Cour de cassation de Belgique
Arret
4866
NDEG F.12.0136.F
eTAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,
contre
N. M.,
defendeur en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 29 mars 2012par la cour d'appel de Liege.
Le 29 novembre 2013, l'avocat general Andre Henkes a depose desconclusions au greffe.
Le conseiller Gustave Steffens a fait rapport et l'avocat general AndreHenkes a ete entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Le demandeur presente deux moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions legales violees
* articles 32, 2DEG, et 53bis du Code judiciaire ;
* article 89 du Code de la taxe sur la valeur ajoutee.
Decisions et motifs critiques
Suivant l'arret attaque : « Des lors que, par depot de sa requete en datedu 15 juillet 2010, [le defendeur] a fait opposition à la contrainte quilui a ete notifiee le 2 juin 2010, [le demandeur] s'est vu interdired'obtenir le paiement de sa creance par les voies d'execution forcee, lasuspension de la force executoire de la contrainte sortissant ses effetsdes le depot de la requete au greffe. Seul ce depot saisit le tribunal depremiere instance de l'opposition à contrainte, et non, comme le soutienterronement [le demandeur], la notification de la requete qui ne vaut quecomme convocation à l'audience d'introduction.
(...)
Il en resulte que la date à prendre en consideration est celle del'expedition ou du depot au greffe lorsqu'il s'agit des interets du[defendeur], comme c'est le cas en l'espece, s'agissant de l'effetsuspensif attache au depot de la requete en opposition à contrainte.
La notification de celle-ci ne fait courir aucun delai specifiqueconsecutif à l'egard [du demandeur] dans le cadre de la procedure derecouvrement de l'impot, de sorte que celui-ci n'est pas fonde às'appuyer sur la theorie de la reception, qui ne trouve pas à s'appliqueren l'espece ».
Griefs
Si, en application du second alinea de l'article 89 du Code de la taxe surla valeur ajoutee, « l'execution de la contrainte ne peut etreinterrompue que par une action en justice », cette execution ne peut etreinterrompue que s'il y a connaissance de cette action.
L'article 1385decies du Code judiciaire prevoit que la demande estintroduite par requete contradictoire.
à la difference de la signification qui consiste, au sens de l'article32, 1DEG, du Code judiciaire en « la remise d'une copie de l'acte ;elle a lieu par exploit d'huissier », la notification est, selon lestermes de l'article 32, 2DEG, du Code judiciaire « l'envoi d'un acte deprocedure en original ou en copie ; elle a lieu par la poste, ou, dansles cas determines par la loi, suivant les formes que celle-ciprescrit ».
Cette difference induit que, dans l'hypothese d'un acte d'huissier, lapartie à laquelle il est signifie peut avoir une connaissance immediatede
celui-ci tandis que, lorsqu'un acte lui est notifie, cette connaissanceest differee.
Le legislateur a, par la loi du 13 decembre 2005 portant des dispositionsdiverses relatives aux delais, à la requete contradictoire et à laprocedure en reglement collectif de dette, insere, dans le Codejudiciaire, un article 53bis, lequel dispose :
« à l'egard du destinataire, et sauf si la loi en dispose autrement, lesdelais qui commencent à courir à partir d'une notification sur supportpapier sont calcules :
1DEG lorsque la notification est effectuee par pli judiciaire ou parcourrier recommande avec accuse de reception, depuis le premier jour quisuit celui ou le pli a ete presente au domicile du destinataire, ou, lecas echeant, à sa residence ou à son domicile elu ;
2DEG lorsque la notification est effectuee par pli recommande ou par plisimple, depuis le troisieme jour ouvrable qui suit celui ou le pli a eteremis aux services de la poste, sauf preuve contraire du destinataire ».
Selon les travaux preparatoires, « lorsqu'un acte est notifie par laposte à son destinataire, il y a toujours au moins un jour de decalageentre son envoi et sa reception. Il existe donc une insecurite juridiquequant au moment exact auquel un delai consecutif à une notification prendcours » (Doc. parl., Ch., sess. ord. 2005-2006, 1309/001, p. 6).
