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29/11/2013 | BELGIQUE | N°D.11.0017.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 novembre 2013, D.11.0017.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

1926



NDEG D.11.0017.F

B. J.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

ORDRE DES PHARMACIENS, dont le siege est etabli à Saint-Gilles, avenueHenri Jaspar, 94,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou

il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre la decisi...

Cour de cassation de Belgique

Arret

1926

NDEG D.11.0017.F

B. J.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

ORDRE DES PHARMACIENS, dont le siege est etabli à Saint-Gilles, avenueHenri Jaspar, 94,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre la decision rendue le 14 avril2011 par le conseil d'appel d'expression franc,aise de l'Ordre despharmaciens, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l'arret de laCour du

18 septembre 2009.

Le president Christian Storck a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation

Le demandeur presente deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- article 192 de la Constitution ;

- articles 2 et 3 du decret du 20 juillet 1831 concernant le serment à lamise en vigueur de la monarchie constitutionnelle representative ;

- article 601, 1DEG, du Code judiciaire ;

- articles 1er, 2, 6, 13, alinea 1er, et 16, alinea 1er, de l'arrete royalnDEG 80 du 10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des pharmaciens.

Decisions et motifs critiques

Saisie des conclusions du demandeur selon lesquelles, « n'ayant pas pretele serment constitutionnel prevu par le decret du 20 juillet 1831, lesmembres du conseil d'appel ne pourraient connaitre des poursuites » muescontre lui, la sentence attaquee decide que le conseil d'appel peutconnaitre desdites poursuites et inflige au demandeur la sanctiondisciplinaire de la suspension du droit d'exercer la profession pour uneduree de deux jours.

La decision attaquee se fonde sur les motifs que, « des lors que leconseil d'appel et ses membres n'assument aucune mission de service publicau sens d'une activite exercee directement par l'autorite publique ou sousson controle, sa surveillance ou sa tutelle, l'Ordre et ses organesn'ayant qu'un role d'autoregulation interne, il n'existe pour ses membresaucune obligation de preter le serment prevu par le decret du 20 juillet1831 ».

Griefs

L'article 192 de la Constitution dispose : « Aucun serment ne peut etreimpose qu'en vertu de la loi. Elle en determine la formule ».

Le decret du 20 juillet 1831 concernant le serment à la mise en vigueurde la monarchie constitutionnelle representative dispose en son article 2: « Tous les fonctionnaires de l'ordre judiciaire et administratif, lesofficiers de la garde civique et de l'armee et en general tous lescitoyens charges d'un ministere ou d'un service public quelconque sonttenus, avant d'entrer en fonctions, de preter le serment dans la teneurqui suit : `Je jure fidelite au Roi, obeissance à la Constitution et auxlois du peuple belge' ». Selon l'article 3 du decret, « le serment fixedans l'article 2 sera rec,u par l'autorite que les lois existantesdesignent à cet effet et dans les formes observees jusqu'ici ».

L'article 601, 1DEG, du Code judiciaire dispose : « Le juge de paixrec,oit le serment de tous ceux qui, à raison de leurs emplois etfonctions, sont assujettis à cette formalite prealable, dans le cas ou laloi n'a point determine expressement l'autorite qui doit recevoir leserment ».

Les articles precites du decret du 20 juillet 1831 et du Code judiciaireconstituent les lois qui reglent le serment qui doit etre preste par toutcitoyen qui est charge d'un service public.

L'Ordre des pharmaciens est un ordre professionnel cree par la loi (arreteroyal nDEG 80 du 10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des pharmaciens,article 1er) auquel a ete conferee la mission d'organiser la profession etd'exercer son controle sur les personnes admises à pratiquer l'artpharmaceutique (arrete royal nDEG 80 du 10 novembre 1967, articles 2 et 6,1DEG) en vue de garantir l'interet general au regard des imperatifs de lasante publique.

