Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG D.12.0010.N
L. M.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
LA COMPAGNIE DES NOTAIRES DE LA PROVINCE D'ANVERS,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 19 mars2012 par le tribunal de premiere instance d'Anvers statuant sur le recoursdirige contre la decision de la chambre des notaires et comme juridictionde renvoi ensuite d'un arret de la Cour du 25 mars 2011.
L'avocat general Andre Van Ingelgem a depose des conclusions ecrites le 20novembre 2013.
Le conseiller Beatrijs Deconinck a fait rapport.
L'avocat general Andre Van Ingelgem a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requete en cassation le demandeur presente un moyen libelle dansles termes suivants:
Dispositions legales violees
- articles 76, 1DEG, 98, 102, 103 et 107 de la loi du 16 mars 1803 (25Ventose an XI) contenant organisation du notariat, telle que modifiee;
- articles 2, 17, 18, 860, 861, 864, 867, 1042, 1050, 1054, 1056, 1057 et1122 du Code judiciaire;
- articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre 1950 et approuvee parla loi du 13 mai 1955.
Decision et motifs critiques
Le tribunal de premiere instance d'Anvers declare inadmissible l'appelforme par le demandeur contre la decision de la chambre des notaires de laprovince d'Anvers du 14 mai 2009 et condamne le demandeur au paiement desdepens en degre d'appel, sur la base de la motivation suivante:
« La defenderesse conclut tout d'abord à l'inadmissibilite de l'appel.Le demandeur invoque que le tribunal ne peut declarer l'appel inadmissiblesans violer l'autorite de chose jugee de l'arret de renvoi.
La cassation d'une decision judiciaire par la Cour de cassation n'interditpas au juge de renvoi de se rallier à l'appreciation en fait des elementsde la cause par la juridiction dont la decision a ete cassee et, hormis lecas prevu par l'article 1120 du Code judiciaire, elle ne lui interdit pasdavantage de statuer en droit conformement à la decision cassee. End'autres termes, seule la seconde cassation lie le juge de renvoi. Enoutre, l'arret de renvoi ne se prononce pas sur l'admissibilite de l'appeldu demandeur, mais il se borne à decider que le tribunal de premiereinstance de Turnhout a viole l'article 107 de la loi du 16 mars 1803 endecidant que l'acte d'appel devait etre signifie à la chambre desnotaires.
L'appel ne peut etre dirige que contre celui qui etait partie en premiereinstance et defendait des interets contraires devant le premier juge. Ladefenderesse contre laquelle l'appel est dirige, doit avoir ete partie auproces en premiere instance, avoir ete dument citee à la procedure etintervenir en degre d'appel en cette meme qualite. L'appel estexclusivement dirige contre la partie au proces proprement dite qui danscertains cas peut ou meme doit etre representee par la partie au procesformelle dont la qualite de representant doit etre indiquee dans l'acted'appel à peine de nullite. L'appel ne peut etre dirige que contre lapartie adverse dans le proces en premiere instance.
Une distinction claire s'impose entre la compagnie des notaires, ladefenderesse, et la chambre des notaires qui sont deux entites distinctes.La defenderesse n'exerce pas de pouvoir disciplinaire . Celui-ci estconfere à la chambre des notaires, conformement à l'article 76, 1DEG, dela loi du 16 mars 1803.
Au sein de la chambre des notaires, c'est le syndic qui agit en tant quepartie poursuivante, en vertu de l'article 82, 2DEG, de la loi du 16 mars1803.
La decision disciplinaire attaquee par le demandeur devant ce tribunal endegre d'appel a ete prise par la chambre des notaires, siegeant en tantque juridiction disciplinaire en premiere instance, en vertu de l'article96 de la loi du 16 mars 1803, sur l'action disciplinaire exercee par lesyndic de la chambre.
La partie adverse du demandeur en premiere instance n'etait evidemment pasla juridiction disciplinaire de premiere instance, à savoir la chambredes notaires, mais le syndic de la chambre.
Il ressort aussi clairement de l'article 107 de la loi du 16 mars 1803qu'en cas de procedure disciplinaire fondee sur l'article 96 de la loi du16 mars 1803, seul le membre de la defenderesse poursuividisciplinairement, le syndic de la chambre et le procureur du Roi sontparties.