Le legislateur voyait, à l'occasion de la redaction de cette loi, « lanecessite d'apporter une solution globale et unique à la question de ladetermination de la date de prise de cours d'un delai consecutif à unenotification. L'intervention du legislateur se justifie d'autant plus queles jurisprudences de la Cour de cassation et de la Cour d'arbitragedivergent, creant ainsi une source importante d'insecurite juridique.
C'est precisement l'objet de la disposition commentee, qui insere unarticle 53bis dans le Code judiciaire » (Doc. parl., Ch., sess. ord.2005-2006, 1309/001, p. 6.).
Toutefois, le legislateur indiquait specialement : « La theorie dite dela double date (G. de Leval, Elements de procedure civile, Larcier, 2003,nDEG 60, page 86) n'est ainsi pas remise en cause » (Doc. parl., Ch.,sess. ord. 2005-2006, 1309/001, p. 8.).
En matiere de taxe sur la valeur ajoutee, la contrainte constitue nonseulement le titre de la taxation concretisant la dette fiscale à defautde paiement spontane et inconditionnel de la taxe due mais aussi l'actevalant titre executoire necessaire au recouvrement de la dette fiscale(voir en ce sens Cass., 9 mars 2006, C.04.0284.N).
L'opposition à contrainte fait courir un delai durant lequel l'executionde la contrainte par le fonctionnaire charge du recouvrement est, jusqu'aumoment ou une decision de justice sera definitive (article 92bis du Codede la taxe sur la valeur ajoutee), interrompue (article 89 du Code de lataxe sur la valeur ajoutee).
Des lors, la notification de l'opposition à contrainte fait courir undelai specifique à l'egard du demandeur dans le cadre de la procedure derecouvrement de l'impot puisqu'il ne peut plus prendre des mesuresexecutoires.
Il s'ensuit que l'arret attaque meconnait la ratio legis de l'article53bis du Code judiciaire et n'a pu, sans violer les dispositions visees aumoyen, tirer, d'une part, la conclusion selon laquelle « la date àprendre en consideration est celle de l'expedition ou du depot au greffelorsqu'il s'agit des interets [du defendeur], comme c'est le cas enl'espece, s'agissant de l'effet suspensif attache au depot de la requeteen opposition à contrainte » et, d'autre part, que « la notification decelle-ci ne fait courir aucun delai specifique consecutif à l'egard [dudemandeur] dans le cadre de la procedure de recouvrement de l'impot, desorte que celui-ci n'est pas fonde à s'appuyer sur la theorie de lareception qui ne trouve pas à s'appliquer en l'espece », sans verifierque le demandeur pouvait avoir une connaissance positive du fait de lasuspension de la force executoire de la contrainte.
Second moyen
Dispositions legales violees
Articles 85bis et 89 du Code de la taxe sur la valeur ajoutee
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate que « l'article 85bis, S: 3, du Code de la taxe surla valeur ajoutee impose, sous peine de decheance du caractereconservatoire de la saisie-arret simplifiee, à l'administration fiscalede recourir à l'exploit d'huissier dans les formes prevues aux articles1539 à 1544 du Code judiciaire des lors qu'elle est avisee par le tierssaisi de l'opposition de la part du debiteur à ladite saisie-arretsimplifiee, ce que [le defendeur] a manifeste par courrier du 18 juin2010 », la cour d'appel a decide, d'une part, que « par la signification de l'exploit d'huissier [au defendeur] en date du 19 juillet2010, [le demandeur] entendait poursuivre l'execution forcee de lacontrainte à l'encontre [du defendeur], ce dont il etait legalementempeche en raison du depot anterieur, le 15 juillet 2010, de la requeteen opposition à contrainte » et, d'autre part, qu'en consequence« [le demandeur] ne peut des lors se prevaloir des effets conservatoires de la saisie-arret simplifiee notifiee le
17 juin 2010, prevus par l'article 85bis, S: 3, du Code [de la taxe surla valeur ajoutee], en raison de l'illegalite de la saisie-arret-executionde droit commun signifiee le 19 juillet 2010 ».
En consequence, la cour d'appel a confirme le jugement entrepris quiordonnait mainlevee des saisies-arrets pratiquees selon la lettrerecommandee du 17 juin 2010 et selon l'exploit du 19 juillet 2010.