En vertu de l'article 13, alinea 1er, de l'arrete royal nDEG 80 du

10 novembre 1967, les conseils d'appel de l'Ordre des pharmaciensconnaissent de l'appel des decisions prises par les conseils provinciauxen application de l'article 6, 2DEG, dudit arrete royal, en vertu duquelles conseils provinciaux doivent veiller au respect des regles de ladeontologie pharmaceutique et au maintien de l'honneur, de la discretion,de la probite des membres de l'Ordre et « sont charges à cette fin dereprimer disciplinairement les fautes des membres inscrits à leurtableau, commises dans l'exercice de la profession, ainsi que les fautesgraves commises en dehors de l'activite professionnelle, lorsque cesfautes sont de nature à entacher l'honneur ou la dignite de la profession». Les sanctions dont disposent les conseils provinciaux et, en degred'appel, les conseils d'appel sont, en vertu de l'article 16, alinea 1er,de l'arrete royal nDEG 80 du 10 novembre1967, l'avertissement, la censure,la reprimande, la suspension du droit d'exercer la profession pour unterme qui ne peut exceder deux ans et la radiation du tableau de l'Ordre.Les conseils d'appel exercent ainsi une fonction juridictionnelle au seind'un ordre professionnel cree par la loi et qui, exerc,ant les attributsde la puissance publique sous un regime d'autonomie, est une institutionde droit public chargee d'une mission d'interet general.

Des lors, les membres d'un conseil d'appel de l'Ordre des pharmaciens,appeles à statuer sur des poursuites disciplinaires à charge d'un membrede cet ordre et à decider de sanctions disciplinaires pouvant allerjusqu'à la suspension temporaire du droit d'exercer la profession et àla radiation du tableau de l'Ordre, doivent, avant d'exercer cettefonction juridictionnelle, preter le serment vise aux articles 2 et 3 dudecret du 20 juillet 1831. A defaut pour l'arrete royal nDEG 80 du 20novembre 1967 relatif à l'Ordre des pharmaciens d'avoir determinel'autorite qui doit recevoir ce serment, celui-ci doit etre rec,u par lejuge de paix conformement à l'article 601, 1DEG, du Code judiciaire.

En decidant que les membres du conseil d'appel d'expression franc,aise del'Ordre des pharmaciens n'exercent pas une mission de service public,« l'Ordre et ses organes n'ayant qu'un role d'autoregulation interne »,et qu'ils ne sont, partant, pas tenus de preter le serment vise auxarticles 2 et 3 du decret du 20 juillet 1831, pourtant impose auxpersonnes qui exercent une fonction juridictionnelle au sein d'uneinstitution de service public, la sentence attaquee viole les articles 2et 3 du decret du 20 juillet 1831, 601, 1DEG, du Code judiciaire, 1er, 2,6, 13, alinea 1er, et 16, alinea 1er, de l'arrete royal nDEG 80 du 10novembre 1967 relatif à l'Ordre des pharmaciens, ainsi que l'article 192de la Constitution.

Second moyen

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- articles 1er et 2, S:S: 1er et 2, de la loi du 5 aout 1991 sur laprotection de la concurrence economique, coordonnee par l'arrete royal du

1er juillet 1999 (avant son abrogation par la loi du 10 juin 2006, article63, coordonnee le 15 septembre 2006, article 97) ;

- articles 6, 2DEG, et 15, S: 1er, alineas 5 et 6, de l'arrete royal nDEG80 du 10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des pharmaciens ;

- article 26bis, S:S: 1er et 2, de l'arrete royal du 31 mai 1885approuvant les instructions pour les medecins, pour les pharmaciens etpour les droguistes (avant son abrogation par l'arrete royal du 21 janvier2009 portant instructions pour les pharmaciens, article 47).