L'acte d'appel doit donc aussi etre signifie au syndic de la chambre desnotaires de la province d'Anvers et pas à la defenderesse qui est tout àfait etrangere à cette procedure disciplinaire, de sorte que l'appel estinadmissible.»
Griefs
Premiere branche
Conformement à l'article 76, 1DEG, de la loi du 16 mars 1803 contenantorganisation du notariat, la chambre des notaires a pour attribution demaintenir la discipline entre les membres de la compagnie et de prononcertoutes peines de discipline interieure. La chambre des notaires est ainsichargee de la fonction disciplinaire. Conformement à l'article 98 de lameme loi, la chambre des notaires connait des affaires disciplinaires àl'intervention du syndic, soit d'office, soit sur plainte, soit sur lesdenonciations ecrites du procureur du Roi. Les articles 98 à 107 de cettememe loi reglent la procedure disciplinaire devant la chambre desnotaires. L'article 102 dispose que la seance consacree aux debats estfixee par la chambre des notaires en tenant compte d'un delai qui ne peutetre inferieur à quinze jours apres la date fixee pour la comparution dumembre mis en cause, devant ladite chambre des notaires. Les debats sontpublics sauf si le membre de la compagnie qui a ete convoque demande lehuis clos. Le membre mis en cause a le droit de presenter à cette seance,lui-meme ou par la voix de son conseil tel que prevu à l'article 100,premier alinea, ses moyens de defense. Les temoins appeles peuvent etreinterroges tant par le membre mis en cause que par la chambre desnotaires. L'article 103 dispose que la chambre des notaires prend sadecision au scrutin secret, à la majorite absolue, apres avoir entendu lesyndic et le rapporteur qui ne participent pas à la deliberation, ni auvote. L'article 107 de cette meme loi dispose que le recours peut etreexerce devant le tribunal civil. Il s'ensuit ainsi que la procedure n'estpas une procedure contradictoire de droit commun et que l'appel n'est doncpas dirige contre le syndic ou contre l'instance qui a rendu la decision,mais contre sa decision.
En decidant que l'appel ne peut etre forme que contre celui qui etaitpartie en premiere instance et qui defendait des interets contrairesdevant le premier juge et que l'intime contre lequel l'appel est dirigedoit avoir ete partie au proces en premiere instance, doit avoir etedument cite dans la procedure et doit intervenir en degre d'appel en lameme qualite et que l'appel est exclusivement dirige contre la partie auproces proprement dite qui, dans certains cas, peut ou doit etrerepresentee par la partie au proces formelle dont la qualite derepresentant doit etre indiquee dans l'acte d'appel à peine de nullite etque l'appel ne peut etre dirige que contre la partie adverse en premiereinstance, le tribunal de premiere instance d'Anvers applique à tort lesdispositions du Code judiciaire en matiere d'appel. Conformement àl'article 2 du Code judiciaire, les regles enoncees par le present codes'appliquent à toutes les procedures, sauf lorsque celles-ci sont regiespar des dispositions legales non expressement abrogees ou par desprincipes de droit dont l'application n'est pas compatible avec celle desdispositions du present code. Il ressort toutefois des dispositionsprecitees de la loi du 16 mars 1803 que la procedure disciplinaire n'estpas une procedure contradictoire de droit commun. Les juges d'appel ontviole ainsi les articles 2, 17, 18, 1042, 1050, 1056, 1057 et 1122 du Codejudiciaire en appliquant à tort ces dispositions alors qu'elles ne sontpas applicables, ainsi que les articles 76, 1DEG, 98, 102, 103 et 107 dela loi du 16 mars 1803.
Deuxieme branche
Conformement à l'article 860 du Code judiciaire aucun acte de procedurene peut etre declare nul si la nullite n'est pas formellement prononceepar la loi. Aux termes de l'article 861 de ce meme code, le juge ne peutdeclarer nul un acte de procedure que si l'omission ou l'irregularitedenoncee nuit aux interets de la partie qui invoque l'exception. L'article864 de ce meme code dispose que toutes nullites qui entacheraient un actede procedure sont couvertes si elles ne sont proposees simultanement etavant tout autre moyen alors que l'article 867 formule la regle suivantlaquelle l'omission ou l'irregularite de la forme d'un acte ou de lamention d'une formalite ne peut entrainer la nullite, s'il est etabli parles pieces de la procedure que l'acte a realise le but que la loi luiassigne ou que la formalite non mentionnee a, en realite, ete remplie.Dans la mesure ou il faut admettre que les dispositions precitees du Codejudiciaire s'appliquent en vertu de l'article 2 du Code judiciaire à laprocedure disciplinaire des notaires, le tribunal de premiere instance n'apu legalement decider, sans violation de ces dispositions, que l'appel estirrecevable en raison de la mention incorrecte de la partie contrelaquelle l'appel a ete forme et signifie.
