Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.13.0033.N
VULSTOFFEN EXPLOITATIE, s.p.r.l.,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. H. S.,
2. I. V. D. M.
I. la procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 4 septembre2012 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le president de section Eric Dirix a fait rapport.
L'avocat general Christian Vandewal a conclu.
II. les moyens de cassation
La demanderesse presente trois moyens libelles dans les termes suivants :
(...)
Deuxieme moyen
Dispositions legales violees
- articles 1382 et 1383 du Code civil ;
- articles 17, 18, 616, 780bis et 1050 du Code judiciaire ;
- articles 2, 6 et 14, alinea 4, de la loi du 8 aout 1997 sur lesfaillites ;
- principe general du droit dit principe de la proportionnalite.
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque declare non fondee la nouvelle demande de la demanderessetendant à la condamnation du premier defendeur à une indemnite pourappel vexatoire et temeraire, declare fonde l'appel du premier defendeur,« annule le jugement entrepris, sauf en tant qu'il a declare recevablesles demandes des parties, qu'il a declare non fondee la demande [dupremier defendeur] et qu'il a fixe les depens ; statuant à nouveau pourle surplus : declare fondee la demande [du premier defendeur], declare lasociete anonyme Vulstoffen Exploitatie, en abrege Vulux, en faillite » etdesigne Me V. comme curateur. Cette decision se fonde notamment sur lesconsiderations suivantes :
« Abus de droit de la part du premier defendeur - dommages et interetspour appel vexatoire et temeraire
22. Le premier defendeur serait de mauvaise foi ou ferait, à tout lemoins, preuve d'une grande legerete et commettrait un abus de droit.
L'allegation de la demanderesse est non fondee.
La cour (d'appel) se refere à ses considerations concernant lesconditions de la faillite.
La demande du premier defendeur est fondee.
C'est, des lors, à juste titre que le premier juge a declare non fondeela demande de la demanderesse tendant à la condamnation du premierdefendeur au paiement de dommages et interets pour proces vexatoire ettemeraire.
Vu que l'appel du premier defendeur est fonde, la nouvelle demande de lademanderesse qui tend à l'entendre condamner au paiement de dommages etinterets pour appel vexatoire et temeraire est non fondee.
23. Les arguments des parties autres que ceux qui ont ete discutes ici parla cour (d'appel) sont sans pertinence ou, à tout le moins, ne sont pasde nature à modifier la decision de la cour (d'appel) »,
et ce, apres avoir conclu, aux pages 10 à 17, que les conditions de lafaillite etaient remplies dans le chef de la demanderesse, considerationsqui sont censees etre reproduites ici, et apres avoir considere en outreque :
« 21. Il n'est question de violation ni du principe de laproportionnalite ni de l'article 1er du Traite precite ; à tout le moinsla demanderesse reste en defaut de prouver ou meme de rendre plausible lecontraire ».
Griefs
1. Conformement aux articles 1382 et 1383 du Code civil, un justiciablecommet un abus de droit lorsqu'il exerce le droit dont il est titulaired'une maniere qui depasse manifestement les limites de l'exercice normalde ce droit par une personne prudente et raisonnable.
Tel est notamment le cas lorsque le dommage cause est disproportionne parrapport à l'avantage vise par le titulaire de ce droit, lorsque letitulaire d'un droit exerce ce droit dans le but exclusif de nuire àautrui ou lorsqu'il exerce ce droit sans interet raisonnable et suffisant.
En appreciant cet abus de droit, le juge doit tenir compte de toutes lescirconstances de la cause.
2. Conformement à l'article 6 de la loi du 8 aout 1997, le creancier peutprovoquer la declaration de faillite de son debiteur.
Conformement aux articles 14, alinea 4, de cette loi et 616 et 1050 duCode judiciaire, il a aussi le droit d'interjeter appel de la decisiondeclarant non fondee sa demande en faillite.
L'un et l'autre n'excluent, certes, pas un abus de droit, comme leconfirme l'article 780bis du Code judiciaire. Il peut etre abuse d'un droit meme si celui-ci est fonde sur la loi.