Decisions et motifs critiques

Apres avoir constate les faits suivants : le conseil provincial de l'Ordredes pharmaciens de la province de Hainaut a pris connaissance, le 26 aout2004, d'une facture etablie par le groupe Multipharma pour le compte d'uneofficine appartenant à cette derniere et situee à Ath ; le demandeur estle titulaire de cette officine ; il est lie à la societe Multipharma parun contrat de travail ; la facture en question mentionne une ristourne depres de 30 p.c. sur le prix des medicaments delivres à un resident de lamaison de repos « L'aide fraternelle » situee à Ath,

et apres avoir decide de n'examiner que les deuxieme et quatrieme griefsvises à la prevention reprochee au demandeur, à savoir « avoircontrevenu à l'article 6, 2DEG, de l'arrete royal nDEG 80 du 10 novembre1967 relatif à l'Ordre des pharmaciens, pour avoir porte atteinte àl'honneur et à la dignite de la profession auxquels sont tenus lesmembres de l'Ordre, en l'espece [...] avoir fait de la publicite indirecteen accordant des ristournes excessives ; [...] etant pharmacien titulaire,avoir approuve sans remarques aucunes des conditions imposees par sonemployeur, en l'occurrence la societe Multipharma », les faits s'etantproduits dans le courant de l'annee 2004, le dernier de ceux-ci l'ayantete le 12 juillet 2004,

la sentence attaquee decide que les faits reproches au demandeur sontetablis et inflige à celui-ci la sanction disciplinaire de la suspensiondu droit d'exercer sa profession pour une duree de deux jours.

La sentence attaquee se fonde sur les motifs suivants :

« Le conseil d'appel constate que l'employeur du [demandeur] a conclu unaccord avec la direction de la maison de repos `L'aide fraternelle'prevoyant l'octroi d'une ristourne pour les produits destines auxpensionnaires du home et d'une ristourne distincte pour les membres de sonpersonnel. Le [demandeur] n'a manifestement pas la maitrise des tarifs(cf. son audition du 11 janvier 2005 : `A la question si nous vendons àperte compte tenu des elements mentionnes sur la facture, je souhaite auprealable interpeller les services comptables de Multipharma car je suisincapable d'expliquer les differents calculs'). La materialite des faitsn'est des lors pas contestable ;

Si l'octroi d'une ristourne par un pharmacien ne peut porter atteintequ'à des interets materiels et n'est pas en soi contraire à ladeontologie, il peut en etre ainsi en presence d'agissements concomitants,de nature à porter atteinte à l'honneur, la discretion, la probite et ladignite de la profession, notamment par le recours à des procedestypiquement marchands et à des arguments promotionnels en faveur de sonofficine [...]. L'octroi d'une ristourne elevee à des particuliers surdes produits non rembourses a pour but de drainer et de s'attacher uneclientele supplementaire, fragilisee et sensible à l'argument financier,qui ne se serait pas necessairement dirigee vers l'officine du [demandeur]sans un avantage consenti dans un cadre pratiquement institutionnalise.Qui plus est, dans le cas d'espece, les pensionnaires d'un home, malgreleur liberte de choix theorique, recherchent naturellement, en raison deleur age ou de leur etat de sante, le confort des facilites offertes parun systeme mis en place entre la direction de leur home et l'employeur du[demandeur], lequel systeme favorise ainsi l'officine de ce dernier. Cettedemarche participe evidemment d'une demarche mercantile et ce, quand bienmeme la ristourne serait pratiquee dans les memes proportions par d'autrespharmaciens, ainsi que le pretend le [demandeur] ;

Ce qui est en cause, ce n'est ni le principe de la ristourne, ni celui dela publicite, ni celui de la liberte de concurrence, mais bien, comme onle verra ci-apres, le contexte et les modalites d'exercice de cespratiques commerciales qui font s'estomper le role premier d'acteur de lasante publique qui incombe à tout pharmacien ;

Qui plus est, en ce qui concerne le [demandeur], il a approuve sansconditions cette pratique qui, pretend-il, lui a ete imposee par sonemployeur, la societe Multipharma, et il a accepte d'appliquer aveuglementla politique tarifaire de son employeur au point d'avoir perdu le controlede la facturation des medicaments delivres par son officine et desristournes pratiquees sur le prix de ces medicaments [...]. De plus, ils'est engage à l'egard de son employeur à suivre les conventions passeesavec le directeur d'une maison de repos et à respecter les faveursconsenties à ce dernier, ces faveurs particulieres participant en outredu caractere purement mercantile de l'ensemble du montage commercial ainsimis en place ;