L'article 107 de la loi du 16 mars 1803 prescrit, en effet, uniquement quela decision de la chambre des notaires est susceptible de recours devantle tribunal civil et que ce recours est ouvert au membre concerne, ausyndic et au procureur du Roi. Cette disposition ne prevoit pas, à peinede nullite, que l'acte d'appel doit mentionner qu'il est adresse ou formeà l'encontre du syndic de la chambre des notaires qui a rendu la decisiondont appel. Dans la mesure ou la decision attaquee doit etre lue en cesens que les juges d'appel ont estime que l'acte d'appel est nul ou nonavenu des lors qu'il n'a pas ete signifie au syndic de la chambre desnotaires, ils ont prononce une nullite qui n'est pas prevue par la loi etils violent des lors l'article 107 de la loi du 16 mars 1803 et l'article860 du Code judiciaire.
Des lors qu'il ressort, en outre, des pieces de la procedure auxquelles laCour peut avoir egard que l'appel a ete signifie par exploit d'huissier àla compagnie des notaires de la province d'Anvers, representee par sonpresident et par son secretaire, et qu'il a ete precise dans cet exploitque le demandeur souhaitait interjeter appel contre la decision de lacompagnie des notaires de la province d'Anvers rendue contradictoirementle 14 mai 2009 telle qu'elle lui a ete notifiee par lettres recommandeesdes 19 et 25 mai 2009, cet acte d'appel a atteint le but vise par lelegislateur avec l'article 107 de la loi du 16 mars 1803, à savoir quel'appel a ete interjete contre la decision de la compagnie des notairesdans le mois de la notification et ce, devant le tribunal civil. Dans lamesure ou il ressort de l'article 107 qu'il est uniquement requis que ladecision attaquee soit correctement identifiee, une mention eventuellementfautive des parties auxquelles la signification est faite, à savoir lacompagnie des notaires, au lieu du syndic de la chambre des notaires de lacompagnie des notaires, ne peut entrainer la nullite et l'irrecevabiliteque lorsqu'un prejudice en resulte. Le jugement attaque ne constate pasqu'une mention eventuellement incorrecte du signifie a entraine unprejudice. Il s'ensuit que le tribunal de premiere instance ne pouvaitlegalement declarer l'appel irrecevable en raison d'une mention fautive dusignifie (violation des articles 107 de la loi du 16 mars 1803 et 2, 1042,860, 861, 864 et 867 du Code judicaire).
Troisieme branche
L'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales garantit un acces au juge à toute personne, lorsde la contestation sur ses droits et obligations de caractere civil oulors de la constatation du bien-fonde de toute accusation en matierepenale dirigee contre elle. Ce droit d'acces au juge implique que, lorsquela loi autorise un recours, celui-ci puisse effectivement etre exerce.
L'article 107 de la loi du 16 mars 1803 dispose que la decision de lachambre des notaires est susceptible d'un recours devant le tribunal civildans le mois de sa notification. Ce recours est ouvert au membre concerne,au syndic et au procureur du Roi. Cette disposition indique qui peutformer le recours mais pas contre qui cet appel doit etre forme. Il nerequiert pas davantage que le recours du notaire soit signifie au syndicde la chambre des notaires. Il s'ensuit que l'appel ne doit pas etredirige contre le syndic ou contre l'instance qui a rendu la decision, maiscontre sa decision. Il ressort des pieces auxquelles la Cour peut avoiregard que l'appel a ete signifie par exploit d'huissier à la compagniedes notaires de la province d'Anvers, representee par son president et parson secretaire et qu'il a aussi ete precise que le demandeur a interjeteappel contre le jugement rendu contradictoirement le 14 mai 2009 tel qu'illui a ete signifie par lettres recommandees des 19 et 25 mai 2009. Ladecision attaquee a ainsi ete indiquee de maniere precise.