L'exercice par un creancier individuel du droit que lui accorde l'article6 de la loi du 8 aout 1997 de demander la faillite de son debiteur nesera, des lors, legitime que s'il retire personnellement un quelconquebenefice de la declaration de faillite de son debiteur et dans la mesureou ce benefice est proportionne au prejudice qu'il cause ainsi à sondebiteur et, le cas echeant, aux autres creanciers.
En effet, conformement aux articles 17 et 18 du Code judiciaire, uneaction ne peut etre admise que si le demandeur a un interet ne et actuelainsi que personnel et, en outre, legitime.
Il y a abus de droit lorsque le creancier ne retire personnellement aucunavantage de la faillite de son debiteur ou lorsqu'il n'en retirepersonnellement aucun avantage autre que celui qu'il peut obtenir d'uneautre maniere moins prejudiciable à son debiteur et aux autrescreanciers, en tenant compte notamment des consequences de toute faillite,specialement le dessaisissement de plein droit du failli del'administration de tous ses biens conformement à l'article 16 de la loidu 8 aout 1997 en faveur d'un curateur qui, en application de l'article 33de cette loi, percevra des honoraires pour son intervention conformementaux regles et baremes fixes par le Roi, et la deduction des frais etdepens de l'administration de la faillite, soit un poste qui n'existeraitpas sans la faillite, du montant de l'actif du failli qui est repartientre tous les creanciers au marc le franc de leurs creances, deductionfaite des sommes payees aux creanciers privilegies, conformement àl'article 99 de ladite loi.
3. En l'espece, il ressort des constations faites par la cour d'appel quele premier defendeur a assiste la demanderesse en tant que conseil dansdiverses procedures qui avaient trait à un jugement de failliteillegalement prononce le 8 juin 1983, qui avait entraine la realisation detous les actifs meubles et du batiment d'usine de la demanderesse ainsique le demantelement de son activite commerciale.
Il ressort aussi des constatations de l'arret attaque que, le 10 janvier2008, le premier defendeur a pratique un saisie conservatoire immobilieresur les immeubles de la demanderesse pour un montant qui etait clairementexagere, des lors qu'il ressort des constatations du meme arret qu'envertu du jugement du 2 decembre 2008, la demanderesse n'etait redevable aupremier defendeur, à titre de frais et honoraires impayes, que d'unmontant de 20.185,10 euros en principal, majore des interets et depens.
Il ressort, en outre, des constatations de l'arret attaque que, le 27 mai2010, a eu lieu une vente publique du patrimoine immobilier de la societe,soit 50 hectares de terrain industriel, resultant en l'adjudication dedeux parcelles pour un montant de 1.510.200 euros.
Par l'effet de l'adjudication des parcelles, les droits des creanciersinscrits sont reportes sur le prix, en application de l'article 1639 duCode judiciaire.
En tant que creancier qui a procede à une saisie conservatoireimmobiliere et qui a ensuite obtenu un titre executoire, le premierdefendeur est un creancier concurrent, comme le remarque la demanderessedans ses conclusions de synthese, dont la creance sera aussi reprise auproces-verbal de distribution du produit de la vente que le notaire devradresser conformement à l'article 1643 du Code judiciaire, en prenant enconsideration les causes de preference dont il est question aux articles 8et 9 de la loi hypothecaire.
Suivant les constatations de l'arret attaque, des creances ont eteintroduites aupres du notaire pour un montant total de 4.053.309,80 eurosen principal par Fortis Banque societe anonyme, l'administration fiscalede la ville de Hasselt, la ville de Dilsen-Stokkem, Charbonnages, societeanonyme, l'Etat belge et Lugo, societe anonyme.
L'arret attaque se refere à cet egard à la piece 6 du dossier du premierdefendeur, soit, suivant l'inventaire joint aux conclusions d'appel dupremier defendeur, une attestation du notaire Schotsman du 26 octobre 2011relative aux actifs et passifs.
Aucun de ces creanciers, dont les creances depassent clairement le montantde la creance de l'ancien conseil de la demanderesse, n'a manifestementestime qu'il etait necessaire ou opportun de provoquer la faillite de lademanderesse.