Griefs
Le second alinea de l'article 89 du Code de la taxe sur la valeur ajouteeprevoit que : « l'execution de la contrainte ne peut etre interrompueque par une action en justice ».
Le paragraphe 3 de l'article 85bis du Code de la taxe sur la valeurajoutee prevoit que :
« La saisie-arret-execution doit etre pratiquee par exploit d'huissier,de la maniere prevue aux articles 1539 à 1544 du Code judiciaire,lorsqu'il apparait de la declaration à laquelle le tiers saisi est tenuapres la saisie effectuee par pli recommande à la poste conformement auparagraphe 1er :
1DEG que le debiteur saisi s'oppose à la saisie-arret-execution ;
2DEG que le tiers saisi conteste sa dette à l'egard du debiteur saisi ;
3DEG qu'un autre creancier s'est oppose, avant la saisie par lecomptable, à la remise par le tiers saisi des sommes dues par celui-ci.
Dans ces cas, la saisie-arret pratiquee par le comptable par plirecommande à la poste garde ses effets conservatoires si ce comptablefait proceder par exploit d'huissier, comme prevu à l'article 1539 duCode judiciaire, à une saisie-arret-execution entre les mains du tiersdans le mois qui suit le depot à la poste de la declaration du tierssaisi ».
Le receveur de la taxe sur la valeur ajoutee a agi sur la base de ladisposition fiscale specifique qu'est l'article 85bis du Code de la taxesur la valeur ajoutee.
Le demandeur n'entendait pas poursuivre mais bien confirmer, enapplication de l'article 85bis, S: 3, du Code de la taxe sur la valeurajoutee, la saisie-arret simplifiee pratiquee anterieurement àl'opposition à contrainte.
Or, un recours fiscal en matiere de taxe sur la valeur ajoutee interromptl'execution de la contrainte de sorte que les mesures d'execution prisesavant l'opposition à contrainte gardent leurs effets conservatoires.
Le demandeur croit pouvoir se referer, à cet egard, aux decisions desjuges du fond citees ci-avant sous la rubrique « Remarques prealablessur l'enonce des moyens de cassation ».
L'interpretation retenue par la cour d'appel permettrait à tous lesdebiteurs avertis qui font l'objet d'une saisie-arret simplifiee deformer immediatement opposition à contrainte pour rendre cette mesure derecouvrement totalement inefficace de telle sorte que l'article 85bis duCode de la taxe sur la valeur ajoutee deviendrait en pratique totalementcaduc puisque le demandeur se verrait dans l'impossibilite de faire confirmer par voie d'huissier la saisie simplifiee par ailleurs contestee.
Cette interpretation est d'autant plus grave qu'il n'existe pas, dans leCode de la taxe sur la valeur ajoutee, de delai prefix dans lequell'opposition doit etre introduite.
En definitive, le fonctionnaire charge du recouvrement n'utilisera pluscette mesure dont l'objectif etait, entre autres, « de limiter les fraisde justice » (Doc. parl., Ch., session 1979-1980, nDEG 323/47, p. 89)et aura immediatement recours à une execution par voie d'huissier quitteà ce que les effets des saisies soient suspendus en application del'article 89 du Code de la taxe sur la valeur ajoutee.
Au contraire, sauf à denier tout sens à l'article 85bis du Code de lataxe sur la valeur ajoutee, il doit necessairement etre admis que lavalidite d'une telle procedure s'apprecie au moment de l'exercice de lasaisie-arret simplifiee et qu'il importe finalement peu que soneventuelle validation selon les formes du droit commun prescrite par l'article 85bis, S: 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutee intervienne avant ou apres la formalisation d'un recours au fond dudebiteur puisqu'il ne s'agit pas là d'une nouvelle saisie mais d'unesimple confirmation de la saisie simplifiee initiale prescrite par le legislateur fiscal.
Des lors qu'il fait proceder, sur la base de l'article 85bis, S: 3, duCode de la taxe sur la valeur ajoutee, à une saisie par voie d'huissier,le receveur vise seulement à ce que la saisie-arret simplifiee « gardeses effets conservatoires » suivant les termes de l'alinea 2 de cette disposition alors que la disposition de l'article 89 du Code de la taxesur la valeur ajoutee vise uniquement l'interruption de « l'executionde la contrainte ».