On peut rappeler utilement ici que la Cour de cassation s'est dejàprononcee au sujet des ristournes consenties aux residents d'une maison derepos, qu'elle releve ou non du centre public d'action sociale (cf. Cass.,

8 novembre 2001). En cette cause, il a notamment ete juge que : 1.l'accord relatif à ces ristournes excessives a ete conclu `dans le but defaire de la publicite pour ces ristournes aupres de tous les residents demaisons de repos ou des residences-services [du] centre public d'actionsociale' ; 2. `l'octroi de ristournes excessives [...] ne peut etreinterprete autrement que comme une forme de publicite par la voie delaquelle le centre public d'action sociale est utilise pour diffuserl'annonce de ces ristournes extremement interessantes' ; 3. par `lapratique des ristournes excessives par la voie d'un accord conclu avec untiers dans le but d'attirer massivement la clientele de ses collegues', lepharmacien `meconnait la nature de la profession liberale du pharmacienhautement qualifie, confident du patient et pierre d'angle d'unedistribution competente des specialites pharmaceutiques mise en oeuvredans le seul interet de la sante publique'. Par ces motifs, qui peuventetre retenus mutatis mutandis en la presente cause, la Cour de cassationavait ainsi rejete le pourvoi contre une decision du conseil d'appel del'Ordre des pharmaciens qui notamment constatait dejà que `l'octroi deces ristournes excessives a pour effet de menacer la qualite desprestations des lors qu'il exclut la realisation d'une marge beneficiaireraisonnable, necessaire à la viabilite de toute officine. Il a aussi pourconsequence que la ville d'Alost, agissant en sa qualite de representantdu centre public d'action sociale, incite un groupe de personnes sansdefense à se fournir dans une officine determinee, sans avoir egard auniveau de connaissance, à la qualite des prestations ou aux contactspersonnels, ainsi que certains commerc,ants le font par des ristournesaccordees en periode de soldes'. En adherant à un systeme de ristournessimilaires, le [demandeur] a lui aussi meconnu la liberte de choix dugroupe-cible qu'il vise, par ailleurs fragilise et influenc,able. Detelles pratiques ne peuvent etre le fait que de quelques entrepriseslargement structurees, et auxquelles certains pharmaciens, à l'instar du[demandeur], restent infeodes, quitte à mettre en peril leur independanceet le libre exercice de leur profession. On peut ici souligner egalementqu'en adoptant le nouveau code de deontologie, le conseil national anotamment rappele que : - par sa nature, le medicament n'est pas un objetde commerce et sa dispensation ne peut donner lieu à des pratiquescommerciales contraires à la discretion et à la dignite de laprofession, d'autant que la publicite en faveur du medicament eststrictement reglementee [...]. A cette fin, le pharmacien s'abstient depratiques commerciales qui, sans etre reprehensibles ou illegales, donnentde l'exercice de la pharmacie une vision mercantile et sont de nature àalterer sa credibilite et ses relations de confiance avec les clients(article 100 du nouveau code de deontologie) ; - l'octroi de la ristourne,procede essentiellement commercial, constitue une pratique de concurrencequi ne peut etre toleree que si elle est appliquee avec la necessairereserve et avec discretion afin de respecter les regles essentielles de laprofession (article 107 du nouveau code de deontologie) ; - la ristournene peut pousser à la surconsommation de medicaments ni nuire au librechoix de l'officine (article 108 du nouveau code de deontologie) ; - lesmodalites de la ristourne ne peuvent pas reduire l'exercice de lapharmacie à celui d'un commerce quelconque. A ce titre, toute forme depublicite pour la ristourne est interdite (article 109 du nouveau code dedeontologie) ;

Ainsi, et selon la maniere dont elle est appliquee, la ristourne peutdevenir, en fonction des circonstances propres à l'espece, un veritableargument promotionnel en faveur de l'officine et constituer une promessed'avantage faussant le libre choix du patient ;

Il suit des constatations et considerations qui precedent que, par saparticipation sans reserve à un tel systeme, le [demandeur] a commis lesfaits vises aux deuxieme et quatrieme griefs de la prevention et qu'il a,ce faisant, porte atteinte à l'honneur, à la discretion, à la probiteet à la dignite de la profession de pharmacien ».