Il ressort des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales et 107 de la loi du 16 mars 1803que, des lors que la loi prevoit qu'un recours peut etre exerce contre ladecision de la chambre des notaires, il doit pouvoir etre exerceeffectivement.
Eu egard à l'imprecision dans la loi qui n'indique pas contre qui l'appeldoit etre forme, le simple fait que l'appel ne soit pas dirige contre oupas signifie à une partie determinee, ne peut donner lieu àl'irrecevabilite ou à l'inadmissibilite de l'appel.
En declarant inadmissible l'appel forme par le demandeur au motif quel'appel n'est pas adresse au syndic de la chambre des notaires et qu'il nelui a pas ete signifie, bien que la decision attaquee a ete indiquee demaniere precise et qu'aucune disposition legale ne requiert que l'appeldoit etre dirige contre et signifie au syndic de la chambre des notaires,les juges d'appel ont viole le droit d'acces au juge et le droit qu'ilcontient pour le demandeur d'interjeter appel contre la decision de lachambre des notaires (violation de l'article 6.1 Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertes fondamentales) et ils ont ajoute àl'article 107 de la loi du 16 mars 1803 une condition qu'il ne contientpas (violation de l'article 107 de la loi du 16 mars 1803).
III. La decision de la Cour
Sur le moyen
1. La decision du jugement attaque qui est critiquee par le moyen en satroisieme branche, est incompatible avec l'arret de renvoi du 25 mars2011.
Le moyen, en cette branche, est identique au moyen, en sa quatriemebranche, qui a ete accueilli par l'arret precite.
Le pourvoi en cassation doit, des lors, etre examine par la Cour enchambres reunies.
Quant à la troisieme branche
2. L'article 107, alinea 1er, de la loi du 16 mars 1803 contenantorganisation du notariat dispose que: La decision de la chambre desnotaires est susceptible de recours devant le tribunal civil, dans le moisde la notification. Le recours est ouvert au membre concerne, au syndic etau procureur du Roi.»
Cette disposition indique uniquement qui doit former le recours et quellejuridiction doit etre saisie et dans quel delai mais pas contre qui il y alieu de diriger le recours.
Des lors que la loi ne precise pas contre qui le recours doit etre dirige,un recours forme contre la decision de la chambre des notaires ne peutetre declare irrecevable s'il a ete dirige contre soit la chambre desnotaires, soit la compagnie des notaires, soit le syndic de la chambre desnotaires.
3. Le demandeur a introduit un recours contre la decision dont appel de lachambre des notaires de la province d'Anvers devant le tribunal depremiere instance de Turnhout par citation signifiee à la compagnie desnotaires de la province d'Anvers.
Le jugement attaque considere que ce recours est irrecevable des lorsqu'il a ete dirige contre la compagnie des notaires de la provinced'Anvers et pas contre le syndic de la chambre des notaires qui a rendu ladecision attaquee.
4. En decidant ainsi le jugement attaque viole l'article 107 de la loi du16 mars 1803.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Casse le jugement attaque ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugementcasse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause devant le tribunal de premiere instance de Hasselt, quise conformera à la decision de la Cour quant au point de droit juge parcelle-ci.
Ainsi juge par la Cour de cassation, chambres reunies, à Bruxelles, ousiegeaient le premier president Etienne Goethals, president, le presidentChristian Storck, les presidents de section chevalier Jean de Codt et EricDirix, le conseiller Didier Batsele, les presidents de section Paul Maffeiet Albert Fettweis, les conseillers Beatrijs Deconinck, Alain Smetryns,Geert Jocque et Michel Lemal, et prononce en audience publique duvingt-trois janvier deux mille quatorze par le premier president EtienneGoethals, en presence de l'avocat general Andre Van Ingelgem, avecl'assistance du greffier en chef Chantal Van Der Kelen.
Traduction etablie sous le controle du president de section AlbertFettweis et transcrite avec l'assistance du greffier en chef Chantal VanDer Kelen.
Le greffier en chef, Le president de section,
23 janvier 2014 D.12.0010.N/1