Cet objectif est par ailleurs conforme à l'article 89 du Code de la taxesur la valeur ajoutee qui enonce que l'execution de la contrainte estseulement interrompue par l'action en justice.
En statuant ainsi, l'arret vide de sa substance le deroulement de la procedure prevue à l'article 85bis du Code de la taxe sur la valeurajoutee dans le cadre de laquelle, dans les hypotheses visees auparagraphe 3, la saisie pratiquee par exploit d'huissier, de la maniereprevue aux articles 1539 à 1544 du Code judiciaire, et la saisie-arret simplifiee forment une seule et meme procedure.
Par ailleurs, l'arret meconnait, à tout le moins, l'article 89, alinea2, du Code de la taxe sur la valeur ajoutee des lors qu'il ressort decette disposition que l'introduction d'un recours fiscal ne rend pasnulle la procedure d'execution mais en suspend la poursuite.
Des lors que l'arret attaque admet qu'en application de l'article 89 duCode de la taxe sur la valeur ajoutee, l'execution de la contrainte estsuspendue par l'opposition deposee au greffe le 15 juillet 2010, il nepouvait, à tout le moins, sans meconnaitre ledit article et l'effet desuspension de l'opposition du 15 juillet 2010, confirmer la decision de mainlevee de la saisie-arret en forme simplifiee pratiquee anterieurement,soit le 17 juin 2010.
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
En vertu des articles 89 du Code de la taxe sur la valeur ajoutee et1385decies du Code judiciaire, l'execution de la contrainte decernee parl'administration en vue du recouvrement de la taxe sur la valeur ajouteeest interrompue par une action en justice introduite par requetecontradictoire.
L'article 1034quinquies du Code judiciaire, auquel l'article 1385deciesprecite renvoie, prevoit que la requete, accompagnee de son annexe, estenvoyee par lettre recommandee au greffier de la juridiction ou deposee augreffe.
L'arret, qui constate que le defendeur a forme opposition à la contraintele 15 juillet 2010, date du depot de sa requete contradictoire au greffedu tribunal, decide legalement que le demandeur ne pouvait faire proceder,le
19 juillet 2010, à la saisie-arret-execution litigieuse.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le second moyen :
En vertu de l'article 85bis, S: 3, du Code de la taxe sur la valeurajoutee, dans le cas ou il apparait de la declaration de tiers saisi quele debiteur saisi s'oppose à la saisie-arret-execution simplifiee, cettederniere ne garde ses effets conservatoires que si unesaisie-arret-execution de droit commun est faite entre les mains du tierssaisi dans le mois qui suit le depot à la poste de sa declaration.
Cette disposition suppose que la saisie-arret-execution de droit communsoit effectuee legalement.
En vertu de l'article 89, alinea 2, du meme code, l'execution de lacontrainte ne peut etre interrompue que par une action en justice. Il enresulte que l'administration ne peut plus proceder à des mesuresd'execution de la contrainte apres que le redevable de la taxe a formeopposition à celle-ci.
L'arret constate que le demandeur a procede à une saisie-arret-executionsimplifiee en date du 17 juin 2010, que le defendeur a forme opposition àla contrainte par requete deposee au greffe le 15 juillet 2010 et que ledemandeur a procede à une saisie-arret-execution de droit commun le
19 juillet 2010.
Il considere qu'à cette derniere date, le demandeur etait legalementempeche de poursuivre l'execution forcee de la contrainte à l'encontre dudefendeur en raison du depot anterieur de la requete en opposition, desorte que cette saisie est illegale.
Par ces enonciations, il justifie legalement sa decision que lasaisie-arret simplifiee du 17 juin 2010 a perdu son caractereconservatoire.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux depens.
Les depens taxes à la somme de quatre cent cinquante-quatre eurostrente-trois centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le president de section AlbertFettweis, les conseillers Martine Regout, Gustave Steffens et SabineGeubel, et prononce en audience publique du vingt decembre deux milletreize par le president Christian Storck, en presence de l'avocat generalAndre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | G. Steffens |
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| M. Regout | A. Fettweis | Chr. Storck |
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20 DECEMBRE 2013 F.12.0136.F/12