Griefs

Selon l'article 1er de la loi du 5 aout 1991 sur la protection de laconcurrence economique, coordonnee par l'arrete royal du 1er juillet 1999(avant son abrogation par la loi du 10 juin 2006, coordonnee le 15septembre 2006), il faut entendre par entreprise toute personne physiqueou morale poursuivant de maniere durable un but economique, ce qui inclutles pharmaciens. L'article 2, S: 1er, de cette loi interdit toutesdecisions d'associations d'entreprises qui ont pour objet ou pour effetd'empecher, de restreindre ou de fausser de maniere sensible laconcurrence sur le marche belge ou dans une partie substantielle decelui-ci, ce qui vise les decisions de l'Ordre des pharmaciens qui ontpour objet ou pour effet d'imposer à ses membres des limitations deconcurrence, lorsque celles-ci ne sont pas necessaires au maintien desregles fondamentales de la profession et tendent à avantager certainsinterets materiels des pharmaciens ou à instaurer ou maintenir un ordreeconomique. Selon l'article 2, S: 2, de ladite loi, les accords oudecisions interdits en vertu de cet article sont nuls de plein droit.

Si l'honneur et la dignite de la profession de pharmacien s'opposent àdes demarches strictement mercantiles, dans la mesure ou la profession aun caractere non commercial (arrete royal nDEG 80 du 10 novembre 1967 surl'Ordre des pharmaciens, article 15, S: 1er, alineas 5 et 6), la publicitefaite par le pharmacien pour son officine et l'octroi de ristournes surcertains medicaments ne constituent pas en soi une demarche strictementmercantile mais sont au contraire, en principe, la mise en oeuvre du droitdu pharmacien de faire de la concurrence.

La possibilite pour le pharmacien d'octroyer des ristournes sur le prix decertains medicaments est en effet un element essentiel de son droit à laconcurrence, des lors qu'il s'agit, par ce biais, de faire connaitre sonofficine aupres du public, de s'attirer une nouvelle clientele ou deretenir sa clientele existante, ce qui, sauf circonstances concomitantesparticulieres, ne contrevient pas en principe à l'honneur, la discretion,la probite et la dignite de la profession de pharmacien. Ni le taux de laristourne octroyee ni l'effet promotionnel ou l'attraction de clientelesusceptibles d'en resulter ne peuvent etre consideres comme constituant detelles circonstances, à peine de reconnaitre à l'Ordre des pharmaciensle pouvoir d'interdire l'octroi de ristournes elevees ou de reglementer letaux maximal des ristournes qui peuvent etre allouees par les pharmaciens,ce qui serait contraire au regime de la libre concurrence economiqueorganise par la loi du 5 aout 1991, coordonnee par arrete royal du 1erjuillet 1991.

Des regles speciales sont prevues pour la delivrance de medicaments auxpersonnes vivant en communaute, telles les maisons de repos, le pharmacienetant autorise à delivrer, en dehors de son officine, des medicaments, enemballage individualise par patient, au mandataire de plusieurs personnes(arrete royal du 31 mai 1885 approuvant les nouvelles instructions pourles medecins, pour les pharmaciens et pour les droguistes, article 26bis,S:S: 1er et 2, avant son abrogation par l'arrete royal du 21 janvier 2009portant instruction pour les pharmaciens, contenant des dispositionssimilaires en ses articles 22 et 23).

L'octroi de ristournes speciales à des personnes vivant en communaute nepeut etre considere comme excedant l'exercice du droit du pharmacien àfaire de la concurrence aux autres pharmaciens et comme contrevenant àl'honneur, la discretion, la probite et la dignite de la profession, enraison de la seule circonstance que ces personnes sont « fragilisees etsensibles à l'argument financier » et enclines à rechercher la facilitedu systeme de delivrance des medicaments ainsi organise, plutot qu'à sefaire delivrer des medicaments par d'autres officines.

