.

La charge de la preuve repose, en cas de contestation, sur l'employeur.Neanmoins, celui-ci est seul à pouvoir apprecier l'aptitude dutravailleur à executer la tache qui lui a ete confiee. Le controle dutribunal ne porte pas sur l'opportunite de la decision de l'employeur maisbien sur l'existence du motif. Le controle des juridictions n'est, parconsequent, qu'un controle marginal.

Selon la Cour de cassation, il ressort de la genese de l'article 63 queles regles en matiere de licenciement abusif ont pour objet d'interdiretout licenciement pour des motifs « manifestement deraisonnables ».Cette decision affine, sans les contredire, les enseignements de l'arretdu 18 fevrier 2008, selon lequel la loi n'exige aucun rapport (pouvantetre qualifie de raisonnable ou legitime) entre la capacite de l'ouvrieret son licenciement. Il s'ensuit qu'un licenciement n'est pas abusif ausens de cette disposition des lors qu'il est fonde sur un motif quipresente un lien avec l'aptitude de l'ouvrier, quelles que soient lesconsequences de cette inaptitude sur l'organisation du travail.

Par les motifs reproduits au moyen, l'arret admet 1. que ce sont lesabsences [du defendeur] qui sont à l'origine du licenciement decide parla [demanderesse] et 2. qu'elles ont ete nombreuses depuis 1993.

L'arret decide neanmoins que le licenciement par la [demanderesse] [dudefendeur] est abusif, à defaut pour la demanderesse d'administrer lapreuve que les absences [du defendeur] ont eu des « effets negatifs »sur l'organisation de l'entreprise. Or, cette condition ne ressortnullement de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative auxcontrats de travail.

En consequence, l'arret, qui condamne la [demanderesse] au paiement d'uneindemnite [au defendeur] pour licenciement abusif en se fondant sur ledefaut de demonstration d'un element non requis par l'article 63 de la loidu 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, ne justifie paslegalement sa decision au regard de cette disposition.

Deuxieme branche

Aux termes des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, ilappartient au demandeur d'apporter la preuve des elements qu'il allegueet, à defaut, de succomber en assumant le risque de la preuve non faite.

Par les motifs reproduits au moyen, l'arret declare la demande originaire[du defendeur] recevable et fondee pour la raison que la [demanderesse] « n'etablit pas en quoi ces absences auraient eu des effets negatifs surl'organisation de l'entreprise ou du service ».

De la sorte, l'arret fait succomber la [demanderesse] au risque de lapreuve non faite au sujet d'un element dont, pourtant, aucune dispositionlegale ne lui imposait la charge.

En consequence, l'arret opere un renversement de la charge de la preuve(violation des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire).

Troisieme branche

Viole la foi due à un acte, le juge qui donne à cet acte une porteeinconciliable avec ses termes, soit en en retranchant une mention qu'ilcomporte, soit en y ajoutant une mention qu'il ne comporte pas.

L'arret affirme que « [la demanderesse] reste muette [...] surl'obligation eventuelle des autres membres du personnel d'executer desprestations supplementaires ».

Or, la [demanderesse] faisait valoir, dans ses conclusions additionnelleset de synthese d'appel, qu' « il resulte de cette chronologie que lesabsences repetees [du defendeur] etaient de nature à nuire àl'organisation de l'entreprise ; que [le defendeur] ne fut jamais remplaceet que, pendant ses absences, ses prestations devaient etre assurees pard'autres ouvriers ».

L'arret retranche donc de ces conclusions une affirmation que, pourtant,elles comportent.

En consequence, l'arret viole la foi due aux conclusions additionnelles etde synthese d'appel de la [demanderesse] (violation des articles1319,1320 et 1322 du Code civil).

Second moyen

Dispositions legales violees

* articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;

* article 149 de la Constitution.

Decisions et motifs critiques

L'arret declare le licenciement pour cause des nombreuses absences [dudefendeur] abusif et, reformant les jugements entrepris, declare lademande originaire de celui-ci recevable et fondee. En consequence, ilcondamne la [demanderesse] à payer [au defendeur] la somme de 13.774,50euros à titre d'indemnite pour licenciement abusif, à majorer desinterets compensatoires au taux legal à dater du 2 avril 2003 et desinterets judiciaires, ainsi qu'aux depens.

L'arret admet que « l'employeur n'est [...] pas lie par les motifs reprisdans la lettre contenant notification du conge ou dans le certificat dechomage C4. Il lui est ainsi loisible d'etablir dans le cours de laprocedure les motifs qui, bien que non invoques anterieurement, revelentle lien existant soit entre le licenciement et l'aptitude ou la conduitedu travailleur, soit entre le licenciement et les necessites dufonctionnement de l'entreprise », et en deduit que « la cour [dutravail] examinera des lors le renversement eventuel de la presomptioncontenue à l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 au regard de tous leselements soumis à son appreciation, peu importe qu'ils n'aient pas eterepris dans le formulaire C4 ».

L'arret attaque declare ensuite qu'« en l'espece, aux termes de sesecrits de procedure, [la demanderesse] entend renverser la presomption delicenciement abusif en etablissant que le licenciement [du defendeur]etait justifie par les elements suivants : accord intervenu entre lesparties, suppression du poste de travail et absences repeteesdesorganisant l'entreprise », et s'attache à l'examen de ces troiselements.

C'est sur la base de ces motifs - et de nul autre - que l'arret decidequ'« il ressort de l'examen qui precede que [la demanderesse] reste endefaut de renverser la presomption instituee par l'article 63 de la loi du3 juillet 1978 relative aux contrats de travail et que l'indemnite pourlicenciement abusif est due ».