L'arret attaque ne fait pas mention d'autres creances qui seraient encoreouvertes ou de l'existence d'autres actifs que les immeubles en questiondont la realisation profiterait aux creanciers, specialement au premierdefendeur.
Si la cour d'appel constate que d'autres procedures sont pendantes, il n'aete ni invoque ni constate qu'un curateur pourrait s'en charger de maniereplus rapide ou avec plus de chances de succes que la societe elle-meme.
Finalement, il ne ressort pas des constatations faites par la cour d'appelquel avantage le premier defendeur pouvait retirer, dans cescirconstances, de la poursuite de la faillite de son ancienne cliente.
Conclusion
L'arret, qui, pour rejeter l'abus de droit invoque dans le chef du premierdefendeur, se limite à se referer à la reunion des conditions de lafaillite, sans s'arreter à l'avantage que visait personnellement lepremier defendeur, en ces circonstances, par l'introduction d'une demandeen faillite et par l'appel de la decision du premier juge qui rejetait sademande, ou qu'il pouvait attendre de la declaration de faillite de lademanderesse et, des lors, sans constater que le premier defendeur avaitpersonnellement un interet suffisant et raisonnable à la demande enfaillite de la demanderesse et que le dommage cause à la demanderesse parla declaration de faillite n'etait pas disproportionne par rapport àl'avantage que pouvait en retirer le premier defendeur, ne justifie paslegalement sa decision qu'il n'y avait pas d'abus de droit dans le chef dupremier defendeur et qu'il y avait lieu de declarer sa demande fondee(violation des articles 17, 18 du Code judiciaire, 1382, 1383 du Codecivil, 6, 14, alinea 4, de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites, 616,780bis, 1050 du Code judiciaire et du principe general du droit ditprincipe de la proportionnalite) et ne decide, des lors, pas legalementqu'il y avait lieu de declarer la demanderesse en faillite conformementaux articles 2 et 6 de la loi du 8 aout 1997 (violation des articles 2 et6 de la loi du 8 aout 1997). En outre, l'arret ne justifie pas legalementsa decision s'il doit etre entendu en ce sens que le seul fait de lareunion des conditions de la faillite suffit pour qu'il ne puisse pas etrequestion d'un quelconque abus de droit dans le chef du creancierindividuel qui poursuit la faillite (violation de toutes les dispositionslegales precitees).
(...)
III. La decision de la Cour
Sur le deuxieme moyen :
1. Un creancier peut demander la faillite de son debiteur si lesconditions legales sont remplies. En cette circonstance, un creanciersatisfait, en principe, aux exigences des articles 17 et 18 du Codejudiciaire.
Si un creancier ne doit pas demontrer que la demande en faillite luirapporte un plus grand avantage qu'un autre mode de recouvrement de sacreance, l'introduction de cette demande ne peut toutefois pas constituerun abus de droit. Tel est le cas s'il existe une disproportion manifesteentre l'interet à introduire une demande en faillite et les interets quisont leses par le fait que la demande est accueillie.
2. Les juges d'appel ont considere que le premier defendeur n'a pas abusede son droit de demander la faillite de la demanderesse et se sontreferes, à cet egard, aux motifs relatifs à leur constatation que lesconditions de la faillite sont reunies.
Sur la seule base de cette constatation, les juges d'appel n'ont pasconsidere que le premier defendeur n'a pas abuse de son droit de demanderla faillite, comme l'avait allegue la demanderesse.
Le moyen est fonde.
Sur les autres griefs :
3. Les autres griefs ne sauraient entrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il declare l'appel recevable ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel d'Anvers.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Eric Dirix, les conseillers AlainSmetryns, Geert Jocque, Bart Wylleman et Koenraad Moens, et prononce enaudience publique du vingt-huit novembre deux mille treize par lepresident de section Eric Dirix, en presence de l'avocat general ChristianVandewal, avec l'assistance du greffier delegue Veronique Kosynsky.
Traduction etablie sous le controle du president Christian Storck ettranscrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
Le greffier, Le president,
28 novembre 2013 C.13.0033.N/1