Si le caractere excessif des ristournes accordees par un pharmacien surles medicaments delivres à des personnes vivant en communaute peut, lecas echeant, etre l'indice d'une demarche mercantile, ce caractereexcessif de la ristourne ne se deduit pas necessairement de son taux. Eneffet, ce taux n'est pas reglemente, l'arrete royal du 17 avril 1964reglementant les ristournes accordees sur le prix des specialitespharmaceutiques ayant ete abroge par l'arrete royal du 27 fevrier 1995, desorte que le caractere excessif du taux de la ristourne ne peut etreconstate qu'au regard de ce que d'autres pharmaciens accordent commeristournes dans des circonstances similaires.

La sentence attaquee considere que le demandeur a « participe à unmontage commercial purement mercantile » et a commis les faits qui luisont reproches en ayant « accepte d'appliquer aveuglement la politiquetarifaire de son employeur » et en ayant accepte sans conditions depratiquer les ristournes decidees par celui-ci sur le prix desmedicaments, specialement une ristourne de 30 p.c. sur le prix desmedicaments delivres aux residents d'une maison de repos, aux motifs, ensubstance, que cette ristourne est d'un montant excessif, quand bien memeserait-elle « pratiquee dans la meme proportion par d'autres pharmaciens», et s'adresse à une « clientele fragilisee et sensible à l'argumentfinancier » dans le but de s'attacher celle-ci, alors qu'elle « ne seserait pas necessairement dirigee vers l'officine du [demandeur] sans unavantage consenti dans un cadre pratiquement institutionnalise », ce quifausse le libre choix du patient.

La sentence attaquee meconnait ainsi le droit du demandeur de faire de laconcurrence aux autres pharmaciens par le biais de ristournes sur le prixde certains medicaments octroyees à des personnes vivant en communaute,ristournes dont il n'est pas constate que le taux excederait celui proposepar d'autres pharmaciens dans des circonstances similaires de delivrancede medicaments à des personnes vivant en communaute.

La sentence attaquee viole des lors les articles 1er et 2, S:S: 1er et 2,de la loi du 5 juillet 1991 sur la protection de la concurrenceeconomique, coordonnee par l'arrete royal du 1er juillet 1999 (avant sonabrogation par la loi du 10 juin 2006, coordonnee le 15 septembre 2006),en tant que ces dispositions preservent le droit du pharmacien à faire dela concurrence à d'autres pharmaciens, l'article 26bis, S:S: 1er et 2, del'arrete royal du 31 mai 1885 approuvant les nouvelles instructions pourles medecins, pour les pharmaciens et pour les droguistes (avant sonabrogation par l'arrete royal du 21 janvier 2009), en tant que cettedisposition prevoit un systeme de delivrance de medicaments particulierpour les personnes vivant en communaute, outre les articles 6, 2DEG, et15, S: 1er, alineas 5 et 6, de l'arrete royal nDEG 80 du

10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des pharmaciens dans la mesure ou lecaractere non commercial de la profession de pharmacien consacre parl'article 15 precite ne permet pas, par des sanctions disciplinaires,d'interdire par principe la concurrence entre pharmaciens par l'octroi deristournes sur le prix des medicaments delivres aux personnes vivant encommunaute.

A defaut pour la sentence attaquee de preciser en quoi le taux de laristourne accordee est « excessif », « quand bien meme la ristourneserait pratiquee dans les memes proportions par d'autres pharmaciens »,la sentence attaquee ne permet pas à la Cour de verifier la legalite dela decision qui considere que le demandeur a, par l'octroi de cetteristourne, porte atteinte à l'honneur, à la discretion, à la probite età la dignite de la profession de pharmacien, atteinte visee à l'article6, 2DEG, de l'arrete royal nDEG 80 du

10 novembre 1967 relatif à l'Ordre des pharmaciens. La sentence attaqueen'est partant pas regulierement motivee (violation de l'article 149 de laConstitution).