Griefs

Viole la foi due à un acte, le juge qui donne à cet acte une porteeinconciliable avec ses termes, soit en en retranchant une mention qu'ilcomporte, soit en y ajoutant une mention qu'il ne comporte pas.

A tout le moins, pour etre regulierement motive au regard de l'article 149de la Constitution, une decision doit indiquer les reponses apportees parle juge à chacun des moyens invoques par les parties à l'appui de leurdemande ou de leur defense.

Dans ses conclusions additionnelles et de synthese d'appel, la[demanderesse] faisait valoir que, « depuis le debut de la procedure,[le defendeur] a toujours invoque qu'il etait un ouvrier polyvalent ; que[la demanderesse] a toujours conteste cette affirmation [du defendeur], qui n'avait aucune formation de typographe ou d'imprimeur et dont lapolyvalence s'arretait aux machines de finition apres impression ; qu'elleprecise toutefois que [le defendeur], comme tous ses ouvriers, avaitacquis une certaine polyvalence, mais que cette polyvalence etait touterelative ; que, d'une part, [le defendeur] n'est pas imprimeur ; d'autrepart, tous les avis medicaux relatifs à [celui-ci] demandaient untravail adapte (c'est-à-dire leger) qui ne correspond à aucun poste detravail ouvrier dans l'entreprise : en effet, l'utilisation des machinesimplique la manipulation de bobines ou est incompatible avec un ouvrierqui souffre du dos (comme [le defendeur]) ».

De la sorte, la [demanderesse] soutenait que [le defendeur] n'avait plusla capacite physique d'effectuer le travail convenu entre les parties. Cetelement n'est pas epingle par l'arret lorsqu'il procede au releve desmoyens invoques par la [demanderesse] dans ses ecrits de procedure.

Par les motifs reproduits au moyen, l'arret retranche des lors de cesecrits une mention qui y figure. En outre, l'arret ne repond pas au moyenqui s'y trouve invoque.

En consequence, l'arret viole la foi due aux conclusions additionnelles etde synthese de la demanderesse (violation des article 1319, 1320 et 1322du Code civil) et, à defaut de repondre à ces conclusions, n'est pasregulierement motive (violation de l'article 149 de la Constitution).

III. La decision de la Cour

Sur le second moyen :

Dans le passage de ses conclusions d'appel que reproduit le moyen, lademanderesse s'employait à refuter l'affirmation du defendeur qu'il etaitun ouvrier polyvalent sans toutefois soutenir que le licenciement auraitete effectue pour des motifs presentant un lien avec son aptitude.

En enonc,ant qu'« aux termes de ses ecrits de procedure, [lademanderesse] entend renverser la presomption de licenciement abusif enetablissant que le licenciement [du defendeur] etait justifie par leselements suivants : accord intervenu entre les parties, suppression duposte de travail et absences repetees desorganisant l'entreprise »,l'arret ne donne pas desdites conclusions une interpretation inconciliableavec leurs termes et ne viole pas, des lors, la foi due à l'acte qui lescontient.

L'arret n'etait pour le surplus pas tenu de repondre à une argumentationdont la demanderesse ne deduisait aucune consequence juridique.

Le moyen ne peut etre accueilli.

Sur le premier moyen :

Quant à la premiere branche :

En vertu de l'article 63, alinea 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relativeaux contrats de travail, est considere comme abusif, pour l'application decet article, le licenciement d'un ouvrier engage pour une dureeindeterminee qui est effectue pour des motifs qui n'ont aucun lien avecl'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondes sur lesnecessites du fonctionnement de l'entreprise, de l'etablissement ou duservice.

Il suit des motifs de l'arret vainement critiques par le second moyen quela demanderesse entendait etablir que le licenciement etait justifie, nonpar l'inaptitude du defendeur, mais par ses « absences repeteesdesorganisant l'entreprise ».

L'arret decide des lors legalement d'examiner, « à partir du critere desnecessites du fonctionnement de l'entreprise », si ces absences ont eu« des effets negatifs sur l'organisation de l'entreprise ».

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la deuxieme branche :

L'article 63, alinea 2, de la loi du 3 juillet 1978 dispose qu'en cas decontestation, la charge de la preuve des motifs du licenciement invoquesincombe à l'employeur.

Cette disposition, qui met à la charge de l'employeur la preuve desmotifs du licenciement, deroge dans cette mesure aux articles 1315 du Codecivil et 870 du Code judiciaire.

L'arret qui, apres avoir constate que la demanderesse pretend que lelicenciement est justifie par les « absences repetees [du defendeur]desorganisant l'entreprise », met à sa charge la preuve des « effetsnegatifs » de ces absences « sur l'organisation de l'entreprise », neviole aucune des dispositions visees au moyen, en cette branche.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la troisieme branche :

La demanderesse a conclu devant la cour du travail dans les termes quereproduit le moyen, en cette branche.

En enonc,ant que la demanderesse « reste muette [...] sur l'obligationeventuelle des autres membres du personnel d'executer des prestationssupplementaires », l'arret ne donne pas de ces conclusions uneinterpretation inconciliable avec leurs termes et ne viole pas, des lors,la foi due à l'acte qui les contient.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de sept cent quatre-vingt-trois eurosnonante-quatre centimes envers la partie demanderesse et à la somme decent cinquante-cinq euros cinquante-neuf centimes envers la partiedefenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le conseiller Didier Batsele, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Mireille Delange etMarie-Claire Ernotte et prononce en audience publique du trois fevrierdeux mille quatorze par le president Christian Storck, en presence del'avocat general Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffierLutgarde Body.

+--------------------------------------------+
| L. Body | M.-Cl. Ernotte | M. Delange |
|-------------+----------------+-------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

3 FEVRIER 2014 S.12.0077.F/11


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.12.0077.F
Date de la décision : 03/02/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 21/02/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-02-03;s.12.0077.f ?
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