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

Aux termes de l'article 2 du decret du 20 juillet 1831 concernant leserment à la mise en vigueur de la monarchie constitutionnellerepresentative, tous les fonctionnaires de l'ordre judiciaire etadministratif, les officiers de la garde civique et de l'armee et engeneral tous les citoyens charges d'un service public quelconque seronttenus, avant d'entrer en fonctions, de preter le serment dans la teneurqui suit : « je jure fidelite au Roi, obeissance à la Constitution etaux lois du peuple belge ».

Ce serment, qui ne contient pas seulement la promesse d'obeissance auxlois mais aussi une promesse de fidelite au Roi, c'est-à-dire à l'Etatconsidere dans ses institutions fondamentales, dont le Roi est le symbole,constitue une garantie politique du fonctionnement regulier de cesinstitutions et s'impose, des lors, à tous ceux qui concourent par leursfonctions à l'exercice des pouvoirs emanant de la Nation.

Si les ordres professionnels sont des institutions de droit public creeespar la loi en vue d'assumer, dans le ressort de certaines professionsliberales, une mission d'interet general, ils n'exercent cette mission,fut-ce avec des attributs de puissance publique, que sous un regimed'autonomie qui procede d'un ordre juridique propre regissant une societepartielle, distincte de la societe globale qu'assume l'Etat.

Le pouvoir juridictionnel qui s'exerce au sein de ces ordres n'emane pasde la Nation, de sorte que les personnes qui en sont investies ne doivent,avant d'entrer en fonction, pas preter le serment prescrit à l'article 2du decret du 20 juillet 1831.

Le moyen, qui repose sur le soutenement contraire, manque en droit.

Sur le second moyen :

Si le seul octroi de ristournes par un pharmacien ne porte atteinte qu'àdes interets materiels et n'est pas en soi contraire à la deontologie, ilne peut en etre ainsi qu'en l'absence d'agissements concomitants de natureà porter atteinte aux principes generaux et aux regles relatifs à lamoralite, l'honneur, la discretion, la probite, la dignite et ledevouement indispensables à l'exercice de la profession qui, selonl'article 15 de l'arrete royal nDEG 80 du 10 novembre 1967 relatif àl'Ordre des pharmaciens, constituent le code de deontologiepharmaceutique.

Par les considerations que le moyen reproduit, la sentence attaquee nedenie pas au demandeur le droit de faire concurrence aux autrespharmaciens par l'octroi de ristournes elevees qui sont de nature à avoirun effet promotionnel et à s'attirer une nouvelle clientele mais releveles circonstances particulieres à l'espece dont il ressort que ledemandeur a manque à l'honneur et à la dignite de la profession enadoptant une demarche purement mercantile par l'octroi de ristournes qui,fussent-elles pratiquees « dans les memes proportions par d'autrespharmaciens », n'en sont pas moins excessives des lors qu'ellesmeconnaissent « la liberte de choix du groupe-cible [vise], par ailleursfragilise et influenc,able », et constituent « des pratiques » qui« ne peuvent etre le fait que de quelques entreprises structurees » etqui « font s'estomper le role premier d'acteur de la sante publique quiincombe à tout pharmacien ».

La sentence attaquee, des lors, motive regulierement et justifielegalement sa decision.

Le moyen ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux depens.

Les depens taxes à la somme de trois cent quarante-six euros vingt-quatrecentimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent neuf eurossoixante-neuf centimes envers la partie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Martine Regout,Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononce enaudience publique du vingt-neuf novembre deux mille treize par lepresident Christian Storck, en presence de l'avocat general ThierryWerquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+----------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|-----------------+-----------+----------------|
| M. Lemal | M. Regout | Chr. Storck |
+----------------------------------------------+

29 NOVEMBRE 2013 D.11.0017.F/16


Synthèse
Numéro d'arrêt : D.11.0017.F
Date de la décision : 29/11/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 02/01/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2013-11-29;d.11.0017.f ?
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